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Faire fructifier la richesse des pauvres

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  • Faire fructifier la richesse des pauvres

    Parce qu'ils sont exclus de toute légalité, quatre milliards d'individus sont condamnés à la pauvreté.

    Pour l'économiste péruvien Hernando de Soto, les pays du Sud ne se développeront qu'au prix d'une révolution juridique. A l'heure de la crise financière, son plaidoyer est plus actuel que jamais.

    Hernando de Soto : "Il faut faire fructifier la richesse des pauvres"
    LE MONDE 2 | 07.11.08 | 17h53 • Mis à jour le 07.11.08 | 18h12

    "Les pauvres ne sont pas le problème, ils sont la solution", écrit Hernando de Soto dans son ouvrage devenu un classique, Le Mystère du capital (Flammarion, 2005).

    Les pays du Sud regorgent de commerçants, de vendeurs, d'entrepreneurs. Qu'est-ce qui les empêche, demande l'économiste péruvien, de se développer, de faire fructifier leur capital, leurs talents ?
    Après des années d'études de terrain, Hernando de Soto pense connaître la réponse.
    Dans les pays pauvres, les trois quarts des habitants n'existent pas légalement. Ils ne possèdent pas d'extrait de naissance, de titre de propriété pour leur maison. Leurs entreprises, leurs commerces tournent sans responsabilité juridique, sans vraie comptabilité, les contrats se font à l'amiable.
    Les pauvres sont illégaux dans notre monde, voilà le problème. Plus exactement "extra—légaux". Ils ne peuvent passer contrat avec le centre-ville, encore moins entrer dans l'économie mondialisée. Leurs richesses constituent un immense "capital mort". Ainsi, le capital immobilier extralégal des pays émergents et de l'ancien bloc communiste représenterait 9 300 milliards de dollars – deux fois la masse monétaire en circulation aux Etats-Unis.

    Depuis 2008, la moitié de l'humanité vit en ville

    "Les pauvres sont plus riches qu'on ne le croit", affirme Hernando de Soto. Voilà pourquoi il se démène depuis des années pour lancer la "révolution juridique", qui donne droits et titres de propriété aux extralégaux des villes, aux paysans pauvres. Pour ce faire, il a fondé dès 1980 un think tank, l'Institut pour la liberté et la démocratie (ILD).
    Il commence à être entendu. L'ONU a soutenu la Commission pour la démarginalisation des pauvres par le droit qu'il a coprésidée, de 2005 à 2008, avec l'ancienne secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright.

    Entretien sur la crise actuelle avec un économiste du Sud, étonné que l'Occident ait pu à ce point oublier la réalité, et renier les fondements juridiques du capitalisme.

    Comment analysez-vous la crise du capitalisme financier depuis l'Amérique latine – depuis Lima ?

    Nous savons bien, dans les pays du Sud, qu'on peut gonfler une économie avec de l'argent sans parvenir à générer pour autant du capital. Or c'est ce que vous avez fait ! Vous avez séparé la finance du système de propriétés et de biens solidement établis.
    Vous avez décidé, emportés par la folie de l'argent, de créer une bulle séparée du champ de la logique. La preuve en est que, quand l'Etat américain a renfloué la compagnie d'assurances AIG et lui a demandé de quantifier ce dont elle disposait en capital, elle n'a pas pu répondre. Voyez encore comment les banques suisses, non seulement refusent de dire la vérité sur l'état de leur dette, mais ne peuvent pas en faire l'inventaire.
    Elles ne retrouvent plus les traces de ces transactions, sont incapables d'en fixer les valeurs, ne disposent même pas d'un registre central. Vous êtes sortis de la réalité !

    Comment analysez-vous les interventions massives des Etats occidentaux pour sauver les banques d'une banqueroute financière ?

