L'émir du Qatar a rendu son tout petit pays indispensable, et pas seulement pour son gaz.
Dans un avion, il n'est pas courant que votre voisin de siège soit... un faucon. Sauf sur Qatar Airways, où un passager embarque vêtu de sa longue dichdacha blanche, coiffé d'un keffieh safran et exhibant un faucon perché sur son poing gauche ganté de cuir. La tête recouverte d'un capuchon blanc qui l'aveugle, l'oiseau, relié par une cordelette jaune au poignet de son accompagnateur, est déposé avec précaution sur un siège. L'hôtesse glisse une couverture sous le volatile et caresse ses plumes comme s'il s'agissait d'un objet précieux. Le faucon est un oiseau de roi au Qatar et l'émir, lorsqu'il était jeune, partait chasser l'outarde pendant plusieurs semaines en Arabie saoudite, en Afghanistan, dans le Caucase, en Algérie... Certains oiseaux coûtent jusqu'à 1 million de rials (225 000 euros).
Le Qatar fait rêver. Sa richesse fascine. L'émirat détient les troisièmes réserves mondiales de gaz après la Russie et l'Iran, et sera bientôt le premier producteur et exportateur de gaz naturel liquéfié du monde. Il intrigue aussi, car son émir, cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, 57 ans, et son épouse, la très belle et très politique cheikha Moza al-Misned, 47 ans, forment un couple singulier dans ce Moyen-Orient si conservateur. Elégante dans ses tailleurs de couleur vive, les cheveux cachés sous un turban, la princesse n'est pas passée inaperçue aux côtés de son mari et de Nicolas Sarkozy sur la tribune des Champs-Elysées lors du défilé du 14 juillet 2007 et de celui de l'année suivante. En 2007, le couple royal était venu applaudir son fils, Joan, qui défilait avec sa promotion de Saint-Cyr-Coëtquidan.
Carrure imposante-il mesure 1,90 mètre-, allure débonnaire et charisme indéniable, cheikh Hamad al-Thani est doté d'un solide sens de l'humour, et le protocole n'est pas son fort. Cet émir à la francophilie militante séjourne fréquemment à Paris. Propriétaire, entre autres, d'un hôtel particulier près de la place Vendôme, « son plus grand plaisir est d'enfiler un jean et un blouson et de se promener dans le Marais, de s'arrêter dans des petits restaurants », raconte un de ses amis français. L'été, il sillonne à moto les collines des environs de Mougins, où il possède une villa. Rien d'étonnant à ce qu'il soit particulièrement apprécié des présidents de la République française, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy. « Cheikh Hamad entretient avec ce dernier les mêmes relations étroites que celles qui liaient hier Chirac et Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre libanais », précise ce même ami.
Le Qatar est, d'ailleurs, ces dernières années, devenu l'un des grands investisseurs privés en France. Le Qatari Investment Authority, principal fonds souverain de l'émirat, a acheté, entre autres, le Centre de conférences internationales de l'avenue Kléber, à Paris, propriété des Affaires étrangères. Parfois, les emplettes immobilières de l'émir défraient la chronique. Comme, récemment, ces travaux qu'il compte entreprendre pour moderniser le superbe hôtel Lambert, joyau du XVIIe à la pointe de l'île Saint-Louis, acheté l'été dernier. Cheikh Hamad souhaite construire des ascenseurs, un parking... toutes choses qui s'accordent mal à ce monument historique et qui suscitent une polémique (lire l'encadré p. 51) .
Côté people, on retrouvait encore l'émir à Paris, en octobre, lors du prix de l'Arc de Triomphe. Le Qatar, par l'intermédiaire du demi-frère du souverain, cheikh Abdallah, ex-Premier ministre, amateur de chevaux de course et grand maître des haras de l'émirat, qu'il a confiés à un Français, a doté pour cinq ans la course de Longchamp d'un prix faramineux : 18 millions de dollars, plus que ne l'a jamais fait son voisin l'émirat de Dubai, dont le prince est un grand propriétaire de chevaux. Le prix de l'Arc de Triomphe fut aussi l'occasion pour l'émir, revêtu d'un inhabituel costume trois pièces, de réapparaître pour la première fois au côté de cheikh Abdallah, tombé en demi-disgrâce. La politique n'est jamais très loin des mondanités.
