Propos recueillis par Benjamin Barthe publié le 07/05/2008- l'Express.fr
Alors qu'Israël célèbre ses 60 ans, l'ancien président de la Knesset, Avraham Burg, craint pour l'avenir de l'Etat hébreu. Qui a besoin, juge-t-il, d'une nouvelle raison d'être.
Il est l'oracle le plus écouté et le plus contesté d'Israël. Ecouté, car Avraham Burg a longtemps fréquenté les allées du pouvoir, comme député travailliste, président de l'Agence juive, puis de la Knesset. Contesté, car depuis son retrait de la vie politique, il y a quatre ans, il développe une critique radicale de la vulgate sioniste. Son dernier ouvrage, Vaincre Hitler (Fayard), a causé un véritable tollé. Alors qu'Israël s'apprête à célébrer son 60e anniversaire, Burg le franc-tireur appelle à une refondation spirituelle de l'État juif.
Notre dossier sur Israël
Que vous inspire la célébration du 60e anniversaire d'Israël?
Mes sentiments sont mêlés. Imaginons d'abord que je parle à l'un de mes aïeux, vieux de 500 ans. Je lui raconte que je vis dans l'Etat souverain des juifs, que nous parlons hébreu, que nous avons une armée, des universités, une économie, du tourisme et que nous ne sommes plus en conflit qu'avec une seule nation dans le monde. Il me répondrait, abasourdi: "Que s'est-il passé? Le Messie est arrivé?" De ce point de vue, celui de l'histoire juive, nous n'avons jamais vécu dans une meilleure période et ce qu'a réalisé Israël en l'espace de soixante ans est impressionnant. Cela dit, parce que je connais la réalité, je sens bien que quelque chose ne fonctionne pas. Notre royaume est en manque de prophétie. Israël est comme un navire à la dérive sur l'océan. Où allons-nous? La paix? La guerre? Sur l'essence de notre Etat, le dilemme est complet. Nous avons un présent très solide. Mais avons-nous un avenir?
Lors de la venue d'Ehud Olmert à Paris, en octobre 2007, Nicolas Sarkozy a qualifié la création d'Israël de "miracle".
Si c'est vous qui aviez dit cela, j'aurais souri. Mais, puisqu'il s'agit de Sarkozy, je réfléchis à deux fois. Le miracle suppose une intervention divine. Et le désir du président français de réintroduire une part de divin dans la vie des hommes m'inquiète fortement. Surtout au Moyen-Orient. Nous avons déjà des rabbins, des colons, le Hamas, Bush le fondamentaliste... Nous n'avons pas besoin d'un fondamentaliste français. La véritable surprise concernant l'Etat d'Israël, ce n'est pas qu'il ait survécu à tant de guerres, mais qu'il soit une démocratie, en dépit du fait que ses premiers habitants fussent originaires d'entités totalitaires, comme l'Allemagne nazie, la Pologne communiste ou le bloc soviétique.
Une démocratie, vous le disiez, engouffrée dans une impasse...
Aucun Israélien ne peut jurer que ses petits-enfants habiteront ce pays dans vingt ou trente ans. Il y a un sentiment de fragilité, qui tient au fait que soixante ans d'indépendance, par rapport à deux mille ans d'exil, ce n'est pas suffisant pour crier victoire. D'où notre empressement à célébrer cette date largement artificielle. Mais la fragilité vient aussi d'un malaise plus profond. Israël s'est construit sur trois récits fondateurs: l'alya - c'est-à-dire le regroupement des exilés - l'installation sur la Terre promise, la sécurité de l'Etat. Ces trois récits sont désormais périmés. Depuis que le mur de Berlin est tombé, il n'y a plus de communauté juive sérieusement menacée dans le monde. Il y a quelque 20 000 juifs en Iran, 4 000 au Maroc et 2 en Afghanistan. Ces derniers se détestent, au demeurant. C'est tout. L'immense majorité des juifs vit aujourd'hui dans la sphère démocratique. Autrement dit, l'idée d'Israël comme Etat refuge n'a plus de sens. Israël doit redevenir une terre de choix, comme il l'était avant la Seconde Guerre mondiale. La mentalité du refuge ne m'intéresse pas.
