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«Kateb Yacine, un écrivain universel»

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  • «Kateb Yacine, un écrivain universel»

    UDO SATOSHI, SPÉCIALISTE DE LA LITTÉRATURE MAGHRÉBINE, À L’EXPRESSION : «Kateb Yacine, un écrivain universel»

    «Je crois que Kateb, lui, mérite bien d’être présenté aux lecteurs japonais, et c’est pourquoi je l’ai choisi pour ma thèse.»

    Udo Satoshi, spécialiste de la littérature maghrébine à l’université de Tokyo, est chercheur boursier de la Société japonaise pour la promotion des sciences et doctorant en études françaises à l’université de Tokyo.
    Il prépare une thèse sur Kateb Yacine et la littérature algérienne. Il livre un regard particulier sur Kateb et son oeuvre.

    L’Expression: Pourquoi le choix de Kateb Yacine pour effectuer votre thèse de doctorat à l’université de Tokyo?
    Udo Satoshi: D’abord, Kateb Yacine est un écrivain maghrébin que j’aime et que je respecte le plus. Je crois qu’il est un auteur de qualité universelle. Je sais, bien sûr, que Kateb Yacine aimait l’Algérie profondément et passionnément. Toutes ses oeuvres sont avant tout dédiées et dévouées au peuple d’Algérie. Je serai donc son lecteur secondaire, mais ses écrits ne sont pas «touristiques» pour moi. Je n’y cherche pas quelque chose d’exotique ni de divertissant. Je lis et relis Kateb Yacine, pour que je puisse toucher le vif de ses oeuvres. Les écrits katébiens semblent inaccessibles, très loin pour les étrangers, surtout pour nous Asiatiques de l’Est, parce que c’est toujours l’Algérie elle-même que Kateb voulait réaliser dans son imaginaire. Pourtant, je trouve que Kateb Yacine est, en réalité, bien accessible et ouvert à tous les lecteurs dans le monde. Il a réfléchi l’Algérie jusqu’au bout. C’est pour cela, un peu paradoxalement, qu’il a atteint l’universalité. Ses oeuvres ne sont pas de simples patchworks des réalités algériennes. C’est une Algérie rêvée, saisie dans la totalité de son historicité qui est exprimée à travers une poésie profonde. A la recherche de l’Algérie idéale, Kateb Yacine s’approche de l’humanisme universel. La liberté est l’enjeu de ses oeuvres, et les révolutions sont connues comme éternels mouvements pour sa quête. Donc, je crois que Kateb, lui, mérite bien d’être présenté aux lecteurs japonais, et c’est pourquoi je l’ai choisi pour ma thèse.

    Comment avez-vous découvert la littérature algérienne?
    C’était presque par hasard, cette découverte, ou bien, disons que c’était le destin, si vous voulez. En entrant à l’université, j’ai commencé à apprendre le français (donc c’est ma deuxième langue étrangère). J’aimais bien cette langue. J’étais à ce moment-là spécialiste en droit, mais j’ai décidé de choisir un chemin plus dur, la littérature. J’ai aimé le français mais pas forcément la littérature française et j’étais attiré plutôt par les cultures orientales.
    La sinologie, par exemple, m’était toujours favorite (même maintenant), mais mon amour de la langue française et la beauté de la poésie arabe m’ont dirigé vers le Maghreb. J’’ai eu l’occasion d’étudier un an à Strasbourg. A l’université Marc-Bloch, j’ai pu, heureusement, assister à un cours de la littérature francophone dont les professeurs étaient Mme Beïda Chikhi, Azouz Begag et Nina Bouraoui. En même temps, j’ai connu plusieurs Algériens. J’ai découvert, petit à petit, les Algériens et leur littérature. A mon retour au Japon, j’ai écrit tout de suite un mémoire sur La répudiation de Rachid Boudjedra.

