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casanegra : La réalité telle qu’elle est

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  • casanegra : La réalité telle qu’elle est

    Un film à voir absolument !!
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    Par Ahmed R. Benchemsi
    La réalité telle qu’elle est


    Le modèle que propose Casanegra n’est pas celui d’une société amorale, mais celui d’une société qui admet sa part d’amoralité. Donc qui n’a plus peur d’elle-même.


    “Din mouk”, “lehmar taa bouk”, “zamel”, “ould l’qahba”… Si, en autorisant la diffusion de Casanegra, l’Etat a estimé que les Marocains étaient suffisamment mûrs pour entendre ces mots crus dans une salle de cinéma… qu’on me permette alors de considérer, chers lecteurs, que vous êtes suffisamment mûrs pour les lire sur ce magazine. Dont acte.

    Maintenant, demandez-vous honnêtement ce qu’ils vous inspirent… La plupart des gens à qui j’ai posé cette question, en sortant du film, ont confessé un certain malaise. “On sait bien que ces mots là se disent dans la rue, mais ce n’est pas une raison”…

    Dans les pays développés, cela fait longtemps que les gens ont compris : chaque contexte secrète sa terminologie. En l’occurrence, ce film-là, dont le sujet est la vie dans les bas-fonds de Casa, aurait tout simplement été absurde (et raté) si ses personnages avaient parlé comme à la télé, dans cet improbable “arabe médian policé” que la SNRT cherche encore à faire passer pour notre langue de tous les jours. Dans une optique strictement cinématographique, le film de Noureddine Lakhmari marque donc une rupture entre ce qui a été fait jusqu’à présent, et ce qui aurait toujours dû être fait. Plutôt qu’une révolution, il s’agit en fait d’une normalisation.

    Mais c’est justement parce qu’il opère cette normalisation brutalement, sans que rien ne nous y ait préparés, que Casanegra, avec sa violence et son hyperréalisme, va bien au-delà d’un simple objet cinématographique. Il fait plutôt office de thérapie de choc – et Dieu sait à quel point nous en avions besoin. Pour ouvrir les yeux, pour secouer les certitudes ouatées dans lesquelles la propagande officielle tente de nous enfermer depuis un demi-siècle. “Le Maroc est un pays lisse et sans aspérités, dont les bienheureux habitants respectent tout ce qui doit être respecté : la tradition, l’arabité, l’islam, les aînés, les convenances, la loi, etc.” Non messieurs. Le Maroc est un pays tendu dont le corps social, travaillé au quotidien par la violence verbale et émotionnelle, se transforme en un objet torturé et polymorphe… mais aussi incroyablement créatif et en perpétuel renouveau. En prendre conscience est ce qui peut nous arriver de mieux.

    C’est une chose d’écrire des articles sur “le Maroc tel qu’il est” – ce que TelQuel s’attache à faire chaque semaine, depuis plus de 7 ans maintenant. C’en est une autre de le montrer crânement, crûment, brutalement, sur grand écran. L’image a toujours été – et sera toujours – incomparablement plus puissante que l’écrit. L’Etat le sait bien, lui qui fait de l’obtention des licences télé un parcours d’obstacles – alors que lancer un journal ou écrire un livre reste une entreprise plutôt libre. C’est dans ce contexte qu’il faut saluer l’autorisation de diffusion de ce film comme ce qu’elle est : une évolution socioculturelle majeure – et je pèse mes mots.

    Bien sûr, les conservateurs objecteront : “Est-ce cela, le progrès ? Banaliser la violence et la grossièreté ? Est-ce cela, le modèle ? Une société où le respect n’existe plus, où la seule loi est celle de la jungle ?”. Evidemment non. Le progrès, ici, n’est pas de banaliser les travers de la société ; il est de reconnaître leur existence. Quant au modèle que nous propose Casanegra (en creux), ce n’est pas celui d’une société amorale, mais plutôt celui d’une société qui n’a pas peur d’admettre sa part d’amoralité. Autrement dit, qui n’a pas peur d’elle-même.

