La proclamation du 1er Novembre 1954Chronique d’une Révolution annoncée
Par M'hamed Khodja
La proclamation du 1er Novembre 1954 est l’aboutissement du combat de tout un peuple qui, depuis le 14 juin 1830, a refusé d’abdiquer devant les armées coloniales. Les rédacteurs du texte fondateur de l’Etat algérien ont pris à témoin l’opinion publique algérienne, mais surtout française, pour rappeler que la lutte armée était l’expression ultime du mouvement national qui, depuis l’Etoile nord-africaine en 1927, n’a cessé de militer pour l’octroi aux Algériens «indigènes» des droits élémentaires que la patrie des droits de l’homme lui refusait durant toute la période coloniale. En quelques mots, c’est l’aveuglement de la France qui a conforté les certitudes des nationalistes algériens, lesquels ont repris à leur compte la fameuse phrase du général vietnamien Giap, le vainqueur de Diên Biên Phù, «la France est un élève têtu».
Si la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens, selon l’enseignement du général prussien Clausewitz, le combat du mouvement national a été la continuation de la lutte armée populaire par des moyens politiques. Sinon comment comprendre l’histoire contemporaine de l’Algérie sans cette mise en perspective politique, socio-économique et culturelle qui nous permet de mieux appréhender le «moment» révolutionnaire qu’a été le 1er novembre 1954.
Quelle était la situation de l’Algérie en ce 31 octobre 1954 ? Le joyau de l’empire colonial français était plus que jamais dans l’œil du cyclone. D’abord parce que le mouvement national avait atteint ses limites objectives dans sa revendication d’un statut d’Etat indépendant (PPA-MTLD) ou d’un Etat indépendant mais associé à la France (UDMA). La non- application du statut de l’Algérie et les fraudes électorales, spécialités du gouverneur Naegelen, ont accéléré un processus déjà latent, du moins depuis les massacre du 8 mai 1945. En ce jour fatidique, les Algériens ont compris une chose : ce qui a été pris par la force doit être repris par la force. Même le très modéré Ferhat Abbas, leader de l’UDMA, a été renforcé dans sa conviction de la nécessité de sortir, fut-il par la force des armes, du cauchemar de la longue nuit coloniale.
Le tenant de la ligne dure, la tendance indépendantiste, le PPA-MTLD de Messali Hadj, était, quant à lui, embourbé dans des luttes fratricides avec, pour arrière plan, les divergences sur la politique à adopter : poursuivre le combat politique au sein des assemblées algériennes (les centralistes) ou basculer rapidement dans la lutte armée (les Messalistes). Une troisième tendance, le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA), créé par un groupe de militants autour de Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M’hidi et Didouche Mourad, a tenté de rapprocher les points de vue divergents, mais face à l’obstination des deux camps et la scission de fait du MTLD, le CRUA a précipité les évènements et décidé de passer à l’action révolutionnaire.
L’été 1954 a été la dernière ligne droite. Les dernières réunions décident de la marche à suivre, la révolution doit être une révolution populaire, de masse, et le CRUA doit se transformer en Front de libération national (FLN), véritable creuset des nationalistes algériens. Tous étaient invités à rejoindre les rangs du Front. C’est d’ailleurs le deuxième but de la proclamation du 1er Novembre après l’annonce du début de la lutte armée pour le recouvrement de la souveraineté nationale. En 1956, deux ans après le début de la Révolution, tous les acteurs du mouvement national ont rejoint le FLN : centralistes du MTLD, l’UDMA de Ferhat Abbas, l’Association des oulémas de Bachir El-Ibrahimi, et le PCA, dont les militants ont adhéré au FLN «à titre individuel».
Les Messalistes, dont de nombreux mili tants ont également rejoint le FLN, avaient fondé, dès novembre-décembre 1954, un nouveau parti, le Mouvement national algérien (MNA), qui a refusé de reconnaître le rôle primordial du FLN dans la direction de la lutte armée. Il s’est exclu de lui-même de la dynamique de la gueure de libération nationale.
En 1954, l’Algérie était également dans l’œil du cyclone parce que depuis près de deux ans, les Tunisiens à l’est et les Marocains à l’ouest avaient lancé un combat armé pour secouer le joug du protectorat français. Le Vietnam, cette lointaine Indochine, avait, dès l’été 1954, fait connaître la première grande défaite à l’armée française depuis l’effondrement de 1940 face à la Wehrmacht hitlérienne. Diên Biên Phù annonçait l’inéluctable défaite de la France coloniale dans ces colonies en Indochine, mais aussi en Afrique du Nord. En marche, celle-ci avait repris son destin en main. La dynamique du moment, le génie des peuples et la
géopolitique internationale condamnaient le colonialisme, français notamment, à passer à la trappe. Le 1er Novembre 1954 allait donner un «sens» à la décolonisation, cette date devenant le catalyseur de la mythique révolution du million et demi million de martyrs. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la proclamation du 1er Novembre 1954 est l’acte fondateur de l’Etat algérien moderne, elle qui a appelé à «la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans les principes islamiques». 54 années après sa rédaction, cette phrase reste d’une brûlante actualité parce qu’elle résume l’aspiration intime de tout un peuple qui, de 1830 à 1962, n’a cessé de militer pour sa liberté, mais aussi pour construire, après l’indépendance, un véritable Etat national algérien dont le ciment n’est autre que le triptyque identitaire : amazighité, arabité et islam, conjugué à la modernité politique du XXIe siècle.
