Cette matière noire reste insaisissable depuis trente ans. Pourtant, elle remplit l'univers à 90 %. Vera Rubin, qui prédit son existence en 1975, s'impatiente. Normal, cette pionnière de l'astronomie a déjà 80 ans...
Ils sont des milliers de chercheurs à piaffer d'impatience après les premiers tours de piste réussis du LHC, le super-accélérateur du CERN. Chacun se dispute ce « casse-protons » géant pour accélérer ses travaux. En particulier, tous ceux qui courent après l'une des plus grandes énigmes astronomiques depuis trois décennies, celle de la nature de la matière noire. Celle-ci plomberait tout le cosmos, envahirait même nos corps, mais résiste désespérément à toute tentative d'identification. A rendre fou n'importe quel astrophysicien.
C'est une des premières femmes astronomes qui dévoila la première son existence, au milieu des années 70. Si le corps a pris quelques rides, le cerveau de Vera Rubin reste une machine redoutable. A 80 ans, cette mamie astronome ne décroche pas sa tête des étoiles. Couverte de récompenses, elle continue à se rendre à son bureau de l'institut Carnegie de Washington. A 14 ans, elle construisait son premier télescope. A 22 ans, mère d'un bébé de 1 mois, elle défrayait déjà la chronique en émettant l'hypothèse d'un univers en rotation autour d'un axe. Par la suite, elle affirma que les galaxies n'étaient pas disposées au hasard dans le cosmos, mais s'aggloméraient en grumeaux. Il a fallu quinze ans pour qu'on lui donne raison.
Depuis l'enfance, elle est fascinée par le mouvement des étoiles dans le ciel ; aussi quand Kent Ford inventa, dans les années 70, le spectrographe amplifiant la lumière des étoiles, elle s'en servit pour mesurer la vitesse de rotation des galaxies en spirale. A son immense surprise, elle constata que la branche extérieure des galaxies tournait aussi vite que la partie centrale. Elle multiplia les observations et force lui fut de constater que toutes les galaxies se comportaient de même. Or c'est absolument contraire aux lois de la gravitation de Newton, qui affirment qu'avec la distance la force de gravitation s'affaiblit, entraînant un ralentissement de la vitesse de rotation. Pour trouver une raison sensée à ce mystère galactique, Vera fit appel à la matière noire. Elle imagina que chaque galaxie est au coeur d'un gigantesque cocon de particules invisibles dix fois plus lourd qu'elle. Du coup, toutes les étoiles, malgré leur éloignement mutuel, sont logées à la même enseigne, au sein d'une structure immense, ce qui leur fait subir quasiment la même force de gravitation. Voilà l'explication de la vitesse de rotation identique.
En 1975, les travaux de l'astronome américaine furent accueillis avec scepticisme, mais très vite la communauté scientifique dut rendre les armes devant l'accumulation des preuves. En l'an 2000, le Français Yannick Mellier dresse même une carte du ciel de la matière noire. Rubin triomphe, mais n'oublie pas de rendre hommage à l'astronome Fritz Zwicky, qui, dans les années 30, fut le premier à évoquer une matière manquante.
A l'époque, personne ne l'avait pris au sérieux.
Quelle peut être la nature de cette étrange matière qui n'émet ni lumière détectable ni ondes électromagnétiques décelables, mais dont la gravité est bien présente ? Une chasse mondiale à la matière noire s'organise vite. Cette quête devient celle du Saint-Graal de l'astronomie et de la physique des particules. « En 1980, j'ai dit que les physiciens des particules nous répondraient dans les dix ans à venir », commente aujourd'hui Vera Rubin. Trente ans plus tard, le mystère règne toujours. Les astrophysiciens ont commencé par fouiner du côté de la matière ordinaire, en se disant que cette matière invisible pouvait être constituée d'astres compacts trop peu lumineux pour être détectés. Ces Macho (massive compact halo objects) sont incarnés par les étoiles miniatures (naines brunes et blanches), les trous noirs et les étoiles à neutrons. On se mit donc à les dénombrer, mais le total se révéla au bout du compte décevant. A tout casser, ces Macho ne pouvaient représenter que 10 % de la masse noire.
