Volume 2, No. 1, Article 6/7 - Janvier 2007
Par Yidir Plantade*
L'histoire de la Kabylie est émaillée de mouvements violents à forte connotation religieuse, depuis les Chrétiens donatistes du 4ème siècle jusqu'à la confrérie musulmane Rahmaniya du 19ème siècle en passant par les Kotamas chi'ites du 10ème siècle.
Pourtant, outre une pratique spécifique de l'islam, la société kabyle a développé au cours des siècles un fonctionnement institutionnel (la tajmaat) garantissant une séparation souple entre les affaires religieuses et celles de la Cité. Par ailleurs, suite à la conquête française de l'Algérie, de nombreux Kabyles ont adhéré à la vision laïque prônée par les républicains français. L'ensemble de l'élite intellectuelle, artistique et politique kabyle contemporaine forme ainsi un bloc « laïciste » atypique dans le paysage algérien, lequel freine encore aujourd'hui l'émergence d'un islam politique puissant en Kabylie.
« Le Kabyle est foncièrement laïque » entend-on répéter tant parmi les cercles kabyles appartenant à la nébuleuse militante berbériste qu'auprès de certains membres de l'intelligentsia occidentale, tout particulièrement française.
Dès la seconde moitié du 19ème siècle, la tiédeur réelle ou supposée des Kabyles envers une religion musulmane, qu'ils ont adaptée et refaçonnée pour la faire correspondre à leurs particularismes amazighs1, donne naissance à un corpus d'ouvrages coloniaux vantant et amplifiant cet aspect. Par la suite, tout au long du 20ème siècle, plusieurs figures politiques et intellectuelles kabyles ont adopté un discours dépourvu de références religieuses, ce qui est rare dans un « monde musulman » où la spiritualité est omniprésente, pour ne pas dire envahissante.
Ces dernières décennies, l'« exception kabyle » semble se confirmer : lors des consultations électorales algériennes de 1990 notamment, lesquelles ont vu le triomphe national du parti ultrareligieux FIS (Front islamique du salut), seule la Kabylie élut massivement des représentants issus de partis revendiquant plus ou moins ouvertement leur caractère laïque. Les années de guerre civile qui ont suivi ont épargné dans un premier temps la Kabylie, alors surnommée « petite Suisse d'Algérie ».
Au sein de la diaspora, tout particulièrement en France où ils représenteraient quelques 800 000 personnes, les Kabyles se démarquent du reste de l'immigration « musulmane » à travers leurs associations, les figures marquantes de leur communauté et leur attachement à la laïcité, si chère à la République française. Ainsi, la Coordination des Berbères de France2 n'omet pas de rappeler à l'occasion de chacune de ses interventions que : « de par leur organisation sociopolitique laïque pluriséculaire, les Berbères possèdent une aptitude naturelle à s'intégrer dans la République ».
Naturellement, ce discours valorise les Imazighen (pluriel d'« Amazigh »), les Kabyles en particulier, aux yeux d'une certaine élite française. Un cadre d'un grand parti du gouvernement affirmait d'ailleurs, sûr de son fait, à l'auteur de ces lignes : « les Berbères, il n y a même pas lieu d'en parler car ils sont tous très bien intégrés, ils ne posent aucun problème à la France ». Dans un style différent mais tout aussi significatif, le prolifique analyste et éditorialiste Alexandre Adler accole systématiquement l'adjectif « laïque » à l'épithète « Kabyle » dans chacune de ses interventions évoquant la Kabylie, qu'il s'agisse de la guerre d'Algérie ou des récentes émeutes de 2001-2002.
Les discours relatifs à la laïcité intrinsèque des Kabyles sont donc prégnants et communément acceptés. Cependant, en l'absence de recherches crédibles et non-partisanes qui pourraient accréditer ces propos, la prudence reste de mise. Il est nécessaire d'étudier plus en profondeur la société kabyle pour déceler la part de réalité que ces affirmations recouvrent ou, au contraire, pourraient masquer. Il est important dans un premier temps de s'interroger sur la place de l'élément religieux dans l'histoire kabyle, pour ensuite prendre en compte l'irruption du concept moderne de laïcité lors de la colonisation française, et enfin mieux comprendre le rôle de ce concept dans l'évolution sociopolitique récente de la Kabylie. Tout d'abord, afin de mieux comprendre les rapports qu'entretiennent les Kabyles d'aujourd'hui avec le fait religieux, il est indispensable de souligner la place tenue par les différentes spiritualités qui se sont succédées en Kabylie.
