Après la remise du rapport d’évaluation de l’Inserm qu’il a piloté, Elias Zerhouni, ancien patron de la recherche publique biomédicale américaine, s’étonne des inquiétudes soulevées par ses conclusions auprès des chercheurs français. «C’est une critique sévère du gouvernement, c’est un appel à la libération de la créativité des scientifiques», explique-t-il à Sciences et Avenir.
Elias Zerhouni, radiologue, a dirigé les NIH de mai 2002 à octobre 2008. (AP Photo/Tony Gutierrez)
Elias Zerhouni, scientifique américain d’origine algérienne, a dirigé pendant 6 ans le plus grand centre de recherches biomédicales aux Etats-Unis, les NIH (National Institutes of Health). Le gouvernement français l’a mandaté, via l’Agence d’évaluation de la recherche (Aeres), ainsi que douze autres personnalités françaises ou étrangères, pour «faire le point sur l’organisation de la recherche médicale et des sciences de la vie en France». Dans leur rapport rendu public à la mi-novembre, les 13 experts recommandent la création d’un institut national unique pour les sciences de la vie et de la santé.
Dans un contexte déjà tendu, notamment marqué par la faiblesse des budgets et la réforme du statut des enseignants-chercheurs, cette annonce a été interprétée comme la fin des établissements publics de recherche que sont le CNRS et l’Inserm. Et cela nourrit la grogne des chercheurs, qui manifesteront jeudi 27 novembre partout en France.
Pour Science et Avenir, Elias Zerhouni revient sur son diagnostic et explicite ses propositions.
Sciences et Avenir : Les syndicats de chercheurs ont appelé à la grève le 27 novembre. Ils reprochent au gouvernement de pousser à l’éclatement du CNRS. Votre rapport va dans ce sens, qu’en pensez-vous?
Elias Zerhouni: Le rapport que nous avons signé ne veut pas du tout faire éclater le CNRS et l’INSERM, c’est maintenant que ces Instituts sont éclatés ! Le problème que nous avons identifié dans le système de recherche français, c’est la superposition d’une multitude d’organisations, d’institutions de recherche nationale qui gèrent et financent la recherche (ou font les deux en même temps). Rien que pour les sciences de la vie et de la santé, on compte l’Inserm, le CNRS, le CEA, l’ANR, l’INCa, l’ANRS, l’Inria et l’IreSP [voir Repères], plus une prolifération d’initiatives spéciales comme les Réseaux de thématiques de recherche avancée (RTRA), les Réseaux ou Centres de Recherche de recherche et de soin (R/CTRS), ou encore les «cancéropôles», les «génopoles», les «neuropôles»… etc… Avec des couches de responsabilités qui s’accumulent et aboutissent à créer un manque de responsabilité réelle.
Il est urgent de retrouver une clarté, une transparence qui n’existe pas à l’heure actuelle. Notre but essentiel est de maximiser le travail du scientifique français. On doit lui donner plus de degrés de liberté. Je suis étonné que ce soit les chercheurs qui appellent à la grève, car le rapport est favorable aux scientifiques, pas aux administrations successives dont les décisions ont amené à cette situation trop bureaucratisée. On n’appelle pas à l’éclatement du CNRS ou de l’Inserm mais à la clarification des rôles et des responsabilités de chacun. Si vous lisez entre les lignes, c’est les gouvernements successifs qui sont critiqués. Ce n’est pas un rapport de complaisance. Les experts qui ont rédigé ce rapport n’attendent rien du gouvernement et ils sont éloignés de toute considération politique. Ce rapport est pro-scientifique, pro-science. C’est une critique sévère du gouvernement, des structures disparates existantes, c’est un appel à la libération de la créativité des scientifiques, des moyens sur le terrain et à la limitation du pouvoir des organismes centraux multiples.
Comment avez-vous procédé pour établir ce rapport ?
