Farouk Ksentini à liberté à la veille du séminaire sur la peine de mort
“La loi sera sans pitié pour les repentis qui ont repris le maquis”
Par :Nissa Hammadi Lu : (1531 fois)
Dans cet entretien Me Farouk Ksentini parle des démarches entreprises pour l’abolition de la peine de mort qui peut faire l’objet, selon lui, d’un référendum ; il fait part aussi de son souhait de procéder à une deuxième révision du code de la famille et son désir de donner un deuxième souffle à la réconciliation nationale en prenant en compte les déportés des camps du Sud et les femmes kidnappées et violées par les terroristes. Abordant l’affaire du diplomate Ziane Hasseni, il pense que le juge français persiste à tort à l’inculper pour faire pression sur l’Algérie et la contraindre à livrer le véritable coupable. Le président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme revient également sur le projet en cours d’élaboration du code portant exercice de la profession d’avocat qu’il qualifie “d’inadmissible”, sur l’affaire Khalifa et bien d’autres dossiers.
Liberté : Me Ksentini, vous menez une campagne pour l’abolition de la peine de mort. Avez-vous reçu des promesses de la part des autorités dans ce sens ?
Maître Ksentini : Non, nous n’avons pas reçu de promesse, mais je pense que le moment est venu de débattre ensemble de cette question. L’Algérie est un pays suffisamment avancé pour qu’il puisse songer à réfléchir sur cette question et ensuite proposer un débat associant toutes les sensibilités nationales avec tout le respect qu’on doit aux uns et aux autres. C’est un objectif qui est à notre portée et qui est nécessaire du fait que tous les pays avancés l’ont abolie. La peine de mort est un châtiment qui a fait son temps avec la mondialisation et tous les progrès qui ont été accomplis dans le monde. J’insiste toutefois sur un point. Je ne milite pas pour l’abolition de la peine de mort pour que les criminels soient remis en liberté. Ce n’est pas là mon objectif. Je pense à une peine de compensation. C’est-à-dire la peine de mort sera remplacée par une peine à durée perpétuelle ou une peine de 30 ans incompressible. Je considère, par contre, que la justice ne doit pas tuer. Donc, nous proposons qu’il soit adopté une peine de substitution très longue, sinon perpétuelle en remplacement de la peine de mort qui est à mon avis cruelle, périmée et n’a pas de sens. D’ailleurs, tous les pays qui ont supprimé la peine de mort n’ont pas connu un regain de la violence. Le taux de criminalité est resté le même, s’il n’a pas baissé. C’est à nous de réfléchir et de nous déterminer. Je propose un débat de société et on verra. Car finalement dans cette affaire, c’est le législateur qui aura le dernier mot. D’autant plus que la peine de mort est en fait supprimée puisque son exécution est suspendue depuis des années.
En dehors d’un débat national, que proposez-vous concrètement pour réaliser cet objectif ?
Nous proposons que soit adoptée une loi dans ce sens. Nous verrons comment les choses vont se dessiner. Les députés peuvent proposer un projet de loi et il y aura à ce moment-là un débat au niveau de l’Assemblée. Il ne faut pas exclure non plus, parce que constitutionnellement c’est possible, qu’il y ait un référendum sur la question.
Les islamistes s’opposent à l’abolition de la peine de mort. Comment allez-vous faire face à ces résistances ?
Premièrement, je respecte ces résistances. Chacun a ses sensibilités que je respecte même si je ne les partage pas. Je leur demande simplement de nous respecter dans la nôtre et d’entamer un débat entre adultes et Algériens. Sans passion et surtout sans quelque rancune que ce soit.
