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Le plus grand observatoire d'astrophysique au pied des Andes

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  • Le plus grand observatoire d'astrophysique au pied des Andes

    Pour prendre la réelle mesure du plus grand observatoire d'astrophysique jamais conçu, rien ne vaut quelques heures de conduite sur les pistes poussiéreuses de la Pampa Amarilla. C'est dans cette "prairie jaune", au pied des Andes, qu'ont été disposées quelque 1 600 cuves scellées, espacées d'un kilomètre et demi et renfermant 12 tonnes d'eau pure dans laquelle baignent des capteurs. Sur quatre promontoires distants de dizaines de kilomètres, 24 télescopes à fluorescence dominent cette plaine infinie, où paissent des troupeaux épars.

    Un mystère physique, enrobé d'une énigme cosmique, sera-t-il enfin dévoilé dans ce coin perdu d'Argentine ? C'est l'espoir nourri par quelque 450 physiciens appartenant à 70 institutions scientifiques de 17 pays. Leur collaboration a abouti à la construction de cet observatoire, qui porte le nom du physicien français Pierre Auger (1899-1993). La cible de cet instrument inauguré le 14 novembre à Malargüe, dans la province de Mendoza, ce sont les rayons cosmiques de très haute énergie.

    Le mystère tient à la nature de ces rayons cosmiques. Protons, noyaux de fer ? Nul ne le sait. L'énigme, c'est leur origine : "On ignore d'où ils viennent, et comment ils acquièrent l'énergie extrême qui les caractérise", indique Antoine Letessier-Selvon (Laboratoire de physique nucléaire des hautes énergies), qui coordonne la partie française de l'observatoire. Touchant la Terre au rythme d'une collision par siècle et par km2, "ils concentrent l'équivalent du punch de Mike Tyson sur une particule", indique Antoine Letessier-Selvon. Seuls des accélérateurs de particules dix millions de fois plus puissants que ceux construits par l'homme pourraient atteindre ces niveaux d'énergie.

    Pour caractériser ces phénomènes, il fallait un site dégagé, au ciel pur, pour déployer une installation sans pareille. Imaginée au début des années 1990 par l'Américain James Cronin (Nobel de physique), le Britannique Alan Watson (université de Leeds) et promue en France par Murat Boratav (Institut national de physique nucléaire et de physique des particules - IN2P3), elle s'étend sur une superficie de 3 000 km2, soit 30 fois celle de Paris...

    "Mettre en place ces 1 600 capteurs a été une aventure", témoigne Tiina Suomijärvi (Paris-Sud Orsay), responsable de l'électronique de l'observatoire : 4 × 4 embourbés, araignées venimeuses cachées dans les cuves, températures extrêmes, vent qui surprend les équipes, elle ne tarit pas d'anecdotes sur ce chantier qui a poussé hommes et technologies dans leurs retranchements.

    Les cuves permettent de capter au sol la pluie de particules engendrées par la collision des rayons cosmiques avec l'atmosphère. Les télescopes, qui ne fonctionnent que par les nuits sans lune et par ciel clair - soit 10 % du temps seulement -, sont capables de saisir au vol cette gerbe de particules. La définition de leur caméra en "oeil de mouche" n'est que de 440 misérables pixels, mais elle peut prendre 10 millions d'images par seconde !

    La combinaison des cuves et des télescopes permet de reconstituer la trajectoire du rayon cosmique, de pointer vers sa source. Même si la précision de ce système hybride est médiocre, comparée aux télescopes qui travaillent sur la lumière, Pierre-Auger marque l'avènement d'une nouvelle "astronomie de la matière", estime Catherine Bréchignac, la présidente du CNRS.

    Mais quelle matière ? La question reste entière, même si "nous avons commencé à avoir des données avec 300 cuves seulement", rappelle M. Cronin. En novembre 2007, la "collaboration Auger" a publié un premier article dans la revue Science. Les 27 rayons cosmiques de très haute énergie décrits indiquaient que leur source se trouvait hors de notre galaxie.

    Depuis, quelques poignées d'événements supplémentaires ont été captées. Pour que leur interprétation soit statistiquement significative, il en faudra "une centaine au minimum, soit encore cinq ans au rythme actuel", note M. Letessier-Selvon. Les rayons cosmiques de haute énergie sont-ils issus de trous noirs, de noyaux actifs de galaxies ? "Dans dix ou vingt ans, on aura une meilleure idée de l'origine du phénomène", estime pour sa part l'astronome Catherine Césarsky, qui, en 1992, a proposé l'hypothèse selon laquelle ils seraient engendrés par des collisions de galaxies.

    Dix ou vingt ans ! Les astrophysiciens veulent aller plus vite. A l'origine, l'observatoire Pierre-Auger devait comprendre un volet septentrional, dans le Colorado. James Cronin rêve d'une installation "sept fois plus vaste que la partie argentine". Cette extension, plaide-t-il, ne serait que deux fois plus chère qu'Auger Sud (dont le coût consolidé est de 65 millions d'euros, dont 10 % financés par la France). Mais, pour l'heure, l'argent fait défaut.

    Si bien que certains, comme Michel Spiro, directeur de l'IN2P3, imaginent plutôt une extension du site argentin, d'abord sur 5 000 km2. Puis sur 20 000 km2, pour peu qu'une technologie d'antennes radio capables de se substituer aux cuves, actuellement en phase de test, soit au rendez-vous. Les rayons cosmiques auraient alors bien du mal à garder leur secret.

    Par le Monde
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