Le 15 décembre 2007, notre ami et camarade Redouane Osmane, secrétaire général du Conseil des
lycées d’Algérie, nous a quittés. Avec cette disparition tragique, l’Algérie est désormais orpheline du
militant infatigable et du syndicaliste charismatique qu’il a été ; les travailleurs, les femmes, la cause
amazigh, les jeunes, la gauche, toutes les minorités et tous les parias de la prédation capitaliste et
d’un ordre social injuste perdent un organisateur hors pair et un homme qui a dédié toute sa vie au
service de la défense des opprimés et des libertés fondamentales.
En effet, Redouane Osmane a été de tous les combats. Très jeune, sous le règne de Boumediene,
il s’engage dans le combat politique et syndical et prend part, dans la clandestinité, aux activités
des premiers groupes trotskystes. En 1979, il rejoint le Groupe communiste révolutionnaire
(GCR), dont il sera l’un des animateurs principaux. Au début des années 1980, il s’implique
dans le mouvement berbère et anime la grève des enseignants dans le cadre de la Fédération
des travailleurs de l’éducation et de la culture (FTEC), alors fédération de l’Union générale des
travailleurs algériens (UGTA), syndicat unique complètement inféodé au régime du FLN. A ce
moment-là, il mène les premières campagnes en faveur de l’autonomie des syndicats par rapport
au pouvoir et ses laquais dans les mouvements de masses. Convaincu que les opprimés ne
peuvent vaincre que s’ils s’approprient eux-mêmes les outils de leurs luttes, Redouane fera de
l’autonomie et de l’auto-organisation son credo, il en sera même l’incarnation vivante. Reprenant
ses études de lettres françaises à l’université de Bouzaréah, il est l’une des figures de proue de la
Coordination nationale des étudiants lors de la grève générale des universités à l’automne 1987.
Cette coordination donnera naissance en 1989 au Syndicat national des étudiants algériens,
autonome et démocratique (SNEA-AD) dont Redouane est l’inspirateur.
Durant les journées sanglantes d’Octobre 1988 et jusqu’en 1989, il se jette corps et âme avec le
mouvement étudiant dans le combat pour la démocratie et le multipartisme, contre la torture et
pour le jugement des tortionnaires d’Octobre. En itinérant infatigable de l’agitation, on le voit alors
sillonner les gares, les villes et les facs du pays avec son sac regorgeant de tracts sur l’épaule. Il
interceptera et formera toute une génération venue au militantisme à travers les manifestations de
Sétif et Constantine en 1986, les grèves étudiantes de 1987 et, bien entendu, Octobre 1988. On
le retrouvera encore en 1989 au séminaire des Commissions nationales du Mouvement culturel
berbère (MCB), et il sera l’un des artisans de la transformation du GCR en Parti socialiste des
travailleurs (PST), dont il sera l’un des dirigeants les plus en vue. Là, il s’installe à Oran pour
poursuivre ses activités et ses études, il obtient sa licence en 1991, puis enseigne à Arzew.
Mais derrière le militant, il y avait aussi l’homme, le frère, l’ami, le poète, le lecteur insatiable de
Jean Sénac et Jean Genet, pour qui esthétique et révolte vont de pair, qui refusait qu’un soleil, aussi
beau soit-il, ne continue à se lever sur l’aube de nouvelles injustices. Et les injustices allaient encore
s’accentuer dans l’Algérie des années 1990, dans une odeur de pétrole et de sang, dans un climat
de peur, de terreur et de résignation, où des pans entiers de la société algérienne étaient jetés dans
la misère lorsqu’ils n’étaient pas livrés aux assassins de tous bords. Mais ce qui poussait nombre
de militants à la résignation constituait pour Redouane autant de motifs pour continuer le combat.
Comme il l’avait exprimé : « La résistance est une utopie active, qui refuse l’infernale fatalité de la
résignation ».
De retour à Alger en 1993, où il enseigne à Bab El-Oued, Redouane rejoint la Ligue algérienne
pour la défense des droits de l’homme (LADDH) et initie les comités anti-FMI via l’Association des
amis de l’initiative pour une résistance sociale aux mesures du FMI. Durant ces années noires,
il collabore aussi en tant que journaliste dans quelques titres de la presse algéroise. En 2003, après
avoir claqué la porte d’une UGTA complètement domestiquée par le pouvoir, il est l’artisan d’une
grève des lycées qui dure près de trois mois ; en représailles, le ministère de l’éducation tentera
de le radier de la fonction publique. Poursuivi et harcelé par la justice pour grève illégale plusieurs
mois durant, le régime abdiquera face à la mobilisation du corps enseignant et aux campagnes de
solidarités. Depuis ces grèves qui ont donné naissance au Conseil des lycées d’Alger, Redouane
se consacre alors presque exclusivement au travail syndical dans l’enseignement devenant ainsi
la bête noire de son ministère de tutelle. Qui ne se souvient de cette formule qui concluait nombre
de tracts et de déclarations de maints comités autonomes : « pour la lutte, car seule la lutte paie ! » ;
c’était la devise de Redouane, c’était la devise d’une vie jalonnée de combats, mais une devise qui
ne se conjugue pas qu’au passé, car c’est le cri de guerre que doit s’approprier l’opprimé-e pour le
jeter comme un pavé, comme une grenade à la face de l’arbitraire, de la hogra, du désenchantement
et des lendemains incertains.
