Au rayon pensée unique, on ne trouve nulle trace d’Emmanuel Todd, historien, démographe, sociologue, autrefois proche des milieux souverainistes avec lesquels il a rompu, anti-Maastricht quelque part entre Séguin et Chevènement, concepteur de la « fracture sociale » revisitée par Jacques Chirac... auteur incommode, notamment de « L’illusion économique », Todd ne pratique pas cette légère flexion qui caractérise les penseurs en phase de récupération intellectuelle par le pouvoir.
Il serait même « tabou et irrécupérable » sur ce plan. L’esprit de famille ! Il publie aujourd’hui (1) un essai sur la société française et ses dérives, le vide éducatif et religieux, l’aveuglement des responsables politiques, la perversion du libre-échange, la possibilité d’une nouvelle lutte des classes... Lucide constat sur la crise de notre système démocratique. Et rude charge contre Nicolas Sarkozy, même si des personnalités de gauche (Delors, Strauss-Kahn, Lamy...) en prennent aussi pour leur compte. On trouve enfin dans ce livre de chercheur l’espoir en un « protectionnisme européen ». L’une des issues - et sa préférence - pour échapper à la crise et sauver la démocratie.
INTERVIEW
Tout d’abord, quelle leçon de démocratie vous inspire l’élection de Barack Obama ?
On a assisté à un phénomène où le plus important est la désignation du candidat par les sphères supérieures de la société et la présentation d’un programme économique minimum acceptable par le peuple. Très clairement, les milieux financiers et les élites avaient fait le choix d’Obama avant même qu’il soit élu et la surprise a été l’élimination du facteur « racisme », pourtant ancré structurellement et historiquement dans la société américaine.
Quelle démocratie peut se dessiner aux Etats-Unis ?
L’Amérique va retrouver un président intelligent, exceptionnel, capable d’affronter une situation de déroute économique. Gestionnaire d’un pays en décomposition, Obama peut soit « conserver l’empire » et continuer à vivre aux crochets du monde avec un gigantesque déficit commercial, ou, s’il est un grand président, commencer la longue marche vers le retour à l’équilibre des échanges extérieurs, la reconstruction de l’industrie... Je ne suis pas très optimiste : dans cette Amérique qui a perdu l’habitude d’affronter ses problèmes, les fondamentaux de l’économie sont catastrophiques.
Comment jugez-vous la volte-face des dirigeants et des gouvernements qui sont passés du tout libéral à l’interventionnisme d’état ?
Je ne crois pas à un « retour de l’Etat » providentiel. Le renflouement des banques est un nouveau pas dans la mise en question de la démocratie. En France, Nicolas Sarkozy n’est qu’un courtier dans cette affaire. Les banques ont pris les états en otages et nous avec ! Ce qui choque, c’est l’état au service des banques, des milliards injectés sans pour autant changer le système, des politiques qui s’autocongratulent, décrochés de la réalité. Je trouve les élites en panne de solutions égalitaires et progressistes et la société très amorphe.
Qu’est-ce qui, en France, indique pour vous un déclin de la démocratie ?
Je mets en perspective une longue évolution historique, une situation économique très complexe, l’évolution idéologique et religieuse depuis les années 60, la croyance catholique qui structurait le champ politique, la décomposition de ce dernier... et ce n’est pas réjouissant. J’essaie notamment d’expliquer comment Nicolas Sarkozy a surgi dans ce contexte et en quoi il est une clé d’entrée des problèmes de la société française.
Vous y allez fort avec ce président dont vous faites un « symptôme » des mauvaises tendances de cette société ! Comme on dit, pourquoi tant de haine ?
Sarkozy a été « l’élu de la peur », notamment grâce à la crise des banlieues et face à Ségolène Royal, candidate absurde dont l’incompétence faisait aussi peur que la brutalité de son adversaire. Il s’est aussitôt affiché avec des amis milliardaires et ne sait pas se tenir. Jamais, comme lui, un président n’avait provoqué ainsi dans les banlieues pour récupérer les voix du Front National, inclus des socialistes dans son gouvernement, insulté des gens dans des manifestations publiques, exposé sa vie privée... Je n’attaque pas le personnage, mais le symptôme. Il s’est créé un état d’apesanteur dans lequel il peut se permettre tout cela et il a surgi dans un système sans croyance collective structurante. Car ce sont les idées dominantes qui importent, notamment, en économie, ce que dictent les classes supérieures pensantes.
Votre charge anti-sarkozyste semble « datée », des premiers mois de sa présidence. N’a-t-il pas changé depuis, notamment à l’épreuve de la crise mondiale ?
Je ne pense pas, mais ce n’est pas la question ! Je parle du « moment Sarkozy ». Ce qu’on a vu pendant dix mois est édifiant et concerne le vrai sujet : vide religieux, islamophobie, possible émergence d’une lutte des classes, baisse de niveau de vie des jeunes diplômés, tentation de la droite d’instrumentaliser toutes les inquiétudes, notamment autour de l’immigration... On a vu la récupération ridicule de la Marseillaise sifflée au stade de France. Mais le Parti socialiste - sa hiérarchie - est presque plus inquiétant pour le suffrage universel. Il se refuse à proposer un programme économique de type protectionniste et se comporte comme un parti de notables face à un « bas peuple » incapable de comprendre.
