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Egypte : l’ascension de Gamal Moubarak

vendredi 13 mai 2005, par Hassiba

La métamorphose de Gamal Moubarak, cadet du président Hosni Moubarak, nourrit les scénarios de succession en Egypte. Hier banquier effacé, il est désormais numéro 3 du parti au pouvoir et a placé ses hommes au gouvernement.

Gamal Moubarak, favori à la succession de son père Hosni.

Je ne suis pas candidat. Je l’ai répété, je le redis encore aujourd’hui. » Allons donc. Le 23 mars, Gamal Moubarak coupait court. Il ne se présentera pas pour succéder à son père. Lequel père, Hosni Moubarak, président égyptien depuis 1981, achève en septembre son quatrième mandat, après avoir promis une petite révolution : en lieu et place du traditionnel référendum à candidat unique, la prochaine présidentielle sera multipartite et au suffrage universel direct. Mais l’opposition, dont les activités sont contrôlées et limitées, n’a aucune chance. D’autant que les conditions de candidature, très restrictives, empêchent que tout rival sérieux puisse se présenter.

La santé du raïs, bientôt âgé de 77 ans, n’est pourtant pas parfaite. Un malaise, l’an dernier, en direct à la télévision, un séjour médical précipité en Allemagne ­ officiellement pour opérer une hernie discale ­, des rumeurs de maladie, des apparitions publiques moins fréquentes et plus cadrées : beaucoup doutent que le président égyptien soit capable de mener à bien un nouveau mandat de six ans. Et ils sont autant à n’en avoir aucune envie : depuis plusieurs mois, des voix s’élèvent à travers l’Egypte pour crier leur ras-le-bol : « Kifaya ! (« ça suffit ! », ndlr). Non à la prolongation, non au pouvoir héréditaire ! » Nombreux sont ceux qui craignent une alternative limitée pour le futur de l’Egypte : un Moubarak ou... un Moubarak. Car, malgré ses dénégations, difficile d’imaginer Gamal hors jeu, tant, en quelques années, ce banquier plutôt effacé et cantonné aux affaires s’est métamorphosé en animal politique, grand ponte du parti au pouvoir et perçu, à l’étranger, comme un pair du régime. Un parfait papabile. Ou presque.

Né en 1963, Gamal Moubarak a 18 ans lorsque son père, commandant en chef de l’armée de l’air et vice-président discret, est propulsé à la tête du pays après l’assassinat d’Anouar al-Sadate. A l’époque, le jeune homme étudie à l’université américaine du Caire. Diplômé en 1982 en administration des entreprises, il rempile pour un mastère avant de faire ses armes de banquier à la Bank of America, au Caire. « J’ai commencé au bas de l’échelle, j’ai même travaillé comme guichetier », expliquait-il quelques années plus tard à des étudiants venus l’entendre louer les valeurs du travail et de la jeunesse. Il s’expatrie ensuite en Grande-Bretagne, au sein, puis à la tête de la branche londonienne de l’établissement. Parallèlement, il fonde Medinvest, une société de fonds d’investissements privés.

Image d’homme providentiel

Plus qu’un fils à papa, Gamal serait, dit-on, un fils à maman. La sienne, l’Egypto-Galloise Suzanne Moubarak, est une first lady élégante, titulaire d’un doctorat en sociologie à l’université américaine du Caire. Monopolisant aux côtés de son époux la une des journaux, elle préside de multiples fondations et représente fréquemment son pays à l’étranger. On lui prête une influence considérable dans la sphère politique égyptienne. L’intelligentsia cairote murmure qu’elle serait à l’origine de la mise sur orbite de son fils. « Le Président laisse faire, mais ce n’est pas lui le maître d’oeuvre de la percée de Gamal », indique un familier du régime.

Revenu au pays en 1995, quelques mois après que son père a survécu à une tentative d’assassinat à Addis-Abeba (Ethiopie), Gamal cherche à mieux se faire connaître. Le nom de son frère aîné Alaa, chef d’entreprise florissant, a été plusieurs fois associé à des affaires de monopoles et d’attributions de marché. Le cadet soigne sa réputation et quand, en 1997, le journal saoudien Al-Sharq al-Awsat s’apprête à publier une enquête sur les finances des deux frères, ceux-ci l’attaquent en justice. Le quotidien, édité à Londres, est lourdement condamné pour falsification de faits et diffamation. Il doit fermer son bureau du Caire.

Dès 1999, Gamal commence son ascension au sein du Parti national démocratique (PND) dirigé par son père. En février 2000, il est nommé au comité politique du PND, l’organe chargé de définir les futures orientations du parti, donc du gouvernement. Un comité dont il prendra la tête en 2002.

En cet été 1999, le président syrien Hafez al-Assad décède. Son fils, Bachar, lui succède. Le monde se gausse de cette république dynastique. L’Egypte n’est pas en reste. Et retient la leçon : si Gamal doit un jour gouverner, il faudra que son accession semble naturelle et légitimée par sa popularité. Dès lors, tout est fait pour soigner son image d’homme providentiel. La presse se met à vanter sa Fondation pour les générations futures ­ une association pour la jeunesse dispensant initiations à l’informatique et au management. Celle-ci lui sert de plate-forme pour promouvoir ses idées : aider les jeunes, la force vive d’un pays où 50 % de la population a moins de 15 ans.