    Jusqu’à présent, Casanegra n’a pas déclenché de polémique violente, comme on aurait pu le craindre. Tant mieux, cela démontre que nous sommes prêts à reconsidérer, dans le calme, l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. Profitons-en pour ouvrir le débat. Il est salutaire, et c’est tout le sens de notre couverture de cette semaine.

    © 2005 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés

  • #2
    Par Karim Boukhari
    Le coup de poing Casanegra



    Violence, racket, sexe et langage ordurier… jamais un film marocain n’a explosé autant de tabous à la fois. Enquête sur un tour de force.



    On vous raconte quand même l’histoire : deux jeunes Casablancais vivent de combines et de petits coups minables. Ils ont 20 ans, des problèmes de famille, d’argent, d’amour, etc. Ils rêvent d’Europe, de sexe et de fric. Un jour, ils tentent de décrocher le jackpot en dopant un

    cheval de course pour le compte de bookmakers. Le coup tourne mal et la police les prend en chasse… L’histoire est plantée. Reste le décor, personnage principal du film. Casablanca, jour et (surtout) nuit. La ville blanche devenue noire. Dar Beida la crasseuse, vicieuse, poisseuse, violente, paumée. Casanegra.

    Plus fort que Les Bandits ?
    Si vous faites partie du monde parallèle de Facebook, vous avez toutes les chances d’avoir un ami inscrit au fan-club du film. “…Qui compte plus de 5000 membres”, jubile, fébrile, le réalisateur du film, Noureddine Lakhmari. Sorti le 24 décembre, Casanegra réalise un carton inespéré. 63,000 entrées en deux semaines à peine, un temps de passage record qui lui permet d’envisager, pourquoi pas, d’exploser la barre du million d’entrées approchée par Les Bandits (2003), gentille comédie de mœurs de Saïd Naciri. Déjà, il est acquis que le film fera mieux que trois ou quatre champions du box-office marocain : Les Larmes du regret (1982), Un Amour à Casablanca (1991), A la recherche du mari de ma femme (1993), Marock (2006).

    “C’est un phénomène, le public est un mix représentatif de toute la société marocaine. Il y a les jeunes, les vieux, les voilées, les riches, les intellos, les familles, les couples, les copains du derb, etc.” s’extasie, avec un œil sur le tiroir-caisse, un exploitant de salle à Casablanca. Le film est de toutes les conversations, sur toutes les langues. L’impression générale est que tout le monde a quelque chose à dire sur le film, tout le monde l’a vu. Ou quand le cinéma quitte son petit espace clos pour pénétrer dans les foyers, les forums de discussion, les conversations de tous les jours.

    Sur Youtube, la Mecque vers laquelle se tournent tout internaute qui se respecte, un spectateur a trouvé le moyen de filmer, à partir de son téléphone portable, quelques plans du film avant de les mettre on line. Les plans “volés” correspondent à deux scènes parmi les scènes les plus hot du film : la masturbation de Driss Roukhe, mari violent mais malheureux depuis le départ de sa femme, le baiser échangé entre Anas El Baz et Ghita Tazi, couple improbable, lui beau mais pauvre, elle riche et un peu coincée. Le post, consulté sur Youtube au rythme d’une centaine de clics par jour (la moyenne d’une salle de cinéma !), ressemble à un très court métrage dans lequel les dialogues ont été effacés et remplacés par le commentaire oral, évidemment très épicé, de notre internaute.

    Ça parle, ça dit tout, mon frère
    On arrive au menu principal : le contenu du film. Casanegra est bien ce qu’on vous avait dit?: un condensé de vie casablancaise, marocaine, c’est dur, violent, physique. Et verbal. C’est peut-être Noureddine Saïl, directeur du CCM (Centre cinématographique marocain), joint au téléphone, qui résume le mieux le film?: “Casanegra est le regard lucide, intransigeant, sur un monde plein de violence. En ce sens, il va plus loin que les diagnostics fournis par les sociologues et les prospectivistes”.
    Diagnostic, le mot est lâché. Malgré une photo hyper léchée et des images parfois très Art déco, Casanegra est d’abord le reflet cru d’une certaine réalité. La violence, physique et plus encore verbale, est pratiquement de tous les plans. Comme dans la vie. Une première dans l’histoire du cinéma marocain, réputé timide, pour ne pas dire aseptisé. “Cette violence, je ne l’ai pas filmée par complaisance, ou pour essayer de survendre le produit. J’ai simplement tendu l’oreille et transcrit ce que j’ai pu…”, nous explique Noureddine Lakhmari, qui signe aussi les dialogues du film.