Notre comité était composé de 13 personnalités scientifiques internationales, très indépendantes de nature. J’avais indiqué, en préalable à sa constitution, qu’il fallait que les membres puissent exprimer leur vérité sans entrave, sans influence politique. J’avais demandé également qu’ils puissent rencontrer autant les administratifs que les scientifiques de terrain. Nous avons donc mené notre réflexion sur la base de rapports de l’Aeres, de publications de l’Inserm et sur de nombreuses discussions au niveau des organismes, aussi bien avec des dirigeants que des chercheurs. Au bout de plusieurs jours «d’enquête» nous nous sommes réunis pour faire la synthèse. Notre rapport se veut compact, honnête et franc. Il conclut que le problème central de la recherche française est l’absence de séparation entre l’exécution et le pilotage de la science. Le statut des scientifiques doit être amélioré en termes financiers et opérationnels. Il faut leur apporter beaucoup plus d’autonomie et de liberté d’action.
Quelle est votre recommandation principale?
Sim-pli-fier. Ces niveaux de bureaucratie surabondants, complexes, impossibles à gérer, ne peuvent plus durer. Les scientifiques que nous avons rencontrés nous ont dit «s’il vous plaît, soyez directs et concrets car notre vie devient de plus en plus difficile. Il y a trop de niveaux d’organisations différents. Il faut se casser la tête pour boucler nos budgets avec différentes sources de financement. Six demandes de fonds sont nécessaires pour qu’une seule aboutisse. Sans parler de l’évaluation. On se fait évaluer par plusieurs organisations par an.» On m’a même dit une phrase qui résume bien les choses : «La moitié de la France évalue l’autre moitié cette année, et l’année suivante ça sera l’inverse». Quelle perte de temps et d’énergie !
Quel est le moyen le plus efficace de résoudre ce problème selon vous ?
Le plus efficace est de séparer clairement la gestion et le financement de la recherche. Nous recommandons que la gestion des unités de recherche soit dévolue à l’institution parente la plus proche qui peut être une Université, un institut de recherche indépendant (de type Pasteur par exemple) ou un organisme de recherche autonome financé directement par l’Etat. Le financement et l’évaluation par les pairs scientifiques seraient assurés par un Institut national unique pour la recherche dans le domaine des Sciences de la vie en santé.
Elias Zerhouni, radiologue, a dirigé les NIH de mai 2002 à octobre 2008. (AP Photo/Tony Gutierrez)
Elias Zerhouni, scientifique américain d’origine algérienne, a dirigé pendant 6 ans le plus grand centre de recherches biomédicales aux Etats-Unis, les NIH (National Institutes of Health). Le gouvernement français l’a mandaté, via l’Agence d’évaluation de la recherche (Aeres), ainsi que douze autres personnalités françaises ou étrangères, pour «faire le point sur l’organisation de la recherche médicale et des sciences de la vie en France». Dans leur rapport rendu public à la mi-novembre, les 13 experts recommandent la création d’un institut national unique pour les sciences de la vie et de la santé.
Dans un contexte déjà tendu, notamment marqué par la faiblesse des budgets et la réforme du statut des enseignants-chercheurs, cette annonce a été interprétée comme la fin des établissements publics de recherche que sont le CNRS et l’Inserm. Et cela nourrit la grogne des chercheurs, qui manifesteront jeudi 27 novembre partout en France.
Pour Science et Avenir, Elias Zerhouni revient sur son diagnostic et explicite ses propositions.
Sciences et Avenir : Les syndicats de chercheurs ont appelé à la grève le 27 novembre. Ils reprochent au gouvernement de pousser à l’éclatement du CNRS. Votre rapport va dans ce sens, qu’en pensez-vous?