Le Qatar est, en fait, sur tous les fronts. Mais qu'est-ce qui fait donc courir l'émir Hamad al-Thani ? Un de ses amis raconte que, prince héritier, il s'est senti humilié dans un aéroport par un douanier qui, manipulant son passeport, lui demanda : « Le Qatar, où est-ce ? » Le futur émir se jura de graver sur la carte du monde son pays grand comme la Corse, long de 150 kilomètres, large de 30, et qui s'avance comme un gros pouce dans le golfe Persique.
Le souci du prince n'était pas seulement l'exiguïté de son territoire, mais aussi sa position géographique peu confortable entre deux géants, la riche Arabie saoudite, d'un côté, le turbulent Iran chiite, de l'autre. Avec l'un, le royaume saoudien, dont il s'est longtemps méfié des ambitions territoriales, l'émirat partage un même islam rigoriste, le wahhabisme. Avec l'autre, l'Iran, ils ont en commun le troisième champ gazier du monde, au centre du golfe Persique. On l'appelle South Pars du côté iranien, Northwest du côté qatarien.
Dès les années 90, alors prince héritier, il comprend que, pour survivre, le Qatar doit devenir riche, se doter de protecteurs divers et se rendre indispensable. C'est alors un émirat sans grands moyens. Le vieil émir Khalifa ben Hamad, proche des Saoudiens, est entouré de conseillers égyptiens francophiles. Il fait apprendre le français à tous ses enfants, mais ne veut pas industrialiser son pays. Pour vivre heureux, vivons cachés, estime-t-il. Son fils va prendre le contre-pied de son père. En 1995, le prince héritier le renverse alors qu'il est en villégiature en Suisse.
Il endette l'émirat pour se lancer dans un programme de transformation du gaz. « En 1998, le cours du pétrole s'est effondré et le Qatar n'était pas loin de la catastrophe », reconnaît un homme d'affaires. Finalement, l'émir Hamad al-Thani a fait le bon choix. Le PNB par tête du pays est le plus élevé du monde (73 500 dollars, étrangers compris, environ 400 000 dollars pour les Qatariens).
La richesse de l'émirat assurée, cheikh Hamad décide de s'appuyer sur deux piliers pour sortir son pays de l'anonymat et assurer sa survie. Le premier : il crée en 1998 la chaîne de télévison Al-Jazira et donne carte blanche aux journalistes. Faites une télévision pour les Arabes, leur dit-il en substance. Al-Jazira va devenir la chaîne coqueluche des populations de Casablanca au Golfe et le poil à gratter des Américains et des pouvoirs, qui estiment qu'elle fait la part belle aux islamistes et aux oppositions. L'Arabie saoudite ira même jusqu'à rappeler son ambassadeur. Mais l'émir n'en a cure : Al-Jazira a fait connaître le Qatar. « La chaîne est son assurance-vie », s'amuse un diplomate, qui note que l'émirat pro-occidental héberge aussi des opposants islamistes de tout poil.
Certains ont pignon sur rue, comme Youssef al-Qardaoui, un Frère musulman égyptien qui prêche sur Al-Jazira. Tout cela n'empêche pas Doha d'abriter, depuis les années 90, une base aérienne et le centre de commandement des forces américaines au Moyen-Orient. Mais on aime rappeler qu'auparavant cheikh Hamad, alors prince héritier, avait proposé à la France de déplacer sa base de Djibouti au Qatar. Paris n'avait pas donné suite. L'émirat n'en continue pas moins d'acheter 80 % de son matériel militaire à la France. Des contrats signés lorsque Jacques Chirac était Premier ministre, à la fin des années 70. Il ne peut être question pour le Qatar de se lier aux seuls Américains. Second pilier : sa diplomatie tous azimuts.
Le Qatar s'est proposé pour accueillir, le 2 janvier, une réunion de la Ligue arabe sur la guerre israélienne lancée à Gaza. A l'été 2007, c'est l'émir qui a financé la rançon versée à la Libye pour la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Avant cela, c'est encore lui qui, à Doha, sa capitale toute de tours de verre et d'acier flambant neuves, réconciliait les différentes tendances libanaises pour qu'elles dénouent la crise et élisent un président de la République. Une victoire diplomatique qui lui aurait coûté 2,3 milliards de dollars plus un avion offert à la Syrie en échange de sa neutralité.
