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La Culture islamique,ses caractéristiques...

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  • La Culture islamique,ses caractéristiques...

    ...et les voies et moyens pour son développement.
    Mohammed Larbi Khattabi

    1ère partie
    Signification et étymologie
    Le terme arabe "thakàfa" a pour étymologie le verbe "thakifa", verbe transitif qui signifie maîtriser une chose, la comprendre, l'appréhender, l'apprendre vite. Le substantif "muthakkaf" a le sens de éveillé, adroit. Il signifie selon le dictionnaire de "Lisàn al Arab" qu'il a une connaissance sûre de ce qu'il a besoin de comprendre.
    Pour les langues européennes, le terme "culture" a pour origine étymologique "culture" qui signifie travail agricole du sol, terme dont le sens a évolué à travers le temps pour signifier par extension cultiver l'esprit, lui apporter ce qui lui est utile, ce qui développe ses facultés et, par conséquent, éduque le bon goût, affine les sens, et apure le jugement par des exercices intellectuels appropriés.
    Le Dr. Roustan écrit ceci : "Le savoir est la condition de la culture, il "n'en est pas la condition suffisante... C'est surtout à la qualité de "l'esprit- "que l'on songe quand on prononce le mot culture, à la qualité du jugement et du sentiment..."(1)
    La signification anglo-saxonne du mot culture est presque similaire au sens donné au terme civilisation.
    Encyclopédia Britannica a inséré le mot culture sous la même rubrique que le mot civilisation, pour préciser que la culture est un mode de vie mené par un groupe humain donné :
    "La culture est le mode de vie d'une collectivité humaine. Elle couvre toutes les formes de comportement apprises et normalisées qu'utilise un membre de la collectivité et que d'autres membres attendent et reconnaissent. Prise dans une acception plus large, la culture se réfère aux modes de vie qui caractérisent tous les êtres humains et non les animaux".(2)
    A la lumière des précédentes définitions, nous pouvons dire que la culture constitue une aspiration de l'homme, intellectuelle et affective, vers la réalisation de sa promotion, de son renouvellement et de sa transcendance. Elle est en même temps une qualité qui s'acquiert par l'exercice et l'initiation intellectuelle. La culture n'est possible que grâce à l'acquisition d'une masse de connaissances générales qui développent l'esprit et l'enrichissent dans le but d'amener les gens -individus et groupes- à se doter de qualités morales susceptibles d'élever le niveau de leurs connaissances et de leurs sentiments, et de leur permettre de pouvoir formuler des jugements justes et précis qui s'harmonisent avec la foi dans les idéaux de leur vie. De là, on peut comprendre que la diversité est -quelle qu'en soit la source- le trait caractéristique de la culture humaine.
    Les éléments essentiels de la connaissance sans lesquels aucune culture n'est concevable et possible sont : la langue, les signes, les arts, les lettres, les sciences, les croyances religieuses, la philosophie, les valeurs sociales.
    En plus de ces éléments, il faut considérer que le développement de la culture dépend en grande partie de l'esprit créatif de l'homme, que doit nourrir une imagination fertile, une large vision des choses de la vie, une aspiration toujours tendue vers des horizons toujours plus vastes, et une profonde réflexion sur les créatures et les phénomènes qui peuplent l'univers. Mais ce développement ne saurait se réaliser que dans un climat de liberté bien comprise, et conséquemment, de respect de la dignité humaine.
    La culture islamique
    Partant de là, le concept de culture islamique sous entend un ensemble de connaissances juridiques et jurisprudentielles, scientifiques, philosophiques, linguistiques, littéraires et artistiques nées, formées et développées au sein des pays musulmans. Le savoir musulman est caractérisé par une ouverture bien comprise sur les autres cultures humaines dans une interaction généreuse et fertile.
    Il est à préciser à ce propos que la culture islamique s'est formée et développée grâce à la contribution des nations et de peuples de langues, de races et de coutumes sociales diverses. Cette contribution s'est bien sûr réalisée sous la bannière des valeurs spirituelles et morales de l'Islam.
    Dans ce même sens, précisons également que la culture islamique a bénéficié de l'apport d'un certain nombre de chercheurs, théoriciens, et hommes de sciences non musulmans, particulièrement des chrétiens ayant vécu au sein de la Terre d'Islam et ayant apporté leur concours précieux à cette culture et à ce savoir islamique.
    Développement : définition et portée
    Le terme "tanmya" (développement) en langue arabe a pour étymologie le mot "numuw" qui signifie augmentation, extension, diffusion, développement.
