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11 mars 2004 à Madrid : était-ce vraiment un attentat islamiste ?

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  • 11 mars 2004 à Madrid : était-ce vraiment un attentat islamiste ?

    192 tués et 1800 blessés : l’attentat de Madrid est un traumatisme pour la société espagnole, d’autant que la polémique sur les auteurs réels de l’attentat n’est toujours pas close.

    Le 11 mars 2004 vers 7 heures 40, dix bombes explosent dans quatre trains de banlieue en l’espace de quelques minutes. La date semble choisie soigneusement, on est à trois jours des élections générales, le Parti Populaire (droite) sortant de José-Maria Aznar en est favori. Les médias et la majorité des espagnols ont immédiatement suspecté l’ETA, le groupe nationaliste basque, contre lequel Aznar a prôné la manière forte. Mais les soupçons de l’opinion publique se retournent vers Al-Qaïda quand les premières informations filtrent de l’enquête et quand des suspects marocains sont arrêtés, à la veille de l’élection. Cette attaque pourrait être une représaille à la participation de l’Espagne dans la guerre d’Irak, même si les autopsies montrent qu’il n’y a pas eu de kamikaze. L’entêtement du gouvernement Aznar à condamner l’ETA passe pour un calcul électoral et le vote du 14 mars donne la victoire au Parti Socialiste de José Luis Zapatero. Trois semaines plus tard, le 3 avril, 7 suspects maghrébins se suicident en faisant exploser leur appartement alors qu’ils sont assiégés par la police. L’instruction de l’enquête dure plus de deux ans et en février 2007 le procès de l’attentat s’ouvre. Le verdict est rendu en octobre 2007 : la Justice valide la thèse de l’attentat islamiste. Mais les commanditaires présumés de l’attentat sont absouts, seul un prévenu est reconnu coupable d’avoir posé des bombes dans les trains, et la plupart des 29 inculpés sont condamnés pour leur appartenance à des groupes jihadistes et non pour leur implication dans l’attentat. Le jugement en appel confirme cette sentence en juillet 2008.

    En Espagne cet attentat, designé comme « 11M » d’après sa date, est l’objet d’une intense polémique. La presse française n’a pratiquement pas rendu compte de la polarisation des médias espagnols sur le sujet (une rare exception). Certains d’entre eux mettent ouvertement en doute la thèse de l’attentat islamiste, comme le deuxième quotidien le plus diffusé : El Mundo (centre-droit), et la deuxième station de radio du pays : COPE. Le journaliste le plus emblématique de cette opinion est sans doute Luis Del Pino, du premier quotidien numérique d’Espagne Libertad Digital, et également auteur de plusieurs livres et documentaires de TéléMadrid sur le thème. Cette position est souvent traitée de théorie du complot ou de « consparanoïa » par d’autres médias, plus soucieux de jeter le discrédit que d’entrer dans un débat argumenté. Ces clivages se retrouvent à d’autres niveaux de la société, comme entre les différentes associations de victimes de l’attentat. Les sceptiques sur la thèse de l’attentat islamiste sont eux-mêmes divisés : certains incriminent l’ETA, d’autres voient derrière l’attentat la main d’éléments de l’appareil d’état. L’annonce de Luis Del Pino qu’il n’envisageait plus la culpabilité de l’ETA a provoqué une scission dans le mouvement citoyen prônant une réouverture de l’enquête.

    Cet article défend une ligne proche de celle de Luis Del Pino. La Justice espagnole ayant validé la thèse de l’attentat islamiste, on se doit de commencer par exposer cette thèse. Pourtant, aussi incroyable que cela paraisse, celle-ci ne résiste pas à l’analyse. Et les agissements suspects de certains secteurs des autorités attirent les soupçons sur eux. Toutes les informations contenues dans cet article proviennent des médias espagnols cités plus haut et des documents judiciaires officiels : acte d’inculpation, audiences du procès et verdict.

