par Henri Maler, Olivier Poche
Dans un précédent article – « Médias en guerre (1) : Sous couvert de neutralité » - nous avons effectué un premier relevé du champ de bataille de l’information, avant que les bombardements de l’armée israélienne sur Gaza ne soient soutenus par une invasion terrestre. Depuis, à grands renforts de reportages déséquilibrés et d’informations mal regardantes sur les sources, la plupart des médias ont confirmé qu’ils sont toujours, volontairement ou pas, des acteurs des guerres qu’ils prétendent observer.
Et dans le cas présent, trop souvent, des auxiliaires du plus puissant d’entre eux quand, dans (l’innocente ?) intention de respecter un impartial – et toujours virtuel – équilibre, ils maltraitent, effacent, voire renversent des déséquilibres bien réels. Peut-être que, comme le déclare un gradé israélien, « pour mener une bonne guerre, il faut garder les journalistes à l’écart [1]. » Il paraît encore plus sûr de les garder dans son propre camp.
Où sont les caméras ?
Les principales chaînes de télévision françaises ne disposent d’aucun correspondant permanent à Gaza, à l’exception de Talal Abou Rahmeh, journaliste reporter d’images (JRI) palestinien qui travaille avec Charles Enderlin pour France 2, et de Radjaa Abou Dagga, correspondant de France 24 (qui intervient occasionnellement sur France 3). Jusqu’a ce jour, la quasi-totalité des envoyés spéciaux des chaînes françaises ne peuvent pas accéder à Gaza. Dans ces conditions, quels reportages et quelles enquêtes les télévisions peuvent-elles effectuer, si l’on excepte les reportages, balisés par l’armée israélienne, effectués dans les villages israéliens placées sous les tirs des roquettes du Hamas ?
L’effet de cette exception est garanti. La prétendue recherche d’une information équilibrée se traduit par une présentation totalement asymétrique des risques encourus par les populations civiles : une présentation qui ne tient aucun compte (même si l’on tient à jour une macabre comptabilité) de la disproportion écrasante de l’ampleur des destructions et du nombre des blessés et des morts. Mais surtout ces enquêtes, presque totalement unilatérales en l’absence quasi-complète de témoignages directs des Palestiniens de Gaza, accréditent, qu’on le veuille ou non, la légitimité de la guerre israélienne.
Un exemple, qui commence à se donner pour ce qu’il est, notamment sous l’effet de la « frustration » des journalistes coincés aux portes de Gaza : Sderot.
Le 8 janvier, un article du Monde – « La presse, tenue à distance, rumine sa frustration » – décrit les conditions de travail des journalistes retenus à la frontière avec Gaza, et notamment à Sderot : « Vidées de ses habitants qui se claquemurent dans leur maison, les rues de la ville ont été transformées en un "journalistland" géant. Les vieux routiers des conflits y traînent leur désœuvrement au milieu d’une nuée de porte-parole de l’armée et du gouvernement israélien à l’affabilité insistante. » Mais que nous importe, au fond, la « frustration » des journalistes, quand on mesure les conséquences de ce prétendu « désœuvrement » ?
Entre le 27 décembre et le 4 janvier, les téléspectateurs de TF1 ont profité de la visite guidée de Sderot, à cinq reprises, (trois fois dans le 20 heures, deux fois dans le 13 heures), avant de s’apercevoir, si toutefois ils lisent Le Monde, que cette fréquence ne relève pas tout à fait du pur hasard.
Premier reportage, le 28 décembre : notre vaillant reporter suit un charmant grand-père le guidant dans une visite qui semble assez rodée : la toute première maison touchée par les roquettes, des familles « terrorisées », puis le musée des roquettes – comme dans le « Gaza Border Tour » évoqué dans l’article du Monde [2]. Comme l’annonçait le journaliste en ouvrant le sujet, l’attaque israélienne est pour les habitants qu’il rencontre « un soulagement pour les 15000 habitants de Sderot » : « Après huit ans d’attaques, je suis soulagé. Merci Ehud Barak, notre ministre de la défense, il a enfin fait ce qu’il fallait faire. On attendait cela depuis longtemps. ». Une prise de position que ne viendra pas tempérer la prise de position des pacifistes qui, eux, ne sont malheureusement pas au programme du « Gaza Border Tour » (mais dont un article de Benjamin Barthe, paru dans Le Monde du 7 janvier décrit fort bien le désarroi, sous le titre : « Au kibboutz Saad, près de Sderot, la colère et le désespoir de l’association "Une autre voix" »).
