Joe Biden, peu de temps avant son élection à la vice-présidence des États-Unis, encourageait ainsi ses troupes : “Nous ne pouvons continuer à dépendre de l’Arabie Saoudite ou d’un dictateur vénézuélien pour notre approvisionnement énergétique”. Bon, je sais bien ce qu’est l’Arabie Saoudite. Mais comme je m’étais rendu au Venezuela en 2006, que j’y avais visité les bidonvilles, que je m’étais mêlé aux riches membres de l’opposition et que j’avais passé des jours et des jours avec les supporters du président, je me suis demandé – façon de parler – à qui faisait référence le sénateur Biden.
AUTEUR: Sean PENN
Traduit par Alexandre Govaerts, révisé par Fausto Giudice
Hugo Chávez Frias est le président démocratiquement élu du Venezuela, et quand je dis démocratiquement, je veux dire qu’il s’est présenté de nombreuses fois devant les électeurs au cours de scrutins que les observateurs internationaux ont déclaré réguliers et a obtenu de larges majorités dans un système qui, malgré ses défauts et irrégularités a donné à ses opposants l’opportunité de le battre et d’occuper son poste, tant à l’occasion du référendum de l’année dernière que lors des récentes élections régionales du mois de novembre.
Les paroles de Biden, au contraire, représentent le type de rhétorique qui nous a poussé à nous empêtrer dans une guerre coûteuse, tant en termes de vies que d’argent. Une guerre qui, bien qu’elle ait fait tomber un connard en Irak, a également fait tomber les principes les plus dynamiques sur lesquels ont été fondés les Etats-Unis, facilité le recrutement d’Al Qaïda et conduit à la déconstruction des forces armées étatsuniennes.
Jusqu’en octobre 2008, j’avais déjà amplement réfléchi à mes visites antérieures au Venezuela et à Cuba et au temps que j’avais passé avec Hugo Chávez et Fidel Castro. Et je suis de plus en plus allergique à la propagande. Car bien qu’Hugo Chávez ait également une certaine tendance à la rhétorique, il n’a jamais déclenché une guerre. Après ma première visite, j’étais déjà arrivé à révéler à mes amis, en privé : “C’est vrai, il se peut que Chávez ne soit pas un homme bon, mais il se peut également que ce soit un grand homme”.
Parmi les personnes à qui je fis cette déclaration se trouvaient l’historien Douglas Brinkley et Christopher Hitchens, l’éditorialiste de Vanity Fair. Ils étaient tous les deux parfaits. Brinkley est un penseur très stable, dont l’éthique d’historien garantit l’adhésion à des preuves irréfutablement construites sur la raison. Hitchens, un astucieux artisan des mots toujours assez imprévisible dans ses préférences, est une valeur sûre à tout point de vue, qui a défini un jour dans une émission télévisée Chávez comme un “clown riche en pétrole”. Bien qu’Hitchens soit aussi intègre que brillant, il peut se révéler combatif jusqu’à l’intimidation, ainsi qu’il l’a démontré par ses commentaires très durs envers Cindy Sheehan, la sainte activiste pacifique. Brinkley et Hitchens équilibreraient tout parti pirs dans mes écrits, au-delà du fait qu’ils sont deux gars avec qui je m’amuse bien et que j’aime beaucoup.
J’ai donc appelé Fernando Sulichin, un vieil ami producteur de cinéma indépendant en Argentine, qui dispose de bons contacts, et je lui ai demandé de s’en servir et de nous obtenir le visa nécessaire pour pouvoir interviewer Chávez. En outre, nous voulions nous rendre du Venezuela à Cuba et c’est pourquoi j’ai demandé à Fernando qu’il sollicite des entretiens pour nous aux frères Castro, le plus urgent étant celui avec Raúl, qui a obtenu les rênes du pouvoir des mains de son frère malade en février 2008, et qui n’avait jamais accordé d’interview à un étranger. J’avais voyagé à Cuba en 2005 et avais eu la chance de rencontrer Fidel. J’espérais avec anxiété de pouvoir avoir un entretien avec le nouveau président.
Le téléphone sonna le lendemain à deux heures de l’après-midi.
- “Mon frère, je t’ai obtenu ce que tu voulais”, m’a dit Fernando.
Notre vol de Houston à Caracas fut retardé pour des problèmes techniques. Il était une heure du matin et, tandis que nous attendions, Hitchens tournait en rond, rongé par l’impatience.
- “Un malheur n’arrive jamais seul”, me dit-il.
La phrase semblait lui plaire, car il la répéta. Je pensai qu’il allait nous porter malheur avec son pessimisme et lui dis :
- “Tout va bien se passer, Hitch. Ils vont nous trouver un autre avion et nous arriverons à temps”.
Mais il nous portera effectivement malheur, un peu plus tard. Finalement, nous décollé deux heures plus tard.
A l’atterrissage à Caracas, Fernando était là pour nous accueillir. Il nous conduisit à un terminal privé où nous attendîmes l’arrivée du président Chávez, qui nous emmena avec lui en tournée électorale sur la merveilleuse Isla Margarita, en pleine campagne pour les élections des gouverneurs.
