192 tués et 1800 blessés : l’attentat de Madrid est un traumatisme pour la société espagnole, d’autant que la polémique sur les auteurs réels de l’attentat n’est toujours pas close.
Le 11 mars 2004 vers 7 heures 40, dix bombes explosent dans quatre trains de banlieue en l’espace de quelques minutes. La date semble choisie soigneusement, on est à trois jours des élections générales, le Parti Populaire (droite) sortant de José-Maria Aznar en est favori. Les médias et la majorité des espagnols ont immédiatement suspecté l’ETA, le groupe nationaliste basque, contre lequel Aznar a prôné la manière forte. Mais les soupçons de l’opinion publique se retournent vers Al-Qaïda quand les premières informations filtrent de l’enquête et quand des suspects marocains sont arrêtés, à la veille de l’élection. Cette attaque pourrait être une représaille à la participation de l’Espagne dans la guerre d’Irak, même si les autopsies montrent qu’il n’y a pas eu de kamikaze. L’entêtement du gouvernement Aznar à condamner l’ETA passe pour un calcul électoral et le vote du 14 mars donne la victoire au Parti Socialiste de José Luis Zapatero. Trois semaines plus tard, le 3 avril, 7 suspects maghrébins se suicident en faisant exploser leur appartement alors qu’ils sont assiégés par la police. L’instruction de l’enquête dure plus de deux ans et en février 2007 le procès de l’attentat s’ouvre. Le verdict est rendu en octobre 2007 : la Justice valide la thèse de l’attentat islamiste. Mais les commanditaires présumés de l’attentat sont absouts, seul un prévenu est reconnu coupable d’avoir posé des bombes dans les trains, et la plupart des 29 inculpés sont condamnés pour leur appartenance à des groupes jihadistes et non pour leur implication dans l’attentat. Le jugement en appel confirme cette sentence en juillet 2008.
En Espagne cet attentat, designé comme « 11M » d’après sa date, est l’objet d’une intense polémique. La presse française n’a pratiquement pas rendu compte de la polarisation des médias espagnols sur le sujet (une rare exception). Certains d’entre eux mettent ouvertement en doute la thèse de l’attentat islamiste, comme le deuxième quotidien le plus diffusé : El Mundo (centre-droit), et la deuxième station de radio du pays : COPE. Le journaliste le plus emblématique de cette opinion est sans doute Luis Del Pino, du premier quotidien numérique d’Espagne Libertad Digital, et également auteur de plusieurs livres et documentaires de TéléMadrid sur le thème. Cette position est souvent traitée de théorie du complot ou de « consparanoïa » par d’autres médias, plus soucieux de jeter le discrédit que d’entrer dans un débat argumenté. Ces clivages se retrouvent à d’autres niveaux de la société, comme entre les différentes associations de victimes de l’attentat. Les sceptiques sur la thèse de l’attentat islamiste sont eux-mêmes divisés : certains incriminent l’ETA, d’autres voient derrière l’attentat la main d’éléments de l’appareil d’état. L’annonce de Luis Del Pino qu’il n’envisageait plus la culpabilité de l’ETA a provoqué une scission dans le mouvement citoyen prônant une réouverture de l’enquête.
Cet article défend une ligne proche de celle de Luis Del Pino. La Justice espagnole ayant validé la thèse de l’attentat islamiste, on se doit de commencer par exposer cette thèse. Pourtant, aussi incroyable que cela paraisse, celle-ci ne résiste pas à l’analyse. Et les agissements suspects de certains secteurs des autorités attirent les soupçons sur eux. Toutes les informations contenues dans cet article proviennent des médias espagnols cités plus haut et des documents judiciaires officiels : acte d’inculpation, audiences du procès et verdict.
