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Poutine se rend en Israël

mercredi 27 avril 2005, par nassim

Il ne fait visiblement aucun doute que Vladimir Poutine, qui a entamé mardi une visite historique au Proche-Orient, qui après l’Egypte, doit le conduire en Israël et dans les Territoires palestiniens, cherche à redonner à Moscou le prestige qui fut le sien dans la région.

Au Caire, le chef de l’Etat a d’ailleurs proposé d’accueillir,

Sharon (g) et Poutine (d).

dans la capitale russe, l’automne prochain, une conférence internationale sur le conflit israélo-palestinien. Mais l’homme fort du Kremlin aura fort à faire en Israël où certaines questions sensibles, comme la coopération militaire russe avec Damas ou encore la collaboration nucléaire avec Téhéran, ne manqueront pas d’être abordées.

Tapis rouge pour Vladimir Poutine à Tel Aviv même si, pour cette première visite d’un chef du Kremlin depuis la création d’Israël en 1948, la tâche qui attend le président russe est loin d’être aisée. Car si tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que l’époque où Moscou soutenait inconditionnellement les régimes arabes pour contrebalancer l’appui américain à l’Etat hébreu est désormais révolue, les sujets de tensions entre les deux pays ne manquent pas. A commencer par l’aide militaire russe à la Syrie. Le président Poutine a en effet confirmé à la télévision publique israélienne, à la veille de son voyage dans la région, que Moscou avait conclu un contrat de vente de missiles anti-aériens avec la Syrie. Le chef du Kremlin avait même cru bon d’ajouter que ces armes « empêcheront l’aviation israélienne de survoler le palais présidentiel » de Bachar al-Assad, allusion directe à l’opération menée en août 2003 par des avions de combats au-dessus de l’une des résidences de l’homme fort de Damas. Et même s’il s’est empressé d’ajouter que ce contrat « ne changera pas l’équilibre des forces au Proche-Orient », son humour n’a guère été apprécié en Israël pour qui la Syrie constitue une menace en raison notamment de son soutien présumé à des mouvements terroristes.

Le Premier ministre Ariel Sharon compte d’ailleurs bien faire part au chef de l’Etat russe de ses inquiétudes quant aux risques que font encourir, selon lui, à Israël ses systèmes de défense anti-aériens. « Ce qui me perturbe, a-t-il encore récemment déclaré, c’est que de telles armes puissent être transférées à des groupes terroristes ». Et d’insister : une telle vente « menacera la sécurité d’Israël ». Mais les arguments du chef du gouvernement risquent de ne trouver aucun écho auprès de Vladimir Poutine qui n’a cessé d’assurer ces derniers jours que la Russie avait la capacité de surveiller ces armes. « Elles ne peuvent être transférées à des organisations terroristes sans qu’on le sache », a-t-il notamment affirmé. Et le ministère russe de la Défense a cru bon ajouter que ces missiles à courte portée étaient embarqués sur des véhicules militaires et qu’ils ne pouvaient en aucun cas être utilisés en « mode portatif », autrement dit à l’épaule. Une précision qui sous-entend que Damas n’aura pas les moyens de les livrer au Hezbollah libanais comme semble le craindre l’armée israélienne.

Autre pomme de discorde entre les deux pays et non des moindres, la coopération nucléaire que Moscou entretient de façon suivie avec Téhéran. Refusant de céder aux nombreuses pressions d’Israël, qui assure que l’Iran cherche à se doter de la bombe atomique, la Russie n’a non seulement pas renoncé à sa collaboration avec la République islamique mais elle construit actuellement la centrale nucléaire de Bouchehr dans le sud du pays. Le chef du Kremlin a toutefois récemment assuré que Moscou mènerait à bien « ce projet nucléaire civil » pourvu que Téhéran accorde aux contrôleurs internationaux « un plein accès à tous ses projets nucléaires » et « renonce à la recherche et à la technologie pouvant conduire à la fabrication d’armes nucléaires ».

Des oligarques russes bien à l’abri

Mais Ariel Sharon n’a pas le monopole des doléances. Vladimir Poutine ne manquera pas en effet d’évoquer avec le Premier ministre israélien le très embarrassant dossier des oligarques russes réfugiés en Israël et dont le Kremlin apprécierait grandement l’extradition. Cinq hommes sont principalement dans le collimateur de Moscou. Trois sont d’anciens collaborateurs de Mikhaïl Khodorkovsky, le fondateur de la compagnie pétrolière Ioukos incarcéré depuis plus d’un an et poursuivi pour fraude et évasion fiscales. Leonid Nevzlin, Mikhaïl Brudno et Vladimir Dubov, dont les noms avaient été publiés par le magazine Forbes dans son palmarès 2004 des hommes les plus riches du monde, sont actuellement les dirigeants du Groupe Menatep qui détient quelque 60% de ce qui subsiste de l’empire Ioukos. Ils sont poursuivis en Russie pour les mêmes motifs que l’ancien patron du géant pétrolier. Egalement recherché pour fraude fiscale, le magnat des médias, Vladimir Goussinsky, avait quitté la Russie à la suite des vives critiques dont avait été la cible sa chaîne de télévision pour sa couverture des activités du maître du Kremlin. Quant à Boris Berezovski, après avoir pourtant été l’un des proches conseillers de Vladimir Poutine, il s’est vu reprocher des malversations financières juste après avoir rejoint l’opposition au président russe. Les deux hommes qui résident habituellement en Europe possèdent également la citoyenneté israélienne et séjournent régulièrement dans l’Etat hébreu.

Fuyant le régime de Moscou, ces oligarques ont pu élire résidence en Israël ces dernières années grâce à la Loi du retour qui permet à tout juif de devenir citoyen de l’Etat hébreu. Et il y a peu de chances, pour ne pas dire aucune, qu’Ariel Sharon accède à la demande du Kremlin de les extrader. L’un des porte-parole du Premier ministre, Asaf Shariv, a d’ailleurs affirmé au quotidien Haaretz que « ces hommes étaient Israéliens, un point c’est tout ». Et le chef du gouvernement avait lui-même en fin de semaine dernière fermé la porte à une telle éventualité. « Je n’ai pas l’intention de renvoyer quiconque. Déjà quand j’étais jeune, j’étais opposé à l’idée d’extrader des juifs. Et je le répète de la manière la plus claire possible », avait-il affirmé au journal à grand tirage Yediot Aharonot.

Avant même leur rencontre, Ariel Sharon et Vladimir Poutine savent donc à quoi s’en tenir. Les deux hommes, dont les idées divergent sur de nombreuses questions, ne s’en apprécient pas moins. Ils parlent en effet le même langage, souvent direct et parfois même brutal. Pragmatiques, il sauront sans aucun doute trouver des terrains d’entente, notamment en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme pour laquelle ils semblent avoir la même approche. Dans ce contexte, on ne peut qu’adhérer aux propos du président de la commission des Affaires internationales du Kremlin pour qui la visite de Poutine en Israël « n’aura rien d’explosif ». « Nous assisterons simplement à une querelle de famille entre la Russie et Israël », a-t-il en effet assuré.

Par Mounia Daoudi, rfi.fr