Des particules exotiques.
De même, les gaz présents voguant dans le vide interstellaire pèsent trop peu lourd dans la balance céleste. Dernier espoir : la piste des particules exotiques faites d'une matière tout autre que celle des atomes. Il en existe une kyrielle. Pour matérialiser la matière noire, on pensa d'abord au neutrino, parce qu'il interagit très peu avec les atomes ordinaires. Mais sa masse trop faible le fit vite écarter. De nombreux autres candidats furent à leur tour rejetés. Aujourd'hui, le WIMP (particule massive interagissant faiblement) tient la corde. Il est traqué par de nombreuses équipes dans le monde. Comme il est impensable de l'observer directement, les chercheurs tentent de détecter l'émission de lumière et l'élévation de température provoquées lors d'un coup de boule du WIMP à un atome ordinaire. Il leur faut pour cela s'enterrer comme des taupes afin de se mettre à l'abri de toute perturbation cosmique. C'est ainsi que le CEA (Commissariat à l'énergie atomique) a installé son laboratoire dans le tunnel de Modane, où il poursuit son programme, nommé *********. Des pièges à WIMP sont également installés sous l'eau et même sous la banquise. Pour l'instant, la pêche se révèle infructueuse. Rien de véritablement convaincant n'a pu être produit par les chercheurs.
D'où l'idée de l'Américain Jonathan Feng, de l'université de Californie, à Irving, d'utiliser les accélérateurs de particules pour, cette fois, produire de la matière noire. En particulier, le LHC du CERN. En tapant comme un sourd sur le pauvre proton pour le faire exploser, cet accélérateur est censé reproduire les conditions initiales du big bang d'où jaillit, entre autres, la matière noire. Pas bête. Mais pas d'emballement, il ne faut pas attendre de résultats concrets avant plusieurs années. Du reste, la victoire n'est pas assurée à cent pour cent. Certains théoriciens spéculent que les particules recherchées pourraient se planquer dans des caches secrètes de l'Univers et même dans d'autres dimensions. Allez savoir.
Revoir les lois de Newton.
Poussant le bouchon galactique encore un peu plus loin, deux astrophysiciens clament haut et fort que les particules incarnant la matière noire, quelles qu'elles soient, échapperaient aux lois de Newton sur la gravitation. Une hérésie ! Mais Jean-Michel Alimi, directeur du laboratoire de l'univers de l'observatoire de Meudon, et André Füzfa, de l'université de Namur, n'en ont cure. Mieux, ils pensent que leur théorie AWE (abnormally weighting energy) est capable d'expliquer l'expansion de l'univers sans avoir besoin d'énergie noire, une autre énigme astronomique. S'ils devaient avoir raison, ce serait un véritable séisme. Reste à découvrir leur fameuse particule. Un détail... fondamental. Alimi et Füzfa misent eux aussi sur le LHC.
Hypothèse encore plus démentielle : et si la matière noire n'existait pas ! Et si Vera Rubin avait fait fausse route ? Il faut se rappeler qu'elle l'a inventée pour que ses observations collent avec les lois de Newton. Deux astrophysiciens israéliens, Mordehai Milgrom et Jacob Bekenstein, croient dur comme fer qu'il faut tout simplement revoir les lois de Newton pour la matière ordinaire. A très grande distance, la force de gravitation diminuerait moins que prévu. Et donc, il est normal de voir les étoiles extérieures tourner vite. Mais leur théorie MOND ( modified newtonian dynamics ) reste encore très contestée, faute de pouvoir coller avec d'autres observations astronomiques.
Du haut de ses 80 ans, Vera assiste à toutes ces batailles théoriques avec amusement. Pour autant, elle aimerait enfin connaître le fin mot de l'histoire avant de disparaître dans le cosmos. En attendant, elle poursuit ses propres travaux sur le mouvement des étoiles.