    Mesdames, messieurs, attention à vos oreilles. “Din Mouk”, “Zamel”, “Ould Qahba”, “Awd l’Karrek” poussent comme des champignons à tous les coins de rue. Les expressions que vous utilisez, subissez ou simplement “captez” dans la vie de tous les jours, tous ces mots qui vous font rougir devant vos enfants, vos parents, tout cela vous est donc servi, pour la toute première fois, dans un film marocain. Noureddine Lakhmari assume : “Bien sûr que l’on s’insulte beaucoup dans le film. Mais il ne faut pas s’arrêter au premier degré. Les Casablancais, et les Marocains en général, le savent, surtout les jeunes, quand on rencontre un ami, on peut lui dire, pour le taquiner, presque affectueusement : Fine azzamel, Tais-toi a ould dine l’kalb. C’est violent, c’est cru, mais ce n’est pas forcément vulgaire, c’est même parfois affectueux, poétique, tout dépend du contexte, du ton, du rapport qui lie les personnes. Et puis, ce langage c’est le nôtre, il appartient à notre darija, on s’en sert comme moyen de communication, inutile de le nier”.

    Commentaire


    • #3
      Tout sauf Dieu
      Casanegra ne fait pas tout dire à ses personnages. Si les expressions liées au sexe et à la religion des hommes sont largement employées par les personnages du film, tout ce qui se rapporte à Dieu a été purgé. Autocensure ? “Si vous voulez, mais je préfère parler de rétention. Je n’ai pas voulu tout lâcher à la fois, Casanegra n’est pas un film documentaire avec le catalogue exhaustif des expressions de rue, c’est une fiction avec des partis pris, du dialogue jusqu’aux décors” se défend Noureddine Lakhmari. Avant d’ajouter, lucide : “Vous savez, de mon point de vue personnel, et ceux qui ont vu Casanegra le savent très bien, je suis resté pudique. Ce qu’on voit, ce qu’on dit dans le film, ne représente même pas 10 % de la réalité de tous les jours”.

      Même élagués de toute référence à Dieu, tabou suprême s’il en est, même passés par les filtres hyper-fins de l’autocensure, les dialogues crus du film ont posé plus d’un problème. Le cinéaste se rappelle : “Une fois le scénario et les dialogues écrits noir sur blanc, il s’agissait de trouver les acteurs capables de jouer les scènes et de lire le texte. Ce fut assez difficile”, résume le cinéaste. Pendant le tournage, certains acteurs ont régulièrement buté sur des mots-clés, familiers mais totalement inédits au cinéma. Sans parler de ceux, et celles, qui ont refusé de tourner à cause d’un baiser, d’un attouchement… Avant de jeter son dévolu sur Driss Roukhe (Babel, 2006), pour le rôle du beau-père, Noureddine Lakhmari a essuyé sept refus de comédiens connus. “Ils ont tous dit non à cause de la scène de la masturbation. C’est dommage, mais je les comprends. Mais Roukhe, qui joue le rôle, est excellent”. Et Driss Roukhe, justement, qu’en pense-t-il ? “Je pense que c’est un bon plan, dans un bon film.

      Je fais mon métier, je suis acteur de composition, je juge mes films d’après la qualité des scénarios, c’est tout. Quant à Casanegra, il ne m’a valu que des compliments, Al Hamdou Lillah”. Les deux scènes de baisers, entre Anas El Baz et Ghita Tazi, mais aussi entre Mohamed Benbrahim et Rawiya, ont également posé problème. Le premier baiser a justifié le refus de nombreuses actrices confirmées, mais c’est surtout le deuxième, un baiser “de vieux”, qui a été le plus cocasse. “J’étais partagé entre mes deux comédiens. Benbrahim n’y arrivait pas, Rawiya s’impatientait”, se souvient Lakhmari, un peu amusé. Au final, c’est Rawiya, comme elle nous l’a raconté, qui a réglé le problème en apposant un baiser “fraternel” sur les lèvres de son complice : “Ou mal’ha, achnou fiha, rah b’hal khouya”, nous commente l’actrice, remarquable de détente et de naturel tout au long du film.