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Alors qu'Israël célèbre ses 60 ans, l'ancien président de la Knesset, Avraham Burg, craint pour l'avenir de l'Etat hébreu. Qui a besoin, juge-t-il, d'une nouvelle raison d'être.
Il est l'oracle le plus écouté et le plus contesté d'Israël. Ecouté, car Avraham Burg a longtemps fréquenté les allées du pouvoir, comme député travailliste, président de l'Agence juive, puis de la Knesset. Contesté, car depuis son retrait de la vie politique, il y a quatre ans, il développe une critique radicale de la vulgate sioniste. Son dernier ouvrage, Vaincre Hitler (Fayard), a causé un véritable tollé. Alors qu'Israël s'apprête à célébrer son 60e anniversaire, Burg le franc-tireur appelle à une refondation spirituelle de l'État juif.
Notre dossier sur Israël
Que vous inspire la célébration du 60e anniversaire d'Israël?
Mes sentiments sont mêlés. Imaginons d'abord que je parle à l'un de mes aïeux, vieux de 500 ans. Je lui raconte que je vis dans l'Etat souverain des juifs, que nous parlons hébreu, que nous avons une armée, des universités, une économie, du tourisme et que nous ne sommes plus en conflit qu'avec une seule nation dans le monde. Il me répondrait, abasourdi: "Que s'est-il passé? Le Messie est arrivé?" De ce point de vue, celui de l'histoire juive, nous n'avons jamais vécu dans une meilleure période et ce qu'a réalisé Israël en l'espace de soixante ans est impressionnant. Cela dit, parce que je connais la réalité, je sens bien que quelque chose ne fonctionne pas. Notre royaume est en manque de prophétie. Israël est comme un navire à la dérive sur l'océan. Où allons-nous? La paix? La guerre? Sur l'essence de notre Etat, le dilemme est complet. Nous avons un présent très solide. Mais avons-nous un avenir?
Lors de la venue d'Ehud Olmert à Paris, en octobre 2007, Nicolas Sarkozy a qualifié la création d'Israël de "miracle".
Si c'est vous qui aviez dit cela, j'aurais souri. Mais, puisqu'il s'agit de Sarkozy, je réfléchis à deux fois. Le miracle suppose une intervention divine. Et le désir du président français de réintroduire une part de divin dans la vie des hommes m'inquiète fortement. Surtout au Moyen-Orient. Nous avons déjà des rabbins, des colons, le Hamas, Bush le fondamentaliste... Nous n'avons pas besoin d'un fondamentaliste français. La véritable surprise concernant l'Etat d'Israël, ce n'est pas qu'il ait survécu à tant de guerres, mais qu'il soit une démocratie, en dépit du fait que ses premiers habitants fussent originaires d'entités totalitaires, comme l'Allemagne nazie, la Pologne communiste ou le bloc soviétique.
Une démocratie, vous le disiez, engouffrée dans une impasse...
Aucun Israélien ne peut jurer que ses petits-enfants habiteront ce pays dans vingt ou trente ans. Il y a un sentiment de fragilité, qui tient au fait que soixante ans d'indépendance, par rapport à deux mille ans d'exil, ce n'est pas suffisant pour crier victoire. D'où notre empressement à célébrer cette date largement artificielle. Mais la fragilité vient aussi d'un malaise plus profond. Israël s'est construit sur trois récits fondateurs: l'alya - c'est-à-dire le regroupement des exilés - l'installation sur la Terre promise, la sécurité de l'Etat. Ces trois récits sont désormais périmés. Depuis que le mur de Berlin est tombé, il n'y a plus de communauté juive sérieusement menacée dans le monde. Il y a quelque 20 000 juifs en Iran, 4 000 au Maroc et 2 en Afghanistan. Ces derniers se détestent, au demeurant. C'est tout. L'immense majorité des juifs vit aujourd'hui dans la sphère démocratique. Autrement dit, l'idée d'Israël comme Etat refuge n'a plus de sens. Israël doit redevenir une terre de choix, comme il l'était avant la Seconde Guerre mondiale. La mentalité du refuge ne m'intéresse pas.
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