Accueil > PORTRAITS > Azouz Begag, notable lyonnais

Azouz Begag, notable lyonnais

mardi 10 mai 2005, par Hassiba

Aux murs de son appartement du quartier de la Guillotière, à Lyon, Azouz Begag a accroché son insigne de chevalier. Ses costumes élégants portent le ruban rouge. Cette Légion d’honneur, il l’a reçue des mains du ministre de l’intérieur, dans les grands salons de la préfecture du Rhône. Ultime reconnaissance pour cet écrivain, auteur d’une quarantaine de livres, élevé dans un bidonville par des parents algériens, analphabètes, ne s’exprimant qu’en arabe.

Azouz Begag

Depuis, dans la rue,les gens le saluent, le félicitent, l’embrassent même. "Cette Légion d’honneur revêt une importance considérable dans l’imaginaire collectif" , dit-il. A 48 ans, l’intellectuel à l’allure juvénile est devenu un modèle, un symbole, pour les immigrés. "Cela montre leur besoin de reconnaissance. Pour eux, je suis un Français qui parle bien, avec une tête d’Arabe." "C’est le plus grand jour de ma vie", avait-il confié à Dominique de Villepin le jour de la cérémonie, le sourire accroché aux oreilles, devant sa mère, sa famille, sa première institutrice, Georgette Gattari, le prêtre Christian Delorme ­ "un père et un frère" ­, de nombreux élus, dont l’ancien maire de Lyon Michel Noir, ou Dominique Perben, le ministre de la justice.

Sa décoration, il l’a dédiée à Bouzid, son père, disparu il y a deux ans et qui repose en Algérie, dans la région des Aurès. Sur sa tombe, son fils a fait inscrire "décédé à Lyon" , la ville où il débarqua en 1949 dans l’espoir de trouver un travail pour nourrir sa femme et ses enfants.

Ouvrier à l’Avenir, une entreprise de travaux publics, il fut rejoint par sa famille en 1950, dans une petite baraque de planches bricolée sur les bords du Rhône, à Villeurbanne, à la frontière de Lyon. Cousins, oncles, villageois empruntèrent le chemin. Baraque après baraque, le bidonville s’édifia.

Azouz Begag, né à l’hôpital Edouard-Herriot de Lyon, vécut là ses dix premières années, avant de gagner l’une des grandes barres d’immeubles de la cité de la Duchère.

Malgré ces conditions de vie précaires, Azouz Begag n’a jamais douté. Dans sa baraque, fasciné par l’image de l’Egyptien Nasser, il se rêvait président de la République. Cette confiance, il assure l’avoir acquise sur les bancs de l’école de la République, où il découvrit que la terre est ronde quand son père la croyait plate. Bac électrotechnique, doctorat en sciences économiques, chercheur au CNRS, le rescapé du bidonville consacrera toutes ses recherches à la socio-économie urbaine, aux difficultés des jeunes d’origine maghrébine.

De ce parcours personnel, il s’est forgé une certitude : l’intégration des immigrés et fils d’immigrés passe nécessairement par l’éducation. "Le premier problème des immigrés, ce sont leurs lacunes en français. Il leur faut habiter la langue avant même d’avoir un logement. Il faut donc multiplier les moyens dans les écoles des quartiers" , plaide-t-il. Lui n’a jamais connu ces lacunes. Amoureux des lettres, joueur des mots, Azouz Begag est venu à l’écriture par hasard en racontant le récit de ces années au bidonville dans Le Gone du Chaâba, paru en 1986 (le "gone" est un "gamin" dans la région lyonnaise ; le Chaâba, le bidonville dans lequel il a grandi).

"C’est un conteur-né, il a un don pour capter ses auditoires. C’est lui qui m’a appris à Prêcher" , raconte le père Christian Delorme, l’un des principaux initiateurs de la Marche pour l’égalité, en 1983.

En 1988, l’université Cornell de New York lui offrit pendant huit mois le statut de visiting professor, faisant de lui "le premier beur français à enseigner en Amérique" . Habité par la figure de Martin Luther King, il revint de son séjour outre-Atlantique convaincu de la pertinence de la discrimination positive pour briser le mur de l’exclusion. Pendant vingt ans, il lutta en France pour imposer ce concept. Jusqu’à la nomination du préfet Aïssa Dermouche dans le Jura. "En parlant de la nomination d’un préfet musulman, Nicolas Sarkozy a tué volontairement la discrimination positive" , accuse-t-il, amer.

Pour porter son combat, il s’en est remis à un autre ministre de l’intérieur, qu’il avait rencontré au Salon du livre de Brive-la-Gaillarde. En mai 2004, Dominique de Villepin lui confia une mission sur l’égalité des chances. Chroniqueur sur France-Culture et RTL, scénariste, essayiste, conférencier, membre du Conseil économique et social, le petit "gone" affiche une réussite flamboyante. Volontiers extraverti, éperdu de reconnaissance, l’homme agace parfois. Certains s’irritent de son "narcissisme" , d’autres de son "élitisme" , lui reprochant d’être finalement coupé de la réalité des banlieues.

Avec l’âge, grâce, dit-il, au Père Delorme, l’impétueux a gagné en sagesse, se rapprochant de la philosophie du dénuement. Depuis deux ans, cet agnostique respecte le ramadan, "pour ne pas être dépendant de la bouffe" .

Après un divorce difficile, il a décidé de ne plus "posséder" de biens matériels. Pour se ressourcer, il part régulièrement en pèlerinage en Inde ou fait retraite chez un couple d’amis, des néoruraux qui élèvent des chèvres dans le Midi, des amis qui sont ses "modèles de vie" . Là-bas, avec ses deux filles, le romancier redevient "jardinier" .

A Lyon, il s’est installé au coeur du quartier arabe, sa médina, qu’il rêve de transformer en souk. "Je me sens profondément lyonnais. Toutes mes odeurs, mes photos, mes images d’enfance sont ici."

Dans un café de la place du Pont, où il aime venir boire un thé à la menthe, un jeune homme l’interpelle. Lui aussi a des diplômes, mais cherche en vain du travail depuis quatre ans. Le jeune homme peste contre le maire socialiste de Lyon, qui ne l’a jamais aidé. "Les socialistes ont contribué à l’entreprise d’exclusion systématique. Les beurs ont eu envie de se venger de l’escroquerie socialiste, et la droite, avec son pragmatisme, a raflé la mise" , s’emporte Azouz Begag.

L’écrivain rumine ses rancoeurs contre la gauche, qui l’a ignoré. Courtisé par la droite, il se verrait bien "l’ambassadeur de Lyon" , mais il refuse de devenir la "caution" d’un parti : "Je veux rester écrivain et esprit libre. Je veux garder de la complexité."

Par Sophie Landrin, lemonde.fr