LEMONDE.FR | 04.12.08 |
Après avoir renoncé à rencontrer le dalaï-lama en août à Paris, Nicolas Sarkozy a finalement annoncé qu'il rencontrerait le chef spirituel tibétain en Pologne samedi 6 décembre. Réplique immédiate de Pékin : le sommet Chine-UE, prévu le 1er décembre à Lyon, a été annulé. Jeudi, la Chine a été plus loin, menaçant Paris de mesures de rétorsion économique. Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques, et spécialiste de la Chine, explique les raisons de l'intransigeance de Pékin.
Les faits Tibet : Pékin met à nouveau en garde Paris
Le dalaï-lama doit rencontrer Nicolas Sarkozy, samedi 6 décembre, à Gdansk.
Les faits Pékin accroît sa pression sur Paris avant la rencontre avec le dalaï-lama
Comment se fait-il que la question tibétaine soit devenue si vive qu'elle suffit à Pékin pour annuler un sommet Chine-UE ?
Le problème du dalaï-lama est un prétexte. La Chine tape sur la France mais, en réalité, ce qu'elle n'aime pas c'est l'Europe unie. Les hommes politiques chinois ont l'impression de gérer dans le bilatéralisme, sauf avec les Etats-Unis, mais ils sont conscients qu'ils ne savent pas gérer dans un contexte multilatéral. Or les Français leur ont fait très peur quand ils ont obtenu l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine, fin 1989, en réponse au massacre de Tiananmen. Depuis, les Chinois cherchent où enfoncer le coin pour faire éclater une Europe qui les gêne, parce qu'elle leur imposera des quotas, les obligera à réévaluer le yuan, etc. Et il se trouve qu'ils ont trouvé où le coin allait rentrer. Gordon Brown et Angela Merkel peuvent recevoir le dalaï-lama et ne pas se rendre à la cérémonie d'ouverture des JO. Le gouvernement polonais peut se permettre d'inviter officiellement le dalaï-lama... La question n'est pas là, il s'agit de taper sur le maillon faible.
La France est donc le maillon faible ?
Oui, et ce, historiquement. Dans mon escadron, à l'armée, on avait l'habitude de dire : "On tape toujours sur le même, comme ça y en a qu'un qui gueule." On est exactement dans la même configuration : la Chine tape toujours sur le même, et en plus elle a la chance qu'en ce moment, il se trouve en haut du dispositif – la présidence de l'UE. C'est merveilleux !
Cela remonte à loin. Les diplomates français ont de tout temps été fascinés par la Chine et en ont une vision totalement déconnectée de la réalité. Nous sommes persuadés qu'il faut être gentils avec les Chinois pour que les Chinois soient gentils en échange. Parmi les pays ayant joué un grand rôle au niveau mondial, le nôtre est celui qui s'est montré le plus faible vis-à-vis de la Chine. Nous sommes ainsi considérés comme un pays femelle, faible et qui change tout le temps d'avis. Or la Chine ne respecte que la force.
L'attitude de Paris depuis le passage de la flamme olympique n'a pas dû arranger cette image...
La France s'est lancée dans un concours d'excuses alors qu'elle n'y était pour rien. Des excuses qui s'inscrivent en outre dans la droite ligne de la tradition diplomatique chinoise : historiquement, un pays vassal marque sa soumission à Pékin en envoyant un émissaire chargé de porter un cadeau. Et que fait Sarkozy ? Il envoie Raffarin, un ambassadeur tout désigné, porter une biographie du général de Gaulle à Pékin.
Comment les Chinois ont-ils interprété ce geste ?
Ils n'ont pas eu à l'interpréter ! Pour eux, c'est extrêmement clair : la France est un pays vassal. Et il sera très difficile de revenir en arrière. On a déjà essayé par le passé : en 1993, Balladur avait envoyé un émissaire, George Friedman, déclarer à Pékin que la France ne reconnaissait qu'une seule Chine, afin de se réconcilier après l'embargo sur les armes initié par la France en 1989. Nous n'y avons gagné que du mépris.
Comment rétablir des relations plus saines avec la Chine ?
Il y a heureusement beaucoup de gens en Europe qui commencent à comprendre que la Chine n'est pas un pays ami. C'est un pays égoïste qui a des rapports rugueux avec le reste du monde, avec lequel il faut prendre un peu de distance. Cela s'est ressenti dans les premières déclarations européennes après l'annulation du sommet Chine-UE : Manuel Barroso a commencé par expliquer que le problème concernait toute l'Europe, pas seulement la France, et surtout qu'il y avait un problème du côté chinois. La Chine attend maintenant de voir si Sarkozy ira bien voir le dalaï-lama en Pologne. Elle teste la solidité de l'Europe, pas de la France : si elle impose des mesures de rétorsion bilatérales contre la France et que les Européens laissent faire, elle aura tout gagné. Mais si la France se retranche derrière l'Europe et que l'UE reste solidaire, ça se passera très bien. Si l'Europe faiblit, la Chine pourra piétiner tous les pays européens l'un après l'autre, sauf la Grande-Bretagne, qui ne se laissera jamais faire.
