La revue NAQD dissèque le phénomène de la corruption/
Comprendre le mécanisme de « la tchipa »…
Le 25e numéro de Naqd, la prestigieuse revue de critique sociale, est consacré à un sujet sensible : la corruption. Sous le titre Corruption et prédation, il dissèque un phénomène qui passe pour être l’une des plus grandes plaies de notre société, et ce, à travers un faisceau d’études plus pertinentes les unes que les autres.
Dans la présentation signée Daho Djerbal, le directeur de la publication de Naqd pose la problématique de cette 25e édition en ces termes : « Dans ce numéro de la revue Naqd, nous avons voulu éviter de tomber dans le travers de la dénonciation conjoncturelle et moralisante d’un phénomène qui n’est pas propre aux sociétés dites en développement ou aux seuls "pays émergents". Plusieurs auteurs s’accordent à dire que la corruption ne connaît de frontières ni politiques ni idéologiques.
Seules ses expressions et sa conception varient dans le temps et l’espace. Pourtant, ce qui semble poser problème, c’est le moment où ce qui pourrait apparaître comme un dysfonctionnement ou une dérive épisodique devient système. » Et de développer : « On relève et souligne la triple intrication entre la corruption, la rente de monopole et la constitution de réseaux clientélaires. »
Daho Djerbal poursuit : « La faiblesse de l’Etat et de ses agents et l’inadéquation de l’infrastructure physique aux besoins de l’économie vont faire que l’offre publique des biens et des services subventionnés tels que le logement, l’électricité ou l’eau, va se trouver face à un excès relatif de demande. C’est là l’un des premiers champs de corruption que soulignent A. Zagainova et A. Nouaydi. Pour eux, le monopole public de délivrance des autorisations et des licences va ouvrir la voie aux activités de rent-seeking qui touchent surtout les secteurs stratégiques pour l’économie comme l’exploitation et le transport des ressources énergétiques, le commerce international, le bâtiment, les marchés publics, etc. »
La sociologie du bakchich
Si le dernier numéro de la revue Naqd – soit dit en passant piloté avec la précieuse collaboration de Djilali Hadjadj, président de la section algérienne de Transparency International – offre une approche audacieuse du sujet, il faut dire qu’il s’attache davantage à décrypter la structure d’un phénomène rampant plutôt qu’à fournir un « mode d’emploi » détaillé de la corruption en Algérie à coups de déballages tonitruants. Un fléau tentaculaire connu sous des appellations diverses : bakchich, pot-de-vin, commission ou le très idiomatique « tchipa », ou encore la formule pudique et euphémistique « kahwati », littéralement « mon café ».
On nous accordera que quelle que soit la dénomination, le mal gangrène toutes les administrations, n’épargnant aucune fonction, aucun segment de l’Etat, de l’agent de circulation au grand commis de quelque autorité influente, polluant massivement le climat des affaires dans notre pays. Concrètement, comment fonctionne la corruption ? Comment opère-t-elle ? Quels sont les secteurs les plus touchés par ce cancer insidieux ? Dans ce 25e numéro de Naqd, le corpus d’étude est élargi à une palette de cas touchant à des pays aussi divers que le Maroc ou la Russie. Il n’empêche qu’un zoom est fait sur l’Algérie à travers quatre études d’excellente facture.
Le foncier, un terreau hautement « corruptophile »
La première, signée Rachid Sidi Boumedine, remarquable sociologue urbaniste, passe au scanner l’un des secteurs les plus corruptibles : celui du bâtiment. Sous le titre L’urbanisme : une prédation méthodique, Rachid Sidi Boumedine explique comment l’urbanisme s’est fait créateur « d’opportunités de rente ». Il cite abondamment les différents plans d’urbanisme ainsi que les instruments de régulation de l’espace urbain qui, par des failles savamment entretenues, permettent toutes sortes de prébendes et de concussions. Et de citer toute une kyrielle de stratagèmes pour une occupation « informelle » du sol.
« Sans qu’il soit possible de produire des chiffres, il est clair que le cas le plus important par ses effets (…) est celui de la prédation organisée par les agents de l’Etat, ceux-ci opérant de véritables transferts de ressources publiques au profit de réseaux de clientèle. L’exemple le plus achevé est celui des réserves foncières communales et, d’une manière plus générale, celui des lois domaniales. » Pour le sociologue, la collusion entre des agents de l’Etat et les réseaux d’affaires parasite inconsidérément la procédure régissant l’accès au foncier. Mais préalablement, des complicités doivent être mises en place : « Pour pouvoir contrôler (au moins en partie) une filière de création et de transfert de rente, chaque réseau d’intérêt et de clientèle a tout intérêt à placer l’un des siens au nœud de la décision, là où se donnent les permis, les droits, où se font les contrôles et les émissions de sanctions. »
Le chercheur démonte l’inextricable labyrinthe de l’appareil administratif tentaculaire de l’Etat en charge de l’urbanisme et part de ce constat : « Les bâtiments, les rues, les parkings occupent chacun l’emprise affectée à son opérateur ; le reste des espaces, sans affectation particulière et sans gestionnaire spécifique, reste libre de tout aménagement. Ces espaces sont devenus au double sens du mot "inappropriés", c’est-à-dire sans adaptation à un usage particulier et sans propriétaire. Ce sont souvent ces espaces qui servent de lieu de déploiement au nouveau commerce, à l’échange transactionnel occulte. »
à suivre...