Second reportage, le 31 décembre, le seul du jour consacré à la situation au Proche-Orient, intitulé « vivre sous les tirs à Sderot ». Un reportage en toute liberté, sans doute grâce au « jeune [et sympathique] soldat qui nous accompagne… », et avec qui on vit une alerte en direct. Dialogue : _ - « Ça peut être combien de fois par jour ? »
- « Ça peut être très … 60 fois, 10 fois, 14 fois… C’est épuisant. »
Puis c’est un couple avec « Shirel, leur fille de cinq mois », qui vit dans la peur. « La petite doit subir des examens médicaux, mais les tirs de Qassam les dissuade de toute sortie : “ Je ne veux pas que ma fille grandissent dans des conditions pareilles, qu’elle subisse la peur et l’anxiété” ». En attendant de pouvoir ressortir, ils ne consomment plus que du surgelé » (preuve par l’image). On termine avec un entrepreneur qui veut aller « plus loin » dans l’offensive pour « les mettre à genoux ».
Est-ce parce qu’il n’existe aucun autre sujet de reportage disponible en provenance de Gaza ? Est-ce parce qu’on ne se lasse pas de reproduire quasiment les mêmes ? Toujours est-il qu’un troisième reportage, le 4 janvier, sera consacré à un thème original : « Vivre à Sderot, sous les tirs de roquettes ». Alertes, maison détruite… Et on termine sur un habitant qui s’interroge : « Tout le monde dit dans le monde que ce que fait Israël à Gaza ce n’est pas bien, que l’armée israélienne n’a pas le droit. Pourquoi ne viennent-ils pas là, pour connaître ce que l’on ressent ? ».
Pourtant, pendant plusieurs jours, seuls ou presque les Israéliens menacés par les roquettes du Hamas on pu témoigner directement des souffrances qu’ils endurent (et qu’il n’est pas question de nier), alors que celles des Palestiniens restent presque totalement privés de mots recueillis par des journalistes. Il est possible que, contrairement au vœu exprimé par l’ habitant de Sderot, TF1, comme les autres, ne « vienne » pas là pour comprendre pourquoi l’armée israélienne « a le droit » de faire la guerre à Gaza. Mais comment ne pas voir que, dans la « configuration » médiatique du conflit, la répétition de ces reportages sert au mieux les objectifs et la politique d’Israël, qui d’ailleurs les encourage et les facilite par tous les moyens.
Dire cela, ce n’est en rien justifier la fin poursuivie et les moyens employés par le Hamas : c’est énoncer un simple fait. Un fait reconnu par certains journalistes comme ce journaliste de RTL qui selon l’article du Monde déjà cité, déclare : « Nous sommes des journalistes captifs. Pendant que les gamins du camp de Jabaliya [site d’un bombardement israélien qui a fait quarante morts, mardi] se font massacrer, les médias parlent de ceux de Sderot qui collectionnent les morceaux de Qassam. C’est tout bonus pour Israël. ».
De là cette simple question : pourquoi accepter de tourner ces reportages tant que l’armée israélienne refuse de laisser les journalistes enquêter à Gaza ?
Selon les comptages effectués par le site d’Arrêt sur images (lien payant), les 20h de TF1, France 2 et France 3, entre le 27 décembre et le 5 janvier, ont ainsi proposé 6 reportages intégralement consacrés aux civils israéliens, contre 2 aux civils palestiniens. Cette disproportion est encore plus prononcée, si l’on prend en considération les JT de 13h. Selon notre propre relevé,. sur TF1 le rapport est de 5 contre 1. Un seul reportage consacré aux civils palestiniens, diffusé seulement au 20h, met en scène, sans le moindre propos politique, une famille relativement aisée de Gaza (comme nous l’apprend un reportage… de France 2 où le même couple franco-palestinien est interrogé [3]) et peu représentative par conséquent de la situation vécue par la majorité des Gazaouis. Et si l’on ajoute France 2, on atteint en tout 9 reportages contre 2 – là encore, le 13h ayant jugé bon d’évoquer Sderot, mais pas Gaza.
Peut-être faut-il faire crédit, sous réserve d’examen de leur contenu, aux auteurs des reportages « du côté israélien » de ne pas contribuer délibérément à la propagande de guerre de l’Etat-major israélien : le déséquilibre global de l’information n’est pas de leur fait ou de leur seul fait. Peut-être faut-il, également, faire crédit aux responsables de l’information de TF1 ou de France 2 de l’absence de volonté de privilégier le point de vue des officiels et des témoins israéliens : il n’en resterait pas moins qu’informer à partir des données disponibles – des reportages du côté israélien et, pour l’essentiel, des images de source fréquemment indéterminée du côté de Palestiniens de Gaza – sans s’interroger sur leur source et leur sens se traduit par une distorsion telle de l’information qu’elle constitue une forme de désinformation.