    Tous les refinancements colossaux en cours pour vous sortir de cette bulle ne régleront qu'une partie du problème. En France on appelle ça, je crois, traiter "la conjoncture"… La conjoncture actuelle, c'est que vous recapitalisez les institutions financières à toute vitesse, de manière à faire garantir leur capital par la puissance publique.
    Mais contrôlez-vous vraiment les banques ?
    Etes-vous capables de revenir à des régulations qui fondent le capital sur des titres de propriété et des registres de biens crédibles, sans laisser la spéculation se détacher des valeurs admises ? Le capitalisme financier ne va-t-il pas repartir comme avant, détaché de l'économie réelle ?
    L'affaire de la Caisse d'épargne qui continue à spéculer en pleine crise, ça aussi, c'est la conjoncture.

    La question fondamentale reste la manière dont vous allez redéfinir le capitalisme et les règles du marché. Depuis 1929, selon moi, toutes vos récessions résultent de l'effondrement des écrits et registres qui représentaient la valeur des biens et des propriétés. La propriété, ce n'est pas seulement jouir d'un bien, ça c'est l'idéologie "petite-bourgeoise".

    Elle est avant tout un système de droits et de devoirs. Quand le capitalisme a établi des registres fonciers, immobiliers, vous avez pu contrôler vos élites, évaluer ce qu'elles possédaient, les taxer en conséquence, vous assurer qu'elles n'avaient pas abusé. Tant que vous possédiez des registres fiables des valeurs, vous gardiez le contrôle.
    Aujourd'hui, le capitalisme financier l'a perdu, vos banques ne savent plus ce qu'elles possèdent, vos papiers ne reflètent plus la réalité, toute l'information devient fausse, "asymétrique", comme l'a dit l'économiste Joseph Stiglitz. S'agissant du système financier, vous vous retrouvez dans la situation exacte des pays du Sud pour tout leur système économique. Nous non plus, nous ne connaissons pas la vraie valeur de nos biens, ignorons de quelles richesses nous disposons, sommes incapables de les garantir. Voilà pourquoi les pays du Sud ne se développent pas, ou si peu. Voilà pourquoi l'immense majorité de leur population vit petitement, en crise permanente, en dehors des règles de l'économie mondiale.

    Pourquoi dites-vous que l'Occident n'a pas été jusqu'au bout de sa révolution économique et juridique ?

    L'apport décisif de l'Occident à l'humanité fut la création d'un système sophistiqué de propriété et de droit, un système de représentation accepté par tous permettant de fixer la valeur des biens que possède toute personne, riche ou pauvre.
    Le capitalisme établit des "titres de propriété", des documents légaux, si bien qu'un terrain, une maison, des machines, des stocks se transforment en capital, c'est-à-dire un système d'information fiable permettant de faire des affaires, du commerce. Au milieu du XVIIIe siècle, l'Occident a détruit l'ancien système où les privilèges, les propriétés, les richesses étaient aux mains des élites. Il a établi un système de propriété, de droits et de papiers et l'a rendu en principe accessible à tous, aux riches comme aux pauvres.

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  • #2
    Suite 1

    Le capitalisme rend plusieurs services essentiels. Il établit les responsabilités de chacun. Il rend toute propriété fongible, ce qui permet de la diviser sans l'affecter. Il installe un droit des transactions. Il intègre les informations dispersées. Il installe la confiance et garantit les dettes. Il permet de développer l'activité économique de manière rationnelle, reconnue par tous, ce qui fait qu'il irrigue toute la société, descendant jusqu'au niveau de l'initiative individuelle, au niveau des pauvres.
    La mondialisation des échanges a pu se faire parce que votre système de droit et de propriété permet de garder la trace tangible des valeurs. De part et d'autre d'un océan, vous pouvez échanger des biens avec nous sans même voir votre acheteur ou votre vendeur.
    C'est ce qui a rendu possible l'expansion du marché, et permet à un Parisien d'acheter des chaussures chinoises ou des ordinateurs fabriqués en Inde sans même les voir, parce que tout ceci est tracé, fiable. Mais avec le capital financier, vous avez perdu votre système de pistage des valeurs. Vous avez oublié ce qui fait le fondement même du capitalisme : rendre la valeur lisible par tous, l'établir par un droit de propriété. Tout ce qui nous fait tant défaut au Sud.