    Dans les langues européennes, "développement" a également -du point de vue linguistique- les mêmes connotations, sur le plan de la terminologie, contemporaine ; "développement" signifie un ensemble de moyens, étudiés et utilisés, mobilisés pour aboutir à des objectifs précis, selon un plan bien établi visant à relever la valeur matérielle et spirituelle de l'homme et à le doter des possibilités nécessaires à cette fin dans les divers plans socio-économique, culturel et scientifique, la finalité étant la participation active de l'homme au progrès humain de sa société, progrès fondée bien entendu sur la justice, l'égalité et l'équilibre des chances.
    Sous cet angle là, le développement culturel qui nous intéresse ici n'est pas une simple quantité calculée en paramètres mathématiques ou géométriques. Il s'agit plutôt d'un programme planifié et bien conçu dont les résultats devront être qualitativement calculés et appréciés selon la valeur spirituelle qui en découle.
    Autrement dit, ces calculs doivent conduire à la participation de chacun à l'effort de tous et permettre à tous de bénéficier également et selon les mérites de chacun des richesses de la culture et du savoir.
    Un des autres objectifs du développement culturel consiste à réaliser les conditions appropriées pour susciter les potentialités créatrices chez l'homme aussi bien à partir du monde métaphysique que du monde réel. Il s'agit là, bien sûr, d'un des aspects les plus importants du développement, car sans cet aspect, la culture restera un simple ressassement de vieux modèles et un rebâchage ennuyeux de moules dépourvus de l'élément vecteur du développement.
    Selon la conception que nous lui assignons ici, le développement est-une innovation de notre époque. C'est à partir de cette conception et à cette fin que s'édifient aujourd'hui les politiques des États, que sont mobilisés des investissements humains, financiers et techniques importants et que sont établis et mis en œuvre des plans et des programmes précis. Cela ne veut pas dire que cette notion de développement dans son sens général et positif était totalement absente des esprits des tenants de la culture islamiques et de ses premiers promoteurs au cours des siècles révolus. Nous n'en voulons pour preuve que le nombre impressionnant de mosquées, d'écoles et d'universités qui bénéficient de la diligence du pouvoir, et de l'intérêt que leur accordaient les particuliers et les communautés par le biais des biens de mainmorte et des investissements du trésor public. Les bibliothèques privées et publiques étaient largement répandues à travers le monde musulman. Les ouvrages scientifiques étaient partout disponibles grâce aux efforts soutenus des écrivains, des calligraphes et du public à la fois. Les diverses expressions artistiques bénéficiaient de la protection des autorités et des notables de l'État, telles la calligraphie, la décoration, la reliure, la musique, en plus de l'architecture dont les diverses expressions sont toujours présentes à nos yeux jusqu'à notre époque contemporaine.
    « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

  • #2
    2ème partie

    En somme le développement culturel jouissait dans le passé, particulièrement pendant son âge d'or, du consensus général et de l'encouragement accordé en commun à cette promotion par le pouvoir, les penseurs et les hommes de science. La concrétisation de cette promotion culturelle se réalisait -bien que spontanément- sous leur responsabilité à tous et avec leur concours matériel et moral, conformément à la tradition islamique qui ordonne aux hommes et aux femmes la quête de la science.
    Mais lorsque les pays commencent à ignorer leurs devoirs et à délaisser leurs obligations matérielles et morales, ils se déstabilisent, faiblissent et perdent ainsi leurs droits fondamentaux, et en premier lieu, le droit au savoir et à la science.
    Part et place de la culture islamique dans le progrès scientifique
    Le message islamique qui a connu une expansion rapide à travers de nombreux pays d'Asie, d'Afrique et du Nord du bassin méditerranéen a constitué sans doute un vecteur dynamique puissant qui a éveillé les consciences humaines, incitant les esprits à œuvrer pour acquérir la connaissance, à s'engager dans la voie de sa recherche, à approfondir son contenu et préciser les méthodes et les voies qui y conduisent.
    L'État islamique naissant a vu dès lors se ranger sous sa bannière des peuples de races, de langues et de traditions diverses pour embrasser sa religion, et répandre son message appelant à la foi dans l'unicité de Dieu, à l'établissement de la justice, au respect des valeurs morales, à la tolérance, la sagesse et l'acquisition du savoir comme les voies possibles pour la promotion de l'individu et de la société.
    C'est ainsi que des chemins ont été balisés et aplanis pour permettre la communication et l'échange dans les domaines de la pensée, de l'expression, des traditions et du mode de vie à travers l'ensemble du territoire islamique, de son Orient jusqu'à son Extrême Occident.
    C'est grâce à cette symbiose que s'élargirent les horizons humains et intellectuels du monde musulman et que se réalisa l'éclosion d'une culture islamique vivante, étendue et spécifique à l'expansion de laquelle ont participé les musulmans, et ceux des non-musulmans qui ont cohabité avec eux sous l'étendard de la paix islamique.