Il serait même « tabou et irrécupérable » sur ce plan. L’esprit de famille ! Il publie aujourd’hui (1) un essai sur la société française et ses dérives, le vide éducatif et religieux, l’aveuglement des responsables politiques, la perversion du libre-échange, la possibilité d’une nouvelle lutte des classes... Lucide constat sur la crise de notre système démocratique. Et rude charge contre Nicolas Sarkozy, même si des personnalités de gauche (Delors, Strauss-Kahn, Lamy...) en prennent aussi pour leur compte. On trouve enfin dans ce livre de chercheur l’espoir en un « protectionnisme européen ». L’une des issues - et sa préférence - pour échapper à la crise et sauver la démocratie.
INTERVIEW
Tout d’abord, quelle leçon de démocratie vous inspire l’élection de Barack Obama ?
On a assisté à un phénomène où le plus important est la désignation du candidat par les sphères supérieures de la société et la présentation d’un programme économique minimum acceptable par le peuple. Très clairement, les milieux financiers et les élites avaient fait le choix d’Obama avant même qu’il soit élu et la surprise a été l’élimination du facteur « racisme », pourtant ancré structurellement et historiquement dans la société américaine.
Quelle démocratie peut se dessiner aux Etats-Unis ?
L’Amérique va retrouver un président intelligent, exceptionnel, capable d’affronter une situation de déroute économique. Gestionnaire d’un pays en décomposition, Obama peut soit « conserver l’empire » et continuer à vivre aux crochets du monde avec un gigantesque déficit commercial, ou, s’il est un grand président, commencer la longue marche vers le retour à l’équilibre des échanges extérieurs, la reconstruction de l’industrie... Je ne suis pas très optimiste : dans cette Amérique qui a perdu l’habitude d’affronter ses problèmes, les fondamentaux de l’économie sont catastrophiques.
Comment jugez-vous la volte-face des dirigeants et des gouvernements qui sont passés du tout libéral à l’interventionnisme d’état ?
Je ne crois pas à un « retour de l’Etat » providentiel. Le renflouement des banques est un nouveau pas dans la mise en question de la démocratie. En France, Nicolas Sarkozy n’est qu’un courtier dans cette affaire. Les banques ont pris les états en otages et nous avec ! Ce qui choque, c’est l’état au service des banques, des milliards injectés sans pour autant changer le système, des politiques qui s’autocongratulent, décrochés de la réalité. Je trouve les élites en panne de solutions égalitaires et progressistes et la société très amorphe.
Qu’est-ce qui, en France, indique pour vous un déclin de la démocratie ?
Je mets en perspective une longue évolution historique, une situation économique très complexe, l’évolution idéologique et religieuse depuis les années 60, la croyance catholique qui structurait le champ politique, la décomposition de ce dernier... et ce n’est pas réjouissant. J’essaie notamment d’expliquer comment Nicolas Sarkozy a surgi dans ce contexte et en quoi il est une clé d’entrée des problèmes de la société française.
Vous y allez fort avec ce président dont vous faites un « symptôme » des mauvaises tendances de cette société ! Comme on dit, pourquoi tant de haine ?
Sarkozy a été « l’élu de la peur », notamment grâce à la crise des banlieues et face à Ségolène Royal, candidate absurde dont l’incompétence faisait aussi peur que la brutalité de son adversaire. Il s’est aussitôt affiché avec des amis milliardaires et ne sait pas se tenir. Jamais, comme lui, un président n’avait provoqué ainsi dans les banlieues pour récupérer les voix du Front National, inclus des socialistes dans son gouvernement, insulté des gens dans des manifestations publiques, exposé sa vie privée... Je n’attaque pas le personnage, mais le symptôme. Il s’est créé un état d’apesanteur dans lequel il peut se permettre tout cela et il a surgi dans un système sans croyance collective structurante. Car ce sont les idées dominantes qui importent, notamment, en économie, ce que dictent les classes supérieures pensantes.
Votre charge anti-sarkozyste semble « datée », des premiers mois de sa présidence. N’a-t-il pas changé depuis, notamment à l’épreuve de la crise mondiale ?
Je ne pense pas, mais ce n’est pas la question ! Je parle du « moment Sarkozy ». Ce qu’on a vu pendant dix mois est édifiant et concerne le vrai sujet : vide religieux, islamophobie, possible émergence d’une lutte des classes, baisse de niveau de vie des jeunes diplômés, tentation de la droite d’instrumentaliser toutes les inquiétudes, notamment autour de l’immigration... On a vu la récupération ridicule de la Marseillaise sifflée au stade de France. Mais le Parti socialiste - sa hiérarchie - est presque plus inquiétant pour le suffrage universel. Il se refuse à proposer un programme économique de type protectionniste et se comporte comme un parti de notables face à un « bas peuple » incapable de comprendre.
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