    Vous expliquez, dans Le Mystère du capital, que le capitalisme a réussi au Nord et entraîné des désastres dans les pays du Sud. Comment en sommes-nous arrivés là ?

    Le problème, c'est que vous avez colonisé le monde ! Pendant cette période, vous avez certainement beaucoup donné aux pays conquis, peut-être des crédits, peut-être des leçons, sans doute beaucoup de prêtres et de missionnaires, mais jamais l'essentiel : un système juridique de propriété qui aurait permis à tous les habitants de nos pays de participer à l'activité économique.
    Aujourd'hui encore, la mondialisation se déroule entre l'Occident et une minorité d'acteurs économiques des pays émergents, ceux qui ont la formation nécessaire et les moyens pour consulter les juristes spécialisés, —établir légalement leurs registres, négocier avec les décideurs, développer leurs activités au niveau mondial. Pendant ce temps, l'immense majorité des habitants du Sud les regardent, très énervés, vivant dans une économie informelle bien incapable de s'intégrer au capitalisme mondial.

    Nous nous retrouvons aujourd'hui avec un capitalisme qui fonctionne comme un club privé, une "cloche de verre" ouverte à un petit nombre de privilégiés, mené par des Occidentaux dont l'appétit et l'irréalisme, ou l'inconscience, ont mené le monde à la crise générale. Cet apartheid économique se poursuivra tant que les politiques des pays émergents ne s'attaqueront pas aux défauts majeurs des systèmes juridiques des biens à l'intérieur même des pays du Sud. Mon combat…

    Ressources, entrepreneurs et hommes d'affaires compétents ne manquent pourtant pas dans les pays émergents. Alors que se passe-t-il ?

    Impossible de visiter un souk au Moyen-Orient, de traverser un village d'Amérique latine sans être —sollicité par des vendeurs, des commerçants. Jésus lui-même a dû expulser les marchands du Temple voici deux mille ans. Quant au dieu hindou Ganesh, il protège le commerce depuis cinq mille ans. Les gens de ces pays ont certainement autant la bosse du commerce que les Occidentaux.
    Alors pourquoi sont-ils pauvres et vous riches ? Sept enfants sur dix nés dans les pays pauvres n'ont pas de certificat de naissance, ni de documents d'enregistrement. Devenus adultes, ils vivent dans des maisons, vendent leur travail et ouvrent des commerces sans papiers officiels ni recours possible. Très souvent, les lois officielles sont trop compliquées à comprendre, ou rédigées dans des langues qu'ils ignorent.
    En Inde, on compte 11 magistrats pour 1 million de personnes, plus de 20 millions d'affaires sont en cours, il faut plus de vingt ans à certaines affaires civiles pour être jugées. Il n'existe pas dans ces pays de droits de propriété à la fois individuels et collectifs, de droit du travail, et le droit coutumier n'est pas reconnu.

    Aujourd'hui, au Pérou, pour obtenir des documents légalisant une petite entreprise de deux machines à coudre, il faut passer jusqu'à 300 jours, 6 heures quotidiennement, pour obtenir des écrits fiables. Trop souvent, dans les campagnes, les paysans divisent leurs terres en autant de parcelles qu'il y a d'héritiers, cela à chaque génération, jusqu'à ne plus posséder qu'un lopin improductif.
    Des études ont montré que les pertes techniques et financières des services publics du Sud, additionnées aux fraudes, représentent entre 30 % et 50 % des volumes traités. Ajoutez que les banques prêtent à seulement 20 % ou 30 % de la population en Amérique latine, 2 % en Afrique subsaharienne. Comment voulez-vous, en l'absence de tels outils, que les citoyens ordinaires, comme les entrepreneurs et les commerçants, comptent sur l'Etat, développent leur capital, le valorisent, l'échangent contre un autre bien à l'autre bout du pays ou sur le marché international ?