    La piste islamiste

    La thèse de l’attentat islamiste est la conclusion d’une enquête qui s’est développée à partir de deux pistes. On va exposer le cheminement de cette investigation, en mettant en évidence les preuves retenues par la Justice espagnole. La première piste de l’investigation part d’une bombe qui n’a pas explosé. Au total trois bombes déposées dans les trains avaient un défaut et n’ont pas sauté ce jour-là. On a ainsi rapidement su qu’elles étaient dissimulées dans des sacs de voyage ou des sacs à dos. Les démineurs ont neutralisé deux d’entre elles par explosion contrôlée dans la matinée du 11 mars, mais le troisième sac est passé inaperçu et a été regroupé avec les objets abandonnés sur les lieux par les victimes. Ce n’est qu’au moment où est fait l’inventaire de ces objets que le sac piégé est découvert, au commissariat du quartier de Vallecas, dans la nuit du 11 au 12 mars. La bombe, connue comme « sac de Vallecas », est composée de 10 kg de dynamite de type « Goma 2 Eco », de mitraille, d’un détonateur et d’un téléphone portable qui devait la mettre à feu avec la fonction réveil. Ce téléphone contient une carte SIM dont l’enquête auprès du réseau de vente permet de déterminer la route de commercialisation. Celle-ci aboutit à une téléboutique de Madrid tenue par un marocain : Jamal Zougam. Sur la base de ces éléments, la police arrête Zougam, deux de ses employés et deux indiens qui auraient pour leur part vendu le téléphone. Nous sommes le 13 mars, veille des élections, ces arrestations sont médiatisées et les photos des suspects sont largement diffusées. Dans les jours qui suivent, des usagers du métro témoignent les avoir vu dans les trains attaqués. Finalement la faiblesse des témoignages conduira à relâcher 4 des 5 suspects au bout de quelques semaines. Zougam restera incarcéré car les témoignages à son encontre sont plus solides.

    L’autre piste d’où est partie l’enquête sont les révélations de Rafa Zouhier, un petit trafiquant de drogue marocain, indicateur de la Garde Civile (le second corps de police en Espagne). Quelques jours après l’attentat, il fait part aux policiers, dans une conversation téléphonique enregistrée, des forts soupçons qu’il a sur un certain Jamal Ahmidan, alias El Chino. El Chino est aussi un petit trafiquant marocain, et Zouhier l’avait mis en contact avec une bande d’Asturies (région du nord de l’Espagne) soupçonnée de divers trafics, notamment d’explosifs miniers. L’un des membres de cette bande, Emilio Trashorras, confirme à la police qu’il a fourni des explosifs de type Goma 2 Eco à El Chino, ce que corrobore un jeune gitan qui a participé à l’opération. D’autre part il se trouve que certains membres de la bande d’El Chino étaient sur écoute dans le cadre d’une enquête sur un trafic de drogue. Et ces enregistrements confirment leur voyage en Asturies.

    Les deux pistes de l’investigation mènent à des acteurs complètements différents : d’un côté Zougam, et de l’autre El Chino et sa bande. Aucun lien personnel n’est trouvé entre eux. La jonction est faite par l’intermédiaire de 7 cartes SIM dont les numéros sont apparus lors de l’enquête auprès du réseau de commercialisation de téléphones. Ces cartes SIM sont liées à Zougam car il les a achetées en même temps que la carte SIM retrouvée dans le sac de Vallecas. Et elles sont liées à El Chino car l’opérateur téléphonique Amena déclare qu’elles ont été allumées pour la première fois la veille de l’attentat, dans la zone de couverture d’une antenne qui est celle qui dessert la maison d’El Chino. C’est dans cette maison que les explosifs auraient été stockés et que les bombes auraient été montées. Les 7 cartes SIM n’ont jamais eu d’activité suite à leur allumage, ce qui pourrait indiquer leur utilisation dans les bombes. Le lien est ainsi fait entre Zougam et la bande d’El Chino.