La suite...
Dans un avion, il n'est pas courant que votre voisin de siège soit... un faucon. Sauf sur Qatar Airways, où un passager embarque vêtu de sa longue dichdacha blanche, coiffé d'un keffieh safran et exhibant un faucon perché sur son poing gauche ganté de cuir. La tête recouverte d'un capuchon blanc qui l'aveugle, l'oiseau, relié par une cordelette jaune au poignet de son accompagnateur, est déposé avec précaution sur un siège. L'hôtesse glisse une couverture sous le volatile et caresse ses plumes comme s'il s'agissait d'un objet précieux. Le faucon est un oiseau de roi au Qatar et l'émir, lorsqu'il était jeune, partait chasser l'outarde pendant plusieurs semaines en Arabie saoudite, en Afghanistan, dans le Caucase, en Algérie... Certains oiseaux coûtent jusqu'à 1 million de rials (225 000 euros).
Le Qatar fait rêver. Sa richesse fascine. L'émirat détient les troisièmes réserves mondiales de gaz après la Russie et l'Iran, et sera bientôt le premier producteur et exportateur de gaz naturel liquéfié du monde. Il intrigue aussi, car son émir, cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, 57 ans, et son épouse, la très belle et très politique cheikha Moza al-Misned, 47 ans, forment un couple singulier dans ce Moyen-Orient si conservateur. Elégante dans ses tailleurs de couleur vive, les cheveux cachés sous un turban, la princesse n'est pas passée inaperçue aux côtés de son mari et de Nicolas Sarkozy sur la tribune des Champs-Elysées lors du défilé du 14 juillet 2007 et de celui de l'année suivante. En 2007, le couple royal était venu applaudir son fils, Joan, qui défilait avec sa promotion de Saint-Cyr-Coëtquidan.
Carrure imposante-il mesure 1,90 mètre-, allure débonnaire et charisme indéniable, cheikh Hamad al-Thani est doté d'un solide sens de l'humour, et le protocole n'est pas son fort. Cet émir à la francophilie militante séjourne fréquemment à Paris. Propriétaire, entre autres, d'un hôtel particulier près de la place Vendôme, « son plus grand plaisir est d'enfiler un jean et un blouson et de se promener dans le Marais, de s'arrêter dans des petits restaurants », raconte un de ses amis français. L'été, il sillonne à moto les collines des environs de Mougins, où il possède une villa. Rien d'étonnant à ce qu'il soit particulièrement apprécié des présidents de la République française, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy. « Cheikh Hamad entretient avec ce dernier les mêmes relations étroites que celles qui liaient hier Chirac et Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre libanais », précise ce même ami.
Le Qatar est, d'ailleurs, ces dernières années, devenu l'un des grands investisseurs privés en France. Le Qatari Investment Authority, principal fonds souverain de l'émirat, a acheté, entre autres, le Centre de conférences internationales de l'avenue Kléber, à Paris, propriété des Affaires étrangères. Parfois, les emplettes immobilières de l'émir défraient la chronique. Comme, récemment, ces travaux qu'il compte entreprendre pour moderniser le superbe hôtel Lambert, joyau du XVIIe à la pointe de l'île Saint-Louis, acheté l'été dernier. Cheikh Hamad souhaite construire des ascenseurs, un parking... toutes choses qui s'accordent mal à ce monument historique et qui suscitent une polémique (lire l'encadré p. 51) .
Côté people, on retrouvait encore l'émir à Paris, en octobre, lors du prix de l'Arc de Triomphe. Le Qatar, par l'intermédiaire du demi-frère du souverain, cheikh Abdallah, ex-Premier ministre, amateur de chevaux de course et grand maître des haras de l'émirat, qu'il a confiés à un Français, a doté pour cinq ans la course de Longchamp d'un prix faramineux : 18 millions de dollars, plus que ne l'a jamais fait son voisin l'émirat de Dubai, dont le prince est un grand propriétaire de chevaux. Le prix de l'Arc de Triomphe fut aussi l'occasion pour l'émir, revêtu d'un inhabituel costume trois pièces, de réapparaître pour la première fois au côté de cheikh Abdallah, tombé en demi-disgrâce. La politique n'est jamais très loin des mondanités.