Elias Zerhouni: Le rapport que nous avons signé ne veut pas du tout faire éclater le CNRS et l’INSERM, c’est maintenant que ces Instituts sont éclatés ! Le problème que nous avons identifié dans le système de recherche français, c’est la superposition d’une multitude d’organisations, d’institutions de recherche nationale qui gèrent et financent la recherche (ou font les deux en même temps). Rien que pour les sciences de la vie et de la santé, on compte l’Inserm, le CNRS, le CEA, l’ANR, l’INCa, l’ANRS, l’Inria et l’IreSP [voir Repères], plus une prolifération d’initiatives spéciales comme les Réseaux de thématiques de recherche avancée (RTRA), les Réseaux ou Centres de Recherche de recherche et de soin (R/CTRS), ou encore les «cancéropôles», les «génopoles», les «neuropôles»… etc… Avec des couches de responsabilités qui s’accumulent et aboutissent à créer un manque de responsabilité réelle.
Il est urgent de retrouver une clarté, une transparence qui n’existe pas à l’heure actuelle. Notre but essentiel est de maximiser le travail du scientifique français. On doit lui donner plus de degrés de liberté. Je suis étonné que ce soit les chercheurs qui appellent à la grève, car le rapport est favorable aux scientifiques, pas aux administrations successives dont les décisions ont amené à cette situation trop bureaucratisée. On n’appelle pas à l’éclatement du CNRS ou de l’Inserm mais à la clarification des rôles et des responsabilités de chacun. Si vous lisez entre les lignes, c’est les gouvernements successifs qui sont critiqués. Ce n’est pas un rapport de complaisance. Les experts qui ont rédigé ce rapport n’attendent rien du gouvernement et ils sont éloignés de toute considération politique. Ce rapport est pro-scientifique, pro-science. C’est une critique sévère du gouvernement, des structures disparates existantes, c’est un appel à la libération de la créativité des scientifiques, des moyens sur le terrain et à la limitation du pouvoir des organismes centraux multiples.
Comment avez-vous procédé pour établir ce rapport ?
Notre comité était composé de 13 personnalités scientifiques internationales, très indépendantes de nature. J’avais indiqué, en préalable à sa constitution, qu’il fallait que les membres puissent exprimer leur vérité sans entrave, sans influence politique. J’avais demandé également qu’ils puissent rencontrer autant les administratifs que les scientifiques de terrain. Nous avons donc mené notre réflexion sur la base de rapports de l’Aeres, de publications de l’Inserm et sur de nombreuses discussions au niveau des organismes, aussi bien avec des dirigeants que des chercheurs. Au bout de plusieurs jours «d’enquête» nous nous sommes réunis pour faire la synthèse. Notre rapport se veut compact, honnête et franc. Il conclut que le problème central de la recherche française est l’absence de séparation entre l’exécution et le pilotage de la science. Le statut des scientifiques doit être amélioré en termes financiers et opérationnels. Il faut leur apporter beaucoup plus d’autonomie et de liberté d’action.
Quelle est votre recommandation principale?
Sim-pli-fier. Ces niveaux de bureaucratie surabondants, complexes, impossibles à gérer, ne peuvent plus durer. Les scientifiques que nous avons rencontrés nous ont dit «s’il vous plaît, soyez directs et concrets car notre vie devient de plus en plus difficile. Il y a trop de niveaux d’organisations différents. Il faut se casser la tête pour boucler nos budgets avec différentes sources de financement. Six demandes de fonds sont nécessaires pour qu’une seule aboutisse. Sans parler de l’évaluation. On se fait évaluer par plusieurs organisations par an.» On m’a même dit une phrase qui résume bien les choses : «La moitié de la France évalue l’autre moitié cette année, et l’année suivante ça sera l’inverse». Quelle perte de temps et d’énergie !
Quel est le moyen le plus efficace de résoudre ce problème selon vous ?
Le plus efficace est de séparer clairement la gestion et le financement de la recherche. Nous recommandons que la gestion des unités de recherche soit dévolue à l’institution parente la plus proche qui peut être une Université, un institut de recherche indépendant (de type Pasteur par exemple) ou un organisme de recherche autonome financé directement par l’Etat. Le financement et l’évaluation par les pairs scientifiques seraient assurés par un Institut national unique pour la recherche dans le domaine des Sciences de la vie en santé.
Commentaire