Le droit international est invoqué de part et d'autre du conflit, pour des accusations de crimes de guerre. Des experts confrontent leurs avis. La démocratie israélienne est mise à mal par cette offensive.
Caroline Stevan
Mercredi 14 janvier 2009
Depuis le début de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza, critiques et indignations pleuvent, mâtinées de considérations juridiques: «Israël a le droit de se défendre», «l'offensive est disproportionnée», «le Hamas n'a pas le droit de se cacher au milieu des civils», «l'Etat hébreu doit permettre l'accès aux blessés»... Le point avec des juristes spécialisés en droit international et droit international humanitaire.
• Israël avait-il le droit de lancer une offensive contre la bande de Gaza?
«Tout Etat a le droit de riposter à une attaque armée perpétrée de l'extérieur, stipule Andrea Bianchi, professeur de droit international à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), à Genève. La question ici est de savoir si le lancement de roquettes constitue ou non une attaque armée. Cette règle a été conçue pour le cadre traditionnel d'un Etat qui en envahit un autre; il faudrait parvenir à qualifier ce conflit pour déterminer quels sont les textes à appliquer.»
«Si l'on considère toujours la bande de Gaza comme un territoire occupé, alors cette attaque va trop loin. Israël aurait d'abord dû essayer d'arrêter les responsables du Hamas. Si l'on estime que Gaza est un autre pays, Israël a le droit de se défendre, en respectant une certaine proportionnalité cependant», précise de son côté Louise Doswald-Beck, également professeure à l'IHEID.
• Le Hamas peut-il impunément tirer des roquettes sur Israël?
Là aussi intervient la reconnaissance ou non de l'occupation israélienne, puisque «rien n'interdit à un peuple occupé d'essayer de se libérer», note encore Louise Doswald-Beck. Formellement l'Etat hébreu a libéré Gaza en 2005, mais «le blocus imposé par Israël pourrait être l'équivalent d'une sorte d'occupation militaire. Il y a un contrôle du territoire, même s'il n'est pas effectif», estime Andrea Bianchi. Le Hamas, cependant, n'a pas le droit de viser sciemment des civils israéliens, pas plus que de se cacher parmi la population palestinienne pour lancer des roquettes.
• Peut-on parler de crimes de guerre?
«Plusieurs signes laissent penser que des crimes de guerre sont commis par Israël. Il y a d'abord une disproportion entre le nombre de victimes civiles et l'avantage que pourrait retirer l'armée israélienne de ces frappes, relève Annyssa Bellal, juriste à l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains (ADH), à Genève. Ensuite, toute armée doit distinguer les combattants des civils et des biens civils. Cela ne semble pas respecté ici puisque des écoles ou des mosquées ont été visées.»
Côté Hamas, le fait de lancer une roquette depuis une mosquée ou un autre lieu civil - s'il est avéré - peut également être qualifié de crime de guerre, puisque cela expose ensuite la population à un acte de représailles. Mais cela ne justifie pas de bombarder cet endroit sans prendre toutes les mesures nécessaires pour épargner les civils. Une mosquée ou une école, ainsi, devraient être attaquées la nuit, mais pas en pleine journée.
Viser sciemment des civils, poursuivre des attaques indéterminées (ne pas chercher à épargner la population), utiliser des personnes comme boucliers humains ou ne pas se préoccuper de respecter une certaine proportionnalité dans les assauts (tirer dix missiles quand un suffirait à anéantir la cible) sont autant de crimes de guerre. Une enquête devra cependant prouver qu'ils ont bien été commis par l'armée israélienne ou par le Hamas.
• Une armée peut-elle utiliser n'importe quelles armes?
«Les combattants doivent veiller à utiliser des armes appropriées, souligne Annyssa Bellal. Par exemple, si une cible se trouve au milieu d'une foule de civils, on utilisera un missile guidé plutôt qu'une bombe à fragmentation ou une arme au phosphore. Là encore, il faut pouvoir distinguer les cibles militaires des personnes civiles.» «Une bombe à phosphore est généralement utilisée la nuit pour voir si la cible a bien été atteinte. S'en servir pour viser des individus, civils ou combattants, relève du crime de guerre», poursuit Louise Doswald-Beck. Plusieurs organisations, dont Human Rights Watch, ont accusé Israël d'avoir utilisé des armes au phosphore contre des civils.