Certains d’entre deux mettent en avant le fait qu’en Islam, il est dit que celui qui tue doit être tué…
Je ne suis pas un spécialiste du droit musulman. Les dispositions de la religion que vous venez de citer exigent pour leur application un juge parfait et infaillible. Pour appliquer les dispositions du droit musulman, il faut être spécialiste de la charia. Or les juges que nous avons ne le sont pas. Moi, je ne situe pas le débat au niveau de la charia, mais au niveau de la loi civile et du droit positif algérien. La charia, que je respecte, n’a pas cours dans notre pays. Donc je me situe à l’intérieur du droit positif. Je n’ai aucun commentaire à faire sur la charia. Aucun. Avec tout le respect que j’ai envers cette façon de penser et cette législation. Je ne veux pas imposer mon point de vue. Il faut que le débat soit démocratique et national et on verra bien ce que le législateur algérien décidera en fin de compte.
Vous avez déclaré à l’occasion d’une conférence de presse que la situation des droits de l’homme en Algérie allait mieux. Qu’est-ce que vous aurez aimé accomplir et qu’il n’a pas été encore fait ?
Personnellement, j’aurais aimé qu’on révise de manière un peu plus profonde le code de la famille. C’est quelque chose qui me tient à cœur. Sans la moindre démagogie, je crois que le temps est venu de retirer à la femme algérienne le statut inférieur qui lui est réservé et d’en faire une citoyenne à part entière avec tous les droits qui se rattachent à cette qualité. C’est un travail difficile, de longue haleine parce qu’il y a des résistances en face. Des progrès ont été réalisés. En 2005, le code de la famille a subi une évolution et non pas une révolution. C’est quand même une avancée. Je souhaiterais que cette avancée continue à se faire le plus rapidement possible. C’est une question morale. Je ne perds jamais de vue que la Constitution algérienne, texte pour lequel j’ai le plus grand respect, établit l’égalité totale entre les personnes quel que soit leur sexe. Malheureusement, dans les faits, la femme algérienne dispose de moins de droits que l’homme. Nous devons y remédier.
Que faut-il encore revoir, selon vous, dans l’actuel code de la famille ?
Il faudrait que le statut de la femme et de l’homme soit égalitaire. Les cas dans lesquels la femme peut obtenir le divorce sont à mon avis insuffisants. Il faudrait les élargir.
De quelle manière ?
Il faudrait que la femme puisse obtenir un peu plus facilement le divorce quand elle le demande. Quand la cause est justifiée et quand les griefs qu’elle invoque sont vérifiés. Il ne faut pas se soumettre aux cas très limitativement énumérés actuellement par la loi qui rendent pratiquement impossible le divorce s’il est souhaité par la femme. Mon objectif est que la femme algérienne ne soit plus la chose de son mari. C’est important.
Une fois qu’on aura apporté une solution à cette situation, on aura beaucoup évolué sur le plan des droits de l’homme et sur le plan moral. Cela étant je regrette également que le progrès ne soit pas un peu plus substantiel dans la limitation des recours à la détention préventive.
C’est vrai qu’il y a des efforts qui ont été faits, mais, à mon avis, ils ne sont pas suffisants. J’ai espoir que les choses vont s’améliorer au fil du temps. L’abus dans le recours à la détention provisoire est souvent inutile, dans la mesure où il est surtout préjudiciable aux inculpés qui risquent de perdre leurs emplois. La famille est traumatisée. Ce que j’ai constaté dans l’exercice de ma profession, c’est que souvent en matière délictuelle et non pas criminelle, la détention préventive ne sert à rien. Le juge d’instruction peut faire exactement le même travail en laissant la personne en liberté ou sous contrôle judiciaire. Ce qui nous a perturbés d’autre part, c’est l’absence de réponse plus consistance aux droits sociaux. En matière de logement, travail, santé, qualité de la vie… l’Algérie n’est pas à la hauteur voulue. C’est un pays qui a les moyens, malheureusement, il y a un retard dans la satisfaction des droits sociaux. Il est grand temps pour nous d’affronter les problèmes sociaux et d’y apporter une solution de façon à ce que l’Algérien ait un meilleur pouvoir d’achat, un logement décent, un travail, que les enfants soient correctement scolarisés que la santé publique soit à la hauteur de la tâche qui est la sienne. C’est là un grand regret que je formule. Je pense qu’il y a des frémissements sur ce plan et que les choses iront en s’améliorant.
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