Le Qatar est, en fait, sur tous les fronts. Mais qu'est-ce qui fait donc courir l'émir Hamad al-Thani ? Un de ses amis raconte que, prince héritier, il s'est senti humilié dans un aéroport par un douanier qui, manipulant son passeport, lui demanda : « Le Qatar, où est-ce ? » Le futur émir se jura de graver sur la carte du monde son pays grand comme la Corse, long de 150 kilomètres, large de 30, et qui s'avance comme un gros pouce dans le golfe Persique.
Le souci du prince n'était pas seulement l'exiguïté de son territoire, mais aussi sa position géographique peu confortable entre deux géants, la riche Arabie saoudite, d'un côté, le turbulent Iran chiite, de l'autre. Avec l'un, le royaume saoudien, dont il s'est longtemps méfié des ambitions territoriales, l'émirat partage un même islam rigoriste, le wahhabisme. Avec l'autre, l'Iran, ils ont en commun le troisième champ gazier du monde, au centre du golfe Persique. On l'appelle South Pars du côté iranien, Northwest du côté qatarien.
Dès les années 90, alors prince héritier, il comprend que, pour survivre, le Qatar doit devenir riche, se doter de protecteurs divers et se rendre indispensable. C'est alors un émirat sans grands moyens. Le vieil émir Khalifa ben Hamad, proche des Saoudiens, est entouré de conseillers égyptiens francophiles. Il fait apprendre le français à tous ses enfants, mais ne veut pas industrialiser son pays. Pour vivre heureux, vivons cachés, estime-t-il. Son fils va prendre le contre-pied de son père. En 1995, le prince héritier le renverse alors qu'il est en villégiature en Suisse.
Il endette l'émirat pour se lancer dans un programme de transformation du gaz. « En 1998, le cours du pétrole s'est effondré et le Qatar n'était pas loin de la catastrophe », reconnaît un homme d'affaires. Finalement, l'émir Hamad al-Thani a fait le bon choix. Le PNB par tête du pays est le plus élevé du monde (73 500 dollars, étrangers compris, environ 400 000 dollars pour les Qatariens).
La richesse de l'émirat assurée, cheikh Hamad décide de s'appuyer sur deux piliers pour sortir son pays de l'anonymat et assurer sa survie. Le premier : il crée en 1998 la chaîne de télévison Al-Jazira et donne carte blanche aux journalistes. Faites une télévision pour les Arabes, leur dit-il en substance. Al-Jazira va devenir la chaîne coqueluche des populations de Casablanca au Golfe et le poil à gratter des Américains et des pouvoirs, qui estiment qu'elle fait la part belle aux islamistes et aux oppositions. L'Arabie saoudite ira même jusqu'à rappeler son ambassadeur. Mais l'émir n'en a cure : Al-Jazira a fait connaître le Qatar. « La chaîne est son assurance-vie », s'amuse un diplomate, qui note que l'émirat pro-occidental héberge aussi des opposants islamistes de tout poil.
Certains ont pignon sur rue, comme Youssef al-Qardaoui, un Frère musulman égyptien qui prêche sur Al-Jazira. Tout cela n'empêche pas Doha d'abriter, depuis les années 90, une base aérienne et le centre de commandement des forces américaines au Moyen-Orient. Mais on aime rappeler qu'auparavant cheikh Hamad, alors prince héritier, avait proposé à la France de déplacer sa base de Djibouti au Qatar. Paris n'avait pas donné suite. L'émirat n'en continue pas moins d'acheter 80 % de son matériel militaire à la France. Des contrats signés lorsque Jacques Chirac était Premier ministre, à la fin des années 70. Il ne peut être question pour le Qatar de se lier aux seuls Américains. Second pilier : sa diplomatie tous azimuts.
Le Qatar s'est proposé pour accueillir, le 2 janvier, une réunion de la Ligue arabe sur la guerre israélienne lancée à Gaza. A l'été 2007, c'est l'émir qui a financé la rançon versée à la Libye pour la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Avant cela, c'est encore lui qui, à Doha, sa capitale toute de tours de verre et d'acier flambant neuves, réconciliait les différentes tendances libanaises pour qu'elles dénouent la crise et élisent un président de la République. Une victoire diplomatique qui lui aurait coûté 2,3 milliards de dollars plus un avion offert à la Syrie en échange de sa neutralité.
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