    Pourtant, une intense activité économique, en partie informelle, extralégale, se développe dans tous ces pays, surtout dans les villes…

    En 2015, plus de cinquante villes des pays en voie de développement compteront au moins 5 millions d'habitants. La plupart de ces gens vivront et travailleront dans l'extralégalité.
    Il suffit de traverser n'importe quelle mégapole pour découvrir de nombreux bureaux de change, boutiques, restaurants, taxis, services extralégaux. Des quartiers entiers ont été achetés et construits en marge ou en violation des services publics par des entreprises extralégales.
    Sur 100 maisons construites au Pérou, 30 seulement possèdent un contrat municipal. D'après nos études menées dans toute l'Amérique latine, 6 immeubles sur 8 relèvent du secteur extralégal, 80 % de l'immobilier sont détenus en dehors de la loi. Nous estimons que, selon les pays, 50 % à 75 % des travailleurs d'Amérique latine appartiennent à des secteurs extralégaux.

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      Au Mexique, 28 % à 39 % du PIB du pays dépendaient du secteur informel en 1987. Au Brésil, le locatif légal représente 3 % des constructions ; l'essentiel de ce marché s'est déplacé vers les quartiers pauvres et les favelas, où les loyers sont bien souvent payés en argent liquide.
      En Amazonie, 10 % seulement des terres sont couvertes par des titres de propriété. L'industrie du bâtiment a progressé sur le papier de 0,1 % en 1995, et la fabrication du ciment de 20 % en un semestre. Pourquoi cette différence ? 60 % à 70 % des constructions n'ont aucune visibilité légale. Elles ne peuvent même pas être utilisées comme adresse, encore moins comme capital. Ce sont des richesses perdues, hors juridiction. Le droit n'est pas seulement l'ordre qui sous-tend l'activité économique et démocratique, c'est d'abord un système d'information fiable qui garantit l'existence et les biens d'une personne.

      Cette extralégalité est-elle destinée à durer ?

      La survie de milliards d'hommes passe par là.
      Aujourd'hui, les deux tiers de la population mondiale n'ont pas d'autre choix que de vivre hors la loi.
      Bien sûr, l'extralégalité reste étroitement associée à la misère. A Bombay, des millions d'habitants vivent dans des baraques d'une seule pièce et des bidonvilles. Mais même dans les favelas, ils voudraient avoir un titre de propriété, pour résister à l'urbanisation, aux expulsions, posséder un toit…
      Les Occidentaux, comme les élites occidentalisées de nos pays, ne comprennent pas que les problèmes insurmontables rencontrés à vouloir gouverner en Afghanistan, en Irak, comme hier au Vietnam, ou en Amérique latine dans la lutte contre la drogue, viennent de ce que les habitants de ces pays n'ont aucun lien légal avec la terre.
      Ils ne peuvent pas être localisés, que ce soit pour financer un crédit, fonder une entreprise légale, recevoir de l'assistance technique ou encore être identifiés par la police. Cette légalité se retrouve organisée par les chefs de tribu, les mafias, les guérillas ou même les terroristes qui, eux, protègent les actifs des plus pauvres. En voulant régner sans comprendre qu'aucun système juridique équivalent au vôtre n'existe chez ces populations, les avantages juridiques de l'Occident restent inopérants.

      Vous écrivez cependant que l'extralégalité poursuit rarement un but antisocial. Comment cela ?

