Accueil > PORTRAITS > Andy Grove, l’homme de l’impossible

Andy Grove, l’homme de l’impossible

lundi 4 avril 2005, par nassim

Hommage au PDG d’Intel, Andrew (Andy) Grove, un des champions de la micro-informatique.

Le mois prochain, Andrew Grove, PDG d’Intel, prend sa retraite après trente-sept ans de bons et loyaux services dans la société qu’il a fondée en 1968. En janvier 2004, il a été élu meilleur chef d’entreprise de ces vingt-cinq dernières années par la Wharton School of Management (université de Pennsylvanie). Il fait donc mieux que Bill Gates (Microsoft), Jack Welch (General Electric) et Sam Walton (Wal-Mart). Il s’agit même, à mon avis, d’un modèle parfait pour les futurs dirigeants d’entreprise.

Entre 1987 et 1998, sous

Andy Grove, CEO d’Intel

la direction d’Andrew Grove, alors directeur général, Intel a vu son cours de Bourse progresser de 36,1 % par an, soit le double de la performance des 500 valeurs vedettes de l’indice Standard & Poor’s, tandis que le chiffre d’affaires passait de 1,9 milliard à 25,1 milliards de dollars. Dans le même temps, les effectifs doublaient, s’établissant à 64 000 personnes, Intel devenant une entreprise d’envergure mondiale, réalisant 55 % de son chiffre d’affaires hors des Etats-Unis. Le fabricant de composants a joué un rôle fondamental dans la révolution de la micro-informatique, de la téléphonie mobile, de la recherche sur le génome, de la conception assistée par ordinateur et de pratiquement tous les domaines d’application de l’ère « numérique » dans laquelle nous vivons.

Mais les réalisations d’Andrew Grove ne sont pas uniquement mathématiques. Tout au long de sa carrière, il a démontré sa capacité à rebondir dans les situations de crise. Vers le milieu des années 80, par exemple, il avait réagi à l’offensive nipponne sur les cartes mémoire en se lançant dans un domaine inexploré, les microprocesseurs. Ce changement de cap était une véritable gageure. C’est comme si Caterpillar avait décidé du jour au lendemain de construire des voitures de tourisme. Autre exemple : en 1994, Andrew Grove a rappelé, dans le monde entier, des processeurs Pentium défectueux, risquant rien de moins que la faillite.

Le génie d’Andrew Grove a été de concilier stratégie et tactique au moment où la mondialisation imposait de douloureuses adaptations. De posséder une vision dans un secteur d’activité en plein chamboulement. Andrew Grove a agi comme un champion d’échecs, anticipant les réactions de ses adversaires et prévoyant les « coups » suivants.

Il a donné à ses collaborateurs toute liberté pour innover et anticiper. Mais exigé avec beaucoup d’intransigeance qu’ils mesurent en permanence leurs performances par rapport à leurs objectifs. A une époque où la taille joue un rôle critique dans la recherche mondiale et où la flexibilité est essentielle à la survie, la société Intel a démontré, sous la coupe d’Andrew Grove, qu’elle pouvait allier puissance de feu et flexibilité. Grove est un peu l’homme de l’impossible.

Aucun chef d’entreprise en activité n’a écrit autant que lui. Dans « High Output Management »(1983), par exemple, il explique comment augmenter la productivité du personnel, que ce dernier soit employé à la fabrication de microprocesseurs ou à des tâches administratives. Dans « Seuls les paranoïaques survivent » (1996), il raconte comment les entreprises doivent faire face à la concurrence brutale et massive des nouveaux entrants qui changent la nature même de l’activité.

Travaillant lui-même dans un petit box et refusant tous les avantages généralement accordés à ses pairs, Andrew Grove a toujours pris le contre-pied du patron « de droit divin », bien qu’il lui soit arrivé de questionner ses collaborateurs avec une insistance confinant à l’intimidation. PDG depuis 1997, il est devenu un farouche partisan du gouvernement d’entreprise. Ainsi a-t-il soutenu avec la plus belle énergie la séparation entre les fonctions de chairman et celles de directeur général. Il a aussi mis en place un conseil d’administration réactif, composé de personnalités indépendantes.

Je lui ai demandé un jour ce qu’il estimait être sa principale réalisation. « C’est d’avoir joué un rôle important dans le développement d’un environnement de travail et d’une culture d’entreprise uniques, aussi bien pour l’ensemble des collaborateurs que pour les dirigeants », m’a-t-il répondu. En mai, Andrew Grove quittera donc ses fonctions de PDG d’Intel, tout en restant conseiller spécial de la société. Il s’attachera à définir des projets informatiques dans le domaine de la santé et des sciences de la vie et publiera un nouvel ouvrage dans le courant de l’année. Peut-être y traitera-t-il de ses solutions pour préparer l’Amérique à la concurrence chinoise et indienne. Si de nombreux patrons tombent aujourd’hui en disgrâce ou font preuve de frilosité, le monde des affaires regrettera le courage, le talent, le génie et l’intégrité d’Andrew Grove.

Par Jeffrey Garten (1), lepoint.fr

1. Jeffrey Garten est doyen de l’école de commerce de Yale et auteur de l’ouvrage « The Mind of the CEO ».©The McGraw-Hill Companies, Inc.