Les belligérants, en outre, ont l'interdiction d'infliger des «souffrances superflues» aux individus. Deux médecins norvégiens présents à Gaza depuis l'offensive ont fait état de blessures qui auraient pu être provoquées par un nouveau type d'armes expérimentales, les «Dense Inert Metal Explosive» (DIME), des boules de carbone à fort pouvoir explosif. «A 2 mètres, le corps est coupé en deux; à 8 mètres, les jambes sont coupées, brûlées comme par des milliers de piqûres d'aiguilles», ont déclaré les médecins (LT du 13.01.09).
• Quelles sont les obligations humanitaires des belligérants?
L'accès et le soin des blessés doivent être facilités, les morts évacués. L'acheminement des vivres ne peut être empêché. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a publié plusieurs communiqués dénonçant une crise humanitaire et accusant Israël de ne pas laisser ses équipes accéder aux victimes.
• Les militaires israéliens et les membres du Hamas risquent-ils d'être poursuivis?
Des plaintes contre Israël doivent être déposées aujourd'hui devant la Cour pénale internationale (CPI) par près d'une centaine d'organisations, essentiellement françaises. Israël n'ayant pas ratifié le traité instituant la CPI, ses ressortissants ne peuvent cependant être poursuivis devant cette juridiction, à moins d'une résolution - peu probable - du Conseil de sécurité des Nations unies. Les Palestiniens n'ayant pas d'Etat, ils ne sont pas non plus liés à cette juridiction.
Au nom de la compétence universelle valable pour les crimes de guerre, des Etats tiers pourraient porter plainte devant leurs propres tribunaux. Un certain nombre d'officiers israéliens bénéficient d'une immunité. Celle-ci levée, ils devraient encore se rendre dans les pays ayant lancé la procédure pour y être arrêtés (lire ci-dessous). Idem pour les membres du Hamas, de toute façon empêchés de quitter la bande de Gaza.
«La dernière hypothèse serait la création d'une cour ad hoc, comme pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie, ou d'un tribunal mixte, comme en Sierra Leone, mais cela suppose une décision du Conseil de sécurité dans le premier cas et l'accord de l'Etat concerné dans le second», note Andrew Clapham, directeur de l'ADH.
En Israël, des rapports d'enquête ont été établis suite aux massacres de Sabra et Chatila et à la guerre du Liban en 2006. Ils n'ont pas été suivis de poursuites judiciaires.
© Le Temps
Caroline Stevan
Mercredi 14 janvier 2009
Depuis le début de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza, critiques et indignations pleuvent, mâtinées de considérations juridiques: «Israël a le droit de se défendre», «l'offensive est disproportionnée», «le Hamas n'a pas le droit de se cacher au milieu des civils», «l'Etat hébreu doit permettre l'accès aux blessés»... Le point avec des juristes spécialisés en droit international et droit international humanitaire.
• Israël avait-il le droit de lancer une offensive contre la bande de Gaza?
«Tout Etat a le droit de riposter à une attaque armée perpétrée de l'extérieur, stipule Andrea Bianchi, professeur de droit international à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), à Genève. La question ici est de savoir si le lancement de roquettes constitue ou non une attaque armée. Cette règle a été conçue pour le cadre traditionnel d'un Etat qui en envahit un autre; il faudrait parvenir à qualifier ce conflit pour déterminer quels sont les textes à appliquer.»
«Si l'on considère toujours la bande de Gaza comme un territoire occupé, alors cette attaque va trop loin. Israël aurait d'abord dû essayer d'arrêter les responsables du Hamas. Si l'on estime que Gaza est un autre pays, Israël a le droit de se défendre, en respectant une certaine proportionnalité cependant», précise de son côté Louise Doswald-Beck, également professeure à l'IHEID.
• Le Hamas peut-il impunément tirer des roquettes sur Israël?
Là aussi intervient la reconnaissance ou non de l'occupation israélienne, puisque «rien n'interdit à un peuple occupé d'essayer de se libérer», note encore Louise Doswald-Beck. Formellement l'Etat hébreu a libéré Gaza en 2005, mais «le blocus imposé par Israël pourrait être l'équivalent d'une sorte d'occupation militaire. Il y a un contrôle du territoire, même s'il n'est pas effectif», estime Andrea Bianchi. Le Hamas, cependant, n'a pas le droit de viser sciemment des civils israéliens, pas plus que de se cacher parmi la population palestinienne pour lancer des roquettes.
• Peut-on parler de crimes de guerre?