Dans un précédent article – « Médias en guerre (1) : Sous couvert de neutralité » - nous avons effectué un premier relevé du champ de bataille de l’information, avant que les bombardements de l’armée israélienne sur Gaza ne soient soutenus par une invasion terrestre. Depuis, à grands renforts de reportages déséquilibrés et d’informations mal regardantes sur les sources, la plupart des médias ont confirmé qu’ils sont toujours, volontairement ou pas, des acteurs des guerres qu’ils prétendent observer.
Et dans le cas présent, trop souvent, des auxiliaires du plus puissant d’entre eux quand, dans (l’innocente ?) intention de respecter un impartial – et toujours virtuel – équilibre, ils maltraitent, effacent, voire renversent des déséquilibres bien réels. Peut-être que, comme le déclare un gradé israélien, « pour mener une bonne guerre, il faut garder les journalistes à l’écart [1]. » Il paraît encore plus sûr de les garder dans son propre camp.
Où sont les caméras ?
Les principales chaînes de télévision françaises ne disposent d’aucun correspondant permanent à Gaza, à l’exception de Talal Abou Rahmeh, journaliste reporter d’images (JRI) palestinien qui travaille avec Charles Enderlin pour France 2, et de Radjaa Abou Dagga, correspondant de France 24 (qui intervient occasionnellement sur France 3). Jusqu’a ce jour, la quasi-totalité des envoyés spéciaux des chaînes françaises ne peuvent pas accéder à Gaza. Dans ces conditions, quels reportages et quelles enquêtes les télévisions peuvent-elles effectuer, si l’on excepte les reportages, balisés par l’armée israélienne, effectués dans les villages israéliens placées sous les tirs des roquettes du Hamas ?
L’effet de cette exception est garanti. La prétendue recherche d’une information équilibrée se traduit par une présentation totalement asymétrique des risques encourus par les populations civiles : une présentation qui ne tient aucun compte (même si l’on tient à jour une macabre comptabilité) de la disproportion écrasante de l’ampleur des destructions et du nombre des blessés et des morts. Mais surtout ces enquêtes, presque totalement unilatérales en l’absence quasi-complète de témoignages directs des Palestiniens de Gaza, accréditent, qu’on le veuille ou non, la légitimité de la guerre israélienne.
Un exemple, qui commence à se donner pour ce qu’il est, notamment sous l’effet de la « frustration » des journalistes coincés aux portes de Gaza : Sderot.
Le 8 janvier, un article du Monde – « La presse, tenue à distance, rumine sa frustration » – décrit les conditions de travail des journalistes retenus à la frontière avec Gaza, et notamment à Sderot : « Vidées de ses habitants qui se claquemurent dans leur maison, les rues de la ville ont été transformées en un "journalistland" géant. Les vieux routiers des conflits y traînent leur désœuvrement au milieu d’une nuée de porte-parole de l’armée et du gouvernement israélien à l’affabilité insistante. » Mais que nous importe, au fond, la « frustration » des journalistes, quand on mesure les conséquences de ce prétendu « désœuvrement » ?
Entre le 27 décembre et le 4 janvier, les téléspectateurs de TF1 ont profité de la visite guidée de Sderot, à cinq reprises, (trois fois dans le 20 heures, deux fois dans le 13 heures), avant de s’apercevoir, si toutefois ils lisent Le Monde, que cette fréquence ne relève pas tout à fait du pur hasard.
Premier reportage, le 28 décembre : notre vaillant reporter suit un charmant grand-père le guidant dans une visite qui semble assez rodée : la toute première maison touchée par les roquettes, des familles « terrorisées », puis le musée des roquettes – comme dans le « Gaza Border Tour » évoqué dans l’article du Monde [2]. Comme l’annonçait le journaliste en ouvrant le sujet, l’attaque israélienne est pour les habitants qu’il rencontre « un soulagement pour les 15000 habitants de Sderot » : « Après huit ans d’attaques, je suis soulagé. Merci Ehud Barak, notre ministre de la défense, il a enfin fait ce qu’il fallait faire. On attendait cela depuis longtemps. ». Une prise de position que ne viendra pas tempérer la prise de position des pacifistes qui, eux, ne sont malheureusement pas au programme du « Gaza Border Tour » (mais dont un article de Benjamin Barthe, paru dans Le Monde du 7 janvier décrit fort bien le désarroi, sous le titre : « Au kibboutz Saad, près de Sderot, la colère et le désespoir de l’association "Une autre voix" »).
