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Les Cerises d’Icherridène de Jules Roy

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  • Les Cerises d’Icherridène de Jules Roy

    Jules Roy est un romancier pied-noir pour qui les évènements qu’il relate font partie de l’histoire à laquelle lui et les siens ne sont pas étrangers. Il est né en Algérie, à Sidi Moussa ou à Meftah (ex-Rovigo), en terre agricole qu’il a tenu à revoir avant de mourir et ce, pendant la décennie quatre-vingt-dix. On lui avait déconseillé de se rendre en Algérie, mais il voulait à tout prix se recueillir sur les tombes de ses parents disparus. On le dit aussi libéral que ses contemporains, Albert Camus et Emmanuel Roblès nés eux aussi en Algérie et d’un talent reconnu.

    Jules Roy a choisi d’écrire les Cerises d’Icherridène pour relater des évènements historiques probablement vécus par ses aïeux à une époque déterminante de la colonisation française. La conquête ayant en lieu, en 1830, les batailles d’Icherridène ont repris de plus belle en 1870 avec le soulèvement d’El Mokrani. Icheridène est un village juché sur une colline et qui se situe à peu près à mi-chemin entre Larbaâ Nath Irathen et Aïn El Hammam. C’est un lieu déterminant pour la victoire ou la défaite pour les combattants de la liberté ou les envahisseurs de l’époque.

    Vers 1850, l’armée coloniale avait entamé l’occupation de la Kabylie, Fort national appelé d’abord Fort Napoléon, avait été bâti à l’emplacement d’un village préalablement rasé.

    Une œuvre romanesque à thème historique

    En tant qu’enfant de la colonisation de peuplement, Jules Roy a fait de la guerre d’occupation un sujet de prédilection. Connaissant bien les lieux historiques et les évènements qui s’y sont déroulés, il a réalisé d’une main de maître une œuvre romanesque de reconstitution à la voix réaliste et fictive.
    Jules Roy a touché à tous les gens littéraires : conte, journal, théâtre, essai, récit, roman. Les Cerises d’icherridène paru sous le générique les Cheveux du soleil est classé dans la catégorie «roman historique».

    Les acteurs de la guerre coloniale et qui ont marqué l’histoire en mal ou en bien, selon le camp auquel chacun appartient, jouent des rôles de personnages romanesques qui connotent la résistance, la violence, la mort, le mépris, l’usurpation. On peut le devenir sous les noms : Arezki El Bachir, Ou Kaci, El Mokrani, Ben Ali Cherif, Abdeslam, Mac Mahon, Randon, Krieger, Kossaïri.

    Les mêmes acteurs, ceux de 1830, 1857, 1870 occupent le devant de la scène. On les a rappelés en 1870 pour parachever la même besogne. Ce que nous dit si bien l’auteur : «Le fier maréchal Randon qui avait fondé Fort Napoléon, pacifié la Kabylie en 1857, était devenu ministre de la Guerre après la démission de Mac-Mahon. Lui-même avait cédé la place au maréchal Le Bœuf. On l’avait supplié de revenir en Algérie, il n’avait pas refusé, mais ça ne s’était pas fait, la déclaration de guerre avait tout bousculé.»
    Puisque la porte de la Grande Kabylie était Icherridène, il fallait renforcer l’effectif à cet endroit pour faire sauter le verrou.
    Toute la Kabylie avait concentré ses forces autour de ce village devenu une cible potentielle même de 1954-1962. Les bâts de mulets posés à terre constituaient des limites en deçà desquelles il ne fallait pas reculer pour ne pas être considéré comme un traître. Et le bruit connaît au sein des troupes coloniales qu’après Icherridène, la campagne de l’armée ne serait qu’une promenade militaire.

    Beaucoup de fiction pour des faits vécus

    En tant que pied-noir bien connu surtout dans le monde des lettres, Jules Roy avait sans doute jugé trop valorisant de parler des Kabyles par leur nom. Il leur a choisi l’appellation «Kroumirs». Dans son livre, on se croirait ainsi sur une autre planète, un monde imaginaire. Jugez-en par ce passage : «Les Kroumirs étendus morts ou pas, regarnissait le barillet en marche , d’une main que l’émotion faisait trembler.»

    En tant que romancier, on a la liberté d’inventer, de diminuer les uns pour mettre en valeur les autres. Ceci est indéniable en lisant certaines pages, dont voici un petit extrait : «Les balles kabyles ne pesaient que quinze grammes, dix de moins que les balles des chasses pots, elles étaient toutes petites, inégales, moulées en deux hémisphères soudés par un bourrelet.»

    Puis il aborde l’aspect physique des immesblène (ou volontaires de la mort en Kabylie à cette époque) pour dire qu’ils étaient imberbes, des enfants veut-il signifier, comme s’il les avait côtoyés, combattus, alors que son roman a été écrit à un siècle des évènements qu’il relate. Et ils étaient morts avant de commencer le combat. «Les morts étaient presque imberbes, des enfants, les fameux imsseblènes que de simples bâts de mulets avaient conduis là, leur gloire à eux, leur foi, toute cette forêt de jeunes arbres abattus, confondus avec la terre et couchés dans leurs gandouras de bergers.» Que faut-il de plus pour diminuer les adversaires farouches ?