Chantre du libéralisme, il est aussi très proche des milieux d’affaires américains, qui voient d’un très bon oeil son ascension. Parallèlement, il prend pour mentors deux des plus influents conseillers de son père, Zakaria Azmi et Oussama al-Baz, qui le guident dans les méandres de la politique. Aux législatives de novembre 2000, il laisse planer le doute sur sa candidature, mais ne se présente pas. Bonne pioche : le PND subit un revers, relatif, mais symptomatique de l’exaspération de la population devant ce parti monolithe. Gamal saisit l’occasion pour se poser en homme du changement, prenant la tête d’une nouvelle garde du parti. Il s’adjoint un comité de 200 personnalités diverses, chercheurs ou hommes d’affaires, au programme résumé par un slogan accrocheur, « une nouvelle pensée », et s’oppose de plus en plus ouvertement aux caciques du régime.

Tout en niant avoir l’ambition de succéder à son père, Gamal Moubarak place ses pions. « Il est quasiment devenu le porte-parole du parti, accompagnant son père dans certains voyages à l’étranger, rencontrant les chefs d’Etat de passage. Tout, mis bout à bout, suggère qu’il s’est préparé à jouer un rôle très important », souligne le politologue Moustafa Kamel al-Sayyid. Gamal est partout, accueillant Bill Clinton pour une conférence au Caire, ou à la tribune d’une manifestation organisée par le parti pour protester contre la guerre en Irak, ou à chaque grand-messe économique à Davos. Lors de voyages aux Etats-Unis en 2003, il est reçu par les ténors de l’administration Bush, de Dick Cheney à Condoleezza Rice. Le comble est atteint à l’été 2004. Sur la place Tahrir, principal carrefour du Caire, son portrait gigantesque aux côtés des athlètes ramenant les premières médailles olympiques égyptiennes depuis 1984 suscite l’ironie de l’opinion publique. Les affiches finissent par disparaître.

Changement de tactique. Au mois de septembre, le PND invite les partis politiques américains et européens, ainsi que des personnalités internationales, à suivre son congrès annuel. Une soirée est consacrée à ces VIP étrangers, pendant laquelle Gamal, micro en main, déambule au milieu de ses invités en les poussant à poser toutes les questions, même les plus délicates. Parmi eux, des députés de l’UMP, dont Georges Fenech, « impressionné par la liberté d’expression sans tabou et la capacité d’autocritique » de Gamal. « Il fait preuve d’une indéniable maîtrise des dossiers », reconnaît un diplomate occidental, bluffé par la prestation de Moubarak junior. Un autre, peu enchanté par le personnage, reconnaît pourtant le savoir-faire du fiston : « Finalement, son nom de famille est son principal handicap. » Et pour cause : Gamal Moubarak, fils du président et numéro 3 du parti, est bien le seul à pouvoir s’afficher en héraut des réformes et du changement, les opposants politiques étant loin de bénéficier des mêmes tribunes que lui. Il occupe donc seul le terrain du « tout-pour-les-jeunes » et du « il-faut-que-ça-change ».

L’été dernier, la nomination d’un nouveau gouvernement, dirigé par un de ses proches, Ahmed Nazif, a accentué son emprise. Pour la première fois, ses hommes sont entrés au gouvernement, aux postes clés de l’économie ­ l’actuelle priorité du pays, qui sort péniblement d’une crise dévastatrice. L’émergence de ce « cabinet Gamal » enchante les milieux d’affaires, comme la délégation du Medef, en visite l’hiver dernier, repartie favorablement impressionnée par les réformes économiques impulsées par le gouvernement.

Le scénario en vogue au Caire

Ce qui ne signifie pas que les jeux soient faits. Ses rencontres officielles, lors de ses voyages, auraient été obtenues de haute lutte. Car, pour Washington, promouvoir la démocratie au Moyen-Orient ne fait pas bon ménage avec les successions héréditaires. « Les Etats-Unis ne seraient peut-être pas opposés à sa prise de pouvoir, à condition que cela se fasse par le biais d’élections compétitives », estime Moustafa Kamel al-Sayyid.

En quelques années, les deux crises majeures qui ont opposé la Maison Blanche et le Caire se sont cristallisées sur l’emprisonnement de deux personnalités libérales qui avaient fait de la dénonciation du système Moubarak leur cheval de bataille. Ainsi, cette année, de l’opposant Ayman Nour, et, avant lui, du sociologue égypto-américain, Saad Eddine Ibrahim : peu avant d’être emprisonné pour avoir perçu, sans autorisation préalable, des subsides européens pour sa fondation pour les droits de l’homme, cet ancien proche du régime avait parlé de l’Egypte comme d’une « gomlokeya », jeu de mot traduisible par « Répu-narchie ».

Mais « l’Egypte n’est pas une monarchie », a répété Hosni Moubarak, qui a expliqué que son fils ne faisait que travailler avec lui, citant l’exemple de Claude Chirac avec son président de père. Le raïs n’oublie pas que l’un des principaux handicaps de Gamal est de ne pas être un militaire, corps dont sont traditionnellement issus tous les présidents depuis le coup d’Etat de 1952. Cette armée, soignée et très discrète, tenue à l’écart de la population, est une entité toute-puissante mais impénétrable, au point qu’il est difficile de dire si l’arrivée de Gamal siérait aux gradés. Dans ces conditions, le scénario en vogue au Caire imagine un Moubarak senior reconduit dans ses fonctions rendant son tablier en cours de mandat. Permettant peut-être, à l’issue d’élections anticipées, à Moubarak junior de se jucher dans le fauteuil paternel.

En attendant, depuis quelque temps, Gamal se tient curieusement en retrait. Silencieux, tout comme sa dream team ministérielle. Se contentant de répéter qu’il ne sera pas candidat.

Par Claude GUIBAL, liberation.fr