La piste islamiste
La thèse de l’attentat islamiste est la conclusion d’une enquête qui s’est développée à partir de deux pistes. On va exposer le cheminement de cette investigation, en mettant en évidence les preuves retenues par la Justice espagnole. La première piste de l’investigation part d’une bombe qui n’a pas explosé. Au total trois bombes déposées dans les trains avaient un défaut et n’ont pas sauté ce jour-là. On a ainsi rapidement su qu’elles étaient dissimulées dans des sacs de voyage ou des sacs à dos. Les démineurs ont neutralisé deux d’entre elles par explosion contrôlée dans la matinée du 11 mars, mais le troisième sac est passé inaperçu et a été regroupé avec les objets abandonnés sur les lieux par les victimes. Ce n’est qu’au moment où est fait l’inventaire de ces objets que le sac piégé est découvert, au commissariat du quartier de Vallecas, dans la nuit du 11 au 12 mars. La bombe, connue comme « sac de Vallecas », est composée de 10 kg de dynamite de type « Goma 2 Eco », de mitraille, d’un détonateur et d’un téléphone portable qui devait la mettre à feu avec la fonction réveil. Ce téléphone contient une carte SIM dont l’enquête auprès du réseau de vente permet de déterminer la route de commercialisation. Celle-ci aboutit à une téléboutique de Madrid tenue par un marocain : Jamal Zougam. Sur la base de ces éléments, la police arrête Zougam, deux de ses employés et deux indiens qui auraient pour leur part vendu le téléphone. Nous sommes le 13 mars, veille des élections, ces arrestations sont médiatisées et les photos des suspects sont largement diffusées. Dans les jours qui suivent, des usagers du métro témoignent les avoir vu dans les trains attaqués. Finalement la faiblesse des témoignages conduira à relâcher 4 des 5 suspects au bout de quelques semaines. Zougam restera incarcéré car les témoignages à son encontre sont plus solides.
L’autre piste d’où est partie l’enquête sont les révélations de Rafa Zouhier, un petit trafiquant de drogue marocain, indicateur de la Garde Civile (le second corps de police en Espagne). Quelques jours après l’attentat, il fait part aux policiers, dans une conversation téléphonique enregistrée, des forts soupçons qu’il a sur un certain Jamal Ahmidan, alias El Chino. El Chino est aussi un petit trafiquant marocain, et Zouhier l’avait mis en contact avec une bande d’Asturies (région du nord de l’Espagne) soupçonnée de divers trafics, notamment d’explosifs miniers. L’un des membres de cette bande, Emilio Trashorras, confirme à la police qu’il a fourni des explosifs de type Goma 2 Eco à El Chino, ce que corrobore un jeune gitan qui a participé à l’opération. D’autre part il se trouve que certains membres de la bande d’El Chino étaient sur écoute dans le cadre d’une enquête sur un trafic de drogue. Et ces enregistrements confirment leur voyage en Asturies.
Les deux pistes de l’investigation mènent à des acteurs complètements différents : d’un côté Zougam, et de l’autre El Chino et sa bande. Aucun lien personnel n’est trouvé entre eux. La jonction est faite par l’intermédiaire de 7 cartes SIM dont les numéros sont apparus lors de l’enquête auprès du réseau de commercialisation de téléphones. Ces cartes SIM sont liées à Zougam car il les a achetées en même temps que la carte SIM retrouvée dans le sac de Vallecas. Et elles sont liées à El Chino car l’opérateur téléphonique Amena déclare qu’elles ont été allumées pour la première fois la veille de l’attentat, dans la zone de couverture d’une antenne qui est celle qui dessert la maison d’El Chino. C’est dans cette maison que les explosifs auraient été stockés et que les bombes auraient été montées. Les 7 cartes SIM n’ont jamais eu d’activité suite à leur allumage, ce qui pourrait indiquer leur utilisation dans les bombes. Le lien est ainsi fait entre Zougam et la bande d’El Chino.
Le 3 avril en début d’après-midi, trois semaines après l’attentat, la police localise enfin la bande d’El Chino, dans un appartement de Léganes, en banlieue Madrilène. Remarquant la présence de la police, les suspects refusent de se rendre et ouvrent même le feu. Dans la soirée, le GEO (Grupo Especial de operaciones, équivalent du GIGN) donne l’assaut pour tenter de capturer le commando terroriste. La police a été avertie par les services de renseignement que les assiégés ont réalisé des appels téléphoniques où ils annoncent leur intention de se suicider. Peu après le forçage de la porte, l’appartement explose, tuant les 7 occupants et un policier du GEO. Dans les décombres de l’appartement on retrouve des explosifs Goma 2 Eco, des textes et une vidéo revendiquants l’attentat, mais des cagoules empêchent d’identifier les personnes qui y apparaissent. La majorité des 7 suicidés sont, comme El Chino, de petits trafiquants de drogue. Les autres appartiennent à des cercles islamistes radicaux. La sentence du procès conclura qu’ils ont posé les bombes avec Zougam, que leur but était d’imposer par la violence la loi islamique en Europe, et qu’ils s’inspirent d’Al-Qaïda sans avoir de lien avec cette organisation.