    Le 3 avril en début d’après-midi, trois semaines après l’attentat, la police localise enfin la bande d’El Chino, dans un appartement de Léganes, en banlieue Madrilène. Remarquant la présence de la police, les suspects refusent de se rendre et ouvrent même le feu. Dans la soirée, le GEO (Grupo Especial de operaciones, équivalent du GIGN) donne l’assaut pour tenter de capturer le commando terroriste. La police a été avertie par les services de renseignement que les assiégés ont réalisé des appels téléphoniques où ils annoncent leur intention de se suicider. Peu après le forçage de la porte, l’appartement explose, tuant les 7 occupants et un policier du GEO. Dans les décombres de l’appartement on retrouve des explosifs Goma 2 Eco, des textes et une vidéo revendiquants l’attentat, mais des cagoules empêchent d’identifier les personnes qui y apparaissent. La majorité des 7 suicidés sont, comme El Chino, de petits trafiquants de drogue. Les autres appartiennent à des cercles islamistes radicaux. La sentence du procès conclura qu’ils ont posé les bombes avec Zougam, que leur but était d’imposer par la violence la loi islamique en Europe, et qu’ils s’inspirent d’Al-Qaïda sans avoir de lien avec cette organisation.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Les failles du verdict

    On vient d’exposer toutes les preuves importantes sur lesquelles s’appuie la thèse de l’attentat islamiste. Or elles sont toutes entachées de suspicions, comme on va le voir en les reconsidérant une à une. La preuve matérielle centrale est une des bombes qui n’a pas explosé le 11 mars : le sac de Vallecas. Mais il pèse de forts soupçons de falsification tant sur sa composition que sur les circonstances de son apparition. Tout d’abord cette bombe n’a pas explosé parce qu’un câble du montage n’était tout simplement pas connecté. Le démineur qui l’a désactivée a déclaré avec perplexité au procès : que ce « petit bâclage » cadrait mal avec la complexité du reste du dispositif (vidéo de l’audience, avancer à 5:02). Ensuite il y a une différence de composition majeure entre cette bombe et les autres. Le sac contient 640 grammes de vis et de clous faisant office de mitraille, or les autopsies ont révélé qu’aucune victime n’a été atteinte par des projectiles métalliques. Et les deux bombes neutralisées le matin du 11 mars n’en contenaient pas non plus selon les policiers qui les ont manipulées. Pourquoi les terroristes auraient-ils mis de la mitraille dans une seule bombe ? Enfin les circonstances de l’apparition du sac de Vallecas sont confuses. Lors du procès les démineurs ont expliqué avoir fouillé quatre fois les objets abandonnés dans les wagons, et ils ont certifié que cet engin explosif ne pouvait pas s’y trouver (vidéo de l’audience, 39:30). Son origine est d’autant plus mise en doute que les objets abandonnés parmi lesquels il est apparu ont subi trois transports dans la journée du 11 mars, sans être toujours bien surveillés. Et ils ont fini au commissariat de Vallecas, contrairement à ce qu’avait ordonné le juge. Si on ajoute les témoignages contradictoires sur le moment de sa découverte, l’absence de mention de la bombe dans les inventaires d’objets abandonnés (verdict, page 517) et l’inexistence de photos avant qu’elle soit décomposée, on se rend compte de la faiblesse de cette preuve. Le tribunal a pourtant fait de la carte SIM contenue dans la bombe la clef de voûte de son verdict.

    Le fait de vendre une carte SIM ne rend pas le vendeur responsable de l’usage, éventuellement délictueux, qu’en fait son acheteur. Mais Zougam était apparu en qualité de témoin dans une enquête antérieure sur des terroristes islamistes. Il semble que ce fait ait été l’unique argument motivant son arrestation le 13 mars, puisqu’aucun témoin ne l’a décrit ou identifié à cette date. Si on reconsidère le comportement de Zougam jusqu’à cette arrestation, on s’aperçoit qu’il aurait commis une série d’imprudences invraisemblables. Premièrement il utilise une carte SIM en vente dans sa propre téléboutique pour monter la bombe de Vallecas. Deuxièmement il laisse cette carte SIM dans le téléphone alors qu’elle n’est pas nécessaire pour utiliser la fonction réveil. Et troisièmement il poursuit son activité normale jusqu’à son arrestation le 13 mars dans l’après-midi, alors que toute l’Espagne sait depuis le 12 mars au matin qu’une des bombes a été démontée par la police. A partir de ce moment Zougam doit forcément savoir que les enquêteurs disposent d’une carte SIM menant jusqu’à lui, et pourtant il ne cherche pas à se cacher ni à prendre la fuite. L’incohérence d’un tel comportement conduit à douter de sa culpabilité.