    Depuis sa naissance jusqu'à notre époque contemporaine, la culture islamique a traversé des étapes successives de flux et de reflux, de mouvement et de stagnation, sans pour autant jamais perdre de son caractère propre et original que lui ont conféré l'essence même de l'Islam et la vigueur toujours renouvelée de cette religion humaniste et universelle.
    Dans ce long parcours, les étapes traversées par la culture islamique ont été interdépendantes et se sont entremêlées les unes aux autres, ceci parallèlement aux changements politiques et socio-économiques que les pays musulmans ont connus sous l'influence de facteurs historiques et géographiques à la loi desquels aucune nation n'est sensée échapper.
    Il était tout à fait logique et normal que la 1ère étape de la culture islamique commençât par la collecte méthodique des connaissances, que ce fût dans le domaine de l'exégèse que dans celui de la recension méthodologique et critique du hadith et de la biographie des compagnons du Prophète, ou bien encore la recension générale de la langue arabe de la Révélation.
    Puis succéda à cette phase, l'étape de la maîtrise du savoir collecté, de son analyse et de la synthèse qui en furent effectuées.
    Dès l'aube du 3ème siècle de l'Hégire (Xème siècle) des centaines d'ouvrages, de travaux et d'études critiques et analytiques commencèrent à circuler à travers le monde musulman dans les diverses branches du savoir que des savants et des chercheurs éminents se mobilisèrent à développer.
    C'est ainsi que des doctrines et des écoles virent le jour en matière de grammaire, après que celle-ci vit s'établir ses fondements et ses règles didactiques. Des lexiques, des dictionnaires et des ouvrages linguistiques se multiplièrent à l'envi. Les doctrines en matière de droit et de jurisprudence se développèrent, alors que d'autres sciences naquirent concernant les origines et les sources du droit musulman, la théologie, la philosophie, la poétique, la rhétorique, l'art de la controverse et de la polémique ... A côté de ces productions, on peut également citer les multiples ouvrages traitant de la géographie, la politique, l'épistémologie, l'histoire des sciences, et les biographies des savants.
    Parallèlement à ces travaux, les esprits musulmans s'ouvrirent sur les civilisations aînées et les cultures passées. Contentons-nous à ce propos de rappeler les innombrables travaux de traduction du patrimoine culturel de l'humanité grec, persan et indou.
    Les facteurs et mobiles qui ont suscité l'ouverture islamique sur ce patrimoine sont nombreux et variés, parmi lesquels nous citerons la tenace volonté de puiser dans les sources du savoir et d'en multiplier les voies. On peut également rappeler à ce propos l'existence de centres de rayonnement culturels éminents dans les régions devenues partie de la terre d'Islam, telles Alexandrie, Djundaysà bùr au Kurdistan, Orfa (ou l'Édesse grecque), Nacibin... Les khalifes les ont conservés et sauvegardés, et les hauts responsables les ont placés sous leur protection. L'Islam a longtemps bénéficié de leurs savants, leurs professeurs et leurs bibliothèques scientifiques.
    C'est ainsi que le mouvement culturel a pu se développer activement et que les bonnes volontés se mirent à l'étude des mathématiques, de la philosophie, la logique, l'astronomie, la médecine, la pharmacie, la musique..., ce qui insuffla une nouvelle vie dans l'ancien patrimoine culturel de l'humanité qui dépérissait dans ses centres de rayonnement à la suite de la chute de l'Empire romain d'Occident au 5ème siècle.
    Cette seconde étape du développement culturel islamique fut -disions nous- caractérisée par une ouverture réfléchie des esprits sur les anciennes cultures classiques, assimilées par l'univers islamique et assujetties à une nouvelle vision de la vie et du monde, a ouvert le champ à un élargissement de plus en plus vaste des horizons de la culture islamique, à son développement et à la diversité de ses sources, ce qui a permis à cette culture de s'engager résolument dans la voie de l'innovation et de l'originalité, et de rayonner à travers le monde, particulièrement en Europe occidentale à la veille de sa Renaissance.
    Aussi conviendrait-il de considérer la contribution de la culture et de la civilisation islamiques au progrès scientifique de l'humanité à partir de deux angles différents :
    Primo : Sous l'angle du temps et de l'espace. En effet, la culture islamique a continué à régner souverainement sur une vaste ère géographique constituant désormais le monde islamique et s'étendant à trois continents : l'Asie, l'Afrique et l'Europe, et ce durant toute l'époque que les historiens ont convenu d'appeler le Moyen-âge, période durant laquelle l'Europe occidentale ne jouait aucun rôle dans le mouvement culturel et civilisationnel humain dominé alors par les centres de rayonnement musulmans dans les deux villes saintes d'Arabie, à Damas, Baghdad, Cordoue, Kairouan, Fès, le Caire, le Rayy, Khuwarizmi, Ispahan, Samarcande, Bukhàra, et dans bien d'autres capitales scientifiques islamiques.
