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Enquête exclusive. Prison Break saison 2

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  • Enquête exclusive. Prison Break saison 2

    Par Youssef Ziraoui
    et Mehdi Sekkouri Alaoui
    Enquête exclusive. Prison Break saison 2




    En avril, 9 terroristes s’étaient échappés du pénitencier de Kénitra en creusant un tunnel. Depuis, 8 ont été capturés (dont un cette semaine). Grâce aux témoignages exclusifs des évadés et des enquêteurs, TelQuel reconstitue la cavale et la traque policière dans leurs moindres détails... et suit la piste du dernier fugitif.


    Prison de Salé. La trentaine de prisonniers entassés dans une cellule exiguë du bâtiment s’occupe comme elle peut : une partie de dames

    pour tromper l’ennui, un match de la Botola craché par un vieux poste transistor, et un téléphone mobile que les prisonniers se passent de main en main. Pendu au cellulaire, l’index fourré dans l’oreille pour ne pas être parasité par le brouhaha ambiant, un détenu fait les cent pas dans sa geôle. L’homme est parvenu à tromper la vigilance des matons, le temps d’une conversation téléphonique. “Moins fort les gars, je parle à la presse, là. C’est important”, lance-t-il à ses codétenus, des prisonniers de droit commun pour la plupart. “Depuis qu’on est retournés en prison, on est surveillés 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Par les gardiens, mais aussi par des détenus à la solde de l’administration pénitentiaire”, souffle Mohammed Chatbi, un des deux frères Scofield du pénitencier. Car comme les héros de la série américaine Prison Break, le tandem a défrayé la chronique en se faisant la belle, quelques mois plus tôt. “Du coup, à la prison nous sommes devenus des vedettes, certains prisonniers sont fiers de nous, ou simplement curieux, ils tentent tous de nous approcher”, s’enorgueillit-il. Et comme pour la série US, nos frères Scofield à nous n’étaient pas seuls dans le coup. Neuf, donc, c’est bien le total des prisonniers qui ont réussi à s’évader de la prison centrale de Kénitra, un lundi 7 avril. Mais qui ont été tous ou presque (moins un, en fait) rattrapés par la police. Avec un scénario digne d’une production cinématographique hollywoodienne. Le pitch.

    Muraille, miradors et matons
    Retour en arrière. Novembre 2007, Prison centrale de Kénitra, aux abords de l’oued Sebou et de l’océan Atlantique. L’établissement, un pentagone étendu sur une vingtaine d’hectares, abrite bon an mal an entre 1500 et 2000 pensionnaires. Parmi eux, 180 détenus islamistes, installés dans le hay Alif, un des six quartiers du lieu. Dans les cellules 46 et 48, le temps paraît long, très long, pour un groupe de prisonniers condamnés, entre autres faits d’armes, pour leur implication dans des réseaux terroristes.

    Allons-y pour le casting. Abdelhadi Eddahbi et Hamou El Hassani croupissent dans le couloir de la mort. Le quatuor Tarik El Yahyaoui, Mohamed Mouhim, Hicham Alami et Abdellah Boughmir en a pris pour perpét’, imités plus tard par les frères Chatbi et Mohamed Chadli. En tout neuf gaillards plus ou moins promis à une mort certaine, prochaine, un peu plus que la moyenne des détenus de Kénitra.

    “Nous nous faisions confiance, nous dormions ensemble, nous priions ensemble, chrekna t3am…”, nous lance un des évadés, joint au téléphone. Tous partagent un même sentiment d’injustice, estimant ne pas être à leur place derrière les barreaux, mais aussi (et surtout) une terrible envie de se faire la malle. Forcément, ça crée des liens… Embastillée pour un séjour longue durée, la bande dispose d’une ressource quasi inépuisable : le temps. Assez pour penser un plan d’évasion qui permettra de détourner le dispositif hautement sécuritaire : des gardiens armés jusqu’aux dents, des guérites dressées tous les 50 mètres, trois miradors surplombant l’édifice et équipés de projecteurs, et, dernier obstacle, une muraille de douze mètres de hauteur.