    Dans le verdict rendu en appel en 2008, il n’est retenu que deux témoignages accusant Zougam d’avoir été dans les trains attaqués : deux amies roumaines qui voyageaient ensemble. La première est venue témoigner trois semaines après l’attentat. La description qu’elle parvient à faire du suspect ce jour-là est très sommaire : 1 mètre 80, carrure moyenne et portant un sac, pas un détail de plus. Par contre cette description s’étoffe quelques jours plus tard, quand la police lui montre une série de photos parmi lesquelles elle reconnait Zougam : cheveux jusqu’aux épaules, nez plutôt gros, bouc, lèvre inférieure plus grosse que la supérieure, etc. On se demande alors si ce qu’elle décrit n’est pas ce qu’elle voit sur la photo plutôt que ce dont elle se souvient. Ses déclarations évoluent aussi sur d’autres aspects comme la position du wagon dans le train. Au bout d’un an elle se souvient que le suspect l’a bousculée afin de justifier qu’elle ait vu son visage, et elle dit pour la première fois qu’elle voyageait avec une amie, qui deviendra ainsi le second témoin accusant Zougam. Pourquoi n’avoir jamais mentionné cette amie pendant un an ? Pourquoi ce second témoin a-t-il attendu un an pour se manifester ? De quoi peut-elle se souvenir après ce temps ? Et ce témoignage peut-il être considéré comme indépendant de celui de son amie ? C’est sur la base de ces deux témoignages douteux qu’est prononcée la seule condamnation pour l’exécution matérielle de l’attentat du 11 mars. Zougam a par ailleurs toujours nié être impliqué dans l’attentat.

    Tous les autres poseurs de bombes supposés sont morts dans l’explosion de l’appartement de Léganes, trois semaines après l’attentat, le 3 avril. Une conséquence importante de leur disparition est que l’enquête n’a pas reconstitué leurs rôles exacts dans le scénario de l’attentat, focalisant son attention sur les prévenus. La Justice reconnait dans son verdict ne pas savoir exactement qui parmi ces 7 individus a posé des bombes et à quel endroit (verdict en appel, page 7). Ceci contraste avec le cas de Zougam qui est clairement accusé d’avoir posé les bombes du train ayant explosé à la station Santa Eugenia. Au vu des difficultés pour maintenir le dossier d’accusation contre Zougam, on peut penser que ce flou a paradoxalement bénéficié à qui soutenait la culpabilité de ces 7 suspects. Ainsi, l’enquête s’est principalement attachée à démontrer que leur mort dans l’appartement de Léganes est un suicide. Ce suicide aura mis en évidence le caractère fanatique des suspects, et la découverte dans les décombres de documents de revendication fera office d’aveu posthume de l’attentat.

