Tristan_1: Comment creuse-t-on un trou de 50 milliards ? Quels étaient finalement les opérations réalisées par M. Madoff ?
Georges Ugeux: Je vais essayer de l'expliquer de manière un peu simplifiée. Dans unpremier temps, M. Madoff reçoit des capitaux à gérer, qu'il investitlui-même dans des hedge funds, dont la performance est supposée êtresupérieure à la moyenne. Lorsque ce n'était pas le cas, au lieu dediminuer le rendement distribué aux investisseurs, il prenait toutsimplement l'argent des nouveaux investisseurs et l'utilisait pourpayer les anciens.
De ce fait, il donnait l'impression d'uneperformance exceptionnelle, sur base de laquelle il attirait de plus enplus d'investisseurs, mais année après année, créait un trou qui, audébut, a été très petit, et qui s'est probablement gravement accélérédans la mesure où la performance des hedge funds en 2007 et 2008 a étécatastrophique.
blogjob: Quelque chose m'échappe : lestechniques employées par Madoff étaient nécessairement destinées à êtredécouvertes... Dans quel but (autre que suicidaire donc) a-t-il mis enplace son système ?
Georges Ugeux: Cela resteratoujours un mystère. Je pense qu'il a profondément sous-estimé lagravité de la crise financière, et il a cru pouvoir s'en sortir aprèsquelques mois. Nous avons rencontré aux Etats-Unis plusieurs grandsfinanciers qui ont pris trop tard conscience de l'ampleur du désastre,et c'est notamment le cas de M. Jimmy Caine, le patron de Bear Stearnset de M. Richard Fuld, le patron de Lehman Brothers.
Ils ontune forme de confiance, ou d'aveuglement, qui fait qu'ils ne prennentaucune mesure préventive et quand, enfin, ils se rendent compte del'ampleur du désastre, il est trop tard. M. Madoff aurait pu continuersi, subitement, les hedge funds dans lesquels il avait investiretrouvaient leurs performances positives et qu'il pouvaitprogressivement boucher les trous, tout comme il les avait créésprogressivement.
VivaZapata: Mais que fait la police ? Comment se fait-il que la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme américain de la bourse, ne se soit pas penchee plus tôt sur un fonds qui perd 50 milliards de dollars ?
Georges Ugeux: La réponse à cette question, c'est que la perte de 50 milliards de dollars n'est connue que depuis la semaine dernière. Jusqu'à la semaine dernière, les investisseurs étaient convaincus que c'était un fonds qui était vraiment sain et rapportait des performances exceptionnelles. Par contre, ce qui s'est passé en 2005, c'est qu'au moment où les marchés ont commencé à devenir plus difficiles, un certain nombre d'opérateurs ont attiré l'attention de la SEC sur ce caractère anormal.
A partir de ce moment-là, la procédure, c'est que les professionnels ont commencé à regarder le dossier. Mais d'après l'information dont nous disposons, ils n'y ont pas donné suite et n'ont certainement pas saisi la commission elle-même d'un dossier relatif à M. Madoff. Dans ce contexte, une enquête vient d'être lancée dans la mesure où le président de la SEC a indiqué que depuis dix ans, à diverses reprises, des informations précises sur certains comportements suspects de M. Madoff n'ont pas fait l'objet de suivi par le staff.
macaron: Les "autorités" de contrôle sont-elles efficaces ?L'Autorité des marchés financiers (AMF) présente-t-elle desdysfonctionnements comme la SEC ?
Georges Ugeux: Lemodèle de la SEC et le modèle de l'AMF, sur le plan des fonctionsremplies, sont à peu près les mêmes. Il y a par contre à l'AMF une plusgrande cohérence entre les dirigeants et le staff. Ce qui amène l'AMF àagir parfois de manière plus efficace.
Il y a une vraieséparation dans la SEC entre ce qu'on appelle la commission et lestaff. Il y a par exemple des réunions publiques de la commission, doncquelque chose d'assez formel, et une vraie distance entre les deuxparties de la commission. Dans mes contacts avec l'AMF, j'ai perçu unebeaucoup plus grande proximité entre M. Prada, président de l'AMF, etses équipes.
Il est intéressant de voir que l'AMF, dans ce quireste pour moi le plus grand scandale des dernières années en France, àsavoir les accusations d'insider trading par les actionnaires d'EADSavant que le cours ne s'effondre sur les mauvaises nouvelles de l'A380,a été très courageuse.
anba: Toutes les tâches administratives devaient bien être réalisés par des complices, sans parler des "rabatteurs" chassant les pigeons. Je suppose donc que des faux étaient établis avec à minima la complicité de quelques personnes . Qu'en pensez-vous et à combien estimez-vous le nombre de personnes pouvant être impliqués ?
Georges Ugeux: La question se pose à deux niveaux : le premier, le rabatteur était M. Madoff lui-même, qui avait un prestige, un carnet d'adresses exceptionnels. Et n'oublions pas qu'il ne s'agit pas ici de s'adresser au grand public, mais aux particuliers fortunés et aux institutions. Par contre, il est matériellement et techniquement impossible que dans la petite équipe, une série d'employés n'aient pas été au courant, ou aient eu des informations qui auraient dû attirer leur attention sur le caractère étrange de certaines distributions aux actionnaires à partir de l'argent des souscriptions entrantes. Donc on va découvrir clairement qui savait. Je pense que cela concerne au maximum une douzaine de personnes.
Autre mystère : nous savons maintenant que les commissaires aux comptes de Madoff étaient une toute petite firme du Westchester, dont je ne serais pas surpris que leur client principal ait été M. Madoff. Et là se pose une question : comment des institutions aussi importantes que celle dont nous parlons aient pu se contenter de comptes audités par une firme inconnue ?