    Ainsi, on peut constater que le monde musulman a marqué de son empreinte propre sa présence culturelle au cours d'une période importante de l'histoire universelle et à travers un immense territoire.
    Son mérite est indéniable quant au rôle qu'il a assuré pour joindre les chaînons du passé ancien à ceux du Moyen Age et de la Renaissance.
    Secundo : Sous l'angle de l'impact qui a marqué le progrès scientifique et intellectuel à l'extérieur du monde islamique. Ce second élément est intimement lié au premier, du fait que le développement de la culture et de la civilisation ne connait pas de limite géographique à son extension et à son progrès. En effet, l'État musulman n'a pas hésité à puiser dans les sources des cultures humaines antiques auxquelles il s'était frotté soit par la voie de la traduction, soit par la protection et la sauvegarde des centres scientifiques et de leurs responsables, soit enfin par la voie directe.
    La même situation fut celle de l'Europe occidentale qui a accordé depuis le XIème siècle une particulière attention à cette question en traduisant les ouvrages islamiques principaux en matière de philosophie, d'astronomie, de mathématiques, de médecine, de musique, etc. tels que les écrits de Khuwarizmi, Kindi, Fàràbi, Battàni, Ibn al-Haïtham, al-Batzùji, Avicenne, Zahraoui, Ibn Tufaïl, Avezoar, Averroes, et tant d'autres.
    La traduction n'a pas été l'unique vecteur de l'expansion en Europe de la culture et de la civilisation islamiques. On n'en voudra pour preuve que l'introduction dans ce continent d'un certain nombre d'éléments culturels et civilisationnels islamiques telles que l'architecture, la musique, la poésie, les pratiques administratives commerciales et agricoles, la fondation d'universités, etc.,
    « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

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    • #3
      3ème partie

      autant d'éléments ayant encore besoin d'être profondément étudiés par les spécialistes musulmans et autres experts en histoire des civilisations et des sciences héritées de nos ancêtres, lorsqu'ils auront achevé leurs recherches en matière d'héritage scientifique légué par ces mêmes ancêtres.
      A ce propos, Fuad Sizkine précise avec justesse que l'étude sérieuse des travaux des savants musulmans doit précéder celle de leur influence sur l'époque de la Renaissance européenne (3).
      Un certain nombre de chercheurs occidentaux se sont déjà penchés sur l'examen du transfert à l'Europe des sciences islamiques par l'intermédiaire de Byzance, Tolède, la Sicile, Salerno...
      D'autres savants parmi lesquels l'orientaliste français André Mickel continuent à penser avec raison qu'il existe encore des lacunes à combler dans les nouvelles recherches effectuées dans le domaine de l'histoire des Sciences, de la grammaire, de la philosophie, de l'architecture urbanistique, de la poésie des troubadours et dans tant d'autres domaines encore (4).
      Il est utile de souligner par ailleurs que, dans ce domaine, le passage de savants des territoires musulmans à certains centres européens d'activité scientifique constitue une autre forme de rencontre civilisationnelle et culturelle entre l'Orient et l'Occident. Citons à ce propos l'exemple de Constantin l'Africain, originaire de l'Occident musulman qui a procédé au transfert à l'Europe des connaissances scientifiques qu'il a étudiées et traduites et dont il s'est approprié les ouvrages islamiques après s'être installé en Italie. Citons par ailleurs Charif al Idrissi. (an 1100) qui a émigré en Sicile pour se mettre au service du Roi Roger II. Citons également Abù Bakr Rakkùni de Murcie (7ème siècle de l'Hégire), médecin, mathématicien et polyglotte andalou qu'Alphonso X, après avoir occupé Murcie, a chargé de diriger une école où ce savant "enseignait la science à ses élèves dans leur propre langue", selon l'expression même de Lisàn ad-Dine ibn al-Khatib(5). Citons encore l'exemple du géographe Hassan al-Wazzan, connu chez les occidentaux sous le pseudonyme de Léon l'Africain ; l'Europe a amplement bénéficié du savoir de ce savant et de ses vastes connaissances lorsqu'il résidait en Italie au XVIè siècle. Il y rédigea en latin un certain nombre d'ouvrages dont les deux plus importants sont sa "Description de l'Afrique" et un lexique arabo-latino-hébraïque.