    La police assiège cet appartement en début d’après-midi du 3 avril. Vers 21 heures le GEO donne l’assaut, de manière précipitée selon les déclarations de plusieurs membres de cette brigade. Mais avant qu’ils ne puissent entrer, l’appartement explose, tuant les 7 occupants et un membre du GEO. Etant donné l’état des cadavres, les 7 suspects sont identifiés avec leurs empreintes digitales ou leur ADN. L’enquête conclue au suicide collectif, mais le caractère suicidaire de cette explosion n’est pas aussi clairement établi que l’affirme le verdict. Avant l’assaut du GEO et l’explosion, les habitants du voisinage ont entendu des coups de feu, des cris et même des cantiques en arabe provenant de l’appartement. Mais personne n’a pu voir clairement les suspects. Et il n’existe aucune trace, aucun relevé des impacts de balles que l’échange de coups de feu aurait dû laisser dans la zone. L’argument décisif pour soutenir la thèse du suicide est le fait que les suspects auraient appelé leurs proches pour leur dire adieu pendant le siège de l’appartement. Lors du procès, le seul proche cité à témoigner de ces appels fut le frère d’un des 7 suspects, Abdenabi Kounjaa. Ce dernier a déclaré ne pas avoir reconnu la voix de son frère lors de cet appel, et avoir pensé que ce n’était pas lui (vidéo de l’audience, 11:15). C’est pour cette raison qu’il a prévenu immédiatement la police, et n’a pas rappelé son frère pour le dissuader de se suicider. Ce témoignage met sérieusement en doute l’authenticité des appels, d’autant qu’aucun autre proche contacté par les suspects n’a été cité à témoigner au procès.

    Les suspects se sont-ils vraiment suicidés ? Et dans quelles conditions se sont-ils retrouvés dans cet appartement ? Le 3 avril cela faisait quatre jours que les médias annonçaient qu’ils étaient recherchés et diffusaient leurs photos. Dans ce contexte, quelle imprudence de se réunir dans un appartement de la banlieue de Madrid au lieu de fuir chacun de son côté. Et pourquoi ces criminels de masse ont-ils attendu que la police évacue tout le voisinage avant de faire exploser l’appartement ? Les incohérences ne s’arrêtent pas là. En s’intéressant aux agissements des suspects entre l’attentat et le suicide, on apprend par exemple qu’El Chino a fait la fête avec sa belle-famille 8 jours après l’attentat, dans la maison où il aurait monté les bombes. Le profil même de la plupart des membres du commando cadre mal avec l’islamisme radical qui est censé les avoir poussé au massacre puis au suicide. Quatre d’entre eux étaient des délinquants de petite envergure du milieu du narcotrafic, peu compatible avec cet islamisme. El Chino vivait avec une espagnole « de souche », portant des tenues légères, et leur fils était inscrit dans une école catholique (Los enigmas del 11M de Luis del Pino, chapitre 12). La mort de ces 7 suspects aura en tout cas permis de reconstituer un scénario de l’attentat sans trop entrer dans les détails, et sans contradiction de la part des accusés. Par ailleurs le lien évoqué plus haut entre les 7 suicidés et Zougam est mis en doute par des journalistes ayant eu accès au dossier de l’instruction. Selon eux les documents fournis par l’opérateur téléphonique Amena ne comportent aucune indication que les 7 cartes SIM en question ont été allumées près de la maison d’El Chino. Au procès le problème a été soulevé par la défense, mais l’employé d’Amena cité à témoigner n’a pas pu y répondre (vidéo de l’audience, 6:27).
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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    • #3
      La thèse de l’attentat islamiste perd toute sa crédibilité devant tant de failles dans les preuves qui la soutiennent. D’autant que d’autres éléments non évoqués dans cet article l’affaiblissent encore. En validant cette thèse, la Justice espagnole a jugé de manière stupéfiante que ces failles n’étaient pas significatives.

      L’ombre de la police

      Existe-t-il d’autres éléments qui permettraient soit de confirmer la thèse de l’attentat islamiste, soit d’orienter l’enquête dans une autre direction ? Le problème est que des pièces fondamentales de l’investigation ont fait l’objet de négligences pour le moins inquiétantes. Tout d’abord les wagons où les bombes ont explosé ont été détruits deux jours seulement après l’attentat (verdict, page 476). Quel besoin y avait-il de se débarrasser si vite de la « scène de crime » ? En 2006 un métro accidenté à Valence a été conservé deux ans pour les besoins de l’enquête. La Justice reconnait dans son verdict que de nombreux doutes auraient pu être levés si les wagons avaient été conservés plus longtemps (verdict en appel, page 652).

