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La formation médicale en Algérie

dimanche 11 juillet 2004, par Hassiba

Considéré comme le summum de la réussite, être médecin a toujours fait rêver des Algériens. C’est ainsi qu’après l’indépendance, des vagues de bacheliers se sont succédé à la faculté d’Alger et ensuite aux CHU d’Oran et de Constantine, inaugurés dans les années 1970.Si au début, la formation prodiguée était de qualité, ce n’est plus le cas aujourd’hui, et ce, pour plusieurs raisons.

“Compétence, humanisme et éthique”, cette devise apposée à l’entrée de toutes les facultés de médecine du monde, est effacée des frontons des instituts des sciences médicales algériens et ce, depuis 1976. La réforme initiée depuis est certes incontournable car le nombre d’étudiants connaît depuis une augmentation significative, mais elle s’est faite au détriment de la qualité de l’enseignement. Pour parer au plus pressé, les initiateurs de la réforme ont ramené le cursus du médecin de 7 à 6 ans (la nouvelle réforme a rétabli l’ancienne formule).

Quant à la thèse, elle est remplacée par 4 rapports de stage réalisés durant l’internat. La nouvelle donne permet à un nombre important d’Algériens d’embrasser la noble profession. La Fac d’Alger perd alors de son prestige et les praticiens deviennent une sorte de techniciens thérapeutes qui savent découvrir une maladie et lui administrer l’antidote nécessaire. Tous les professeurs s’accordent à dire que sans dissection de corps humains et sans observation de tissus sous microscope, la formation reste incomplète. D’ailleurs, les étudiants en médecine que nous avons rencontrés, tombent des nues lorsque nous évoquons la dissection. “Je n’ai jamais entendu parler de cela. Vous êtes bien sûr que les étudiants des autres pays du monde assistent à de tels cours d’anatomie ?”, s’étonne une jeune fille, future médecin rencontrée au musée d’histoire naturelle de la Fac centrale. C’est justement son professeur de la matière qui met les pendules à l’heure ? “Toutes ces pièces d’anatomie ont été prélevées sur des corps humains.” S. Hammoudi, un éminent professeur d’anatomie et de chirurgie maxillo-faciale sait de quoi il parle. Puisqu’en plus de former de nouveaux médecins, il a connu la Faculté d’Alger d’avant les réformes.

Il se rappelle que durant ses deux premières années d’études, il assistait couramment à des dissections de corps et cela lui a été bénéfique ainsi qu’à tous ses confrères, aujourd’hui en exercice. “Il est inimaginable de former un praticien qui n’a pas touché les organes qu’il aura à soigner. Comment peut-on être cardiologue sans avoir touché un cœur humain ? La médecine est une science et en tant que telle, elle ne laisse aucune voie aux suppositions et à l’imagination ; et un organe doit être vu dans sa cavité avant d’être extrait pour examen. Bien entendu, ces manipulations se font sur des cadavres”, explique-t-il.

Quelle ne fut notre surprise lorsque le Pr Hammoudi nous a fait entrer au musée d’anatomie de la Faculté d’Alger. Des crânes, des organes conservés dans du formol, des fœtus dans des bocaux, etc. Il qualifie l’endroit de trésor pour la médecine. “Nous disposons d’un musée unique au monde et je tire chapeau aux employés qui ont tout fait pour sauvegarder cette entité”, dit-il encore. Bien éclairés, les pièces d’anatomie mises en évidence, les lieux sont comme hantés par l’esprit des anatomistes qui s’y sont succédé.

S. Hammoudi, nommé à la tête du musée, souhaite relancer les activités de dissections et de véritables travaux pratiques avec tout le matériel nécessaire : microscopes, loupes, colorants, etc. Pour lui comme pour tous les praticiens formateurs, il est impératif de revenir aux méthodes d’enseignement universelles reposant sur l’empirisme et la manipulation. Il est, en effet, inadmissible de constater qu’une telle structure soit laissée à l’abandon durant plus de 20 ans et qu’elle ne soit toujours pas exploitée à des fins pédagogiques. Selon des étudiants, toutes les délégations scientifiques et culturelles étrangères en visite en Algérie sont conviées à découvrir le musée d’anatomie.

