Accueil > ECONOMIE > Pour le maintien de la dépendance vis-à-vis du pétrole

Pour le maintien de la dépendance vis-à-vis du pétrole

mardi 1er juin 2004, par Hassiba

Pour des raisons évidentes, les majors américaines font pression pour que la solution choisie soit le maintien de la dépendance vis-à-vis du pétrole, en introduisant deux éléments essentiels : la diversification des sources d’importation et le maintien de stocks stratégiques importants. Pourquoi cet attachement au pétrole et au gaz ?

Les atouts des hydrocarbures
Selon le rapport sur les perspectives énergétiques internationales en 2004 (International Energy Outlook 2004) de l’EIA, la consommation mondiale de pétrole devrait passer de 28 milliards de barils par an en 2001 à 44 milliards de barils par an en 2025. Si l’on tient compte de cette hypothèse de croissance, moins de la moitié des ressources pétrolières du monde seraient épuisées en 2025. Or, expliquent Guy Caruso et Linda Doman dans L’offre mondiale d’énergie et le marché des Etats-Unis (Administration de l’information sur l’énergie, ministère américain de l’Energie), les estimations de ressources pétrolières du monde ne comprennent que les sources classiques de pétrole. Restent donc les ressources pétrolières non classiques comme les ressources qui ne peuvent pas être exploitées de façon rentable avec les techniques actuelles (les sables bitumineux, le pétrole ultra-lourd, les gaz de pétrole liquéfiés, le charbon liquéfié, les biocarburants et l’huile de schiste). Dans le cas du pétrole lourd et des sables bitumineux, par exemple, les réserves mondiales sont estimées à 3 300 milliards de barils. Heureusement pour les Etats-Unis, le Canada et le Venezuela ont les gisements les plus importants. Aussi, si le cours mondial du pétrole devait passer à 35 dollars le baril (en dollars constants de 2002) en 2025, le pétrole non classique pourrait fournir près de 8 millions de barils par jour. Conclusion, les ressources sont suffisantes pour faire face à l’augmentation de la demande mondiale de pétrole jusqu’en 2025. L’analyse relative au gaz aboutit à l’une des conclusions semblables, à savoir que le gaz a un bel avenir devant lui. Les réserves de gaz naturel se sont accrues tous les ans depuis les années 1970.

En date du 1er janvier 2004, les réserves établies de gaz naturel étaient estimées par l’hebdomadaire Oil & Gas Journal à 172 054 milliards m3. Environ trois quarts des réserves mondiales de gaz naturel se trouvent au Moyen-Orient et en ex-URSS, la Russie, l’Iran et le Qatar possédant 58% de ces réserves. Malgré le taux élevé d’accroissement de la consommation de gaz naturel dans le monde, les rapports réserves-production (mesure approximative du nombre d’années pendant lesquelles l’offre de gaz naturel d’une zone géographique donnée durera) de la plupart des zones géographiques restent élevés. Il est de 61 ans pour le monde entier, 76 ans pour l’ex-URSS, 90 ans pour l’Afrique et plus de 100 ans pour le Moyen-Orient. Les prévisions américaines abondent dans le même sens. Dans son évaluation moyenne, l’U.S. Geological Survey (USGS) note que les estimations de gaz naturel non découvert dans le monde atteignent 128 219 milliards m3. Quant à la croissance des réserves au cours des vingt-cinq prochaines années, elle représenterait 66 460 milliards m3.« La fiabilité grâce à la diversification », écrit Alan Larson (sous-secrétaire d’Etat aux Affaires économiques, commerciales et agricoles, département d’Etat des Etats-Unis) dans La géopolitique du pétrole et du gaz naturel, insistant sur une priorité : la coopération avec le secteur privé des pays ciblés.