Second reportage, le 31 décembre, le seul du jour consacré à la situation au Proche-Orient, intitulé « vivre sous les tirs à Sderot ». Un reportage en toute liberté, sans doute grâce au « jeune [et sympathique] soldat qui nous accompagne… », et avec qui on vit une alerte en direct. Dialogue : _ - « Ça peut être combien de fois par jour ? »
- « Ça peut être très … 60 fois, 10 fois, 14 fois… C’est épuisant. »
Puis c’est un couple avec « Shirel, leur fille de cinq mois », qui vit dans la peur. « La petite doit subir des examens médicaux, mais les tirs de Qassam les dissuade de toute sortie : “ Je ne veux pas que ma fille grandissent dans des conditions pareilles, qu’elle subisse la peur et l’anxiété” ». En attendant de pouvoir ressortir, ils ne consomment plus que du surgelé » (preuve par l’image). On termine avec un entrepreneur qui veut aller « plus loin » dans l’offensive pour « les mettre à genoux ».
Est-ce parce qu’il n’existe aucun autre sujet de reportage disponible en provenance de Gaza ? Est-ce parce qu’on ne se lasse pas de reproduire quasiment les mêmes ? Toujours est-il qu’un troisième reportage, le 4 janvier, sera consacré à un thème original : « Vivre à Sderot, sous les tirs de roquettes ». Alertes, maison détruite… Et on termine sur un habitant qui s’interroge : « Tout le monde dit dans le monde que ce que fait Israël à Gaza ce n’est pas bien, que l’armée israélienne n’a pas le droit. Pourquoi ne viennent-ils pas là, pour connaître ce que l’on ressent ? ».
Pourtant, pendant plusieurs jours, seuls ou presque les Israéliens menacés par les roquettes du Hamas on pu témoigner directement des souffrances qu’ils endurent (et qu’il n’est pas question de nier), alors que celles des Palestiniens restent presque totalement privés de mots recueillis par des journalistes. Il est possible que, contrairement au vœu exprimé par l’ habitant de Sderot, TF1, comme les autres, ne « vienne » pas là pour comprendre pourquoi l’armée israélienne « a le droit » de faire la guerre à Gaza. Mais comment ne pas voir que, dans la « configuration » médiatique du conflit, la répétition de ces reportages sert au mieux les objectifs et la politique d’Israël, qui d’ailleurs les encourage et les facilite par tous les moyens.
Dire cela, ce n’est en rien justifier la fin poursuivie et les moyens employés par le Hamas : c’est énoncer un simple fait. Un fait reconnu par certains journalistes comme ce journaliste de RTL qui selon l’article du Monde déjà cité, déclare : « Nous sommes des journalistes captifs. Pendant que les gamins du camp de Jabaliya [site d’un bombardement israélien qui a fait quarante morts, mardi] se font massacrer, les médias parlent de ceux de Sderot qui collectionnent les morceaux de Qassam. C’est tout bonus pour Israël. ».
De là cette simple question : pourquoi accepter de tourner ces reportages tant que l’armée israélienne refuse de laisser les journalistes enquêter à Gaza ?
Selon les comptages effectués par le site d’Arrêt sur images (lien payant), les 20h de TF1, France 2 et France 3, entre le 27 décembre et le 5 janvier, ont ainsi proposé 6 reportages intégralement consacrés aux civils israéliens, contre 2 aux civils palestiniens. Cette disproportion est encore plus prononcée, si l’on prend en considération les JT de 13h. Selon notre propre relevé,. sur TF1 le rapport est de 5 contre 1. Un seul reportage consacré aux civils palestiniens, diffusé seulement au 20h, met en scène, sans le moindre propos politique, une famille relativement aisée de Gaza (comme nous l’apprend un reportage… de France 2 où le même couple franco-palestinien est interrogé [3]) et peu représentative par conséquent de la situation vécue par la majorité des Gazaouis. Et si l’on ajoute France 2, on atteint en tout 9 reportages contre 2 – là encore, le 13h ayant jugé bon d’évoquer Sderot, mais pas Gaza.
Peut-être faut-il faire crédit, sous réserve d’examen de leur contenu, aux auteurs des reportages « du côté israélien » de ne pas contribuer délibérément à la propagande de guerre de l’Etat-major israélien : le déséquilibre global de l’information n’est pas de leur fait ou de leur seul fait. Peut-être faut-il, également, faire crédit aux responsables de l’information de TF1 ou de France 2 de l’absence de volonté de privilégier le point de vue des officiels et des témoins israéliens : il n’en resterait pas moins qu’informer à partir des données disponibles – des reportages du côté israélien et, pour l’essentiel, des images de source fréquemment indéterminée du côté de Palestiniens de Gaza – sans s’interroger sur leur source et leur sens se traduit par une distorsion telle de l’information qu’elle constitue une forme de désinformation.
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