Pourtant, toute cette richesse reste peu utilisée, pour ne pas dire délaissée durant deux décennies. Les pièces d’anatomie dont des spécimens rares comme la conservation de tous les conduits sanguins et nerveux d’un foie, restent inutilisées. Pis, tous les cours de physiologie (fonctionnement d’un organe), d’histologie (étude de la cellule) et de biochimie sont dispensés de manière magistrale. Ces matières qui sont les bases des connaissances du corps humain nécessitent des travaux pratiques et des expériences. Le Pr Hammoudi, qui regrette la situation actuelle, insiste sur le fait que l’Algérie soit le seul pays musulman à prodiguer des cours d’anatomie sans expérience.

Les étudiants sont ainsi doublement sanctionnés. En plus de l’inexistence de travaux pratiques, ils sont confrontés à la rareté de la documentation. Les livres sont rares dans les bibliothèques et lorsqu’ils sont disponibles dans les librairies, ils coûtent cher. Du coup les futurs médecins se rabattent sur les polycopies. “Les professeurs remettent les feuilles de leurs cours aux étudiants. Pour nos révisions, nous sommes obligés de les photocopier et cela nous coûte en moyenne 50 DA par jour. Il y a beaucoup d’étudiants qui ne peuvent pas le faire”, se désole un futur médecin.

Cette situation n’a pas échappé aux commerçants versés dans la reliure et la photocopie. Ils réalisent ainsi des livrets de cours en plagiant des livres de médecine. N’ayant aucun autre recours, les étudiants se contentent de ces documents concoctés. C’est un marché juteux et les professeurs qui sont plagiés doivent eux-mêmes faire des enquêtes pour que l’Office national de droits d’auteur (ONDA) réagisse. C’est ce qui est arrivé au professeur Hammoudi dont un de ses livres d’anatomie pour 2e année a été carrément plagié par un commerçant d’Alger. Certes ce plagiaire a été rappelé à l’ordre par l’auteur de l’œuvre et des inspecteurs de l’ONDA, mais ils sont des milliers à continuer paisiblement leur business juteux. Tous les efforts fournis par les professeurs demeurent vains, car les pouvoirs publics ne se soucient plus de mettre la documentation nécessaire et à bon prix à la disposition des étudiants. Bien entendu et contrairement aux disciplines littéraires, les filières scientifiques et surtout les branches médicales exigent une documentation importante, car les découvertes et les nouveautés sont quasi permanentes.

La situation est la même à tous les niveaux puisque les futurs médecins se plaignent toujours des conditions auxquelles ils sont confrontés. Les amphithéâtres s’avèrent exigus au point où les retardataires sont contraints de rester debout s’ils veulent assister aux cours. Les cours magistraux demeurent le seul enseignement dispensé dans les instituts. Quant au reste de la formation, chaque étudiant doit se débrouiller seul.

Les étudiants en clinique (à partir de la 3e année, les futurs médecins suivent des cours dans les services hospitaliers au contact des malades), se plaignent eux aussi d’être très nombreux. “Comment voulez-vous que les praticiens hospitalo-universitaires puissent nous encadrer de manière efficiente lorsque nous sommes plusieurs dizaines dans un petit service ?” regrette un jeune étudiant. La situation est identique durant l’internat puisque le nombre d’étudiants est si important qu’ils doivent ne compter que sur eux-mêmes pour finaliser leurs rapports de stages.

Chaque étudiant remet un travail dans 4 spécialités différentes (chirurgie, pédiatrie, gynécologie et médecine interne). Malgré toutes ces entraves, les praticiens algériens une fois formés ont su tirer leur épingle du jeu et se montrer à la hauteur dans les moments difficiles. Leur mérite est énorme. Grâce à leur courage et à leur abnégation, ils ont réussi à faire parler d’eux dans les forums internationaux pourtant réputés de très haut niveau. Ils sont nombreux à faire les beaux jours des hôpitaux européens ou américains. Et si ces praticiens avaient eu droit à un cursus selon les normes pédagogiques universelles propres aux sciences médicales... ?