Le choix de la diversification
Au sujet donc du premier aspect relatif à la diversification, les investissements, les échanges et la prospection commencent à aller au-delà des limites des marchés énergétiques classiques en direction du continent américain, de la Russie, de la mer Caspienne et de l’Afrique. Rappelons que le continent américain fournit actuellement près de la moitié du pétrole que les Etats-Unis importent, car il est considéré comme la source d’énergie la plus importante mais surtout la plus fiable. Cette fiabilité est liée à la prévisibilité des conditions d’investissement créée par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ainsi qu’à l’interconnexion des réseaux d’oléoducs et de gazoducs. Au niveau de sa moitié septentrionale, la coopération et l’intégration énergétiques avec le Canada et le Mexique sont donc en pleine expansion. Ainsi, le tableau énergétique de l’Amérique du Nord de 2003 mesurant les stocks d’énergie, les balances commerciales et les échanges énergétiques révèle que le Mexique devient un fournisseur important de pétrole des Etats-Unis. Parallèlement, ces derniers sont un exportateur net de gaz à destination du Mexique et les raffineries américaines fournissent à ce pays plus de 15% de ses produits pétroliers raffinés. Quant à Trinité-et-Tobago, elle constitue leur plus gros fournisseur de gaz naturel liquéfié.L’Amérique du Nord (les Etats-Unis, le Canada et le Mexique) possèdent 17% des réserves établies du monde. En additionnant les sables bitumineux de l’Alberta aux réserves totales du Canada, l’hebdomadaire Oil & Gas Journal a, en 2003, apporté un regard nouveau. Auparavant, les sables bitumineux étaient considérés comme une forme non classique de pétrole (non rentable). Cependant, la forte baisse des frais fait que l’exploitation des sables bitumineux est devenue rentable. La révision en 2003 des estimations relatives aux réserves établies du Canada a donc ajouté 174 milliards de barils de réserves à celles canadiennes de pétrole brut et de condensats classiques publiées par l’Association canadienne de producteurs de pétrole. Les réserves canadiennes de pétrole brut et de condensats classiques sont donc estimées à 4,5 milliards de barils. Second producteur et exportateur mondial de pétrole brut, la Russie est, elle aussi, convoitée. En 2002, un programme visant l’amélioration de la réglementation, l’accroissement de la production et le développement de l’infrastructure a été mis en place. Pas loin de là, la mer Caspienne offre des possibilités attractives. Evaluée à 1,6 million de barils par jour en 2001, la production pourrait passer à 5 millions de barils par jour en 2010.

Trois importantes conditions restent toutefois à réunir :
 l’achèvement du second segment du corridor Est-Ouest avec la construction du gazoduc du sud du Caucase ;
 la création d’un climat plus propice aux investissements dans l’ensemble de la région ;
 l’acheminement du pétrole du Kazakhstan dans le corridor Est-Ouest.

Le continent africain représente 10% des importations américaines, ce qui en fait encore une source mineure. Mais le renforcement des liens politiques avec l’Algérie et le Nigeria ainsi que le lancement d’un projet de pipelines liant les deux Etats sont potentiellement susceptibles de changer ce statut. Cependant, en 2003, le Nigeria et l’Angola ont figuré parmi les 10 principaux fournisseurs de pétrole des Etats-Unis. Le Gabon, la Guinée équatoriale, la République du Congo, le Tchad et le Cameroun, Sao Tomé et la Mauritanie sont également susceptibles d’intégrer cette liste si les investissements directs nécessaires sont effectués. Il faut savoir, en effet, que la plupart des nouveaux gisements sont situés en haute mer, à de grandes profondeurs, et que leur exploitation exige des installations fort coûteuses. Quant à la source la plus problématique, celle du Moyen-Orient, le mot d’ordre est privatisation. L’accroissement du secteur privé et l’ouverture du marché aux investisseurs étrangers sont considérés par les Américains comme le plus sûr moyen de stabiliser cette région et de la rendre fiable. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si le Qatar et les Emirats arabes unis sont cités en exemple. Le premier coopère avec de grandes sociétés internationales pour devenir un important exportateur de gaz naturel liquéfié, tandis que le second s’est lancé dans un projet de privatisation de la production d’électricité et d’eau potable de Taweelah.

