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Scénario autour d'un beur à l'Elysée

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    Un sondage scrute pour la première fois le sentiment des Français: Scénario autour d'un beur à l'Elysée
    par L'un De Nos Correspondants A Paris: S. Raouf

    Nous sommes en l'an «deux mille quelque chose». Plus précisément un soir dominical de mai à la douceur printanière. A 20h00 pile, toutes affaires cessantes, TF1 diffuse sur son écran «haute définition» de la nouvelle génération le nom «atypique» du nouveau président de la France.

    Sur fond de premières estimations estampillées «IPSOS» surgit le visage «coloré» du nouveau locataire de l'Elysée, le premier de la VI République. Un paysage institutionnel «new-look» qui envoie au musée de l'Histoire la vieille entité gaulliste, en même temps qu'il solde audacieusement le passé colonial et sa sanglante séquence algérienne. Le moment est fort.

    Il résonne telle une rupture comme la France de la Révolution en a tellement connu dans sa chronologie faite d'ombres et de lumières. Une «figure de la diversité» gagne son ticket présidentiel, sésame qui l'autorise à s'installer, l'espace d'un quinquennat, au Palais de l'Elysée, le premier lieu de pouvoir d'une «France présidentielle» à satiété.

    Ahmed, Camara ou Jia - c'est selon - prononce ses premières paroles de président élu. Depuis son «QG» de campagne, planté à un pâté de maisons de Barbès, il remercie les Français de l'avoir honoré de leur confiance. Et promet, selon la formule convenue sous tous les cieux, d'»être à la hauteur de leurs attentes». Dans la foulée, des éditorialistes de la nouvelle génération, successeurs des Duhamel, El Kabach et autres Imbert, prolongent le débat présidentiel. De TF1 à France 2 et de Canal à «Black, blanc, beur», la dernière née d'un paysage audiovisuel hexagonal aux couleurs de la France, ils décryptent l'événement de ce «10 mai deux mille quelque chose». Chacun va de son interprétation de la rupture, mais tous observent, à l'unisson, que la France a osé. Avec une postériorité de X années, la voici qui évolue dans le sens de l'Histoire. Et choisit, pour le prouver, de se donner un président de couleur comme l'avait fait, avant elle, l'Amérique de Barack Obama.

    Sur TF1, dont l'audience flambe, dopée par le professionnalisme de Xi Chiang, le Patrick Poivre d'Arvor des années «deux mille quelque chose», le débat est animé. Brusquement, l'écran se noircit pendant une dizaine de secondes, le temps que la présentatrice du jour s'excuse auprès des téléspectateurs pour cette malencontreuse erreur technique. A la régie, le chef d'édition du «20h» est allé un peu vite en besogne. Au lieu d'envoyer un «factuel» - un sujet sur la course à la Maison Blanche entre le noir Obama et le va-t-en-guerre McCain -, il a accéléré plus vite que son ombre.

    Conséquence : c'est un sujet plus long que d'ordinaire qui a été mis dans le désordre à l'antenne. A la grande surprise de Laurence Ferrari, héritière du fauteuil de «PPDA». Imperturbable et pleine de sang-froid, la présentatrice blonde reprend le contrôle de la situation et met de l'ordre dans son «JT». On passe le «factuel» sur la présidentielle US. On y voit un fils de Kényan en pole position, bien placé pour hériter de George W. Bush les clés du bureau ovale. Et au risque de faire une entorse à sa sacro-sainte feuille de route, le «20h» rediffuse une seconde fois le reportage sur le nouveau président de la France.

    «Toutes nos excuses, explique après coup Laurence Ferrari. Vous l'avez compris, c'était un sujet-fiction que nous avons jugé opportun de vous présenter. Histoire de mettre en perspective le paysage politique de la France à l'aune de l'élection US».

    Le matin, réunie autour du rédacteur en chef, l'équipe du «20h» avait commandé à un journaliste à l'imagination féconde un sujet «décalé» comme on dit dans le jargon de la profession. «Et si, inspirée par le précédent Obama, la France portait à la tête de l'Elysée un homme de la diversité ?», suggérait, en guise de piste, le rédacteur en chef. Il n'en fallait pas plus pour inspirer le journaliste candidat à la confection du sujet-fiction. Un reportage sur un «20h virtuel» entièrement dédié à l'événement du jour : l'accession tout aussi virtuelle d'un «black, beur, jaune» à l'Elysée.