C’est en plein cours que Redouane Osmane a été brutalement trahi par son coeur, devant ses
élèves au lycée Emir-Abdelkader, celui-là même qu’il fréquenta dans son adolescence, à Bab El-
Oued, son quartier. L’enfant de Bab El-Oued s’est éteint parmi les siens. L’effroi qu’a provoqué
sa disparition et son écho très largement répercuté dans la presse, dans les milieux syndicaux et
politiques, témoignent de la dimension du militant et du respect dont il jouissait. Son enterrement
a, quant à lui, mis en exergue son enracinement parmi le peuple de Bab El-Oued. L’homme dont la
vie n’a été qu’une suite de batailles incessantes devait encore se battre pour rejoindre sa dernière
demeure. Alors que des centaines de personnes se massaient devant le lycée Emir-Abdelkader
en attendant la dépouille mortelle pour se recueillir et lui rendre un dernier hommage, un important
dispositif policier est venu empêcher l’accès au cortège. Des cris de révolte et des chants fusèrent
de la foule : « même mort, il dérange ! », « mazalna mazalna thouar ! » (nous sommes toujours des
révolutionnaires) ; le cortège se dirigea par la suite vers la mosquée Es-Sunna, puis de là vers
le cimetière El-Kettar drainant plus de mille personnes, dont ses élèves, des enseignants, des
femmes, des habitants du quartier, des camarades, les proches… transformant ainsi la procession
en manifestation en plein coeur de Bab El-Oued. C’était le meilleur hommage que pouvait rendre un
peuple à celui qui a dédié sa vie aux plus faibles parmi les siens.
A l’occasion du premier anniversaire de sa disparition, je demande à tous d’exprimer une pensée militante à cet infatigable homme.
lycées d’Algérie, nous a quittés. Avec cette disparition tragique, l’Algérie est désormais orpheline du
militant infatigable et du syndicaliste charismatique qu’il a été ; les travailleurs, les femmes, la cause
amazigh, les jeunes, la gauche, toutes les minorités et tous les parias de la prédation capitaliste et
d’un ordre social injuste perdent un organisateur hors pair et un homme qui a dédié toute sa vie au
service de la défense des opprimés et des libertés fondamentales.
En effet, Redouane Osmane a été de tous les combats. Très jeune, sous le règne de Boumediene,
il s’engage dans le combat politique et syndical et prend part, dans la clandestinité, aux activités
des premiers groupes trotskystes. En 1979, il rejoint le Groupe communiste révolutionnaire
(GCR), dont il sera l’un des animateurs principaux. Au début des années 1980, il s’implique
dans le mouvement berbère et anime la grève des enseignants dans le cadre de la Fédération
des travailleurs de l’éducation et de la culture (FTEC), alors fédération de l’Union générale des
travailleurs algériens (UGTA), syndicat unique complètement inféodé au régime du FLN. A ce
moment-là, il mène les premières campagnes en faveur de l’autonomie des syndicats par rapport
au pouvoir et ses laquais dans les mouvements de masses. Convaincu que les opprimés ne
peuvent vaincre que s’ils s’approprient eux-mêmes les outils de leurs luttes, Redouane fera de
l’autonomie et de l’auto-organisation son credo, il en sera même l’incarnation vivante. Reprenant
ses études de lettres françaises à l’université de Bouzaréah, il est l’une des figures de proue de la
Coordination nationale des étudiants lors de la grève générale des universités à l’automne 1987.
Cette coordination donnera naissance en 1989 au Syndicat national des étudiants algériens,
autonome et démocratique (SNEA-AD) dont Redouane est l’inspirateur.