Nous passâmes les deux jours suivants entièrement avec Chávez, dédiant de nombreuses heures à des réunions entre nous quatre. Dans l’espace privé de l’avion présidentiel, je découvris que l’anglais de Chávez s’améliore quand il parle de base-ball. Quand Douglas lui demanda si la Doctrine Monroe devrait être abolie, Chávez – qui choisit toujours ses mots avec précaution – repassa à l’espagnol pour expliquer les détails de sa position contre la doctrine en question, qui a justifié l’intervention étatsunienne en Amérique Latine pendant près de deux siècles.
- “Il faut abolir la Doctrine Monroe”, me dit-il. “Nous avons dû nous la supporter pendant plus de 200 ans. Il faut toujours garder en mémoire l’opposition de Bolivar à Monroe. Jefferson avait l’habitude de dire que les États-Unis devraient absorber une à une les républiques du sud. Le pays dans lequel vous êtes nés a été fondé sur une mentalité impérialiste”.
Les services secrets vénézuéliens lui disent que le Pentagone dispose de plans pour envahir son pays.
- “Je sais qu’ils pensent à envahir le Venezuela”, me dit-il. On dirait qu’il voit la fin de la Doctrine Monroe comme une mesure de son destin. “Personne ne pourra revenir ici pour piller nos ressources naturelles”.
Est-il préoccupé par la réaction des États-Unis à ses déclarations sans équivoque à propos de la Doctrine Monroe? Citant José Gervasio Artigas, le militant uruguayen pour la liberté, il répond :
- “Je ne crains pas la vérité et par elle je n’offense pas”.
Hitchens est assis en silence et prend des notes pendant toute la conversation. Chávez décèle une lueur de scepticisme dans ses yeux.
- “Cris-to-fer, pose-moi une question. Une question très difficile.”
Ils échangent un sourire. Hitchens lui demande :
- “Quelle est la différence entre Fidel et toi?”
Chávez répond :
- “ Fidel est communiste, moi pas. Je suis social-démocrate. Fidel est marxiste-léniniste. Moi pas. Fidel est athée et moi pas. Un jour nous avons discuté de Dieu et du Christ. J’ai dit à Castro ‘Moi, je suis chrétien. Je crois en les évangiles sociaux du Christ’. Lui pas. Il n’est pas croyant, tout simplement. A plusieurs reprises, Castro m’a dit que le Venezuela n’est pas Cuba et que nous ne sommes pas dans les années soixante”.
- “Tu comprends”, dit Chávez, “le Venezuela doit avoir un socialisme démocratique. Castro a été un professeur pour moi. Un maître. Pas dans l’idéologie, mais dans la stratégie.”
De manière ironique, peut-être, John F. Kennedy est le président étatsunien préféré de Chávez.
- “J’étais un enfant”, me dit-il, “Kennedy était la force d’impulsion de la réforme aux Etats-Unis”.
AUTEUR: Sean PENN
Traduit par Alexandre Govaerts, révisé par Fausto Giudice
Hugo Chávez Frias est le président démocratiquement élu du Venezuela, et quand je dis démocratiquement, je veux dire qu’il s’est présenté de nombreuses fois devant les électeurs au cours de scrutins que les observateurs internationaux ont déclaré réguliers et a obtenu de larges majorités dans un système qui, malgré ses défauts et irrégularités a donné à ses opposants l’opportunité de le battre et d’occuper son poste, tant à l’occasion du référendum de l’année dernière que lors des récentes élections régionales du mois de novembre.
Les paroles de Biden, au contraire, représentent le type de rhétorique qui nous a poussé à nous empêtrer dans une guerre coûteuse, tant en termes de vies que d’argent. Une guerre qui, bien qu’elle ait fait tomber un connard en Irak, a également fait tomber les principes les plus dynamiques sur lesquels ont été fondés les Etats-Unis, facilité le recrutement d’Al Qaïda et conduit à la déconstruction des forces armées étatsuniennes.
Jusqu’en octobre 2008, j’avais déjà amplement réfléchi à mes visites antérieures au Venezuela et à Cuba et au temps que j’avais passé avec Hugo Chávez et Fidel Castro. Et je suis de plus en plus allergique à la propagande. Car bien qu’Hugo Chávez ait également une certaine tendance à la rhétorique, il n’a jamais déclenché une guerre. Après ma première visite, j’étais déjà arrivé à révéler à mes amis, en privé : “C’est vrai, il se peut que Chávez ne soit pas un homme bon, mais il se peut également que ce soit un grand homme”.
Parmi les personnes à qui je fis cette déclaration se trouvaient l’historien Douglas Brinkley et Christopher Hitchens, l’éditorialiste de Vanity Fair. Ils étaient tous les deux parfaits. Brinkley est un penseur très stable, dont l’éthique d’historien garantit l’adhésion à des preuves irréfutablement construites sur la raison. Hitchens, un astucieux artisan des mots toujours assez imprévisible dans ses préférences, est une valeur sûre à tout point de vue, qui a défini un jour dans une émission télévisée Chávez comme un “clown riche en pétrole”. Bien qu’Hitchens soit aussi intègre que brillant, il peut se révéler combatif jusqu’à l’intimidation, ainsi qu’il l’a démontré par ses commentaires très durs envers Cindy Sheehan, la sainte activiste pacifique. Brinkley et Hitchens équilibreraient tout parti pirs dans mes écrits, au-delà du fait qu’ils sont deux gars avec qui je m’amuse bien et que j’aime beaucoup.