    D'ordinaire, l'équipe qui préside à la préparation du «JT» ratisse large dans son examen de l'actualité. Journaux et dépêches d'agences sont décortiqués, les journaux radiophoniques écoutés. Ce dimanche 2 novembre 2008, une matière a échappé à l'attention du journaliste chargé de parcourir les colonnes des seuls titres parisiens à parution dominicale : Le Parisien, L'Equipe et Le Journal du dimanche (JDD). Sur ce dernier, les résultats d'un sondage dont la lecture aurait éclairé davantage le journaliste de TF1 chargé de préparer le sujet-fiction sur l'Elysée «black, beur, jaune».

    Exercice journalistique réel celui-ci, le sondage a saisi l'opportunité de la présidentielle US pour scruter l'état de l'opinion française. Lui demander si elle est disposée à voir s'installer à terme un «black, beur, jaune» à la tête de l'Elysée. Une première sur cette thématique, l'enquête réalisée par l'institut IFOP pour le «JDD» renvoie à bien plus tard les perspectives d'une entrée de Ahmed, Camara ou Jia à l'Elysée.

    S'ils suivent, passionnés et heureux, le cheminement ambitieux d'Obama en direction de la Maison Blanche, les Français sont sceptiques sur un scénario Obama à la française. Certes, effet d'une «obamania» à laquelle l'Hexagone n'échappe pas, 80% se disent prêts à voter un jour pour un candidat noir. Mais dans le même temps, une minorité d'entre eux - 47% - crédite ce même candidat noir de chances de s'installer dans le bureau occupé autrefois par les de Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac et Sarkozy.

    72% des Français interrogés par l'enquête IFOP enverraient volontiers un compatriote d'origine asiatique à la tête de l'exécutif. Reste que 38% seulement croient en les chances du Français «jaune» d'hériter du plus illustre des bureaux de l'Elysée. Surprise au regard de la structure de la population d'origine étrangère de France, une proportion moindre de Français (58%) se dit disposée à glisser dans l'urne un bulletin frappé d'un nom à consonance maghrébine. 25% d'entre eux doutent qu'un Ahmed puisse porter le costume de chef d'Etat (de la France).

    Sociologiquement, les femmes sont les plus aptes à accompagner un noir à l'Elysée. Elles sont 83% contre 77% pour les hommes. Politiquement, les plus chaleureux à la perspective d'un Elysée conforté à la diversité de la France se recrutent au centre et à gauche. 94% des sympathisants du Modem - le mouvement de François Bayrou - et 92% du Parti socialiste (PS) voteraient pour un noir contre 73% dans le camp de l'UMP (majorité présidentielle).

    S'il venait à se présenter à l'Elysée, un candidat maghrébin pourra compter - selon le sondage IFOP pour le «JDD» - sur 76% des sympathisants du PS, 72% des effectifs du Modem et 44% seulement des partisans de l'UMP. Réalisé du 31 octobre au 1er novembre sur un échantillon de 1001 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, le sondage n'avait pas encore suscité, jusqu'à hier, des commentaires.

    Seuls le duo «JDD»-IFOP et la ministre, la secrétaire d'Etat à la Ville, Fadela Amara, se sont livrés à une première réaction à chaud. La France «accepte sa diversité mais reste encore marquée par les préjugés raciaux», notent l'hebdomadaire et IFOP. Les résultats du sondage, expliquent les organisateurs, oscillent entre un sentiment fait de rassurance et un autre troublant. Les réponses des Français «reflètent une hiérarchie des préjugés et du rejet, ou une hiérarchie de la méfiance et de l'acceptation». Sur le peu d'empressement de la société française à se donner un président d'origine maghrébine, le «JDD» et IFOP choisissent la prudence. Plutôt que de se risquer à des interprétations, ils préfèrent poser des questions auxquelles ils se gardent de répondre. «Persistance de la guerre d'Algérie (dans l'esprit des Français, ndlr), contrecoup de la crise récurrente des banlieues, islamophobie ?».

    Venue en politique via le militantisme de gauche, entrée au gouvernement par la porte de la droite, Fadela Amara prend acte des résultats du sondage dans leur diversité. Avec ce qu'ils dégagent d'espérances et de déceptions (lire ci-contre). «Si l'on veut continuer d'avancer, il faut que les partis politiques se bougent. Il faut qu'ils aillent chercher des candidats issus de l'immigration, de toutes les origines, et qu'ils les offrent aux électeurs. Les gens sont prêts, c'est le système qui est en retard. C'est pour cela que vos sondés sont optimistes, parce que le travail ne se fait pas assez vite en haut», dit-elle au rédacteur en chef de l'hebdomadaire. Pour le reste, commente-t-elle, «il faut être tranquille. Je suis berbère et musulmane, je fais Ramadhan, je ne l'exhibe pas, mais je ne le cache pas, je suis laïque, je suis féministe, je partage avec le peuple français les valeurs de la République, je suis une populaire ! J'ai confiance dans ce pays !».

    le Quotidien d'Oran
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