    Vous avez beaucoup prié, maintenant il faut creuser
    Plusieurs options, plus ou moins réalistes, pouvaient s’offrir à la bande. Au hasard : graisser la patte aux gardiens, comme l’avait fait avec succès un certain El Nene ? Sauf que lui l’a joué discret, en solo. A la tête d’une fortune estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros, le narcotrafiquant avait de quoi faire plier le plus droit des gardiens. Se lancer dans une prise d’otages ? Trop farfelu. Et puis, même dans les fictions américaines, le happy end est rarement au rendez-vous. De fil en aiguille, une idée finit par s’imposer. Ce sera la voie souterraine. La voie la plus réaliste, mais de loin la plus longue, parce que nécessitant une logistique laborieuse.

    Tout reste à faire : trouver une brèche, rassembler des outils de travail, établir un planning des tâches, etc. L’hiver s’annonce rigoureux… Le QG des candidats à l’évasion, la cellule 46, est aussi le point de départ des travaux. Et pour cause, celle-ci est située à quelques encablures d’un des remparts de la prison, que le groupe croit deviner par la lucarne de la geôle. Le sol, en mosaïque, est impossible à perforer, du moins avec les outils drainés ici et là, des cuillers, des casseroles, un tournevis, etc. La solution est toute trouvée : la percée se fera au niveau des toilettes turques, que les prisonniers pourront démonter et remonter à l’envi.


  • #2
    La liberté… au bout du tunnel
    Le premier coup de cuiller est donné au milieu du mois de novembre. Après un premier forage vertical, il s’agit maintenant de creuser à l’horizontale. Tard dans la soirée, quand la surveillance se relâche, la cellule est le théâtre d’un étrange manège. Les hommes s’immiscent dans le trou étroit en rampant, et creusent jusqu’à épuisement. A partir de minuit et jusqu’à l’aube, ils passent des heures et des heures à gratter le sol sablonneux, à déterrer les pierres… “Parfois, nous tombions sur une roche, ça pouvait nous prendre deux ou trois jours pour l’extraire, d’autant qu’il ne fallait pas faire de bruit, histoire de ne pas nous faire repérer”. Sans oublier les (mauvaises) surprises, à six pieds sous terre : “Il nous arrivait de croiser des rats de la taille d’un chat, poursuit notre source. A l’occasion, nous nous faisions mordre, c’était vraiment dur”. Dur, mais pas insurmontable. Après quelques jours de forage dans l’obscurité, les détenus de la cellule 46 parviennent à dénicher une lampe, pour y voir plus clair, et installent un ventilateur, qui leur permet d’aérer leur chantier souterrain.

    Lentement mais sûrement, ce travail de fourmi paye, le forage avance d’une vingtaine de centimètres par nuit. Des quintaux de sable et de roches sont stockés dans des sacs de farine, procurés auprès d’un complice travaillant dans le four à pain de la prison. Et chaque soir, la bande répète les mêmes gestes : “On retirait les sacs du trou, on creusait, on remplissait de nouveaux sacs, puis, après une soirée bien remplie, on parquait des sacs pleins à craquer dans le tunnel”, nous révèle un des ex-fugitifs. En vraies fées du logis, les prisonniers nettoient leur cachot, sans laisser paraître le moindre indice qui pourrait les trahir. Pour preuve, ils reçoivent régulièrement des visites de leurs codétenus, qui n’y voient que du feu, tout comme les matons du pénitencier. Et pour ne rien gâcher, les détenus islamistes bénéficient d’un régime spécial qui leur facilite la vie. “Les gardiens ne fouillent jamais leurs cellules de peur de provoquer des mouvements de révoltes, grèves de la faim, contrairement aux détenus de droit commun”, explique cet ancien gardien de prison. “Ils ont même le privilège de circuler librement entre les cellules ce qui a dû les aider dans leur manœuvre”, poursuit-il.