Georges Ugeux: Je vais essayer de l'expliquer de manière un peu simplifiée. Dans unpremier temps, M. Madoff reçoit des capitaux à gérer, qu'il investitlui-même dans des hedge funds, dont la performance est supposée êtresupérieure à la moyenne. Lorsque ce n'était pas le cas, au lieu dediminuer le rendement distribué aux investisseurs, il prenait toutsimplement l'argent des nouveaux investisseurs et l'utilisait pourpayer les anciens.
De ce fait, il donnait l'impression d'uneperformance exceptionnelle, sur base de laquelle il attirait de plus enplus d'investisseurs, mais année après année, créait un trou qui, audébut, a été très petit, et qui s'est probablement gravement accélérédans la mesure où la performance des hedge funds en 2007 et 2008 a étécatastrophique.
blogjob: Quelque chose m'échappe : lestechniques employées par Madoff étaient nécessairement destinées à êtredécouvertes... Dans quel but (autre que suicidaire donc) a-t-il mis enplace son système ?
Georges Ugeux: Cela resteratoujours un mystère. Je pense qu'il a profondément sous-estimé lagravité de la crise financière, et il a cru pouvoir s'en sortir aprèsquelques mois. Nous avons rencontré aux Etats-Unis plusieurs grandsfinanciers qui ont pris trop tard conscience de l'ampleur du désastre,et c'est notamment le cas de M. Jimmy Caine, le patron de Bear Stearnset de M. Richard Fuld, le patron de Lehman Brothers.
Ils ontune forme de confiance, ou d'aveuglement, qui fait qu'ils ne prennentaucune mesure préventive et quand, enfin, ils se rendent compte del'ampleur du désastre, il est trop tard. M. Madoff aurait pu continuersi, subitement, les hedge funds dans lesquels il avait investiretrouvaient leurs performances positives et qu'il pouvaitprogressivement boucher les trous, tout comme il les avait créésprogressivement.
VivaZapata: Mais que fait la police ? Comment se fait-il que la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme américain de la bourse, ne se soit pas penchee plus tôt sur un fonds qui perd 50 milliards de dollars ?
Georges Ugeux: La réponse à cette question, c'est que la perte de 50 milliards de dollars n'est connue que depuis la semaine dernière. Jusqu'à la semaine dernière, les investisseurs étaient convaincus que c'était un fonds qui était vraiment sain et rapportait des performances exceptionnelles. Par contre, ce qui s'est passé en 2005, c'est qu'au moment où les marchés ont commencé à devenir plus difficiles, un certain nombre d'opérateurs ont attiré l'attention de la SEC sur ce caractère anormal.
A partir de ce moment-là, la procédure, c'est que les professionnels ont commencé à regarder le dossier. Mais d'après l'information dont nous disposons, ils n'y ont pas donné suite et n'ont certainement pas saisi la commission elle-même d'un dossier relatif à M. Madoff. Dans ce contexte, une enquête vient d'être lancée dans la mesure où le président de la SEC a indiqué que depuis dix ans, à diverses reprises, des informations précises sur certains comportements suspects de M. Madoff n'ont pas fait l'objet de suivi par le staff.
macaron: Les "autorités" de contrôle sont-elles efficaces ?L'Autorité des marchés financiers (AMF) présente-t-elle desdysfonctionnements comme la SEC ?
Georges Ugeux: Lemodèle de la SEC et le modèle de l'AMF, sur le plan des fonctionsremplies, sont à peu près les mêmes. Il y a par contre à l'AMF une plusgrande cohérence entre les dirigeants et le staff. Ce qui amène l'AMF àagir parfois de manière plus efficace.
Il y a une vraieséparation dans la SEC entre ce qu'on appelle la commission et lestaff. Il y a par exemple des réunions publiques de la commission, doncquelque chose d'assez formel, et une vraie distance entre les deuxparties de la commission. Dans mes contacts avec l'AMF, j'ai perçu unebeaucoup plus grande proximité entre M. Prada, président de l'AMF, etses équipes.
Il est intéressant de voir que l'AMF, dans ce quireste pour moi le plus grand scandale des dernières années en France, àsavoir les accusations d'insider trading par les actionnaires d'EADSavant que le cours ne s'effondre sur les mauvaises nouvelles de l'A380,a été très courageuse.
anba: Toutes les tâches administratives devaient bien être réalisés par des complices, sans parler des "rabatteurs" chassant les pigeons. Je suppose donc que des faux étaient établis avec à minima la complicité de quelques personnes . Qu'en pensez-vous et à combien estimez-vous le nombre de personnes pouvant être impliqués ?
Georges Ugeux: La question se pose à deux niveaux : le premier, le rabatteur était M. Madoff lui-même, qui avait un prestige, un carnet d'adresses exceptionnels. Et n'oublions pas qu'il ne s'agit pas ici de s'adresser au grand public, mais aux particuliers fortunés et aux institutions. Par contre, il est matériellement et techniquement impossible que dans la petite équipe, une série d'employés n'aient pas été au courant, ou aient eu des informations qui auraient dû attirer leur attention sur le caractère étrange de certaines distributions aux actionnaires à partir de l'argent des souscriptions entrantes. Donc on va découvrir clairement qui savait. Je pense que cela concerne au maximum une douzaine de personnes.
Autre mystère : nous savons maintenant que les commissaires aux comptes de Madoff étaient une toute petite firme du Westchester, dont je ne serais pas surpris que leur client principal ait été M. Madoff. Et là se pose une question : comment des institutions aussi importantes que celle dont nous parlons aient pu se contenter de comptes audités par une firme inconnue ?
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