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Ecoles privées en Algérie : Plaidoyer pour le bilinguisme

mercredi 30 juin 2004, par Hassiba

L’année scolaire tire à sa fin en Algérie et les parents d’élèves inscrits dans des écoles privées appréhendent déjà l’entrée en vigueur de la nouvelle loi du ministère de l’Education nationale.

Un délai d’une année est fixé aux responsables de ces établissements pour se conformer aux dispostions du cahier des charges portant sur l’enseignement du programme officiel. Faute de quoi, ces écoles seront fermées. Parmi ces dernières, plusieurs n’ont pas encore reçu leur agrément. L’inquiètude est réellement exprimée par de nombreux parents d’élèves rencontrés. « Nous avons fait le choix d’inscrire nos enfants dans ces écoles et nous ne regrettons rien. Nous ne sommes pas contre l’introduction des matières du programme algérien en langue arabe, mais les matières scientifiques doivent être enseignées en langue française. D’ailleurs ils (les élèves) n’ont pas le choix, une fois qu’ils sont à l’université cela leur servira beaucoup surtout dans les filières technologiques et scientifiques. Nous voulons que nos enfants puissent continuer leur scolarité dans ces établissements », relève une parente d’élève. Par ailleurs, les chefs d’établissement sont sereins. Ils sont nombreux à dire que le programme enseigné au niveau de leur école répond parfaitement aux normes et qu’il n’a y a pas lieu de s’inquiéter. « Il n’y a pas lieu d’être inquiets puisque notre école dispense les deux programmes et nous nous sommes organisés de telle manière à ce que certaines matières soient enseignées en langue arabe telles que l’histoire et la géographie. La langue arabe est aussi enseignée. Mais les matières scientifiques sont enseignées en langues française », nous dit-on à l’école La Persévérance située à Birkhadem. L’ultimatum fixé par le ministère jusqu’à septembre 2005 ne semble pas gêner réellement cette école puisque « le contenu pédagogique n’est pas loin des grands principes fondamentaux du programme algérien. Mais au niveau de notre école nous tenons à garder le programme spécifique. Il n’est pas question de la Marseillaise dans notre établissement », dira un enseignant de français issu du secteur public. Et une enseignante d’enchaîner : « Le programme enseigné dans les écoles privées s’ouvre sur le monde et permet aux enfants de faire des découvertes et de s’épanouir. J’aurais souhaité que les élèves du secteur public puissent bénéficier de cet enseignement. » Organisées en réseau régional, près d’une centaine d’écoles privées sont implantées à travers le territoire national. Les programmes d’enseignement sont généralement identiques dans la majorité des écoles sauf celles ayant adopté le CNED spécifique au programme dispensé dans les écoles françaises et établi par le ministère de l’Education français. La nouvelle mesure du ministère de l’Education menace particulièrement ce type d’école dont les certificats de scolarité ne sont pas reconnus en Algérie. Les épreuves du brevet et du baccalauréat sont organisées par le CNED à Paris ou à Toulouse.

Pour un brevet spécifique
Le problème se pose également pour de nombreux établissements dont les élèves ne sont soumis à aucune évaluation, même celles nationales. Les différents responsables que nous avons rencontrés sont unanimes à dire que leurs écoles ont pour objectif de former de bons bilingues pour qu’ils puissent suivre normalement les études supérieures dont plusieurs filières sont généralement dispensées en langue française. « L’échec flagrant dès la première année dans les universités algériennes est édifiant. Les étudiants arrivent dans l’enseignement supérieur avec une formation arabophone alors qu’ils sont appelés à suivre leur cursus en langue française. Dans notre école, nous enseignons les deux programmes et nos élèves sont astreints à passer le brevet national en candidat libre au même titre que les élèves des écoles publiques. Nous n’avons rien inventé. Nous avons adopté un système algérien performant qui a été mis de côté il ya quelques années au profit du fondamental. Nous n’avons pas l’intention d’expatrier nos enfants. Les pouvoirs publics devraient plutôt permettre aux écoles privées de passer le brevet spécifique, tout en enseignant bien sûr l’histoire et géographie en langue arabe et un volume horaire conséquent pour la langue arabe, comme c’est le cas dans l’établissement Bouamama à Alger », signale une directrice d’école qui a requis l’anonymat. Quant à la nouvelle disposition réglementaire, notre interlocutrice estime que son école n’est pas du tout concernée. « Nous avons invité les responsables du ministère à se rapprocher des établissements pour mieux s’enquérir de la situation et nous sommes prêts à coopérer », a-t-elle ajouté. Abondant dans le même sens, la directrice de l’école Bois des Cars de Dély Ibrahim considère qu’il n’y a pas lieu de s’affoler et le problème peut être discuté dans la sérénité. « Ces écoles doivent être entourées de pédagogues arabophones et francophones et nous avons devant nous une année pour parlementer et réfléchir à de meilleures solutions. Notre souci est l’avenir des enfants et on se bat pour le bilinguisme qui fait le poids de ces écoles. Il est temps de songer à l’introduction de l’anglais dès les premières années d’enseignement », a-t-elle indiqué. Ainsi, la décision du ministère ne constitue pas, selon nos interlocuteurs, une menace mais juste une mise en conformité. « Mais nous tenons à préserver nos programmes que nous avons nous-mêmes concoctés », dira une directrice. Il faut rappeler qu’une rencontre a regroupé à la fin du mois de mai dernier l’ensemble des chefs d’établissement privé et le ministre de l’Education au cours de laquelle il leur a signifié qu’un délai d’une année leur est accordé pour se conformer aux lois de la République, faute de quoi ils seront considérés en situation d’exercice illégale. Ainsi, ils seront, selon l’article 39 du même décret, passibles de l’application des dispositions légales en la matière. « Halte à l’anarchie qui règne dans ce secteur », avait-il menacé tout en signalant que le gouvernement est prêt à donner un nouveau souffle à ce secteur considéré comme « complémentaire à l’école publique ». Dans un entretien accordé au Quotidien d’Oran du mois en cours, Boubekeur Benbouzid est intransigeant : « Je pourrais peut-être fermer les yeux sur certaines choses telles que le bâti, la cour mais je ne ferai aucune concession sur le programme et la langue enseignée. Cette dernière est un facteur d’intégration sociale très important. Une fois cette expérience faite, nous pourrons, si besoin est, changer le décret, ce n’est pas un verset coranique ».

Combien sont-elles ?
Le nombre d’élèves inscrits dans ces établissements scolaires privés augmente d’année en année. Selon le ministre de l’Education, ils sont près de 25 000 élèves à travers le territoire national. D’autres sources indiquent que leur nombre a atteint cette année les 80 000 tous paliers confondus (de la maternelle au brevet). Quant au nombre d’écoles, aucun chiffre officiel n’ a été avancé. L’on signale 85 établissements dont 45 à Alger alors que d’autres informations font état de plus d’une centaine d’écoles. Trois réseaux régionaux, les réseaux el Djazaïr, de Tizi Ouzou et de Dély Ibrahim comportent près d’une dizaine d’écoles. L’idée de créer une association des écoles privées, qui prendra en charge les problèmes rencontrés dans ce secteur dont l’ultimatum fixé par le ministère, germe dans les esprits.

Par Djamila Kourta, El Watan