Comprendre le mécanisme de « la tchipa »…
Le 25e numéro de Naqd, la prestigieuse revue de critique sociale, est consacré à un sujet sensible : la corruption. Sous le titre Corruption et prédation, il dissèque un phénomène qui passe pour être l’une des plus grandes plaies de notre société, et ce, à travers un faisceau d’études plus pertinentes les unes que les autres.
Dans la présentation signée Daho Djerbal, le directeur de la publication de Naqd pose la problématique de cette 25e édition en ces termes : « Dans ce numéro de la revue Naqd, nous avons voulu éviter de tomber dans le travers de la dénonciation conjoncturelle et moralisante d’un phénomène qui n’est pas propre aux sociétés dites en développement ou aux seuls "pays émergents". Plusieurs auteurs s’accordent à dire que la corruption ne connaît de frontières ni politiques ni idéologiques.
Seules ses expressions et sa conception varient dans le temps et l’espace. Pourtant, ce qui semble poser problème, c’est le moment où ce qui pourrait apparaître comme un dysfonctionnement ou une dérive épisodique devient système. » Et de développer : « On relève et souligne la triple intrication entre la corruption, la rente de monopole et la constitution de réseaux clientélaires. »
Daho Djerbal poursuit : « La faiblesse de l’Etat et de ses agents et l’inadéquation de l’infrastructure physique aux besoins de l’économie vont faire que l’offre publique des biens et des services subventionnés tels que le logement, l’électricité ou l’eau, va se trouver face à un excès relatif de demande. C’est là l’un des premiers champs de corruption que soulignent A. Zagainova et A. Nouaydi. Pour eux, le monopole public de délivrance des autorisations et des licences va ouvrir la voie aux activités de rent-seeking qui touchent surtout les secteurs stratégiques pour l’économie comme l’exploitation et le transport des ressources énergétiques, le commerce international, le bâtiment, les marchés publics, etc. »
La sociologie du bakchich
Si le dernier numéro de la revue Naqd – soit dit en passant piloté avec la précieuse collaboration de Djilali Hadjadj, président de la section algérienne de Transparency International – offre une approche audacieuse du sujet, il faut dire qu’il s’attache davantage à décrypter la structure d’un phénomène rampant plutôt qu’à fournir un « mode d’emploi » détaillé de la corruption en Algérie à coups de déballages tonitruants. Un fléau tentaculaire connu sous des appellations diverses : bakchich, pot-de-vin, commission ou le très idiomatique « tchipa », ou encore la formule pudique et euphémistique « kahwati », littéralement « mon café ».
On nous accordera que quelle que soit la dénomination, le mal gangrène toutes les administrations, n’épargnant aucune fonction, aucun segment de l’Etat, de l’agent de circulation au grand commis de quelque autorité influente, polluant massivement le climat des affaires dans notre pays. Concrètement, comment fonctionne la corruption ? Comment opère-t-elle ? Quels sont les secteurs les plus touchés par ce cancer insidieux ? Dans ce 25e numéro de Naqd, le corpus d’étude est élargi à une palette de cas touchant à des pays aussi divers que le Maroc ou la Russie. Il n’empêche qu’un zoom est fait sur l’Algérie à travers quatre études d’excellente facture.
Le foncier, un terreau hautement « corruptophile »
La première, signée Rachid Sidi Boumedine, remarquable sociologue urbaniste, passe au scanner l’un des secteurs les plus corruptibles : celui du bâtiment. Sous le titre L’urbanisme : une prédation méthodique, Rachid Sidi Boumedine explique comment l’urbanisme s’est fait créateur « d’opportunités de rente ». Il cite abondamment les différents plans d’urbanisme ainsi que les instruments de régulation de l’espace urbain qui, par des failles savamment entretenues, permettent toutes sortes de prébendes et de concussions. Et de citer toute une kyrielle de stratagèmes pour une occupation « informelle » du sol.
« Sans qu’il soit possible de produire des chiffres, il est clair que le cas le plus important par ses effets (…) est celui de la prédation organisée par les agents de l’Etat, ceux-ci opérant de véritables transferts de ressources publiques au profit de réseaux de clientèle. L’exemple le plus achevé est celui des réserves foncières communales et, d’une manière plus générale, celui des lois domaniales. » Pour le sociologue, la collusion entre des agents de l’Etat et les réseaux d’affaires parasite inconsidérément la procédure régissant l’accès au foncier. Mais préalablement, des complicités doivent être mises en place : « Pour pouvoir contrôler (au moins en partie) une filière de création et de transfert de rente, chaque réseau d’intérêt et de clientèle a tout intérêt à placer l’un des siens au nœud de la décision, là où se donnent les permis, les droits, où se font les contrôles et les émissions de sanctions. »
Le chercheur démonte l’inextricable labyrinthe de l’appareil administratif tentaculaire de l’Etat en charge de l’urbanisme et part de ce constat : « Les bâtiments, les rues, les parkings occupent chacun l’emprise affectée à son opérateur ; le reste des espaces, sans affectation particulière et sans gestionnaire spécifique, reste libre de tout aménagement. Ces espaces sont devenus au double sens du mot "inappropriés", c’est-à-dire sans adaptation à un usage particulier et sans propriétaire. Ce sont souvent ces espaces qui servent de lieu de déploiement au nouveau commerce, à l’échange transactionnel occulte. »
à suivre...
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