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Egypte : Les nouveaux islamistes

vendredi 6 mai 2005, par Hassiba

C’est bien une nouvelle génération de terroristes qui opère en Egypte. Mal organisée, avec des engins artisanaux... et un seul but, tuer des Occidentaux.

Les Egyptiens sont désemparés. De 1992 à 1997, la Jamaa al-Islamiya, le principal groupe armé du pays, les avait déjà fait trembler. Elle avait multiplié les attentats contre les touristes. A Louxor en 1997, 58 personnes avaient péri devant un temple. L’objectif était clair : priver le régime de Hosni Moubarak de sa principale source de revenus, le tourisme, et le déstabiliser. La Jamaa al-Islamiya était un mouvement connu, elle avait ses chefs, son organisation. A la fin des années 90, elle avait fini par accepter une trêve et ne fait plus militairement parler d’elle.

Tout autres semblent les kamikazes qui ont voulu semer la mort, le 30 avril, au Caire. Il est 15 h 30, et la circulation est intense place Abdel-Moneim-Riad, non loin du musée qui abrite les antiquités égyptiennes. Soudain, un jeune homme enjambe un pont routier et se fait exploser avec la bombe qu’il transporte. Les touristes sont nombreux dans ce quartier. Huit personnes sont blessées, quatre étrangers et quatre Egyptiens. En un instant, les abords du musée revivent les terribles scènes de 1997 lorsqu’un commando islamiste avait ouvert le feu sur un car de touristes, tuant neuf Allemands et leur guide.

Deux heures plus tard, nouvel attentat. Deux jeunes femmes dissimulées sous leur voile noir et le visage caché par le niqab (le foulard que l’on rabat sur la figure) tirent sur un autobus de touristes alors qu’il passe près de la Citadelle, dans un quartier du vieux Caire. Trois balles atteignent la vitre arrière sans faire de blessés. Peu après, l’une des deux femmes tue sa compagne avant de se suicider. L’une et l’autre, très jeunes, autour de 20 ans, seraient la soeur et la fiancée du kamikaze.

Ces attentats sont directement liés à celui qui, le 7 avril, causa la mort de trois touristes, dont deux Français - au souk Khan al-Khalili, à deux pas de la mosquée Al-Azhar, lorsqu’un motard avait fait exploser son engin. Ces dernières semaines, la police s’était lancée à la recherche de ses trois complices. Deux d’entre eux ont été arrêtés. C’est le troisième, Ihab Yacine, qui s’est fait exploser samedi dernier alors qu’il était traqué.

Ancien étudiant d’une école de commerce, vivant dans un quartier pauvre du Caire, il est le symbole d’une nouvelle génération d’islamistes tentés par la violence. Ceux que les spécialistes appellent « les djihadistes juniors ». Mal organisés, souvent membres de très petits groupes, ils utilisent des engins artisanaux (une bombe remplie de clous « faite maison », un pistolet incapable de percer une carrosserie d’autobus). Sans avenir, abonnés aux sites Internet islamistes radicaux qui leur expliquent comment fabriquer des engins de mort, friands d’émissions de télévision qui passent en boucle les images des Américains en Irak ou du conflit israélo-palestinien, nombre de jeunes Egyptiens - comme dans l’ensemble du monde arabe -, déboussolés, sans repères, rêvent de s’en prendre aux symboles de l’Occident. « Ces jeunes aux idées radicales veulent lutter sans pouvoir combattre directement l’agresseur sur le champ de bataille. Ils cherchent donc les représentants de l’ennemi chez eux : les Occidentaux. En Arabie saoudite, ce sont les expatriés et, en Egypte, les touristes », explique dans Libération Dia Rashwan, spécialiste égyptien de l’islamisme.

Ces attentats risquent-ils de remettre en question la timide ouverture politique promise par Hosni Moubarak ? Pressé par les Etats-Unis, le président égyptien a dû accepter que le prochain scrutin présidentiel, en septembre, mette plusieurs candidats en lice au suffrage universel direct. Auparavant, le Parlement choisissait un candidat soumis au référendum populaire. Cette réforme ne suffit pas. Ces derniers mois, un mouvement de contestation regroupant des militants de gauche, des libéraux, des islamistes se sont retrouvés sur un mot d’ordre, « Kefaya » (« ça suffit »). Ils refusent que le chef de l’Etat, au pouvoir depuis 1981, rempile pour un cinquième mandat de six ans puis pousse son fils, Gamal Moubarak, à lui succéder. Un mécontentement accru dans les milieux populaires par l’incroyable et soudaine augmentation des prix. Le pouvoir, au nom de la lutte contre les islamistes, pourrait avoir envie de restreindre toute contestation. Une cinquantaine de Frères musulmans ont déjà été arrêtés et les premières rafles dans le quartier des derniers kamikazes a touché 200 personnes.

Par Mireille Duteil (avec Denise Ammoun au Caire), lepoint.fr