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Pour Ratzinger, l’Eglise est infaillible

vendredi 22 avril 2005, par Stanislas

Christian Terras,directeur de la revue catholique critique « Golias », analyse la stratégie de conquête du pouvoir par le désormais Benoît XVI (Joseph Ratzinger)et s’inquiète d’un pontificat « très moral et très cérébral ».

L’élection de Joseph Ratzinger comme pape est-elle logique au regard de la manière dont se sont déroulées ces dernières semaines ?
Tout cela a été parfaitement orchestré et depuis bien plus longtemps. Le cardinal Ratzinger gérait la vacance du pouvoir depuis au moins un an et a eu l’occasion de montrer à ses collègues cardinaux qu’il avait le profil de l’emploi. Il a neutralisé les divers groupes qui se sont servis de la maladie du pape pour pousser leurs pions. C’est le cas du groupe de l’Opus dei, regroupé derrière le cardinal espagnol Herranz et qui militait pour un pape sud-américain, sa principale place forte avec l’Espagne. Les charismatiques de « Communion et Libération » soutenaient Mgr Scola, patriarche de Venise et la communauté romaine de San Egidio, qui œuvre pour la paix, était favorable à l’achevêque de Milan, Tettamanzi.

Quelle image a-t-il cherché à imposer ?
En mettant à distance ces ambitions plus ou moins déclarés, Ratzinger est apparu comme un défenseur de l’intérêt général de l’Eglise, qui mettait de côté ses ambitions personnelles pour assurer le bon fonctionnement de l’institution. D’autre part, comme il a été le principal inspirateur théologique du pontificat de Jean Paul II, il n’a guère eu besoin de se mettre en avant. Sa supposée sagesse, son image de grand intellectuel et de grand serviteur de l’Eglise suffisaient pour l’imposer naturellement. Pour lui, l’important d’ailleurs n’était pas tant de devenir pape que de voir son programme et ses idées appliqués à la lettre. Et puis Jean Paul II l’avait adoubé de son vivant, non pas comme successeur mais comme gardien le plus éminent de l’orthodoxie romaine. De cette auréole de prestige à l’élection, il n’y a avait qu’un pas.

Un débat entre conservateurs et progressistes a-t-il jamais eu lieu ?
L’Eglise essaie de se donner des allures de démocratie pour tenter de gommer son aspect monarchie absolue. Elle a parfaitement su instrumentaliser dans ce sens les journalistes chargés de l’information religieuse dans les médias catholiques en faisant croire qu’il y avait un débat entre conservateurs et progressistes. Les quelques rares voix dissonantes qui se sont élevées durant le pré-conclave, comme celle du cardinal Martini, un des seuls vrais progressistes avec le belge Daneels, archevêque de Bruxelles, et qui demandaient plus de collégialité ou une évolution des positions de l’Eglise sur l’éthique ont été très vites réduites au silence par Ratzinger lui-même.

Sur quels thèmes Ratzinger a-t-il fait « campagne » ?
La montée en puissance de Ratzinger ces dernières semaines s’est articulée en trois étapes. Il y a d’abord eu les discours de la semaine sainte, dans lesquels il a énoncé la volonté de nettoyer l’Eglise de l’intérieur en mettant fin aux déviances et scandales, comme celui de la pédophilie qui ronge l’Eglise américaine, à l’homosexualité de plus en plus répandue dans les séminaires, la tolérance accordée à des prêtres vivant maritalement, etc. Deuxième étape, le discours qu’il a prononcé la veille de la mort de Jean Paul II à l’abbaye bénédictine de Subiaco, aux alentours de Rome, et dans lequel il s’en prenait à une Europe paganisée, infidèle à ses racines chrétiennes, en annonçant clairement un programme de reconquête. Troisième et dernière étape, lors de la messe précédant l’entrée en conclave, la condamnation de la modernité et le procès du relativisme. Tout le programme de Ratzinger est là, dans ces trois interventions.

Comment, d’après vous, les choses se sont-elles déroulées dans la chapelle sixtine ?
D’après mes calculs, Ratzinger avait déjà 50 cardinaux derrière lui lors de l’entrée en conclave. 25 cardinaux étaient sur une ligne plus modérée, favorables à un pape extra-européen et désireux que l’Eglise se recentre sur des questions plus sociales et moins théologiques. Enfin, une quarantaine d’indécis attendaient les premiers tours de scrutin pour voir. Sur ces 40 voix, 30 à mon sens ont basculé très vite pour Ratzinger tandis qu’une dizaine seulement se sont portées sur des cardinaux plus « progressistes » comme le brésilien Hummes ou le hondurien Maradiaga. Les « modérés » ont été battus à plate couture par ce nouveau pape qui va jouer la continuité avec le pontificat de Jean Paul II.

L’accueil quelque peu mitigé qu’il reçoit va-t-il l’amener à une sorte de stratégie de contre-emploi ?
Sur la forme, oui, il va essayer d’arrondir les angles comme il a déjà commencé à le faire. Il sera plus pédagogique, moins dogmatique peut-être mais sur le fond, le socle de ses convictions est absolument inaltérable. Ratzinger est un pessimiste sur la condition humaine et pour lui l’Eglise est infaillible et ne peut pas demander pardon au monde, seulement à Dieu.

Sera-t-il encore moins moderniste que son prédécesseur ?
C’est à craindre, oui. Sur deux points au moins, il sera en recul par rapport à Jean Paul II. Le dialogue interreligieux d’abord, très difficile pour un homme qui considère la religion catholique comme supérieure aux autres. Ratzinger n’avait pas du tout apprécié l’initiative prise par Jean Paul II à Assise, au nom de cette condamnation de tout relativisme téhologique et spirituel. Sur la repentance ensuite, il n’est pas question pour Benoît XVI de demander pardon pour les erreurs du passé et qui plus est aux hommes, comme l’avait fait Jean Paul II vis à vis des juifs par exemple. On ne demande pardon qu’à Dieu et pour les fautes d’aujourd’hui, c’est-à-dire notre relativisme, pas celles d’hier !

Comment va-t-il s’y prendre pour mener sa croisade spirituelle à contre-courant ?
Ratzinger va reprendre en main le gouvernement central de l’Eglise et tentera probablement, en grand intellectuel et fin tacticien qu’il est, de rallier des penseurs laïcs dans son combat contre la modernité. Des intellectuels comme le philospohe allemand Jurgen Habermas ou l’américain Francis Fukuyama, connu pour ses théories sur la fin de l’Histoire après la chute du communisme, pourraient devenir des alliés objectifs du discours du pape dans le champ sociétal. Benoît XVI pourra alors dire, « vous voyez il n’y a pas que l’Eglise qui dit que la modernité est une impasse, cette vue est partagée par d’autres ». On se prépare un pontificat très moral, très cérébral, loin du pontificat très médiatique de Jean Paul II qui -quoique l’on puisse par ailleurs penser de ses idées- était un homme d’un grand charisme et d’une grande générosité.

Par Christophe ALIX, liberation.fr