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La démocratie du désastre

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  • La démocratie du désastre

    La lecture récente de « La stratégie du choc », livre de Naomi KLEIN recommandable à tout lecteur curieux de comprendre les stratégies souterraines qui gouvernent en réalité notre monde, m’a donné envie d’écrire ce post et m’a fourni en partie son titre. Mais je dois prévenir les lecteurs sensibles qu’ils risquent d’être durablement affectés par la lecture de ce qui suit, et que s’ils persévèrent néanmoins, c’est à leurs risques et périls, et que je ne saurais en aucune manière en être tenu pour responsable.


    Dans l’ouvrage cité l’auteure rappelle que le néolibéralisme, qui renvoie à d’autres mots tels que conservatisme, libre échange, laisser-faire ou mondialisation, a ses principaux fondements idéologiques dans les théories de Milton FRIEDMAN, prix Nobel d’économie en 1976 qui a écrit « Capitalisme et liberté ». On sait que les thèses exposées dans ce manifeste s’opposent à celles de John Maynard KEYNES (partisan du New Deal et d’une régulation globale) pour promouvoir au contraire un capitalisme du laisser-faire absolu : l’autoréglementation du marché, avec une privatisation généralisée des services de santé, de la poste, de l’éducation, des caisses de retraite …etc. assortie d’une réduction drastiques des dépenses (sauf pour ceux qui sont aux commandes).

    En clair, avec ce système, toute la richesse passe du public au privé (avec un enrichissement conséquent des grandes entreprises multinationales aux mains de quelques-uns) et tout le passif passe du privé au public (avec une augmentation importante de la pauvreté pour un nombre sans cesse croissant de personnes). Les évènements récents de la crise actuelle ne contredisent pas ce point de vue à l’échelle du monde comme de notre pays.

    Ce que l’on sait peu, mais le livre de Naomi KLEIN nous éclaire sur cet étrange clivage en s’appuyant sur une riche argumentation, c’est la manière dont ce capitalisme fondamentaliste, présenté comme une vérité scientifique absolue par ses fondateurs, notamment Frank KNIGHT, a été propagé à partir des années 1950 depuis son foyer originel : le département des sciences économiques de l’université de Chicago, grâce à ses disciples appelés les « Chicago boys ». Et ce que l’on sait moins encore c’est comment ces idées qui avaient pour objectif de combattre l’extrémisme adverse du marxisme-léninisme, guerre froide oblige, ont eu partie liée avec les techniques les plus sophistiquées de la manipulation mentale, de la torture et de la guerre, et que celles-ci sont toujours d’actualité.
    Cette rencontre du capitalisme extrémiste, dont nous venons d’avoir une nouvelle preuve des effets dévastateurs, avec la violence sous différentes formes n’est pas le fruit du hasard, car les « mégaprofits » se nourrissent de « mégadésatres » : comme à la Nouvelle Orléans après Katrina ou au Ski Lanka après le tsunami de 2004. Mais antérieurement à ces faits les travaux du psychiatre béhavioriste montréalais Ewen CAMERON financés dans les années 1950 par la CIA à l’Institut Allan Memorial de l’université Mc Gill ont joué un rôle fondateur dans la mise au point des méthodes de torture « moderne », appliquées récemment à Guantanamo et Abou Ghraïb, mais auparavant largement utilisées au Chili, en Argentine, au Honduras, au Guatemala mais aussi, avec certaines différences, en Algérie, au Vietnam, en Iran, Irak, Chine, Russie, et Philippines, sans compter les « délocalisations » plus ou moins temporaires, mais toujours secrètes, dans d’autres pays obscurs.

    Naomi KLEIN insiste sur le fait que le lien entre ce qu’elle appelle le « capitalisme du désastre » et la violence organisée n’est pas du tout fortuit parce que le libéralisme fondamentaliste a eu besoin pour s’implanter dans certains états de l’ Amérique du Sud qui étaient la chasse gardée des Etats Unis de créer un « état de choc » qui annihile toutes les défenses individuelles et sociales pour faire table rase du passé et instaurer de nouvelles règles, de la même manière que les méthodes du « bon » docteur CAMERON avaient pour but de détruire la personnalité grâce à un isolement radical alternant avec des stimulations extrêmes, des électrochocs et des drogues, afin de « reconstruire » des individus nouveaux plus malléables.