J’ai donc appelé Fernando Sulichin, un vieil ami producteur de cinéma indépendant en Argentine, qui dispose de bons contacts, et je lui ai demandé de s’en servir et de nous obtenir le visa nécessaire pour pouvoir interviewer Chávez. En outre, nous voulions nous rendre du Venezuela à Cuba et c’est pourquoi j’ai demandé à Fernando qu’il sollicite des entretiens pour nous aux frères Castro, le plus urgent étant celui avec Raúl, qui a obtenu les rênes du pouvoir des mains de son frère malade en février 2008, et qui n’avait jamais accordé d’interview à un étranger. J’avais voyagé à Cuba en 2005 et avais eu la chance de rencontrer Fidel. J’espérais avec anxiété de pouvoir avoir un entretien avec le nouveau président.
Le téléphone sonna le lendemain à deux heures de l’après-midi.
- “Mon frère, je t’ai obtenu ce que tu voulais”, m’a dit Fernando.
Notre vol de Houston à Caracas fut retardé pour des problèmes techniques. Il était une heure du matin et, tandis que nous attendions, Hitchens tournait en rond, rongé par l’impatience.
- “Un malheur n’arrive jamais seul”, me dit-il.
La phrase semblait lui plaire, car il la répéta. Je pensai qu’il allait nous porter malheur avec son pessimisme et lui dis :
- “Tout va bien se passer, Hitch. Ils vont nous trouver un autre avion et nous arriverons à temps”.
Mais il nous portera effectivement malheur, un peu plus tard. Finalement, nous décollé deux heures plus tard.
A l’atterrissage à Caracas, Fernando était là pour nous accueillir. Il nous conduisit à un terminal privé où nous attendîmes l’arrivée du président Chávez, qui nous emmena avec lui en tournée électorale sur la merveilleuse Isla Margarita, en pleine campagne pour les élections des gouverneurs.
Nous passâmes les deux jours suivants entièrement avec Chávez, dédiant de nombreuses heures à des réunions entre nous quatre. Dans l’espace privé de l’avion présidentiel, je découvris que l’anglais de Chávez s’améliore quand il parle de base-ball. Quand Douglas lui demanda si la Doctrine Monroe devrait être abolie, Chávez – qui choisit toujours ses mots avec précaution – repassa à l’espagnol pour expliquer les détails de sa position contre la doctrine en question, qui a justifié l’intervention étatsunienne en Amérique Latine pendant près de deux siècles.
- “Il faut abolir la Doctrine Monroe”, me dit-il. “Nous avons dû nous la supporter pendant plus de 200 ans. Il faut toujours garder en mémoire l’opposition de Bolivar à Monroe. Jefferson avait l’habitude de dire que les États-Unis devraient absorber une à une les républiques du sud. Le pays dans lequel vous êtes nés a été fondé sur une mentalité impérialiste”.
Les services secrets vénézuéliens lui disent que le Pentagone dispose de plans pour envahir son pays.
- “Je sais qu’ils pensent à envahir le Venezuela”, me dit-il. On dirait qu’il voit la fin de la Doctrine Monroe comme une mesure de son destin. “Personne ne pourra revenir ici pour piller nos ressources naturelles”.
Est-il préoccupé par la réaction des États-Unis à ses déclarations sans équivoque à propos de la Doctrine Monroe? Citant José Gervasio Artigas, le militant uruguayen pour la liberté, il répond :
- “Je ne crains pas la vérité et par elle je n’offense pas”.
Hitchens est assis en silence et prend des notes pendant toute la conversation. Chávez décèle une lueur de scepticisme dans ses yeux.
- “Cris-to-fer, pose-moi une question. Une question très difficile.”
Ils échangent un sourire. Hitchens lui demande :
- “Quelle est la différence entre Fidel et toi?”
Chávez répond :
- “ Fidel est communiste, moi pas. Je suis social-démocrate. Fidel est marxiste-léniniste. Moi pas. Fidel est athée et moi pas. Un jour nous avons discuté de Dieu et du Christ. J’ai dit à Castro ‘Moi, je suis chrétien. Je crois en les évangiles sociaux du Christ’. Lui pas. Il n’est pas croyant, tout simplement. A plusieurs reprises, Castro m’a dit que le Venezuela n’est pas Cuba et que nous ne sommes pas dans les années soixante”.
- “Tu comprends”, dit Chávez, “le Venezuela doit avoir un socialisme démocratique. Castro a été un professeur pour moi. Un maître. Pas dans l’idéologie, mais dans la stratégie.”
De manière ironique, peut-être, John F. Kennedy est le président étatsunien préféré de Chávez.
- “J’étais un enfant”, me dit-il, “Kennedy était la force d’impulsion de la réforme aux Etats-Unis”.
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