Par Yidir Plantade*
L'histoire de la Kabylie est émaillée de mouvements violents à forte connotation religieuse, depuis les Chrétiens donatistes du 4ème siècle jusqu'à la confrérie musulmane Rahmaniya du 19ème siècle en passant par les Kotamas chi'ites du 10ème siècle.
Pourtant, outre une pratique spécifique de l'islam, la société kabyle a développé au cours des siècles un fonctionnement institutionnel (la tajmaat) garantissant une séparation souple entre les affaires religieuses et celles de la Cité. Par ailleurs, suite à la conquête française de l'Algérie, de nombreux Kabyles ont adhéré à la vision laïque prônée par les républicains français. L'ensemble de l'élite intellectuelle, artistique et politique kabyle contemporaine forme ainsi un bloc « laïciste » atypique dans le paysage algérien, lequel freine encore aujourd'hui l'émergence d'un islam politique puissant en Kabylie.
« Le Kabyle est foncièrement laïque » entend-on répéter tant parmi les cercles kabyles appartenant à la nébuleuse militante berbériste qu'auprès de certains membres de l'intelligentsia occidentale, tout particulièrement française.
Dès la seconde moitié du 19ème siècle, la tiédeur réelle ou supposée des Kabyles envers une religion musulmane, qu'ils ont adaptée et refaçonnée pour la faire correspondre à leurs particularismes amazighs1, donne naissance à un corpus d'ouvrages coloniaux vantant et amplifiant cet aspect. Par la suite, tout au long du 20ème siècle, plusieurs figures politiques et intellectuelles kabyles ont adopté un discours dépourvu de références religieuses, ce qui est rare dans un « monde musulman » où la spiritualité est omniprésente, pour ne pas dire envahissante.
Ces dernières décennies, l'« exception kabyle » semble se confirmer : lors des consultations électorales algériennes de 1990 notamment, lesquelles ont vu le triomphe national du parti ultrareligieux FIS (Front islamique du salut), seule la Kabylie élut massivement des représentants issus de partis revendiquant plus ou moins ouvertement leur caractère laïque. Les années de guerre civile qui ont suivi ont épargné dans un premier temps la Kabylie, alors surnommée « petite Suisse d'Algérie ».
Au sein de la diaspora, tout particulièrement en France où ils représenteraient quelques 800 000 personnes, les Kabyles se démarquent du reste de l'immigration « musulmane » à travers leurs associations, les figures marquantes de leur communauté et leur attachement à la laïcité, si chère à la République française. Ainsi, la Coordination des Berbères de France2 n'omet pas de rappeler à l'occasion de chacune de ses interventions que : « de par leur organisation sociopolitique laïque pluriséculaire, les Berbères possèdent une aptitude naturelle à s'intégrer dans la République ».
Naturellement, ce discours valorise les Imazighen (pluriel d'« Amazigh »), les Kabyles en particulier, aux yeux d'une certaine élite française. Un cadre d'un grand parti du gouvernement affirmait d'ailleurs, sûr de son fait, à l'auteur de ces lignes : « les Berbères, il n y a même pas lieu d'en parler car ils sont tous très bien intégrés, ils ne posent aucun problème à la France ». Dans un style différent mais tout aussi significatif, le prolifique analyste et éditorialiste Alexandre Adler accole systématiquement l'adjectif « laïque » à l'épithète « Kabyle » dans chacune de ses interventions évoquant la Kabylie, qu'il s'agisse de la guerre d'Algérie ou des récentes émeutes de 2001-2002.
Les discours relatifs à la laïcité intrinsèque des Kabyles sont donc prégnants et communément acceptés. Cependant, en l'absence de recherches crédibles et non-partisanes qui pourraient accréditer ces propos, la prudence reste de mise. Il est nécessaire d'étudier plus en profondeur la société kabyle pour déceler la part de réalité que ces affirmations recouvrent ou, au contraire, pourraient masquer. Il est important dans un premier temps de s'interroger sur la place de l'élément religieux dans l'histoire kabyle, pour ensuite prendre en compte l'irruption du concept moderne de laïcité lors de la colonisation française, et enfin mieux comprendre le rôle de ce concept dans l'évolution sociopolitique récente de la Kabylie. Tout d'abord, afin de mieux comprendre les rapports qu'entretiennent les Kabyles d'aujourd'hui avec le fait religieux, il est indispensable de souligner la place tenue par les différentes spiritualités qui se sont succédées en Kabylie.
Commentaire