Après avoir renoncé à rencontrer le dalaï-lama en août à Paris, Nicolas Sarkozy a finalement annoncé qu'il rencontrerait le chef spirituel tibétain en Pologne samedi 6 décembre. Réplique immédiate de Pékin : le sommet Chine-UE, prévu le 1er décembre à Lyon, a été annulé. Jeudi, la Chine a été plus loin, menaçant Paris de mesures de rétorsion économique. Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques, et spécialiste de la Chine, explique les raisons de l'intransigeance de Pékin.
Les faits Tibet : Pékin met à nouveau en garde Paris
Le dalaï-lama doit rencontrer Nicolas Sarkozy, samedi 6 décembre, à Gdansk.
Les faits Pékin accroît sa pression sur Paris avant la rencontre avec le dalaï-lama
Comment se fait-il que la question tibétaine soit devenue si vive qu'elle suffit à Pékin pour annuler un sommet Chine-UE ?
Le problème du dalaï-lama est un prétexte. La Chine tape sur la France mais, en réalité, ce qu'elle n'aime pas c'est l'Europe unie. Les hommes politiques chinois ont l'impression de gérer dans le bilatéralisme, sauf avec les Etats-Unis, mais ils sont conscients qu'ils ne savent pas gérer dans un contexte multilatéral. Or les Français leur ont fait très peur quand ils ont obtenu l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine, fin 1989, en réponse au massacre de Tiananmen. Depuis, les Chinois cherchent où enfoncer le coin pour faire éclater une Europe qui les gêne, parce qu'elle leur imposera des quotas, les obligera à réévaluer le yuan, etc. Et il se trouve qu'ils ont trouvé où le coin allait rentrer. Gordon Brown et Angela Merkel peuvent recevoir le dalaï-lama et ne pas se rendre à la cérémonie d'ouverture des JO. Le gouvernement polonais peut se permettre d'inviter officiellement le dalaï-lama... La question n'est pas là, il s'agit de taper sur le maillon faible.
La France est donc le maillon faible ?
Oui, et ce, historiquement. Dans mon escadron, à l'armée, on avait l'habitude de dire : "On tape toujours sur le même, comme ça y en a qu'un qui gueule." On est exactement dans la même configuration : la Chine tape toujours sur le même, et en plus elle a la chance qu'en ce moment, il se trouve en haut du dispositif – la présidence de l'UE. C'est merveilleux !
Cela remonte à loin. Les diplomates français ont de tout temps été fascinés par la Chine et en ont une vision totalement déconnectée de la réalité. Nous sommes persuadés qu'il faut être gentils avec les Chinois pour que les Chinois soient gentils en échange. Parmi les pays ayant joué un grand rôle au niveau mondial, le nôtre est celui qui s'est montré le plus faible vis-à-vis de la Chine. Nous sommes ainsi considérés comme un pays femelle, faible et qui change tout le temps d'avis. Or la Chine ne respecte que la force.
L'attitude de Paris depuis le passage de la flamme olympique n'a pas dû arranger cette image...
La France s'est lancée dans un concours d'excuses alors qu'elle n'y était pour rien. Des excuses qui s'inscrivent en outre dans la droite ligne de la tradition diplomatique chinoise : historiquement, un pays vassal marque sa soumission à Pékin en envoyant un émissaire chargé de porter un cadeau. Et que fait Sarkozy ? Il envoie Raffarin, un ambassadeur tout désigné, porter une biographie du général de Gaulle à Pékin.
Comment les Chinois ont-ils interprété ce geste ?
Ils n'ont pas eu à l'interpréter ! Pour eux, c'est extrêmement clair : la France est un pays vassal. Et il sera très difficile de revenir en arrière. On a déjà essayé par le passé : en 1993, Balladur avait envoyé un émissaire, George Friedman, déclarer à Pékin que la France ne reconnaissait qu'une seule Chine, afin de se réconcilier après l'embargo sur les armes initié par la France en 1989. Nous n'y avons gagné que du mépris.
Comment rétablir des relations plus saines avec la Chine ?
Il y a heureusement beaucoup de gens en Europe qui commencent à comprendre que la Chine n'est pas un pays ami. C'est un pays égoïste qui a des rapports rugueux avec le reste du monde, avec lequel il faut prendre un peu de distance. Cela s'est ressenti dans les premières déclarations européennes après l'annulation du sommet Chine-UE : Manuel Barroso a commencé par expliquer que le problème concernait toute l'Europe, pas seulement la France, et surtout qu'il y avait un problème du côté chinois. La Chine attend maintenant de voir si Sarkozy ira bien voir le dalaï-lama en Pologne. Elle teste la solidité de l'Europe, pas de la France : si elle impose des mesures de rétorsion bilatérales contre la France et que les Européens laissent faire, elle aura tout gagné. Mais si la France se retranche derrière l'Europe et que l'UE reste solidaire, ça se passera très bien. Si l'Europe faiblit, la Chine pourra piétiner tous les pays européens l'un après l'autre, sauf la Grande-Bretagne, qui ne se laissera jamais faire.
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