      La délinquance, ici, c'est de fabriquer sa maison, fournir un service familial, lancer une petite entreprise, croire à la parole donnée plutôt qu'à un titre signé.
      Les extralégaux désirent, comme tout le monde, mener une vie paisible et active. Alors ils se débrouillent, s'appuient sur des coutumes, inventent des règles collectives, des transactions arrangées. Ils se regroupent en syndicats pour fixer les salaires, en fédérations de métiers, en coopératives, en associations de locataires. Ils inventent des papiers, des écrits pour garantir les sous-locations, les baux non reconnus, les squats, les propriétés.
      Tout ce secteur informel est inutilisable en termes de légalité et reste improductif pour l'économie formelle. C'est là sa faiblesse chronique. Si vous voulez, les pays en voie de développement vivent une crise des "subprimes" permanente !

      Il m'a fallu des années pour comprendre en quoi le point de vue du Sud peut aider le Nord. Nous vous regardons du dehors et pouvons analyser votre système dans ses effets réels, sans être aveuglés.
      Michel Foucault disait que pour comprendre la santé mentale, vous devez comprendre la folie.
      Le seul avantage de vivre dans un pays émergent où les droits, les libertés et les responsabilités ne sont pas respectés est d'apprécier comment vivent ceux qui les ont acquis.
      Le plus intéressant, dans la crise financière actuelle, c'est que l'Occident a commencé à nous ressembler !
      Vous vous êtes engagés dans un système informel qui ne permet plus d'identifier les volumes des transactions, les valeurs réelles des choses. Vous avez oublié le socle, les échafaudages de votre système.

      Vous parlez d'un immense "capital mort" dans les pays en voie de développement. Que voulez-vous dire ?

      Des montagnes virtuelles de capital mort sont déposées dans ces pays. Ces quinze dernières années, les analystes de l'Institut pour la démocratie et la liberté (IDL), secondés par des spécialistes locaux, ont étudié la situation de l'immobilier dans cinq grandes villes du Sud : Le Caire, Lima, Manille, Mexico, Port-au-Prince.
      Nous avons passé des milliers de jours à compter les immeubles, les maisons, les bicoques, rue par rue, à établir leur valeur, nous avons publié les résultats localement pour être critiqués, renseignés. Nous avons découvert que les manières de construire dans le secteur extralégal sont aussi nombreuses que les manières de contourner la légalité. A Manille, on construit des logements sur des terrains réservés à l'usage industriel.
      Au Caire, on surélève de plusieurs étages des immeubles publics sans prévenir la mairie.
      A Port-au-Prince, les propriétés changent de mains sans que les services d'enregistrement le sachent. Partout, les bidonvilles se développent sur des terrains réservés ou publics. Aux Philippines, 57 % des citadins et 67 % des campagnards, au Pérou respectivement 53 % et 80 %, vivent dans des logements qui sont du capital mort. Aucun document légal ne les garantit. A Haïti, 67 % des citadins et 96 % des paysans ne possèdent pas de titre de propriété. En Egypte, ce sont 90 % des citadins.

      La plupart de ces logements ne représentent pas grand-chose selon les critères occidentaux : 500 dollars un baraquement de Port-au-Prince, 2 700 dollars une cabane de Manille, 5 000 dollars une maison dans la banlieue du Caire, 20 000 dollars un bungalow respectable sur une colline de Lima. Cependant, si vous additionnez toutes ces valeurs, qui sont aussi nombreuses que les pauvres, vous obtenez des sommes considérables. C'est le capital mort des pays du Sud.
      Nos calculs montrent qu'il dépasse plusieurs fois toute l'aide internationale à ces pays, tous vos investissements privés depuis la seconde guerre mondiale. Ou encore au moins vingt fois les sommes que Henry Paulson [le secrétaire au trésor des Etats-Unis] a investies pour aider les banques américaines !

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      • #4
        Suite 4

        Vous écrivez que les pauvres sont beaucoup plus riches qu'on ne le croit généralement. C'est-à-dire ?