    Le vrai-faux cerveau de l’évasion
    Transférés de leur prison casaouie de Aïn Borja vers Kénitra en janvier 2008, les frères Chatbi et Mohamed Chadli prennent rapidement leurs marques à la Prison centrale et s’acoquinent avec les futurs évadés. “Abdelhadi Eddahbi est venu vers moi pour me proposer de me joindre à eux. Ils avaient besoin d’un coup de main”, nous explique Mohamed Chatbi. “J’ai accepté de les rejoindre car je n’avais plus rien à perdre. J’ai reçu, tout comme mes frères, de nombreuses promesses qui n’ont jamais abouti”. Et de préciser : “Contrairement à ce qui a été rapporté dans la presse, je ne suis pas le cerveau de la bande, pour la simple raison qu’à mon arrivée, la deuxième moitié du chantier avait déjà été entamée”.

    À cause de ses problèmes d’asthme, il se “contente” de faire le guet, pendant que ses comparses nagent dans la gadoue. Toujours est-il que Mohamed Chatbi est d’un précieux secours pour ses acolytes. Ce trentenaire, accessoirement rodé aux techniques de combat pour avoir fait ses armes en Afghanistan en 2001, maîtrise les techniques de premiers soins. “A plusieurs reprises, certains de mes camarades ont eu un malaise, et se sont évanouis à cause du manque d’oxygène, poursuit Chatbi. J’ai même dû faire des massages cardiaques… Du coup, nous faisions des roulements toutes les 30 minutes, car une minute de plus pouvait nous être fatale”.

    Au revoir, et merci
    Il est minuit passé, ce lundi 7 avril, quand un des “associés” s’engouffre dans le tunnel. En six mois de labeur, les travaux ont bien avancé, une trentaine de mètres. Si bien que les compagnons d’évasion creusent désormais à la verticale. La sortie est proche, d’après leur estimation, encore un dernier petit effort à fournir. Un coup de tournevis, un coup de casrouna, un deuxième, un troisième, puis un autre, et un autre. Le sol s’effrite de plus en plus facilement, les futurs évadés sentent monter l’adrénaline, mais tentent de contenir leur euphorie. Il s’agit d’être discret, de ne pas tout gâcher, là, maintenant, si près du but. L’éclaireur rebrousse chemin et avise ses amis de la bonne nouvelle. “Dans l’heure qui suit, nous avons fait un trou dans le mur séparant la cellule 46 et 48 pour permettre à nos camarades de nous rejoindre”, raconte Mohamed Chatbi.

    Les membres du groupe tiennent alors un dernier “conseil” et décident à l’unanimité de plier bagage le soir même. Une nuit de plus à Kénitra pourrait compromettre tout le plan, car le tunnel pourrait être découvert dès le lendemain. Un petit coup de rasoir, pour faire peau neuve et se débarrasser de cette barbe encombrante, et une dernière prière, pour se donner du courage.

    La bande des neuf a tout juste le temps de rassembler des affaires propres (qu’ils enfileront une fois dehors), et de gribouiller un message d’au revoir à leur geôlier, sur un des murs de la cellule 46. Florilège : “Au nom de Dieu le Miséricordieux. Non à l'injustice, nous avons essayé tous les recours, frappé à toutes les portes, il ne nous restait plus que ce moyen”. S’ensuit un passage plus qu’équivoque, surtout quand il est écrit de la plume de prisonniers accusés de terrorisme : “Nous ne ferons de mal à personne si personne ne nous fait de mal. (…) Et nous espérons que vous ne répéterez pas vos erreurs passées, la politique de la punition collective”. Le télégramme chute sur un passage qui aurait pu faire sourire l’administration pénitentiaire, si ce n’était la gravité des faits : “Nous nous excusons pour le dérangement”.