- Le Point
Ils sont des milliers de chercheurs à piaffer d'impatience après les premiers tours de piste réussis du LHC, le super-accélérateur du CERN. Chacun se dispute ce « casse-protons » géant pour accélérer ses travaux. En particulier, tous ceux qui courent après l'une des plus grandes énigmes astronomiques depuis trois décennies, celle de la nature de la matière noire. Celle-ci plomberait tout le cosmos, envahirait même nos corps, mais résiste désespérément à toute tentative d'identification. A rendre fou n'importe quel astrophysicien.
C'est une des premières femmes astronomes qui dévoila la première son existence, au milieu des années 70. Si le corps a pris quelques rides, le cerveau de Vera Rubin reste une machine redoutable. A 80 ans, cette mamie astronome ne décroche pas sa tête des étoiles. Couverte de récompenses, elle continue à se rendre à son bureau de l'institut Carnegie de Washington. A 14 ans, elle construisait son premier télescope. A 22 ans, mère d'un bébé de 1 mois, elle défrayait déjà la chronique en émettant l'hypothèse d'un univers en rotation autour d'un axe. Par la suite, elle affirma que les galaxies n'étaient pas disposées au hasard dans le cosmos, mais s'aggloméraient en grumeaux. Il a fallu quinze ans pour qu'on lui donne raison.
Depuis l'enfance, elle est fascinée par le mouvement des étoiles dans le ciel ; aussi quand Kent Ford inventa, dans les années 70, le spectrographe amplifiant la lumière des étoiles, elle s'en servit pour mesurer la vitesse de rotation des galaxies en spirale. A son immense surprise, elle constata que la branche extérieure des galaxies tournait aussi vite que la partie centrale. Elle multiplia les observations et force lui fut de constater que toutes les galaxies se comportaient de même. Or c'est absolument contraire aux lois de la gravitation de Newton, qui affirment qu'avec la distance la force de gravitation s'affaiblit, entraînant un ralentissement de la vitesse de rotation. Pour trouver une raison sensée à ce mystère galactique, Vera fit appel à la matière noire. Elle imagina que chaque galaxie est au coeur d'un gigantesque cocon de particules invisibles dix fois plus lourd qu'elle. Du coup, toutes les étoiles, malgré leur éloignement mutuel, sont logées à la même enseigne, au sein d'une structure immense, ce qui leur fait subir quasiment la même force de gravitation. Voilà l'explication de la vitesse de rotation identique.
En 1975, les travaux de l'astronome américaine furent accueillis avec scepticisme, mais très vite la communauté scientifique dut rendre les armes devant l'accumulation des preuves. En l'an 2000, le Français Yannick Mellier dresse même une carte du ciel de la matière noire. Rubin triomphe, mais n'oublie pas de rendre hommage à l'astronome Fritz Zwicky, qui, dans les années 30, fut le premier à évoquer une matière manquante.
A l'époque, personne ne l'avait pris au sérieux.
Quelle peut être la nature de cette étrange matière qui n'émet ni lumière détectable ni ondes électromagnétiques décelables, mais dont la gravité est bien présente ? Une chasse mondiale à la matière noire s'organise vite. Cette quête devient celle du Saint-Graal de l'astronomie et de la physique des particules. « En 1980, j'ai dit que les physiciens des particules nous répondraient dans les dix ans à venir », commente aujourd'hui Vera Rubin. Trente ans plus tard, le mystère règne toujours. Les astrophysiciens ont commencé par fouiner du côté de la matière ordinaire, en se disant que cette matière invisible pouvait être constituée d'astres compacts trop peu lumineux pour être détectés. Ces Macho (massive compact halo objects) sont incarnés par les étoiles miniatures (naines brunes et blanches), les trous noirs et les étoiles à neutrons. On se mit donc à les dénombrer, mais le total se révéla au bout du compte décevant. A tout casser, ces Macho ne pouvaient représenter que 10 % de la masse noire.