    Vous êtes en Algérie depuis le 17 octobre dernier afin de collecter des informations et des témoignages sur l’auteur du Polygone étoilé. Parlez-nous de vos contacts à ce sujet.
    Je suis venu en Algérie pour voir l’Algérie avec mes yeux. Pour les études littéraires, c’est très nécessaire de sentir l’ambiance. Ce n’est pas comme en sciences naturelles... Pour ramasser des documents, il faudrait aller en France d’abord, mais quand même j’ai pu obtenir quelques livres sur Kateb Yacine publiés en Algérie.
    Ce qui m’a fait plaisir, ce sont quelques rencontres avec les gens qui connaissent personnellement Kateb Yacine. Par exemple, j’ai discuté pendant trois heures avec M.Ismaïl Abdoun, véritable spécialiste des études katébiennes. C’est un grand honneur pour moi de partager l’amour de la littérature algérienne avec les Algériens. Pour les études littéraires, l’amour et la passion sont plus importantes que les informations.

    Vous avez rencontré Amazigh, le fils de Kateb Yacine. Quel genre d’informations avez-vous recueillies auprès de ce dernier?
    Amazigh Kateb est venu au Japon il y a deux ans pour le concert de Gnawa diffusion. Un professeur japonais, grand fervent du raï, a organisé à cette occasion une conférence à l’Université de Waseda. Je me suis présenté à Amazigh, c’est tout. Il n’y avait pas beaucoup de temps pour discuter. Je me souviens qu’il a parlé du gnawa comme une musique des esclaves noirs.
    C’est toujours étonnant, cette hybridité culturelle de l’Algérie. J’ai posé une question: «Vous êtes musicien de la musique noire, et votre père, Kateb Yacine a souvent parlé du ´´nègre´´. Est-ce qu’il y a quelque influence de votre père?». Il m’a répondu: «C’est possible, c’est mon père qui m’a éduqué.» J’étais en train d’écrire un article sur l’africanité chez Kateb Yacine. L’Afrique (dont le nom est d’origine berbère) était pour lui la base la plus authentique de l’Algérie, car elle est seule capable de couvrir tous les peuples en Algérie. Kateb a dit: Il faut se dire africain. Je crois que l’on devient africain pour créer l’Algérie future.

  • #2
    En quelques lignes, que pouvez-vous dire du roman Nedjma? Pourquoi ce livre a-t-il tant marqué la littérature maghrébine au point de devenir une référence?
    Nedjma a déjà fait couler beaucoup d’encre. Comme vous le savez, ce roman a changé complètement l’écriture maghrébine en dépassant le réalisme. Tous les premiers romans maghrébins ont essayé de décrire la réalité maghrébine par les yeux «indigènes», car telle réalité n’a été exprimée que par les Français. En Algérie, la littérature des colons, produite par les écrivains de l’algérianisme ou l’Ecole d’Alger, a précédé la littérature «indigène» en créant un nouveau langage algérien dans le domaine littéraire. Rappelons-nous, par exemple, les romans de Musette. On ne peut pas nier quelques aspects positifs de la littérature coloniale, puisque les écrivains ont tenté de fonder une nouvelle littérature «algérienne». Bien sûr, c’est un grave problème étant donné que les autochtones y étaient marginalisés.
    Les écrivains algériens voulaient toujours écrire leur vécu en Algérie. Ce désir de décrire son propre pays a fait naître la littérature. Lisez la préface du Fils du pauvre, un modeste souhait d’écrire y est exprimé. Comme ça, les romans réalistes sont nés. Et, enfin, Kateb vint. Il est aussi dans cette tradition mimétique, mais ce qu’il voulait achever n’est pas d’écrire quelques fragments de l’Algérie contemporaine. Nedjma est une tentative de saisir l’Algérie par sa totalité historique. Parmi les épisodes des quatre jeunes protagonistes, Kateb nous rappelle beaucoup de traces historiques (les cavaliers numides, le fondateur de la tribu des Keblouti...).
    Ce n’est pas un roman réaliste, mais ce n’est pas un roman irréel ou surréel, non plus. C’est un roman tissé par la poésie, et ce langage poétique est le seul moyen de réaliser une Algérie passée, présente et même future à la fois. Nedjma est donc une écriture en mouvement, et ce dynamisme ne cesse de se renforcer par la structure en cercle du roman. L’Algérie y est toujours «en chantier», et Nedjma est projetée vers «l’avenir».