    Chacun sa route, Dieu pour tous
    Les prisonniers ouvrent la porte de sortie -leurs toilettes turques-, se glissent à la queue leu leu dans le souterrain, et rampent jusqu’à la sortie. Surprise au bout du tunnel, ils se retrouvent dans une villa, et non à l’extérieur de la prison comme ils le pensaient. Ils ignorent encore que la demeure est la résidence du directeur de la prison, qui dort à poings fermés à ce moment précis. Pas de panique, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les fugitifs repèrent le dernier rempart : un mur de 2 mètres, parsemé de fils barbelés, qu’ils enjambent sans trop de difficultés.

    Le temps presse. Une fois dehors, pas d’adieu, la bande se divise en plusieurs groupe, chacun ayant opté pour une destination différente : “Nous avons agi de la sorte pour maximiser nos chances de réussite. Si nous étions partis groupés, la police nous aurait repérés facilement”, explique Mohamed Chatbi, du fond de sa cellule de Salé. A la sortie, pas de complice en vue. Les neuf le savent, ils doivent avant tout s’éloigner de la prison, ils n’ont pas beaucoup d’avance, 4 à 5 heures tout au plus. Ils prennent leurs jambes à leur cou, plein cap vers la liberté, et s’en vont sans se retourner.

    Au lever du jour, la prison se réveille doucement. Alors qu’il entreprend sa ronde d’inspection matinale, le planton du directeur du pénitencier n’en croit pas ses yeux. Il tombe sur la cavité laissée par les évadés. Affolé, il alerte son patron. Les matons et le directeur courent dans tous les sens. Les uns investissent le quartier Alif (le plus proche de la villa), les autres se rendent dans le quartier B, celui qui abrite les condamnés à mort. “Les gardiens sont rentrés dans les cellules, avant de procéder à l’appel. Ils cherchaient aussi le point de départ du tunnel”, raconte ce gardien. Ils finissent par tomber sur la cellule 46, désespérément vide, et sur le trou béant. L’alerte générale est donnée. Tout ce que compte le Maroc comme hauts responsables sécuritaires est avisé.

    Vers 10 heures du matin, des hélicoptères de la Gendarmerie royale, appelée en renfort, survolent les alentours de la prison. L’ensemble des services est rameuté : agents de la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire), des RG (Renseignements généraux), suivis de la police scientifique. Dans la foulée, les gardiens sont interrogés, les policiers questionnent les habitants du quartier voisin, faisant du porte-à-porte. Mais personne n’a rien vu, rien entendu. Les évadés ont fait du boulot propre. “Sur le coup, des groupes de policiers avec des chiens ont été dispersés dans les environs de la prison”, nous apprend ce haut responsable de la police. Des barrages routiers sont dressés dans la région, les points névralgiques (gares routières, gares ferroviaires…) sont mis sous surveillance. La traque s’organise. “Nous avons transmis les photos des neuf évadés à tous les postes de police et de gendarmerie du pays. Nous avons aussi alerté les pays limitrophes, via Interpol, et émis un mandat international dans la journée même”, poursuit cette source policière autorisée. Mais les évadés sont déjà loin...