Les stocks stratégiques
Relevant du second aspect, l’administration Bush a, dès le début de son mandat, annoncé la levée des réserves stratégiques de pétrole. Ainsi le Président a-t-il, en novembre 2001, ordonné que le volume maximum de ces réserves soit porté à 700 millions de barils de pétrole. En 2003, elles atteignaient le volume record de 640 millions de barils. Cette politique s’est exercée au niveau de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dont les 26 Etats membres se sont engagés à maintenir des réserves pétrolières d’urgence. Les raisons justifiant cette mesure sont multiples. Relevons pour commencer qu’en 2003, l’ensemble des stocks de pétrole de l’AIE atteignaient près de 4 milliards de barils. Or -soulignons à nouveau le rôle des majors- seuls 1,4 milliard de barils est sous le contrôle direct des Etats membres, tandis que les 2,6 restants sont entre les mains des sociétés pétrolières.Deuxièmement, la politique fiscale. Les Etats-Unis (et le Canada) se distinguent des autres pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à travers la faiblesse de leur taxe à la consommation des produits énergétiques. En comparaison, le Japon et l’Union européenne ont réussi, à coup de fortes taxes à la consommation, à stopper la croissance de la demande de pétrole. Pour ces deux acteurs économiques de poids, cette croissance sera de l’ordre de 0,1 à 0,2% par an pour les dix prochaines années.

Les arguments extérieurs
Le lobby pétrolier américain ne mise pas seulement sur les besoins internes des Etats-Unis. L’augmentation de la consommation des pays en développement est, elle aussi, un faire-valoir important.

La croissance démographique continue d’être beaucoup plus rapide dans les pays en développement que dans le reste du monde, au point que, selon les prévisions de l’ONU, la proportion de la population mondiale vivant dans ces pays pourrait atteindre 81% en 2030. En conséquence de quoi, l’Agence internationale de l’énergie (Perspectives énergétiques mondiales 2002) estime que la demande mondiale d’énergie primaire sera, en 2030, supérieure de près des deux tiers à celle de 2000. Cette demande atteindra 15,3 milliards de tonnes de pétrole par an et les pays en développement représenteront 62% de cette augmentation.

Dans le même sens, l’Administration fédérale de l’information sur l’énergie prévoit que l’utilisation d’énergie aura presque doublée dans les pays en développement en 2025.Dans un article intitulé La consommation croissante de pétrole et de gaz naturel des pays en développement, Amy Jaffe (spécialiste des questions de l’énergie, James A. Baker III Institute for Public Policy Université Rice), explique qu’en Amérique latine, la demande d’énergie primaire devrait presque doubler d’ici à 2015 par rapport à celle de 1999.

Ainsi, au lieu d’être une source majeure d’approvisionnement pour les Etats-Unis, cette région pourrait être un important consommateur et devra être incluse dans les mécanismes internationaux de création de stocks d’urgence et dans les initiatives en faveur de nouvelles sources d’énergie. Le continent asiatique n’est pas en reste. Selon le rapport Oil Market Intelligence 2001 publié par le bureau de recherche indépendant Energy Intelligence Group, la consommation de pétrole de l’Asie dépasse 20 millions de barils par jour (b/j). Elle est déjà supérieure à celle des Etats-Unis. D’ici à 2010, la consommation totale de pétrole de l’Asie pourrait atteindre de 25 à 30 millions de b/j, la majeure partie devant être importée de pays situés en dehors de ce continent.

En termes de pourcentages, on prévoit une croissance annuelle moyenne de la consommation d’énergie de l’ordre de 3%. A titre de comparaison, ce taux est de 1,7% pour l’ensemble de l’économie mondiale. La demande d’énergie devrait donc plus que doubler durant les vingt prochaines années. D’après les projections de l’AIE, la demande dans cette région représentera 69% de l’augmentation totale de la consommation des pays en développement et près de 40% de l’augmentation de la consommation mondiale d’énergie. Une illustration : la Chine devrait voir ses importations de pétrole passer d’environ1,4 million de b/j en 1999 à 3 ou 5 millions de b/j en 2010.

Par Louisa Aït Hamadouche, La Tribune