    Vous vous intéressez à d’autres écrivains algériens. Vous vous êtes rendu en Kabylie, au village natal de Mouloud Feraoun à Tizi Hibel. Un mot sur ce romancier?
    Feraoun est pour moi le romancier maghrébin le plus aimable. J’adore ses romans qui me guident dans la vie kabyle quotidienne. Mais je pense qu’il est injustement sous-estimé par les critiques littéraires. Il est le romancier maghrébin le plus lu et le plus aimé.
    Parce que facile à lire. Oui, Le Fils du pauvre est un simple roman réaliste linéaire. Quelques critiques accusent Feraoun de son manque de nationalisme, conscience politique, etc. Ils disent que ce n’est qu’un roman «ethnographique». Mais pourquoi? Ce n’est pas bon, un roman ethnographique? De plus, il n’est pas un homme apprivoisé. Au fond de ses écrits charmants, les lecteurs trouvent la force de son esprit avec générosité et tolérance. C’est aussi un homme indomptable comme Kateb.
    Je crois que les critiques doivent trouver un nouveau langage pour raconter Feraoun et son originalité. Par exemple, je trouve beaucoup de phrases apparemment figées dans les romans. N’est-ce pas des proverbes kabyles? Vraiment dommage que je ne connaisse pas la langue kabyle. Cette oralité textuelle, me semble-t-il, donne une singularité au son d’écriture. Je ferai, à cet égard, une comparaison stylistique entre Feraoun et Kateb dans ma thèse.

    Quels sont les romanciers algériens qui vous ont marqué?
    Bon, j’ai déjà trop parlé de Kateb et de Feraoun. Récemment, je m’intéresse beaucoup à Rabah Belamri. Peut-être son lyrisme avec une ardeur cachée me marque.

    Quels sont les romans algériens traduits en japonais et qu’on peut trouver dans les librairies de votre pays?
    Il y a presque trente ans, dans le courant du mouvement tiers-mondiste Asie-Afrique, une collection de la littérature arabe moderne a été publiée avec la collaboration de plusieurs intellectuels japonais (chercheurs, traducteurs, écrivains...). Un été africain (Mohamed Dib), L’opium et le bâton (Mouloud Mammeri) et La Statue de sel (Albert Memmi) ont été traduits.
    Ces livres sont maintenant disponibles dans plusieurs bibliothèques universitaires et municipales. Plus tard, Nedjma et La Répudiation ont été traduits, et plusieurs romans de Tahar Ben Jelloun aussi. Récemment, une autobiographie de Fadhma Amrouche et deux romans de Yasmina Khadra ont été traduits.
    Pour la critique littéraire, Camus, Alger de Christiane Chaulet Achour vient d’être traduit.

    Le Japon a eu deux prix Nobel de littérature et accorde une grande importance à la littérature. Parlez-nous-en...
    Ces deux écrivains prix Nobel se font contraste au niveau esthétique et stylistique. Le premier, Yasunari Kawabata (1899-1972), a été nourri de la tradition littéraire classique représentée par Le dit de Genji du XIe siècle. Son discours à la remise du prix Nobel s’intitulait Moi, d’un beau Japon. Par contre, le deuxième prix Nobel japonais, Kenzabur (né en 1935), est un intellectuel militant et ses oeuvres sont assez iconoclastes. Son discours s’intitulait Moi, d’un Japon ambigu.
    Il y a quelques revues littéraires au Japon qui remettent des prix (par exemple le prix Akutagawa est considéré comme étant l’équivalent du Goncourt), mais comme dans les autres pays du monde, les jeunes lisent de moins en moins la littérature.
    Malgré la commercialisation de la littérature, il existe quand même quelques écrivains de qualité supportés par les jeunes, comme Banana Yoshimoto et Haruki Murakami. Ils ont créé de nouvelles écritures.

    Des universitaires et des chercheurs japonais travaillent sur l’Algérie, pouvez-vous nous en parler?
    Pas beaucoup, malheureusement. Mais je crois que ce pays de singularité pourra, de plus en plus, attirer des chercheurs japonais. Auparavant, il y a eu de nombreux Japonais qui ont connu l’Algérie à travers la guerre de Libération.
    Quelques chercheurs précurseurs ont réalisé des recherches dans l’Algérie indépendante. Mais les années noires ont coupé les relations algéro-japonaises, et les études algériennes ont été interrompues.
    Maintenant, nous sommes en train de rétablir les relations (littéraires, universitaires) et les amitiés avec l’Algérie, et petit à petit, nous avons de jeunes spécialistes de l’Algérie. Attendons cette nouvelle génération naissante.

    - L’Expression

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