Des particules exotiques.
De même, les gaz présents voguant dans le vide interstellaire pèsent trop peu lourd dans la balance céleste. Dernier espoir : la piste des particules exotiques faites d'une matière tout autre que celle des atomes. Il en existe une kyrielle. Pour matérialiser la matière noire, on pensa d'abord au neutrino, parce qu'il interagit très peu avec les atomes ordinaires. Mais sa masse trop faible le fit vite écarter. De nombreux autres candidats furent à leur tour rejetés. Aujourd'hui, le WIMP (particule massive interagissant faiblement) tient la corde. Il est traqué par de nombreuses équipes dans le monde. Comme il est impensable de l'observer directement, les chercheurs tentent de détecter l'émission de lumière et l'élévation de température provoquées lors d'un coup de boule du WIMP à un atome ordinaire. Il leur faut pour cela s'enterrer comme des taupes afin de se mettre à l'abri de toute perturbation cosmique. C'est ainsi que le CEA (Commissariat à l'énergie atomique) a installé son laboratoire dans le tunnel de Modane, où il poursuit son programme, nommé *********. Des pièges à WIMP sont également installés sous l'eau et même sous la banquise. Pour l'instant, la pêche se révèle infructueuse. Rien de véritablement convaincant n'a pu être produit par les chercheurs.
D'où l'idée de l'Américain Jonathan Feng, de l'université de Californie, à Irving, d'utiliser les accélérateurs de particules pour, cette fois, produire de la matière noire. En particulier, le LHC du CERN. En tapant comme un sourd sur le pauvre proton pour le faire exploser, cet accélérateur est censé reproduire les conditions initiales du big bang d'où jaillit, entre autres, la matière noire. Pas bête. Mais pas d'emballement, il ne faut pas attendre de résultats concrets avant plusieurs années. Du reste, la victoire n'est pas assurée à cent pour cent. Certains théoriciens spéculent que les particules recherchées pourraient se planquer dans des caches secrètes de l'Univers et même dans d'autres dimensions. Allez savoir.
Revoir les lois de Newton.
Poussant le bouchon galactique encore un peu plus loin, deux astrophysiciens clament haut et fort que les particules incarnant la matière noire, quelles qu'elles soient, échapperaient aux lois de Newton sur la gravitation. Une hérésie ! Mais Jean-Michel Alimi, directeur du laboratoire de l'univers de l'observatoire de Meudon, et André Füzfa, de l'université de Namur, n'en ont cure. Mieux, ils pensent que leur théorie AWE (abnormally weighting energy) est capable d'expliquer l'expansion de l'univers sans avoir besoin d'énergie noire, une autre énigme astronomique. S'ils devaient avoir raison, ce serait un véritable séisme. Reste à découvrir leur fameuse particule. Un détail... fondamental. Alimi et Füzfa misent eux aussi sur le LHC.
Hypothèse encore plus démentielle : et si la matière noire n'existait pas ! Et si Vera Rubin avait fait fausse route ? Il faut se rappeler qu'elle l'a inventée pour que ses observations collent avec les lois de Newton. Deux astrophysiciens israéliens, Mordehai Milgrom et Jacob Bekenstein, croient dur comme fer qu'il faut tout simplement revoir les lois de Newton pour la matière ordinaire. A très grande distance, la force de gravitation diminuerait moins que prévu. Et donc, il est normal de voir les étoiles extérieures tourner vite. Mais leur théorie MOND ( modified newtonian dynamics ) reste encore très contestée, faute de pouvoir coller avec d'autres observations astronomiques.
Du haut de ses 80 ans, Vera assiste à toutes ces batailles théoriques avec amusement. Pour autant, elle aimerait enfin connaître le fin mot de l'histoire avant de disparaître dans le cosmos. En attendant, elle poursuit ses propres travaux sur le mouvement des étoiles.
- Le Point
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