      Parmi ces doutes, le plus important est celui qui concerne la nature de l’explosif. L’analyse des substances chimiques déposées sur les objets proches des foyers d’explosion aurait du être la donnée fondamentale de l’enquête. Or on ne sait toujours pas avec certitude ce qui a explosé dans les trains, comme le reconnait le verdict (verdict, page 538). Voyons pourquoi l’explosif n’a pas pu être déterminé. La première négligence concerne le choix du service qui a réalisé l’expertise des échantillons. Elle a été confiée aux démineurs, alors que leurs laboratoires ne disposent que de moyens rudimentaires pour analyser les explosifs. Selon la procédure habituelle c’est la police scientifique qui aurait dû faire ces analyses, ce pour quoi elle dispose de matériel beaucoup plus pointu. Les résultats de l’expertise sont ainsi très imprécis : le rapport remis au juge d’instruction conclue à la présence de « composants génériques de dynamite » dans les échantillons. Il ne désigne pas quel est le type de dynamite : Titadyne, Goma 2 Eco, Goma 2 EC ? Plus surprenant : il ne donne pas la liste des composants chimiques qui ont été trouvés. Ce n’est qu’au procès que la chef du laboratoire des démineurs donnera pour la première fois la liste précise des composants chimiques trouvés, en expliquant à la stupeur du tribunal qu’elle n’avait jamais donné cette liste car personne ne lui avait explicitement demandé en trois ans (vidéo de l’audience, 57:17). Au sujet de l’explosif, il faut ajouter les doutes provoqués par la déclaration du chef des démineurs qui a supervisé les opérations le 11 mars. En voyant les dégâts provoqués par les bombes, il a déclaré que les déchirures des structures des wagons étaient caractéristiques d’explosifs de haute puissance, de type militaire, et non de dynamite. Rappelons que certains explosifs militaires ne laissent pas de traces chimiques sur le lieu de l’explosion, ce qui les rend difficilement détectables.



      Plus grave que les négligences, il y a de forts soupçons de falsification sur plusieurs pièces de l’enquête. Nous avons déjà évoqué le sac de Vallecas et les appels d’adieu des suicidés à Léganes. Mais il existe d’autres éléments dont la falsification est devenue tellement évidente qu’ils n’ont pas étés retenus dans le verdict, comme par exemple les conversations téléphoniques de Rabei Osman, un égyptien qui résidait en Italie. La police italienne a enregistré et traduit ses conversations en 2004, et dans l’une d’elles il s’attribuerait l’organisation de l’attentat. Au procès, de nouvelles traductions sollicitées par la défense ont fait apparaître que les phrases où il revendique l’attentat ont purement et simplement été inventées par les traducteurs italiens (verdict, page 634). La Justice a dû l’absoudre de tout lien avec l’attentat, alors qu’il avait été présenté pendant longtemps comme le cerveau du groupe terroriste. Le verdict ne désigne donc pas « d’auteur intellectuel » de l’attentat, déclenchant l’indignation des associations de victimes, qui ont fait appel.

      Négligences, soupçons de falsification : les agissements suspects de la part d’éléments policiers sont nombreux dans l’enquête qui a suivi l’attentat. Mais la suspicion augmente encore quand on examine la préparation de l’attentat tel que la présente le verdict. Deux acteurs clés de l’attentat sont indicateurs de la police (Los enigmas del 11M, chapitre 9). Le premier, Zouhier, a mis en contact le commando terroriste avec un trafiquant d’explosifs. L’enquête a révélé que le policier qui le contrôle l’a appelé les deux jours précédents l’attentat. Le second, Trashorras, est ce même trafiquant d’explosif. Il a eu des conversations téléphonique avec son référent policier la veille, le lendemain et le surlendemain du jour où il aurait fournit l’explosif à El Chino. Mais ce policier assure que Trashorras ne lui a rien dit à ce sujet. D’autre part, les téléphones portables utilisés dans les bombes ont été débloqués dans une téléboutique qui appartient à un policier d’origine syrienne, Maussili Kalaji (verdict, page 529).