Le 11 mars 2004 vers 7 heures 40, dix bombes explosent dans quatre trains de banlieue en l’espace de quelques minutes. La date semble choisie soigneusement, on est à trois jours des élections générales, le Parti Populaire (droite) sortant de José-Maria Aznar en est favori. Les médias et la majorité des espagnols ont immédiatement suspecté l’ETA, le groupe nationaliste basque, contre lequel Aznar a prôné la manière forte. Mais les soupçons de l’opinion publique se retournent vers Al-Qaïda quand les premières informations filtrent de l’enquête et quand des suspects marocains sont arrêtés, à la veille de l’élection. Cette attaque pourrait être une représaille à la participation de l’Espagne dans la guerre d’Irak, même si les autopsies montrent qu’il n’y a pas eu de kamikaze. L’entêtement du gouvernement Aznar à condamner l’ETA passe pour un calcul électoral et le vote du 14 mars donne la victoire au Parti Socialiste de José Luis Zapatero. Trois semaines plus tard, le 3 avril, 7 suspects maghrébins se suicident en faisant exploser leur appartement alors qu’ils sont assiégés par la police. L’instruction de l’enquête dure plus de deux ans et en février 2007 le procès de l’attentat s’ouvre. Le verdict est rendu en octobre 2007 : la Justice valide la thèse de l’attentat islamiste. Mais les commanditaires présumés de l’attentat sont absouts, seul un prévenu est reconnu coupable d’avoir posé des bombes dans les trains, et la plupart des 29 inculpés sont condamnés pour leur appartenance à des groupes jihadistes et non pour leur implication dans l’attentat. Le jugement en appel confirme cette sentence en juillet 2008.
En Espagne cet attentat, designé comme « 11M » d’après sa date, est l’objet d’une intense polémique. La presse française n’a pratiquement pas rendu compte de la polarisation des médias espagnols sur le sujet (une rare exception). Certains d’entre eux mettent ouvertement en doute la thèse de l’attentat islamiste, comme le deuxième quotidien le plus diffusé : El Mundo (centre-droit), et la deuxième station de radio du pays : COPE. Le journaliste le plus emblématique de cette opinion est sans doute Luis Del Pino, du premier quotidien numérique d’Espagne Libertad Digital, et également auteur de plusieurs livres et documentaires de TéléMadrid sur le thème. Cette position est souvent traitée de théorie du complot ou de « consparanoïa » par d’autres médias, plus soucieux de jeter le discrédit que d’entrer dans un débat argumenté. Ces clivages se retrouvent à d’autres niveaux de la société, comme entre les différentes associations de victimes de l’attentat. Les sceptiques sur la thèse de l’attentat islamiste sont eux-mêmes divisés : certains incriminent l’ETA, d’autres voient derrière l’attentat la main d’éléments de l’appareil d’état. L’annonce de Luis Del Pino qu’il n’envisageait plus la culpabilité de l’ETA a provoqué une scission dans le mouvement citoyen prônant une réouverture de l’enquête.
Cet article défend une ligne proche de celle de Luis Del Pino. La Justice espagnole ayant validé la thèse de l’attentat islamiste, on se doit de commencer par exposer cette thèse. Pourtant, aussi incroyable que cela paraisse, celle-ci ne résiste pas à l’analyse. Et les agissements suspects de certains secteurs des autorités attirent les soupçons sur eux. Toutes les informations contenues dans cet article proviennent des médias espagnols cités plus haut et des documents judiciaires officiels : acte d’inculpation, audiences du procès et verdict.