Le Jeune Indépendant
Par M'hamed Khodja
La proclamation du 1er Novembre 1954 est l’aboutissement du combat de tout un peuple qui, depuis le 14 juin 1830, a refusé d’abdiquer devant les armées coloniales. Les rédacteurs du texte fondateur de l’Etat algérien ont pris à témoin l’opinion publique algérienne, mais surtout française, pour rappeler que la lutte armée était l’expression ultime du mouvement national qui, depuis l’Etoile nord-africaine en 1927, n’a cessé de militer pour l’octroi aux Algériens «indigènes» des droits élémentaires que la patrie des droits de l’homme lui refusait durant toute la période coloniale. En quelques mots, c’est l’aveuglement de la France qui a conforté les certitudes des nationalistes algériens, lesquels ont repris à leur compte la fameuse phrase du général vietnamien Giap, le vainqueur de Diên Biên Phù, «la France est un élève têtu».
Si la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens, selon l’enseignement du général prussien Clausewitz, le combat du mouvement national a été la continuation de la lutte armée populaire par des moyens politiques. Sinon comment comprendre l’histoire contemporaine de l’Algérie sans cette mise en perspective politique, socio-économique et culturelle qui nous permet de mieux appréhender le «moment» révolutionnaire qu’a été le 1er novembre 1954.
Quelle était la situation de l’Algérie en ce 31 octobre 1954 ? Le joyau de l’empire colonial français était plus que jamais dans l’œil du cyclone. D’abord parce que le mouvement national avait atteint ses limites objectives dans sa revendication d’un statut d’Etat indépendant (PPA-MTLD) ou d’un Etat indépendant mais associé à la France (UDMA). La non- application du statut de l’Algérie et les fraudes électorales, spécialités du gouverneur Naegelen, ont accéléré un processus déjà latent, du moins depuis les massacre du 8 mai 1945. En ce jour fatidique, les Algériens ont compris une chose : ce qui a été pris par la force doit être repris par la force. Même le très modéré Ferhat Abbas, leader de l’UDMA, a été renforcé dans sa conviction de la nécessité de sortir, fut-il par la force des armes, du cauchemar de la longue nuit coloniale.
Le tenant de la ligne dure, la tendance indépendantiste, le PPA-MTLD de Messali Hadj, était, quant à lui, embourbé dans des luttes fratricides avec, pour arrière plan, les divergences sur la politique à adopter : poursuivre le combat politique au sein des assemblées algériennes (les centralistes) ou basculer rapidement dans la lutte armée (les Messalistes). Une troisième tendance, le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA), créé par un groupe de militants autour de Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M’hidi et Didouche Mourad, a tenté de rapprocher les points de vue divergents, mais face à l’obstination des deux camps et la scission de fait du MTLD, le CRUA a précipité les évènements et décidé de passer à l’action révolutionnaire.
L’été 1954 a été la dernière ligne droite. Les dernières réunions décident de la marche à suivre, la révolution doit être une révolution populaire, de masse, et le CRUA doit se transformer en Front de libération national (FLN), véritable creuset des nationalistes algériens. Tous étaient invités à rejoindre les rangs du Front. C’est d’ailleurs le deuxième but de la proclamation du 1er Novembre après l’annonce du début de la lutte armée pour le recouvrement de la souveraineté nationale. En 1956, deux ans après le début de la Révolution, tous les acteurs du mouvement national ont rejoint le FLN : centralistes du MTLD, l’UDMA de Ferhat Abbas, l’Association des oulémas de Bachir El-Ibrahimi, et le PCA, dont les militants ont adhéré au FLN «à titre individuel».
Les Messalistes, dont de nombreux mili tants ont également rejoint le FLN, avaient fondé, dès novembre-décembre 1954, un nouveau parti, le Mouvement national algérien (MNA), qui a refusé de reconnaître le rôle primordial du FLN dans la direction de la lutte armée. Il s’est exclu de lui-même de la dynamique de la gueure de libération nationale.
En 1954, l’Algérie était également dans l’œil du cyclone parce que depuis près de deux ans, les Tunisiens à l’est et les Marocains à l’ouest avaient lancé un combat armé pour secouer le joug du protectorat français. Le Vietnam, cette lointaine Indochine, avait, dès l’été 1954, fait connaître la première grande défaite à l’armée française depuis l’effondrement de 1940 face à la Wehrmacht hitlérienne. Diên Biên Phù annonçait l’inéluctable défaite de la France coloniale dans ces colonies en Indochine, mais aussi en Afrique du Nord. En marche, celle-ci avait repris son destin en main. La dynamique du moment, le génie des peuples et la
géopolitique internationale condamnaient le colonialisme, français notamment, à passer à la trappe. Le 1er Novembre 1954 allait donner un «sens» à la décolonisation, cette date devenant le catalyseur de la mythique révolution du million et demi million de martyrs. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la proclamation du 1er Novembre 1954 est l’acte fondateur de l’Etat algérien moderne, elle qui a appelé à «la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans les principes islamiques». 54 années après sa rédaction, cette phrase reste d’une brûlante actualité parce qu’elle résume l’aspiration intime de tout un peuple qui, de 1830 à 1962, n’a cessé de militer pour sa liberté, mais aussi pour construire, après l’indépendance, un véritable Etat national algérien dont le ciment n’est autre que le triptyque identitaire : amazighité, arabité et islam, conjugué à la modernité politique du XXIe siècle.
Le Jeune Indépendant
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