      Quelle coïncidence que tous ces collaborateurs des terroristes soient liés à la police. Mais surtout quelle chance qu’aucun ne les ait dénoncé. Le sort aura également souri aux terroristes concernant la surveillance dont ils faisaient l’objet par la police. D’après sa documentation, depuis janvier 2003 la police surveillait étroitement un groupe islamiste comprenant plusieurs terroristes qui se suicideront à Léganes. Au total ce groupe est soumis à des filatures pendant 81 journées régulièrement réparties entre janvier 2003 et février 2004. Cette surveillance semble s’intensifier dans la première quinzaine de février 2004, mais elle s’arrête brusquement le 17 février, soit 11 jours avant l’opération de récupération des explosifs, et 24 jours avant l’attentat (Los enigmas del 11M, chapitre 15). La même chance bénéficiera à deux membres du groupe terroriste qui étaient sur écoute téléphonique dans le cadre d’une enquête sur un trafic de drogue. Ces écoutes sont soudainement levées le 12 mars, le lendemain de l’attentat (Los enigmas del 11M, chapitre 9). Donnons un dernier exemple où la police apparaît en filigrane derrière les terroristes. Après l’explosion de l’appartement de Léganes, des documents concernant l’ETA ont été trouvés parmi les décombres. On a appris qu’ils provenaient en fait de l’appartement voisin, partiellement détruit. Ce logement était occupé par un policier qui, coïncidence encore, se dédiait à la lutte anti-terroriste (verdict, page 563).

      Tous ces agissements suspects avant et après l’attentat, conjugués à la faiblesse évidente de la piste islamiste, orientent les soupçons vers certains secteurs de l’appareil d’état. Il faut cependant bien noter que ces soupçons ne constituent pas des preuves, et que seule une réouverture de l’enquête permettra de savoir s’ils sont fondés. En révélant des témoignages accablants et en absolvant les commanditaires supposés, le procès n’a fait que confirmer l’extrême fragilité de la thèse de l’attentat islamiste. La décision du tribunal d’entériner cette thèse laisse penser que le verdict était déterminé d’avance pour des raisons politiques. La phase judiciaire close, il ne reste que le champ médiatique pour défendre la recherche de la justice. Malheureusement la plupart des médias assimilent tous ceux qui critiquent le verdict à des obsédés de la lutte contre l’ETA, faussant le débat. On peut aussi déplorer la stratégie du discrédit adoptée par ceux qui traitent systématiquement de « théorie du complot » toute mise en cause des autorités. Nos médias condamnent souvent l’état chinois pour son intolérance vis-à-vis des citoyens qui critiquent le pouvoir. Si on estime qu’en Occident la démocratie est plus avancée qu’en Chine, on doit pouvoir débattre ouvertement et critiquer les jugements et les agissements suspects de nos autorités. Même si ces critiques sont graves, ou plutôt surtout si ces critiques sont graves.


      Où trouver les sources (toutes en espagnol) :

      Série d’articles intitulée Los enigmas del 11M par Luis Del Pino, disponibles sur la page suivante du site de Libertad Digital (à droite de la page), les 20 premiers articles ont été édités dans un livre (Los enigmas del 11M) en téléchargement libre sur la page suivante du site du collectif pour la réouverture de l’enquête.

      Verdict du procès (rendu par la Audiencia Nacional en 2007) à télécharger sur les pages suivantes : sur le site du ministère de la Justice, sur le site d’Asturias Liberal.

      Verdict en appel du procès (rendu par le Tribunal Supremo en 2008) à télécharger sur la page suivante du site d’Asturias Liberal.

      Enregistrements vidéos officiels des audiences du procès réalisés par Datadiar TV (Il n’a pas été fait de transcription officielle des audiences de la part de la Justice).

      Acte d’inculpation à consulter en ligne et à télécharger sur le site d’El Mundo.

      http://*****************/article.php3?id_article=48890
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