Institut de biomédical de Dergana

Un établissement hors normes

Il devait désengorger la fac centrale, mais les étudiants estiment que l’endroit a été mal choisi, d’autant qu’il est éloigné de tout.Inauguré au début des années 1980, le nouvel Institut de biomédical, érigé en pleine campagne, est situé à quelque 45 km à l’est d’Alger. Les initiateurs du projet ont vu grand, car ils ont prévu un nombre considérable de salles de travaux pratiques et d’amphithéâtres. Quant aux commodités, il n’y en a aucune et, pour se restaurer, les étudiants sont obligés de traverser un véritable coupe-gorge où plusieurs filles ont été agressées et où les vols y sont monnaie courante. Construite en préfabriqué, la structure n’a pas résisté au dernier tremblement de terre qui a endommagé plusieurs salles de cours, ce qui a contraint les responsables à se démener pour assurer la formation. Pour le moment, seuls les étudiants de première année y suivent un enseignement, mais il n’est pas à exclure que le cursus du pré-clinique, à savoir deux autres années, soit assuré par cet établissement. Bien entendu, les étudiants comme certains professeurs émettent des réserves sur ce site considéré inapproprié.

Pour le doyen de la faculté de médecine, le Pr Drif, la formation sans dissection est incomplète, mais sont prévus des changements et ce, dès l’année universitaire prochaine. “Nous nous devons d’œuvrer pour permettre à nos enfants de recevoir un enseignement de qualité”, déclare-t-il. Il revient bien entendu sur les premières années post-indépendance, période marquée par la rareté des médecins. “La situation s’est améliorée depuis et les algériens peuvent s’estimer heureux d’avoir accès aux soins”, dit-il encore. La nouvelle politique de l’institut des sciences médicales d’Alger, c’est de privilégier la qualité de la formation en recourant aux méthodes pédagogiques usitées dans tous les pays du monde. “Nous défendons le site de Dergana qui est un bijou dédié à la science. Nous avons pu débloquer 27 milliards de centimes pour son agrandissement. Nous attendons aussi une deuxième enveloppe de 24 milliards de centimes pour l’acquisition de moyens didactiques et de matériel qui permettront à nos enfants d’avoir droit à un enseignement adéquat”, ajoute-il. Il promet même la reprise de la dissection dans un proche avenir. Il tient par ailleurs à la concrétisation du projet de transfert du pré-clinique à Dergana. “Comme nous disposons d’une structure pouvant accueillir jusqu’à 4 160 étudiants, nous ferons tout pour développer le site de Dergana”, tient-il à préciser.

Il juge ce choix indispensable, car le nombre d’étudiants est si important qu’il n’y a pas d’autre alternative. “La région parisienne qui dispose de 10 CHU, compte moins d’étudiants que la seule wilaya d’Alger. Nous devons réagir en conséquence. On aurait pu nous reprocher de refuser des étudiants, mais personne n’a le droit de contester le choix de Dergana qui se trouve être la meilleure option”, affirme-t-il. Il promet enfin aux nouveaux étudiants un enseignement de qualité sans pour autant remettre en cause ce qui a été fait jusqu’à présent, ce qui a permis l’émergence de compétences de haut rang.

Les étudiants inscrits à Dergana souhaitent pour leur part un retour rapide sur Alger, ville bien desservie par les transports. “Je dois changer trois fois de bus pour arriver à l’institut”, affirme un étudiant habitant à Boumerdès.