    Les théories de Milton FRIEDMAN diffusées par ses « Chicago boys » se sont en effet appuyé sur la doctrine militaire des Etats Unis « choc et effroi » relayée par la CIA et diverses fondations recueillant de l’argent pour aider à greffer de force cette « nouvelle » économie qui a fait le bonheur de grandes multinationales et de financiers avisés pour finir par la ruine d’une grande partie des habitants de ces pays. Par la suite les attentats du 11 Septembre, la riposte du « patriot act » qui met légalement en fiches une grande partie du monde, l’invasion de l’Irak sur des prétextes fallacieux parfaitement connus au départ (ni bases terroristes, ni fondamentalisme religieux, ni production d’armes de destruction massive) sont dans la même logique et se renforcent mutuellement pour aboutir à Guantanamo. Croisades « religieuses », financiarisation à outrance, capitalisme débridé et violence, surtout occulte, sont désormais ligués contre les adversaires désignés : les terroristes alimentés par un fondamentalisme islamique lui-même rempli d’envie, et donc de haine et de violence, pour les possessions que le capitalisme autorise. Après la guerre froide, la guerre chaude…

    Chacun est sommé de choisir son camp car la survie de l’Occident est en jeu même si la plupart des évènements ci-dessus relatés se passent assez loin de chez nous. Dans notre pays il n’y a pas encore de guerre comme au Proche Orient, pas encore de famine comme en Afrique (merci Monsanto), les immigrés sont reconduits en masse de force chez eux, des milliards sont donnés aux banques sans beaucoup de garanties, l’ordre règne (les cités sont calmes, les citoyens sont fichés, les voitures ne brûlent plus sauf 38 000 en 2008, il y a des caméras partout, les enfants pourront aller en prison très tôt, mais Rachida leur donnera un ours en peluche). Les grèves vont enfin être interdites ainsi d’ailleurs que tous les rassemblements de jeunes, et les médias comme le Parlement vont être définitivement muselés grâce à notre super Président qui veille sur nous et réforme sans relâche. Ouf les bons français respirent ! Enfin, pour être plus précis, ils respirent aussi bien que dans un coma sous assistance respiratoire avec une démocratie et des libertés si malmenées qu’elles disparaissent jour après jour sous les yeux de chacun sans que beaucoup de personnes s’en émeuvent en dehors de quelques voix isolées.

    Ainsi donc la France serait en état de « choc » comateux et il y aurait même des responsables qui spéculent là dessus ? Oui, mais c’est un fait qu’il faut nuancer car les méthodes brutales décrites plus haut pour promouvoir le capitalisme sauvage n’ont pas cours chez nous parce qu’elles se sont adaptées aux pays « démocratiques ». En France pas d’invasion militaire, pas de torture, pas de coups d’état sanglants, et des multinationales plutôt discrètes car tout cela laisse des traces. Déjà il y a eu les parachutes dorés, KERVIEL, les subprimes, la caisse d’Epargne, les pertes massives d’autres grandes banques, les paradis fiscaux, MADOFF et comme la liste est encore longue, fermons la parenthèse.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Mais si les méthodes utilisées sont devenues discrètes et peu visibles, sauf pour les aveugles qui veulent bien le rester, elles ont beaucoup gagné en raffinement. Le socle de base de ces techniques est la confusion volontairement entretenue : au même moment et sur un même sujet sont énoncés deux avis officiels incompatibles et non argumentés mais présentés comme des faits établis. L’un dit qu’il faut impérativement réformer ceci comme cela dans l’intérêt du peuple pendant que l’autre affirme qu’on ne va rien changer du tout pour le bien de tous. Parfois c’est pire encore car une seule et même personne peut dire dans la même phrase une chose et son contraire. Par exemple que les personnels sanitaires ou les enseignants sont dévoués et font bien leur travail mais qu’il faut diminuer leurs moyens comme leurs effectifs pour tout réorganiser. Flatterie d’un côté, attaque de l’autre.

    Ce type de communication schizophrénique a été conceptualisé par Grégory BATESON en 1956 à l’école de Palo Alto sous le nom de « double bind » (double lien ou double contrainte). Pour illustrer ce genre d’ « injonction paradoxale » Paul WATZAWICK a proposé l’exemple du panneau routier qui indique : "ignorez ce panneau". Vous conviendrez aisément que cela ne facilite ni la communication ni la compréhension et que cela peut même déclencher un choc de la pensée. Mais ce n’est pas encore suffisant, il faut perfectionner ce système. Pour ce faire les informations doivent non seulement être contradictoires et confuses, voire fausses, mais aussi défier toute capacité de réflexion par leur nombre considérable, et leurs sujets très différents, afin que la pensée soit submergée par une overdose de stimuli (comme pour les actualités télévisées ou les clips) ce qui renforce le premier choc. Les thèmes abordés, graves ou futiles, ont peu d’importance : seule compte l’agitation incessante qui augmente le brouillage général : tout changement de sujet devient identique à un changement véritable par inversion métonymique du contenant et du contenu. Chacun peut constater en essayant de lire le Journal Officiel que cet incessant mouvement brownien pseudo réformateur se concrétise dans un empilement inextricable de textes de lois incompréhensibles, mais cela n’a aucune importance car elles ne seront jamais appliquées par les puissants qui ont les moyens financiers et juridiques nécessaires pour les contourner en toute impunité. Le voleur de pommes surveillé par les caméras doit risquer davantage que les requins de la finance qui ne paient pas d’impôts et investissent en douce dans les paradis fiscaux.