  • #2
    L’armée coloniale a été présentée sous l’angle de la diversité raciale. Mis à part les Randon, Mac-Mahon, Le Bœuf dont on connaît l’origine, Krieger, Kossaïri, Cloziers ont des connotations étrangères à la société française, le premier est noir de peau, le second est un supplétif musulman, quant au troisième il s’est donné comme nom : Mekhlouf.
    «Noir comme vous êtes capitaine Krieger, vous ne feriez pas un bon Kroumir. Ils sont plus germains que vous.» Et il est capitaine, commandant une compagnie. Quant à Kossaïri, il est aussi capitaine de l’armée française. Donc deux compagnies sur le pied de guerre, lancées à l’assaut d’Icherridène : «Dans le ravin, dit le romancier, en ahanant, des Kroumirs sortis de terre.
    Ils avancent. Gries donna des ordres d’une voix qui avait du mal à cacher son triomphe. Ce salaud de Dupuis. Tout le monde tourné vers le sud, face au soleil, deux compagnies en appui de feu, la compagnie Kossaïri se glisserait sous la falaise pour prendre les Kabyles de flanc.»

    Les Kroumirs sont présentés comme des mouches faciles à abattre. «Kossaïri achevait une cinquantaine de Kroumirs qui se défendraient sur la gauche. Un petit s’était échappé, il avait fui mais il avait fini par être abattu. On voyait au loin Aït Yanni. Aït Menguellet, l’affluent à sec de l’oued Sébaou.»
    Et pour agrémenter, l’ensemble, Jules Roy inventa des histoires rocambolesques de femmes.

    Quelquefois, le livre prend d’autres formes, celles d’aventures à l’eau de rose, pour rendre supportable le climat de guerre. C’est le cas de Marguerite qui hante les camps de l’armée pour faire oublier les soucis du quotidien. On en a fait un personnage mythique.

    Malgré une description de lieux et de personnages méconnaissables, une réalité et un paysage familier

    Les cerises produites en grandes quantités sur le sol rocailleux de la Kabylie, leur milieu naturel, représentent le sang versé pour une cause sacrée. Rien n’est occulté. On a parlé même des arbres : cerisiers, frênes, oliviers, noyers épargnés en 1857 et qui ont été coupés. Pour les gens du pays, plus rien n’étonne. La France a coupé les arbres nourriciers, comme les figuiers non évoqués ici, lorsqu’elle est rentrée et à la veille de l’indépendance, au moment de partir.

    Et que de scènes d’humiliation et d’attente à l’honneur des familles devant lesquelles les chefs et les gouvernements ont fermé les yeux !
    Le colonel Saint-Arnaud du nom duquel on a rebaptisé une ville de l’Ouest algérien, a donné ordre de jeter les tuiles de maisons à terre, de brûler des village, de procéder à des exécutions massives. C’est à partir de là que Si Mohand ou M’hand est devenu un poète errant : son village Icherridène a été démoli pour laisser place à Fort Napoléon. Sa famille a été décimée, un de ses oncles a été déporté en Nouvelle-Calédonie. Rendons hommage à ce poète au lieu de le condamner ou de le gommer des mémoires.

    Un seul espoir pour les Kabyles : l’Allemagne sous la conduite de l’empereur Guillaume II. Mais hélas ! Les Français avaient cédé aux Prussiens l’Alsace et La Lorraine au lieu de les combattre. L’Algérie fut bien plus importante. Le colonel Saint-Arnaud était devenu général pour la belle mission accomplie.
    Icherridène était un objet d’inquiétude. On l’avait brûlé de la même manière dont on avait brûlé quelques villages à Aït Yanni, vingt ans auparavant. Le village s’appellerait Taourirt Ihaddadène, Icherridène devant être une région à quelques kilomètres des centres urbains.

    C’est à Icherridène qu’un monument en forme de pyramide a été érigé à la mémoire des militaires français tombés pour la colonisation. La région d’Icherridène ayant été pacifiée, l’auteur parle de labourage à El Harrach, Boufarik, de l’installation de nouveaux colons ramenés par le maréchal Clauzel. Ces nouveaux propriétaires terriens venaient des pays européens où ils vivaient dans la misère. En s’installant en Algérie, ils se sont enrichis. Au cœur de la Mitidja sont venus les Bacri, Bouychou, Salvador Daniel, fils d’un juif chassé d’Espagne.

    A Blida, cœur de la Mitidja, est domicilié le général de Saint-Arnaud. A Sidi Moussa, on parle de la mort du général de Rorailles.
    Puis, comme si on avait oublié quelque chose après l’occupation de la Kabylie et la distribution des terres à tous les va-nu-pieds venus des pays d’Europe, un bataillon du colonel Dupuis se dirigera vers la Kalaâ des Beni Abbès, appelée dans ce roman «La Guelaâ», déformation injustifiée, pour bombarder le village d’El Mokrani.

    On voulait sûrement effacer de la carte de géographie toute trace de site indiquant un lieu de résistance qui a vu naître et grandir des hommes capables de tenir tête à toutes sortes d’ennemis.

    Gries est cité par Jules Roy comme quelqu’un de très sensible à la douleur d’une population gravement éprouvée. Ce capitaine s’est déplacé là pour empêcher le colonel de procéder à un bombardement sauvage et injustifié. Les Cerises d’Icherridène qui connote le sang versé par les uns pour défendre la terre des ancêtres, les autres pour usurper les lieux, est un roman à lire parce que bien écrit. Même si vous en sortez tristement marqué, il vous donne l’essentiel à retenir sur l’œuvre coloniale, c’est un autre son de cloche pour les jeunes.

    Tout ce qui a été écrit sur l’Algérie par les étrangers est bon à lire, c’est le regard de l’autre, différent du vôtre et intéressant à tous égards.

    Par Boumediene Abed, La Nouvelle République

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