        Au Pérou, la valeur des biens extralégaux urbains a été estimée à 74 milliards de dollars. C'est cinq fois la capitalisation totale de la bourse de Lima avant le krach financier de 1998, quatorze fois la valeur de l'ensemble des investissements étrangers directs effectués dans le pays pendant toute son histoire.
        A Haïti, la valeur totale des biens appartenant aux pauvres est 150 fois supérieure à la totalité des investissements étrangers reçus dans l'île depuis 1904.
        En Egypte, la richesse des pauvres représente 55 fois la valeur investie par les pays riches, barrage d'Assouan et canal de Suez compris.
        Aux Philippines, l'immobilier extralégal atteint 133 milliards de dollars, soit quatre fois la capitalisation des 216 entreprises du pays cotées en Bourse, sept fois le montant total des dépôts gérés par les banques.
        D'après nos évaluations, la valeur totale de l'immobilier détenu par les pauvres dans les pays du Sud et de l'ancien bloc communiste, sans leur appartenir légalement, représente 9 300 milliards de dollars, c'est-à-dire à peu près deux fois la masse monétaire en circulation aux Etats-Unis.

        Partout, l'intelligence entrepreneuriale des pauvres, comme la somme de leurs biens, constituent une richesse colossale qu'il faut désormais contribuer à faire fructifier au service du développement.
        Elle représente plusieurs fois le montant total de l'aide accordée par les pays développés et des prêts accordés par la Banque mondiale.
        Les pauvres ne sont pas le problème, ils sont la solution – à condition qu'ils puissent mobiliser leur capital.


        Quelles formes prennent vos actions pour développer ce travail de légalisation, recensement, valorisation du capital des pauvres autour du monde ?

        L'IDL a été contacté par trente-cinq chefs d'Etat. Nous travaillons maintenant au-delà de l'Amérique latine, en Egypte, en Tanzanie, en Ethiopie, et commençons en Syrie, en Libye. A la fin de l'année prochaine, nous espérons aider plus de dix pays de l'Afrique subsaharienne.
        C'est difficile. Parfois, il serait préférable que le système légal s'adapte au monde extralégal. Parfois, il faut légaliser les biens existants. Nous sommes écoutés en Chine, où le gouvernement met en place un nouveau système de capitalisme "léger". En Russie, sous l'impulsion du président Poutine, certaines réformes visant à légaliser les propriétés informelles ont commencé. La première d'entre elles concerne 400 000 datchas. Nous avançons…

        J'ai dirigé avec Madeleine Albright, l'ancienne secrétaire d'Etat américaine, la Commission pour la démarginalisation des pauvres par le droit qui a travaillé de 2005 à juillet 2008 à l'ONU. Elle était composée de gens extraordinaires, les anciens présidents de l'Irlande, du Mexique, de la Tanzanie, de Gordon Brown, le premier ministre britannique, de Larry Summers, le probable futur secrétaire au trésor de Barack Obama, ou encore du juge Anthony Kennedy de la Cour suprême des Etats-Unis. A ce moment précis, à notre initiative, vingt pays veulent faire voter une résolution à l'Assemblée générale des Nations unies pour renforcer l'article 17 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : "Toute personne a droit à la propriété".

        Aujourd'hui, 4 milliards d'individus, soit la majorité de la population mondiale, sont privés de l'opportunité d'améliorer leur vie parce qu'ils sont exclus de l'Etat de droit.
        Ce n'est plus acceptable. Je crois que la crise —financière va entraîner des effets dévastateurs pour —l'économie réelle.
        J'ai peur qu'elle n'entraîne, comme après 1929, une montée des solutions autoritaires, du fascisme, des hommes forts, des chefs religieux.
        Je crois qu'elle va nous obliger à repenser la mondialisation. Elle vient nous rappeler où sont les véritables forces économiques, d'où procèdent les échecs récents.
        Il est temps de comprendre combien la crise actuelle provient en grande partie de la pauvreté chronique de plus de la moitié du monde, qui vit hors de l'économie —globale.

        Frédéric Joignot
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        Irène Fatima Zohra.

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