«Plusieurs signes laissent penser que des crimes de guerre sont commis par Israël. Il y a d'abord une disproportion entre le nombre de victimes civiles et l'avantage que pourrait retirer l'armée israélienne de ces frappes, relève Annyssa Bellal, juriste à l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains (ADH), à Genève. Ensuite, toute armée doit distinguer les combattants des civils et des biens civils. Cela ne semble pas respecté ici puisque des écoles ou des mosquées ont été visées.»
Côté Hamas, le fait de lancer une roquette depuis une mosquée ou un autre lieu civil - s'il est avéré - peut également être qualifié de crime de guerre, puisque cela expose ensuite la population à un acte de représailles. Mais cela ne justifie pas de bombarder cet endroit sans prendre toutes les mesures nécessaires pour épargner les civils. Une mosquée ou une école, ainsi, devraient être attaquées la nuit, mais pas en pleine journée.
Viser sciemment des civils, poursuivre des attaques indéterminées (ne pas chercher à épargner la population), utiliser des personnes comme boucliers humains ou ne pas se préoccuper de respecter une certaine proportionnalité dans les assauts (tirer dix missiles quand un suffirait à anéantir la cible) sont autant de crimes de guerre. Une enquête devra cependant prouver qu'ils ont bien été commis par l'armée israélienne ou par le Hamas.
• Une armée peut-elle utiliser n'importe quelles armes?
«Les combattants doivent veiller à utiliser des armes appropriées, souligne Annyssa Bellal. Par exemple, si une cible se trouve au milieu d'une foule de civils, on utilisera un missile guidé plutôt qu'une bombe à fragmentation ou une arme au phosphore. Là encore, il faut pouvoir distinguer les cibles militaires des personnes civiles.» «Une bombe à phosphore est généralement utilisée la nuit pour voir si la cible a bien été atteinte. S'en servir pour viser des individus, civils ou combattants, relève du crime de guerre», poursuit Louise Doswald-Beck. Plusieurs organisations, dont Human Rights Watch, ont accusé Israël d'avoir utilisé des armes au phosphore contre des civils.
Les belligérants, en outre, ont l'interdiction d'infliger des «souffrances superflues» aux individus. Deux médecins norvégiens présents à Gaza depuis l'offensive ont fait état de blessures qui auraient pu être provoquées par un nouveau type d'armes expérimentales, les «Dense Inert Metal Explosive» (DIME), des boules de carbone à fort pouvoir explosif. «A 2 mètres, le corps est coupé en deux; à 8 mètres, les jambes sont coupées, brûlées comme par des milliers de piqûres d'aiguilles», ont déclaré les médecins (LT du 13.01.09).
• Quelles sont les obligations humanitaires des belligérants?
L'accès et le soin des blessés doivent être facilités, les morts évacués. L'acheminement des vivres ne peut être empêché. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a publié plusieurs communiqués dénonçant une crise humanitaire et accusant Israël de ne pas laisser ses équipes accéder aux victimes.
• Les militaires israéliens et les membres du Hamas risquent-ils d'être poursuivis?
Des plaintes contre Israël doivent être déposées aujourd'hui devant la Cour pénale internationale (CPI) par près d'une centaine d'organisations, essentiellement françaises. Israël n'ayant pas ratifié le traité instituant la CPI, ses ressortissants ne peuvent cependant être poursuivis devant cette juridiction, à moins d'une résolution - peu probable - du Conseil de sécurité des Nations unies. Les Palestiniens n'ayant pas d'Etat, ils ne sont pas non plus liés à cette juridiction.
Au nom de la compétence universelle valable pour les crimes de guerre, des Etats tiers pourraient porter plainte devant leurs propres tribunaux. Un certain nombre d'officiers israéliens bénéficient d'une immunité. Celle-ci levée, ils devraient encore se rendre dans les pays ayant lancé la procédure pour y être arrêtés (lire ci-dessous). Idem pour les membres du Hamas, de toute façon empêchés de quitter la bande de Gaza.
«La dernière hypothèse serait la création d'une cour ad hoc, comme pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie, ou d'un tribunal mixte, comme en Sierra Leone, mais cela suppose une décision du Conseil de sécurité dans le premier cas et l'accord de l'Etat concerné dans le second», note Andrew Clapham, directeur de l'ADH.
En Israël, des rapports d'enquête ont été établis suite aux massacres de Sabra et Chatila et à la guerre du Liban en 2006. Ils n'ont pas été suivis de poursuites judiciaires.
© Le Temps
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