      En outre, un certain nombre de Juifs arabisants, ayant vécu en territoire islamique d'Andalousie et ayant eu de ce fait des professeurs andalous musulmans ont joué un rôle éminent dans la traduction en latin et en hébreu des œuvres scientifiques arabes après avoir émigré vers les principautés chrétiennes du nord de l'Andalousie.
      Les analyses de la culture islamique et de sa spécificité effectuées par les orientalistes et les historiens des sciences sont diverses et variées. On ne saurait dans ce propos sommaire, accorder à cette question tout l'intérêt qu'elle mérite. Cependant, il serait fort à propos de résumer ici un avis des spécialistes en histoire des sciences que nous avons relevé dans un de leurs ouvrages récemment paru, et qui retrace les traits essentiels de cette histoire. Il y est précisé que les savants arabes traduits dans les langues européennes particulièrement au latin ne s'étaient pas satisfaits du rôle de transmetteurs des œuvres de l'antiquité classique. Bien au contraire, ils ont commenté et complété celles-ci. On y trouve aussi, écrit l'auteur de cet ouvrage, des recherches complètement différentes du savoir grec. Les Arabes, conclut-il, ont transmis à travers leurs écrits des savoirs venus d'Orient, d'Inde en particulier. Mais ils ne se sont pas satisfaits du rôle d'intermédiaire, ils ont modifié, amélioré, transformé et ils ont créé à partir des richesses acquises et de leur propre civilisation.
      Ainsi et comme nous le voyons, le savoir qu'ils ont transmis à l'Occident européen a sa propre identité profondément originale par rapport à ses initiatrices grecques ou indiennes (6).
      Bien sûr, par la suite, la culture islamique a connu une ceraine stagnation dont le caractère négatif s'est approfondi et prolongé depuis le 9ème siècle de l'Hégire (15ème siècle), c'est à dire après la chute du royaume naçride de Grenade. Cependant l'influence de cette culture a continué malgré tout à se faire sentir dans cette même Europe, ne fût ce que d'une manière bien atténuée et dans certains domaines limités aux lettres, au soufisme et à l'architecture et l'urbanisme.
      Nombreux sont les artistes européens qui se sont inspirés dans leurs travaux du patrimoine artistique légué par les musulmans de Grenade, Séville, Cordoue, et la Sicile. Les magnifiques miniatures persanes et turques continuent jusqu'à présent à susciter l'admiration des artistes et chercheurs d'Occident. Les travaux d'architecture urbanistique réalisés par l'architecte turc Mohammad Sinàn (1489-1588) ont suscité par leur beauté l'ébahissement des spécialistes européens de l'époque de la Renaissance.
      En Europe, les hommes de culture, particulièrement ceux du 18ème siècle, ont eu l'occasion de prendre connaissance des magnifiques œuvres du patrimoine islamique dans les domaines de la littérature, de la morale et du soufisme, traduites dans leurs langues comme les contes des Mille et une Nuit, les quatrains d'Omar Khayyam et les poèmes de Saâdi de Shiràz, ainsi que des œuvres éminentes tels le Guide des Égarés de Ghazali, le Collier de la Colombe et le Livre de la Morale et de la Bonne conduite, de l'andalou Ibn Hazm, le Langage des oiseaux, de Farid ad Dîn al-Attar, certains écrits d'Ibn Arabi al-Hatimi, les Prolégomènes (al-Muqadimat) d'Ibn Khaldoun et tant d'autres œuvres encore qui ont reçu de l'Occident un accueil général plein de sympathie de la part de tant d'artistes et d'hommes de lettres et qui se sont spécialisés dans la traduction de nombreux ouvrages islamiques qu'ils ont vulgarisés, étudiés, commentés et fait connaître à leurs pairs.
      3. Spécificités de la culture islamique
      Un trait essentiel caractérise les cultures des peuples, à savoir un penchant naturel à vouloir traduire et exprimer les aspirations et les préoccupations culturelles, affectives, sentimentales à concevoir et réaliser les valeurs morales et esthétiques qui aident l'individu -dans son milieu géo social- à dominer et dompter ses instincts, à éduquer ses sentiments et à libérer les énergies créatrices enfouis dans les esprits et les cœurs.
      Les cultures humaines divergent dans leurs formes et leurs fonds à la mesure des différences qui séparent les nations et les peuples dans les domaines des croyances religieuses, des mœurs et coutumes et traditions sociales, de l'environnement naturel, des relations de voisinages historiques et géographiques ainsi que d'autres facteurs qui influent positivement ou négativement sur le comportement des hommes et la conception des idéaux de la société.
      Il va sans dire que la culture qui est née et s'est épanouie sous la bannière de l'Islam, au développement de laquelle ont contribué des peuples divers, constitue l'une des principales civilisations humaines en raison de son impact positif sur le progrès des connaissances humaines et l'essor des civilisations. La culture islamique se caractérise par des particularités, fondamentales, certes communes à d'autres civilisations humaines, mais avec certaines nuances pouvant être relevées par des observateurs perspicaces.
      « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

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      • #4
        4ème partie

        Ces différences peuvent se résumer comme suit :
        — La vision globale
        Le dogme musulman se fonde essentiellement sur le principe absolu de l'unicité divine, celle de la foi en un Créateur unique qui gère Sa création dans Sa toute Mansuétude divine, Sa grande Sagesse éternelle.
        Il en découle pour le croyant son engagement d'obéir au culte islamique, de respecter les règles sur lesquelles se basent les rapports et le commerce des hommes, la conduite morale commandée par la charia' ou loi coranique de l'Islam.
        Il en découle sur le plan moral, la nécessité d'une vision globale de la vie prenant en considération l'interférence et l'interpénétration des éléments existentiels dans le cadre d'un ordre idéal où ne joue aucun hasard, car Dieu n'a rien créé au hasard ni vainement. "Il a plutôt donné toute chose à Ses créatures et les conduisit dans la bonne direction" (Coran - Taha, ch. XX, 50).
        Il est le Créateur éternel, veillant continuellement sur Sa création.
        Ces principes primordiaux ont eu une profonde influence sur la conduite des connaissances islamiques dans le droit coranique, les sciences et la philosophie.
        Les méthodes diverses, les objectifs différents, et les moyens multiples qui ont été utilisés pour l'application et la mise en œuvre de ces principes visent ensemble une finalité commune, celle de protéger l'être humain dans son entité absolue, de sauvegarder sa conscience, sa religion, sa progéniture, ses biens matériels.
        Ce sont là bien sûr des nécessités sans lesquelles aucune société humaine valable ne saurait exister. A la lumière de ces considérations, les sciences, les connaissances et les diverses industries ne sont plus désirées pour elles mêmes, mais pour l'intérêt et le bénéfice qu'en tirent l'individu et le groupe social.
        Interdépendance des connaissances
        Les premiers penseurs musulmans ont scindé les connaissances en deux branches principales : les sciences rationnelles (Ma'koul) et les sciences transmises (Mankoul). Ils ont procédé à la classification des diverses branches de la science à partir de cette division effectuée pour de pures considérations scientifiques.
        Le premier chapitre de cette division comporte essentiellement les sciences du droit canonique musulman ou "chari'a", et la linguistique, le second chapitre comprenant l'ensemble des autres branches, à savoir la philosophie, la théologie, la logique, les mathématiques, l'astronomie, les sciences naturelles, la médecine, les arts tels que la musique, la physique, les arts de la guerre, etc.
        Cette classification détaillée a été consignée par les savants musulmans dans des ouvrages d'épistémologie tels Farabi, Khuwarizmi, Avicenne...
        Cependant, la pensée musulmane en général préfère confirmer l'interpénétration entre les diverses branches du savoir en tant que méthode visant une seule finalité : la défense de la religion et le bien-être de l'homme ici-bas et dans l'autre monde, et par conséquent, assurer l'intérêt général de la communauté des hommes dans les domaines de la pensée, de leurs rapports entre eux et de leur conduite. La trame qui tisse cette interdépendance des connaissances se traduit par la concrétisation de l'intérêt matériel, moral et spirituel des hommes dans un juste milieu des choses. Toute connaissance qui n'aboutit pas à ce bien être des individus et à leur coopération pour le réaliser dans ce bas monde dont ils sont les vicaires pour y instaurer la justice, l'équité, et la bienfaisance (dans son sens mystique) est une connaissance inutile qui doit être bannie, comme la magie, l'astrologie etc.
        La voie de la Vertu
        Il s'agit là d'une base essentielle sur laquelle doit se fonder la culture islamique, la devise étant que la science doit être suivie de son application utile. Science et pratique de la vie sont les deux faces égales d'un vicariat qui doit être assumé avec fidélité, loin de toute tromperie, de tout mensonge, de toute falsification, de tout orgueil ou infatuation.
        Toute connaissance sera une connaissance amputée, inutile et inappropriée si son détenteur ne s'est pas engagé à suivre le minimum de règle morale dans sa conduite et son comportement. Les qualités humaines et les vertus qui devraient être le corollaire de ce savoir sont l'intégrité intellectuelle, la tolérance, le juste milieu des choses dans la conception des choses, la proclamation de son opinion criant tout haut la vérité et s'efforçant d'y parvenir par l'effort d'interprétation (Ijtihàd), et enfin l'analyse des sources fondamentales sans lesquelles aucune connaissance n'est possible.