La piste islamiste
La thèse de l’attentat islamiste est la conclusion d’une enquête qui s’est développée à partir de deux pistes. On va exposer le cheminement de cette investigation, en mettant en évidence les preuves retenues par la Justice espagnole. La première piste de l’investigation part d’une bombe qui n’a pas explosé. Au total trois bombes déposées dans les trains avaient un défaut et n’ont pas sauté ce jour-là. On a ainsi rapidement su qu’elles étaient dissimulées dans des sacs de voyage ou des sacs à dos. Les démineurs ont neutralisé deux d’entre elles par explosion contrôlée dans la matinée du 11 mars, mais le troisième sac est passé inaperçu et a été regroupé avec les objets abandonnés sur les lieux par les victimes. Ce n’est qu’au moment où est fait l’inventaire de ces objets que le sac piégé est découvert, au commissariat du quartier de Vallecas, dans la nuit du 11 au 12 mars. La bombe, connue comme « sac de Vallecas », est composée de 10 kg de dynamite de type « Goma 2 Eco », de mitraille, d’un détonateur et d’un téléphone portable qui devait la mettre à feu avec la fonction réveil. Ce téléphone contient une carte SIM dont l’enquête auprès du réseau de vente permet de déterminer la route de commercialisation. Celle-ci aboutit à une téléboutique de Madrid tenue par un marocain : Jamal Zougam. Sur la base de ces éléments, la police arrête Zougam, deux de ses employés et deux indiens qui auraient pour leur part vendu le téléphone. Nous sommes le 13 mars, veille des élections, ces arrestations sont médiatisées et les photos des suspects sont largement diffusées. Dans les jours qui suivent, des usagers du métro témoignent les avoir vu dans les trains attaqués. Finalement la faiblesse des témoignages conduira à relâcher 4 des 5 suspects au bout de quelques semaines. Zougam restera incarcéré car les témoignages à son encontre sont plus solides.
L’autre piste d’où est partie l’enquête sont les révélations de Rafa Zouhier, un petit trafiquant de drogue marocain, indicateur de la Garde Civile (le second corps de police en Espagne). Quelques jours après l’attentat, il fait part aux policiers, dans une conversation téléphonique enregistrée, des forts soupçons qu’il a sur un certain Jamal Ahmidan, alias El Chino. El Chino est aussi un petit trafiquant marocain, et Zouhier l’avait mis en contact avec une bande d’Asturies (région du nord de l’Espagne) soupçonnée de divers trafics, notamment d’explosifs miniers. L’un des membres de cette bande, Emilio Trashorras, confirme à la police qu’il a fourni des explosifs de type Goma 2 Eco à El Chino, ce que corrobore un jeune gitan qui a participé à l’opération. D’autre part il se trouve que certains membres de la bande d’El Chino étaient sur écoute dans le cadre d’une enquête sur un trafic de drogue. Et ces enregistrements confirment leur voyage en Asturies.
Les deux pistes de l’investigation mènent à des acteurs complètements différents : d’un côté Zougam, et de l’autre El Chino et sa bande. Aucun lien personnel n’est trouvé entre eux. La jonction est faite par l’intermédiaire de 7 cartes SIM dont les numéros sont apparus lors de l’enquête auprès du réseau de commercialisation de téléphones. Ces cartes SIM sont liées à Zougam car il les a achetées en même temps que la carte SIM retrouvée dans le sac de Vallecas. Et elles sont liées à El Chino car l’opérateur téléphonique Amena déclare qu’elles ont été allumées pour la première fois la veille de l’attentat, dans la zone de couverture d’une antenne qui est celle qui dessert la maison d’El Chino. C’est dans cette maison que les explosifs auraient été stockés et que les bombes auraient été montées. Les 7 cartes SIM n’ont jamais eu d’activité suite à leur allumage, ce qui pourrait indiquer leur utilisation dans les bombes. Le lien est ainsi fait entre Zougam et la bande d’El Chino.
Le 3 avril en début d’après-midi, trois semaines après l’attentat, la police localise enfin la bande d’El Chino, dans un appartement de Léganes, en banlieue Madrilène. Remarquant la présence de la police, les suspects refusent de se rendre et ouvrent même le feu. Dans la soirée, le GEO (Grupo Especial de operaciones, équivalent du GIGN) donne l’assaut pour tenter de capturer le commando terroriste. La police a été avertie par les services de renseignement que les assiégés ont réalisé des appels téléphoniques où ils annoncent leur intention de se suicider. Peu après le forçage de la porte, l’appartement explose, tuant les 7 occupants et un policier du GEO. Dans les décombres de l’appartement on retrouve des explosifs Goma 2 Eco, des textes et une vidéo revendiquants l’attentat, mais des cagoules empêchent d’identifier les personnes qui y apparaissent. La majorité des 7 suicidés sont, comme El Chino, de petits trafiquants de drogue. Les autres appartiennent à des cercles islamistes radicaux. La sentence du procès conclura qu’ils ont posé les bombes avec Zougam, que leur but était d’imposer par la violence la loi islamique en Europe, et qu’ils s’inspirent d’Al-Qaïda sans avoir de lien avec cette organisation.
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