    Tout ceci participe d’ailleurs au choc nécessaire pour faire passer certaines idées sur la sécurité publique et montrer clairement l’urgence des réformes. Mais cela sert surtout à désarmer une opposition qui se retrouve médusée et déprimée c’est à dire incapable de penser en même temps des sujets aussi complexes que l’éducation, la laïcité, la justice, l’indépendance des médias, le communautarisme, le chômage, la santé, l’insertion sociale, l’immigration, la pauvreté …etc. Mais pour que cette thérapie de choc soit efficace il faut que la secousse soit forte et durable comme avec les méthodes du docteur CAMERON : c’est la condition essentielle d’un remodelage en profondeur de la pensée qui peut enfin préparer les vrais changements. Et c’est là que survient alors un formidable deus ex machina, un allié imprévu et inespéré : LA CRISE. La crise c’est LE CHOC par excellence qui va permettre de tout reprendre à zéro pour le bien du peuple. Car tout ce qui a précédé est désormais caduc : il faut tout changer en raison de nouvelles et urgentes nécessités. Cela explique pourquoi notre vaillant Président qui était un chantre du néocapitalisme, qui à vrai dire a toujours été plus ancien que néo, est devenu en si peu de temps un allié des ligues révolutionnaires. Hier il fallait laisser faire le marché. Aujourd’hui il faut le réglementer. Mais comme disait Edgard FAURE que l’on brocardait d’être une girouette politique, ce n’est pas la girouette qui tourne, mais le vent !

    Or le vent a tourné et tous les défenseurs de John Maynard KEYNES se réjouissent déjà de tenir leur revanche : il va falloir encadrer les marchés, interdire la spéculation sur les produits alimentaires, réduire drastiquement cette financiarisation abusive qui ne repose sur rien de réel, supprimer les paradis fiscaux, soutenir l’économie, relocaliser certaines entreprises...etc. Tout cela est bel et bon sauf que la France n’a plus aujourd’hui aucun moyen de réaliser ces changements, même avec l’Europe, parce que leur retentissement est planétaire. ASTERIX a définitivement perdu la partie d’autant que la crise financière actuelle, pour violente qu’elle soit, n’est que le premier étage d’une fusée qui en comporte beaucoup d’autres à venir prochainement sur le plan mondial : crise écologique, crise des ressources vitales : eau et nourriture, crise de l’énergie et des matières premières, crise climatique, crise politique surtout.

    Tous ces chocs successifs ou simultanés risquent bien d’achever notre démocratie pour en faire une sorte de république bananière remplies de coteries minables, une démocratie en trompe l’œil, une démocratie du désastre. De plus il serait sans doute très imprudent et illusoire de parier sur la capacité de transformation du système capitaliste mondial dont nous dépendons, que cela nous plaise ou non. Car ce système de plus en plus opaque est arrivé à une concentration de biens et de pouvoirs extrêmes qui laisse à penser que ceux qui les détiennent ne vont pas lâcher prise facilement. Pour eux, et malgré d’éventuelles pertes actuelles, la crise est une aubaine pour l’avenir car elle paralyse une grande partie d’un monde en état de choc pendant qu’ils préparent déjà leur riposte. Comme aux échecs, ils ont toujours un coup ou deux d’avance et se moquent éperdument des réglementations qui finiront par être prises car leur système verrouillé est au-dessus des lois parce que ce sont eux qui les font.

    Mais peut-être aviez-vous mis comme moi votre confiance dans de grandes institutions internationales telles que l’ONU, le FMI ou la Banque Mondiale qui depuis les accords de Bretton Woods avaient pour « mandat explicite de prévenir des chocs et bouleversements économiques comme ceux qui avaient déstabilisé l’Allemagne de Weimar » ? Las, ce sont ces mêmes organisations, non élues démocratiquement et colonisées par les tenants du libéralisme fondamentaliste qui ont fait rendre gorge aux pays du Sud en les contraignant à des « ajustements structurels » qui les ont ruinés et qu’ils imposeront peut-être demain à nos enfants pour rembourser notre dette abyssale. Et là, face à ce nouveau choc attendu, le meilleur des mondes sera vraiment très proche.

    Bon, vous étiez prévenus avant de lire, vous avez quand même voulu savoir, et bien maintenant ne venez pas vous plaindre ! Je vous accorde que vous avez bien mérité une petite pause pour pouvoir vous remettre de tout ça, mais vous ne pourrez plus dire qu’on vous cache des choses et qu’ « on ne nous dit pas tout » !

    agoravox
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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    • #3
      Une petite video interessante de Naomi Klein qui presente breivement la doctorine du choc dans l'emission de Keith Olbermann.


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