Le manque de transport et l’insécurité sont les deux raisons évoquées par les étudiants. “Excepté le premier bus du cous qui démarre à 7h30 de Tafourah et qui nous dépose à l’entrée de l’institut de biomédical, tous les autres transports s’arrêtent devant la cité universitaire qui est éloignée. Pour aller à notre institut, nous traversons des endroits déserts et dangereux où les agressions sont légion”, se plaint une étudiante qui a été victime d’un vol de téléphone portable avec violence.

Formation des dentistes et des pharmaciens

Ils refusent qu’on les prépare au métier d’“arracheur de dents” et exigent que des moyens soient mis à leur disposition pour leur permettre d’être opérationnels à l’issue de leur formation. “Nous sommes à plusieurs sur un fauteuil lorsqu’il y en a un de fonctionnel à l’hôpital”, dit un étudiant. Son ami tient à préciser par ailleurs : “Comme les composites coûtent cher, nous n’avons jamais eu droit à des travaux de prothèse dentaire. Excepté un enseignement théorique, nous n’avons droit à rien.” Les étudiants en pharmacie inscrits à la faculté d’Alger sont unanimes à louer les efforts consentis par leurs professeurs. “Nous avons droit à un enseignement de qualité et nous suivons, en plus des cours théoriques et de véritables séances de travaux pratiques. Nous observons sous microscope les microbes et autres agents pathogènes que nous seront appelés à traquer durant notre future vie active”, dit une jeune étudiante.

Les cours de botanique sont assurés par des professeurs qui achètent parfois de leurs propres deniers les plantes pour que les étudiants puissent assimiler les cours. “Les nouveaux étudiants sont mieux formés que ceux des précédentes promotions, qui étaient confrontés aux coupures d’eau ; ce qui ne leur avait pas permis d’assister à des travaux pratiques”, regrette un étudiant en 5e et dernière année de pharmacie. La fac de pharmacie prend en charge les travaux de reprographie, des cours qui sont remis à temps et à titre gracieux. Le docteur Baghdadi, directrice de la post-graduation, estime que les professeurs font de leur mieux pour former au mieux les futurs praticiens. “Nous faisons tout pour axer sur la formation pratique car l’étudiant retient mieux ce qu’il a vu ou réalisé. Je note mes étudiants en galénique sur les travaux qu’ils effectuent, puisque nous leur donnons les moyens d’élaborer des suppositoires et des sirops”, déclare-t-elle. Elle insiste sur les efforts des professeurs qui utilisent des moyens qu’ils ramènent des laboratoires et des usines où ils travaillent. Pourtant, il faut considérer ce satisfecit de manière relative car le module de chimie clinique n’est pas assuré faute de spécialistes et peu d’étudiants savent qu’il fait partie normalement du cursus.

La morgue de l’institut d’anatomie transformée en salle de prière

Après l’arrêt de la dissection à la fac centrale, la morgue a été transformée en salle de prière, et ce, depuis 1980. Les responsables en charge du module d’anatomie se montrent sceptiques quant à la reprise de la dissection à la fac d’Alger. Pour rappel, seule la dissection dans le cadre légal est pratiquée dans les hôpitaux pour la détermination des causes de certaines morts suspectes. Les chirurgiens espèrent eux aussi la reprise de l’autopsie pour comprendre les raisons de l’échec de certaines interventions et pour parfaire les techniques chirurgicales. Il est clair, en effet, que la dissection est d’une importance capitale dans le développement de la médecine.

Les CHU de Batna, Sétif et Sidi Bel Abbès sont les moins cotés

Les professeurs et étudiants d’Alger se plaignent du maintien de la formation médicale dans ces trois villes qui ne disposent ni d’infrastructures adéquates ni de professeurs pouvant encadrer les futurs praticiens.
Certains professeurs souhaitent la fermeture de ces trois CHU et l’orientation des étudiants vers les instituts disposant de praticiens de rang magistral en nombre suffisant. Les CHU de Blida et de Tizi Ouzou manquent eux aussi d’hospitalo-universitaires, mais leur situation géographique proche d’Alger leur permet de profiter des compétences venant de la capitale.

Par Saïd Ibrahim, liberte-algerie.com