        Les penseurs de l'Islam, tels Avicenne, Ràghib al-Asfahani, Màwardi, Ghazàli, Ibn Hazm et d'autres ont établi les règles déontologiques aussi bien du savant que de l'étudiant, nécessaires à l'exercice de l'activité scientifique et professionnelle de l'homme.
        Humanisme des connaissances
        L'humanisme des connaissances revêt deux aspects interdépendants et liés intimement l'un à l'autre.
        1°- La reconnaissance du droit de l'homme, en tant qu'être humain, à l'acquisition du savoir, et sa contribution -par son effort- à l'activité culturelle générale au sein de sa communauté.
        2°- La volonté de s'ouvrir aux connaissances humaines avec une clairvoyance et un sens critique qui empêchent l'individu de tomber dans l'erreur et la dépersonnalisation, car les hommes constituent une seule entité, ayant la même parenté, rassemblés par leur nature humaine, mus tous et chacun par une force divine qui les anime, à savoir l'âme consciente comme l'a si judicieusement précisé Hassan Ibn al-Haïtham al-Basri (7) (430H, 1039) et l'a confirmé le philosophe Ahmed Miskaweïh al-Khàzim (420H, 1030) lorsqu'il souligna que "Les pensées des nations se rejoignent dans la même direction sans diverger selon les divergences des lieux ou changer selon le changement des temps. Rien ne saurait arrêter leur marche en avant" (8).
        Les grands maîtres de la pensée islamique ont suivi cette orientation humaniste et n'ont pas hésité à puiser dans les cultures de leurs voisins, mus par une seule conduite : la recherche de la vérité et l'exploitation utile et sage des expériences des autres nations sans pour autant oublier l'authenticité islamique à laquelle ils appartenaient.
        A ce propos, Yacoub al Kindi (m. vers 252 H, 866) écrit : "Il ne faut pas avoir honte d'apprécier et de suivre la vérité de quelque nation qu'elle vienne, si lointaine fût-elle de nous et si différente, car celui qui recherche la vérité est celui qui en a le plus droit" (9).
        Nous avons cité quelques exemples de l'humanisme du savoir islamique en vue de préciser quelques caractéristiques de la culture islamique dont les finalités essentielles visaient, dès le départ, la dignité de l'homme et la manifestation de sa valeur islamique au sein de la mansuétude totale de Dieu.
        Progrès culturel dans les pays musulmans
        Voies et moyens
        Notre époque est caractérisée, à l'orée du 21ème siècle, par la coopération qui réclame la division du travail et des conséquences dans les meilleures conditions de la direction des choses du monde afin de réaliser une meilleure compréhension entre les hommes et une plus étroite collaboration entre les peuples dans le cadre du respect de la différence et selon le génie de chaque nation et ses caractéristiques culturelles et civilisationnelles propres.
        Afin que chaque nation assume la responsabilité dont elle a la charge, il faudra qu'elle se dote au départ d'un certain nombre raisonnable de dispositions intellectuelles et morales qui leur permettent de contribuer, par leurs efforts et selon leurs capacités et leurs possibilités, à consolider et renforcer les facteurs de développement idoines et de disposer dans ce but des moyens nécessaires dans les différents domaines, dont ceux de la culture et du savoir.
        Il ne fait aucun doute que le monde musulman constitue une force spirituelle et intellectuelle qui le rend apte à contribuer dans la concrétisation clairvoyante de la marche humaine vers sa destinée, marche semée aujourd'hui d'embûches et d'obstacles tant matériels que moraux, si nombreux à cause du déséquilibre constaté dans les relations humaines, de la situation déplorable de l'environnement naturel et social, et de l'énorme fossé qui sépare les peuples en dépit des multiples manifestations du progrès scientifique et technologique prodigieux auquel nous assistons. Afin que cette contribution soit efficace et utile, les pays musulmans ont le devoir de poursuivre le maximum d'efforts pour promouvoir leurs plans de développement, en assurer les moyens et en préparer les voies.
        « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

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        • #5
          5ème partie et fin

          Les voies et moyens appropriés pour la réalisation du développement culturel sont nombreux et variés au point où il serait ardu de les énumérer ou de les généraliser, à cause justement des dimensions de l'espace musulman, de la diversité de leurs peuples et de leurs conditions politiques et socio-économiques, ceci en plus de la disparité qui sépare ces pays en matière de ressources et de disponibilités financières.
          Nous aimerions citer ici quelques moyens aptes à réaliser un accord général et une coopération sérieuse entre les responsables et les penseurs des pays musulmans :
          — Multiplier les efforts visant à généraliser l'enseignement fondamental et l'alphabétisation générale en vue de permettre l'accès à la culture aux différentes classes sociales,
          — Réviser en permanence les méthodes et programmes d'enseignement universitaire afin d'en faire un instrument vivant apte à dynamiser la recherche scientifique, à encourager les initiatives créatrices, à susciter l'esprit d'analyse et le sens de la critique et, enfin, à renforcer le potentiel imaginatif d'innovation, de créativité et d'ouverture d'esprit sur la vie et le monde.