Durant les journées sanglantes d’Octobre 1988 et jusqu’en 1989, il se jette corps et âme avec le
mouvement étudiant dans le combat pour la démocratie et le multipartisme, contre la torture et
pour le jugement des tortionnaires d’Octobre. En itinérant infatigable de l’agitation, on le voit alors
sillonner les gares, les villes et les facs du pays avec son sac regorgeant de tracts sur l’épaule. Il
interceptera et formera toute une génération venue au militantisme à travers les manifestations de
Sétif et Constantine en 1986, les grèves étudiantes de 1987 et, bien entendu, Octobre 1988. On
le retrouvera encore en 1989 au séminaire des Commissions nationales du Mouvement culturel
berbère (MCB), et il sera l’un des artisans de la transformation du GCR en Parti socialiste des
travailleurs (PST), dont il sera l’un des dirigeants les plus en vue. Là, il s’installe à Oran pour
poursuivre ses activités et ses études, il obtient sa licence en 1991, puis enseigne à Arzew.
Mais derrière le militant, il y avait aussi l’homme, le frère, l’ami, le poète, le lecteur insatiable de
Jean Sénac et Jean Genet, pour qui esthétique et révolte vont de pair, qui refusait qu’un soleil, aussi
beau soit-il, ne continue à se lever sur l’aube de nouvelles injustices. Et les injustices allaient encore
s’accentuer dans l’Algérie des années 1990, dans une odeur de pétrole et de sang, dans un climat
de peur, de terreur et de résignation, où des pans entiers de la société algérienne étaient jetés dans
la misère lorsqu’ils n’étaient pas livrés aux assassins de tous bords. Mais ce qui poussait nombre
de militants à la résignation constituait pour Redouane autant de motifs pour continuer le combat.
Comme il l’avait exprimé : « La résistance est une utopie active, qui refuse l’infernale fatalité de la
résignation ».
De retour à Alger en 1993, où il enseigne à Bab El-Oued, Redouane rejoint la Ligue algérienne
pour la défense des droits de l’homme (LADDH) et initie les comités anti-FMI via l’Association des
amis de l’initiative pour une résistance sociale aux mesures du FMI. Durant ces années noires,
il collabore aussi en tant que journaliste dans quelques titres de la presse algéroise. En 2003, après
avoir claqué la porte d’une UGTA complètement domestiquée par le pouvoir, il est l’artisan d’une
grève des lycées qui dure près de trois mois ; en représailles, le ministère de l’éducation tentera
de le radier de la fonction publique. Poursuivi et harcelé par la justice pour grève illégale plusieurs
mois durant, le régime abdiquera face à la mobilisation du corps enseignant et aux campagnes de
solidarités. Depuis ces grèves qui ont donné naissance au Conseil des lycées d’Alger, Redouane
se consacre alors presque exclusivement au travail syndical dans l’enseignement devenant ainsi
la bête noire de son ministère de tutelle. Qui ne se souvient de cette formule qui concluait nombre
de tracts et de déclarations de maints comités autonomes : « pour la lutte, car seule la lutte paie ! » ;
c’était la devise de Redouane, c’était la devise d’une vie jalonnée de combats, mais une devise qui
ne se conjugue pas qu’au passé, car c’est le cri de guerre que doit s’approprier l’opprimé-e pour le
jeter comme un pavé, comme une grenade à la face de l’arbitraire, de la hogra, du désenchantement
et des lendemains incertains.
C’est en plein cours que Redouane Osmane a été brutalement trahi par son coeur, devant ses
élèves au lycée Emir-Abdelkader, celui-là même qu’il fréquenta dans son adolescence, à Bab El-
Oued, son quartier. L’enfant de Bab El-Oued s’est éteint parmi les siens. L’effroi qu’a provoqué
sa disparition et son écho très largement répercuté dans la presse, dans les milieux syndicaux et
politiques, témoignent de la dimension du militant et du respect dont il jouissait. Son enterrement
a, quant à lui, mis en exergue son enracinement parmi le peuple de Bab El-Oued. L’homme dont la
vie n’a été qu’une suite de batailles incessantes devait encore se battre pour rejoindre sa dernière
demeure. Alors que des centaines de personnes se massaient devant le lycée Emir-Abdelkader
en attendant la dépouille mortelle pour se recueillir et lui rendre un dernier hommage, un important
dispositif policier est venu empêcher l’accès au cortège. Des cris de révolte et des chants fusèrent
de la foule : « même mort, il dérange ! », « mazalna mazalna thouar ! » (nous sommes toujours des
révolutionnaires) ; le cortège se dirigea par la suite vers la mosquée Es-Sunna, puis de là vers
le cimetière El-Kettar drainant plus de mille personnes, dont ses élèves, des enseignants, des
femmes, des habitants du quartier, des camarades, les proches… transformant ainsi la procession
en manifestation en plein coeur de Bab El-Oued. C’était le meilleur hommage que pouvait rendre un
peuple à celui qui a dédié sa vie aux plus faibles parmi les siens.
A l’occasion du premier anniversaire de sa disparition, je demande à tous d’exprimer une pensée militante à cet infatigable homme.
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