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    • #3
      Cavaliers seuls
      Mohamed Chatbi et Tarek Yahiaoui, décident de partir seuls à l’aventure. Le premier, parti sans son frère, est un ancien du groupe terroriste de Youssef Fikri, à l’origine de plusieurs meurtres entre 1999 et 2002. Il écope d’une peine de 20 ans de prison, qu’il purgeait jusque-là à Kénitra. D’après notre source à la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale), Mohamed et Kamal Chatbi ne s’entendaient pas. L’aîné de la fratrie nous livre un tout autre son de cloche : “On a choisi de se séparer pour ne pas se faire prendre ensemble, ça ne va pas chercher plus loin”. Mohamed, donc, se rend à Salé, après des heures de marche à travers la forêt. En fin de matinée, arrivé à bon port, il décide de se payer une petite folie : “Je me suis vite rendu au bain maure, j’avais tellement envie d’une thamhima. En prison, je me sentais crasseux”. Deuxième étape, le jeune homme va casser la croûte, fringale oblige. “Je me suis précipité vers la première mahlaba. Je mourais de faim, d’autant qu’en prison, on ne mangeait rien”. Plus tard dans la journée, il rallie la capitale et s’installe de nouveau à la table d’un snack. La nuit, il se réfugie dans la forêt de Aïn Aouda, dans l’arrière-pays rbati, et dort sur un matelas improvisé grâce à des bouts de carton. C’est là qu’il installe son pied-à-terre. La journée, Mohamed Chatbi mène une vie (presque) normale : “Je me promenais, j’allais au cyber, j’achetais les journaux. D’ailleurs je me marrais bien quand je lisais ce qui s’écrivait à notre sujet”. A raison, car la plus grande évasion carcérale de l’histoire des prisons marocaines a fait couler beaucoup d’encre dans les titres de presse nationaux, alimentant au passage les discussions des terrasses de café. Exemples : “Les évadés ont utilisé un tunnel creusé dans les années 1970 par un ex-détenu gauchiste”, “croyez-moi, ils ont fait appel au jnoun pour s’échapper, ils n’auraient pas pu faire autrement”, ou encore “une évasion ? Quelle évasion ? Ce sont les services qui ont déplacé les détenus”… On sait peu de choses en revanche sur le circuit emprunté par l’autre solitaire de la bande, Tarek Yahiaoui. Ce condamné à perpétuité en 2004 pour son appartenance à un groupuscule terroriste et pour plusieurs homicides, s’est rendu à Meknès, lieu de résidence de sa famille. Par quels moyens ? A-t-il bénéficié de complicité ? Aucune information n’a filtré à ce sujet.

      Virée en duo et trio
      Abdellah Boughmir et Hammou Hassani, deux salafistes pur jus, ont eux aussi un CV bien garni. Boughmir, marchand ambulant de son état, officiait dans une obscure cellule terroriste. Il s’est rendu coupable du meurtre d’une ressortissante française à Agadir. Le duo marche en direction de Fès, en suivant les rails du chemin de fer. Abdellah Boughmir paye de malchance quand il tombe dans un fossé dans un tunnel du train, dans l’obscurité. Résultat : une double fracture de la jambe. Son acolyte Hassani, le doyen de la bande, visiblement à l’étroit dans le couloir de la mort, est lui aussi un ancien membre d’un groupuscule islamiste. L’homme, à l’origine de nombreux enlèvements et meurtres, est obligé de traîner son complice, devenu un fardeau. Conséquence, le duo ralentit considérablement le pas. Il décident de poser leur valise à quelques kilomètres de Douar Skhinat, dans la région de Fès, et plantent une tente de fortune dans un terrain vague.

      Le trio Kamal Chatbi, Mohamed Chadli et Abdelhadi Eddahbi opte lui aussi pour la même région. Plus chanceux, ils arrivent à monter dans le premier car en direction de Meknès avant de poursuivre leur route à pied vers Fès, à travers la montagne, histoire de contourner les barrages de police. Ils tentent en vain de trouver du soutien là-bas. Après quelques jours passés dans les villages d’El Hajeb et de Boufekrane, ils s’installent dans le sanctuaire de Moulay Yacoub. Le lieu, très fréquenté, leur permet de se fondre dans la foule et de passer incognito. Le plus jeune de la troupe, Kamal Chatbi, se rend régulièrement à Fès pour les emplettes (journaux, nourriture, etc.) en bus ou en taxi blanc. Malgré les nombreux check-points, il passe inaperçu. “C’est normal, la police avait en sa possession de vieilles photos, il était difficile de les reconnaître…”, nous lance Mohamed Chatbi.

      Tout comme le reste de la bande, les trois compagnons de route s’étaient livrés à toutes sortes de commerces en prison (vente de cigarettes, braderie de leurs objets personnels) parvenant à amasser un maigre pécule, entre 500 et 2000 dirhams. Au bout de quelques jours de cavale seulement, ils ont quasiment épuisé leurs ressources financières. Le trio se divise alors en deux groupes. Kamal Chatbi et Mohamed Chadli décident de rejoindre Salé, tandis que Abdelhadi Eddahbi prend le train pour Casablanca, où réside une partie de sa famille. Après une semaine de séparation, les trois hommes, qui ont gardé le contact grâce à un téléphone portable acheté pendant leur périple, se donnent rendez-vous à Salé. Le groupe élit domicile dans une crique slaouie. Le lieu, difficile d’accès, est fréquenté par une poignée de pêcheurs de la région.