          — Élargir les horizons de l'échange de l'expertise et des expériences scientifiques avec le concours éclairé des organisations internationales spécialisées en matière d'éducation, de culture et de sciences, particulièrement avec l'ISESCO et l'UNESCO.
          — Accorder une attention toujours plus grande à la traduction à partir des langues vivantes aux diverses langues du monde islamique, selon un programme sélectif permettant aux hommes cultivés du monde musulman de prendre connaissance des ouvrages fondamentaux et des études sérieuses qui paraissent dans les différentes langues. L'activité de traduction doit également englober la circulation à travers le monde musulman des principaux ouvrages publiés dans leurs langues par les chercheurs, savants et hommes de lettres musulmans contemporains dans les autres langues principales parlées par les pays musulmans.
          — Accorder un intérêt soutenu au patrimoine culturel islamique, en sauvegardant les monuments vivants tout en les faisant connaître, et en procédant à l'analyse critique et scientifique moderne des publications fondamentales concernant ce patrimoine.
          — Encourager la promotion d'associations culturelles libres en leur accordant toute l'assistance voulue afin qu'elles puissent donner leurs fruits dans les domaines du théâtre, de la musique, des lettres et de la traduction. C'est que à eux seuls, les gouvernements ne sauraient assumer la charge du développement culturel. Il faudrait donc élargir le champ d'action culturelle par des initiatives privées.
          — Encourager l'utilisation de plus en plus vaste des différentes catégories de bibliothèques publiques, procéder à leur équipement avec les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement pour les mettre à la disposition des étudiants et des lecteurs en général, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, y compris les bibliothèques spécialisées pour enfants.
          — Accorder en outre un intérêt particulier aux moyens de communication technologiques (télévision, vidéo, computer...) et leur utilisation dans les domaines de l'éducation, de l'enseignement et de la vulgarisation de la culture, et ce, conformément à des programmes bien élaborés qui prennent en considération les niveaux des bénéficiaires et qui fassent ressortir les valeurs intellectuelles et spirituelles musulmanes avec une ouverture sage et éclairée sur les autres cultures humaines.
          — Dans le cadre de l'action commune, il est hautement souhaitable de mettre en œuvre une charte islamique pour le développement culturel qui prenne en considération les actions suivantes :
          1°) - Faire connaître les valeurs et les principes islamiques moraux, intellectuels et spirituels tels que la justice, l'égalité, la coopération, la tolérance, la bonté pieuse, et toute autre vertu qui fasse ressortir la valeur de la pensée humaine, de la science et de la sagesse dans la promotion humaine de l'individu, et au bénéfice des objectifs humains.
          2°) - S'accorder par un consensus général sur un programme islamique commun réalisable dans les domaines du développement culturel, comportant un plan d'action commun avec ses moyens d'exécution dans les limites du possible.
          Tels sont, pensons nous, quelques éléments proposés, propres à faciliter la voie à une marche culturelle islamique et qui expriment l'espoir de voir se promouvoir et se développer cette culture grâce à la collaboration de toutes les énergies vivantes éparses dans le monde musulman dont la population a dépassé aujourd'hui le milliard d'individus.
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          (1) Cité par André Lalande, dans "Vocabulaire technique et critique de la philosophie". p. 199. PUF - 13 édition - (Paris 1980)
          (2) Encyclopédia Britannica, Civilization and culture. Volume 5, p. 831.
          (3) Fuad Zizkine, Muhadarat - Tarikh al-Ulum al-Arabia wal-Islamia, p. 117 - Publications de l'Institut de l'Histoire des Sciences Arabes et Islamiques. (Franckfurt 1404H/1984.
          (4) Lumières arabes sur l'Occident, p. 18, Editions Anthropos (Paris 1978).
          (5) Lisàn ad Dine ibn al-Khatib, Al-Ihata Fi Akhbar Gharnata, T. III, pp. 67-98.
          (6) P. Benoît et F. Micheau. Eléments d'histoire des sciences - pp. 151-175. Bordas (Paris 1989).
          (7) Epitre sur la morale, in Epitres philosophiques, par Dr. A. Badaoui
          (8) Al Hikma al Khàlida - ouvrage colligé par A. Badaoui - p. 148
          (9)- Epitres philosophiques de Kindi - ouvrage colligé par Dr. Mohammed Abd al-Hàdi Abù Ridà. (Le Caire 1950).
          « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

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