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      • #4
        Coup de filet groupé
        Mais la police a eu le temps de reprendre du poil de la bête. Une cellule de crise a été montée à la BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire), des barrages sont dressés aux coins cardinaux du royaume. La traque s’organise, quadrillant tout le territoire… Et les policiers, comme nous l’explique l’un d’eux, peuvent compter sur un atout incomparable, estampillé spécialité nationale : la délation. “En fait, soyons francs, c’est le citoyen lambda qui aura été le meilleur informateur dans cette affaire”, nous confie, pas peu fier, l’un des enquêteurs. Ce que nous confirme l’un des neuf évadés, joint au téléphone : “La police n’a pas fait tant que ça, nous avons tous été arrêtés assez bêtement, au final”…

        Mohamed Chatbi est le premier des neufs à tomber. Son séjour dans la forêt de Aïn Aouda a eu raison de lui. La police l’interpelle dans le quartier de l’Océan à Rabat au domicile de Mohamed Saïd Soussi. Epuisé, fatigué, l’aîné des Chatbi s’est résigné à demander de l’aide à un ingénieur rbati qui lui avait été présenté quelque temps auparavant par une de ses connaissances. “Je ne sais pas qui a vendu la mèche. Est-ce Soussi lui-même ?”, se demande Chatbi. Explication d’un haut gradé de la police : “Mohamed Chatbi nous a été donné par un de ses proches qu’il avait en vain sollicité avant de décider de se rendre chez Soussi”. Soit. La date de l’arrestation de Mohamed Chatbi demeure cependant sujette à polémique. Officiellement, il aurait été pris le 1er mai 2008. Sauf que le concerné a une toute autre version : “On m’a arrêté le 24 avril et mis en détention durant une semaine au centre de la DST de Témara”, martèle-t-il.

        Le 7 juin, c’est au tour du duo Boughmir et Hassani d’être interpellé aux alentours de Douar Skhinat, dans la région de Fès. Leur présence n’a pas manqué d’attirer l’attention des habitants du coin, qui ont alerté les autorités. “C’est le cheikh du douar qui nous a mis au courant”, précise un officier de police, chargé de l’enquête. Les deux fugitifs auraient probablement connu un meilleur destin si Abdellah Boughmir n’avait pas ralenti leur escapade.

        Moins d’une semaine plus tard, le 13 juin, Mohamed Chadli, Kamal Chatbi et Abdelhadi Eddahbi, en “villégiature” dans une crique située non loin de Salé, connaissent le même sort que leurs complices. Les pêcheurs qui fréquentent cet endroit coupé du monde, ont vite fait de remarquer leur présence. “Un des pêcheurs en a parlé à une de ses connaissances qui, à son tour, en a avisé une autre. L’information est finalement arrivée aux oreilles d’un policier qui en a fait part à sa hiérarchie”, explique notre officier de la DGSN. Pour mettre la main sur les trois évadés, la police envoie dans un premier temps des policiers en civil, en éclaireurs. “Il fallait non seulement s’assurer qu’il s’agissait bien des personnes recherchées, car, tout comme les autres évadés, ils avaient plus l’air de clochards qu’autre chose. Il fallait surtout s’assurer qu’ils n’étaient pas armés”, explique notre source. Après quelques heures d’observation, le doute est levé, et l’assaut donné. Les trois, affaiblis, n’opposent aucune résistance.

        Quelques jours plus tard, le 24 juin 2008, Tarek Yahiaoui est capturé au domicile de ses parents à Meknès. “Il souhaitait les revoir avant de se livrer aux autorités, nous déclare un proche de la famille. La veille, son frère, qui a réussi à l’avoir au téléphone, l’a convaincu de se rendre”. Comment donc ? “Il lui a annoncé qu’il venait à peine de rencontrer personnellement Mohammed VI qui lui aurait lancé : s’il se livre aux autorités, may koun ghir lkheir”. Dernier rebondissement, le jeudi 27 novembre. Hicham Alami, jusque-là introuvable, est arrêté par la police… algérienne (lire encadré). La boucle est quasiment bouclée, il n’en manque plus qu’un : Mohamed Mouhim.


        Chrono. Le film des évènements

        • Novembre 2007. 1er coup de cuiller
        • Janvier 2008. Mohamed et Kamal Chatbi ainsi que Mohamed Chadli sont transférés de la prison de Aïn Borja à celle de Kénitra.
        • Février 2008. La bande des trois est mise au parfum par les six initiateurs du “projet” : la dream team des neuf est ainsi constituée.
        • 7 avril 2008. Evasion et début de l’enquête
        • 29 avril 2008. Branle-bas administratif et nomination de Hafid Benhachem, ancien patron de la Sûreté nationale, au poste de délégué général de l’administration pénitentiaire.
        • 1er mai 2008. Arrestation de Mohamed Chatbi
        • 7 juin 2008. Arrestation de Abdellah Boughmir et Hammou Hassani
        • 13 juin 2008. Arrestation de Mohamed Chedli, Kamal Chatbi et Abdellah Eddahbi
        • 24 juin 2008. Arrestation de Tarek Yahiaoui
        • 26 novembre 2008. Arrestation de Hicham Alami

        Hicham Alami. Le dernier arrêté

        Dans la journée du jeudi 27 novembre, Le jeune indépendant, un quotidien algérien, annonce l’arrestation “d’un des neuf terroristes évadés de la prison de Kénitra, arrêté à Boumerdès en Algérie. (…) Selon une source sécuritaire algérienne, Hicham Alami aurait sollicité des passeurs marocains pour traverser clandestinement la frontière algéro-marocaine et se retrouver sur le sol algérien”. À l’heure où nous mettons sous presse, aucune dépêche officielle n’est venue infirmer ou confirmer l’information. Même son de cloche du côté de la famille Alami qui n’a pour l’instant reçu aucune nouvelle des autorités marocaines ou algériennes. Pour rappel, Hicham a été arrêté le 22 mai 2003 et condamné à perpétuité. Les autorités soupçonnaient ce père de deux enfants, âgé de 29 ans, cordonnier dans le “civil”, d’être un des kamikazes réservistes des attentats qui ont frappé la ville de Casablanca quelques jours plus tôt.


        Mohamed Mouhim. Manque à l’appel…

        La cavale se poursuit pour Mohamed Mouhim, littéralement volatilisé depuis le 7 avril. Agé de 28 ans, ce marchand ambulant, originaire de Douar Skouila à Casablanca, maçon à ses heures, a été écroué au lendemain des attentats du 16 mai 2003. Pour le moment, l’enquête policière semble piétiner. “Elle (l’enquête) est en cours, mais je ne peux rien vous dire à ce sujet”, s’est contenté de nous répondre ce haut gradé de la BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire) qui cache mal sa gêne. La police n’a pourtant pas lésiné sur les moyens pour mettre le grappin sur l’homme: mise sous (étroite) surveillance de la famille, appels à témoins… En vain. Ce proche de l’évadé nous livre son analyse : “Tout ce qu’on sait aujourd’hui, c’est qu’il est loin. Il s’est très probablement réfugié dans les montagnes du Rif ou en Algérie”, nous lance-t-il, sûr de son fait, avant de pronostiquer : “Il y a très peu de chances qu’il se fasse prendre un jour”. Pour la petite histoire, en s’évadant de la Prison centrale de Kénitra, Mohamed Mouhim laisse derrière lui son grand frère Abdelhak, condamné lui aussi à perpétuité pour le même motif : implication dans des réseaux terroristes. Une histoire de famille, en somme.

        © 2008 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés

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