      Quand l’émotion fait rire
      Et le public, comment a-t-il réceptionné le film et toutes ses audaces, tant physiques que verbales ? Un exploitant à Marrakech, l’une des quatre villes (en plus de Casablanca, Rabat et Tanger) dans lesquelles le film est visible, raconte : “Le premier jour, j’ai regardé le film parmi le public. J’appréhendais. A mes côtés, deux jeunes femmes voilées. A la première insulte sortie de la bouche d’un acteur, la salle riait aux éclats, les deux femmes pas vraiment. Petit à petit, les deux spectatrices ont imité tout le monde, riant pratiquement à tous les gros mots, qui sont devenus autant de moments comiques”.

      On y est : les scènes les plus violentes du film, images et sons, déclenchent le rire des spectateurs. Quand Driss Roukhe se masturbe en se tordant de frustration et de douleur, la réaction en face est un fou-rire. Commentaire de ce critique de cinéma : “C’est normal, les gens n’ont pas l’habitude, pas dans un film marocain, arabe. Mais ce sont des rires nerveux, hystériques, qui traduisent plus la gêne et l’indisposition qu’un ressenti réellement comique”. Le malentendu, le décalage, la bascule tendant involontairement de l’émouvant au comique, tout ce côté improbable se retrouve, bien entendu, dans d’autres scènes, pas forcément liées au sexe, ni aux excès verbaux. Exemple : quand le père de Anas El Baz, infirme, passe au petit coin, pantalon sur les genoux… C’est clair : on n’a pas l’habitude.

      Mais le public afflue, en masse. Certaines séances, à Casablanca notamment, ont affiché complet. Confirmation de Hassan Mouadib, un distributeur qui a parié tôt sur le gros potentiel commercial du film : “Un jour, on a arrêté un homme et sa femme pour leur demander l’âge exact de leur enfant, qui les accompagnait à l’entrée de la salle (le film est interdit aux moins de 12 ans, ndlr). Ils ont répondu : il a plus de 12 ans et, de toute façon, il est impossible de le laisser dehors puisque c’est lui qui nous a convaincus de venir voir le film”.

      La peur des annonceurs…
      L’air de rien, Casanegra est bien devenu, un peu malgré lui, film familial, un produit que les pères et les fils peuvent voir et aimer, pourquoi pas ensemble. Le constat, s’il est heureux, reste partiel, non généralisé. “Trop violent, trop vulgaire”, commentent, en quittant la salle, les quelques spectateurs déçus. Pour avoir une idée de l’expression de cette minorité mécontente, on peut surfer sur le Net. Au hasard d’une navigation, on peut tomber sur un post acerbe, ou carrément insultant, à l’égard du film. Noureddine Lakhmari confirme : “Sur certains sites, j’ai pu lire : Casanegra film sioniste, Lakhmari ramène de l’argent d’Oslo (ndlr : le cinéaste a fait de la capitale norvégienne sa deuxième ville d’adoption, après Casablanca) et travaille pour Israël !”.

      Etonnant. Mais pas tant que ça, finalement, quand on se rappelle que le vocable “sioniste”, qui draine toutes les rancœurs, a été apposé sur bien des produits, films ou pas, qui n’ont pas eu l’heur de plaire à tout le monde. Marock, quand il a atterri dans les salles en 2006, a bien hérité de cette étiquette… On l’a compris, ce film n’est pas du genre à laisser indifférent. Audacieux, courageux, Casanegra peut faire peur. Dino Sebti, dirigeant de Sigma, qui figure parmi les producteurs du film, ne dira pas le contraire. “Beaucoup d’annonceurs se sont désistés avant même la sortie du film. Ils nous ont tourné le dos, en arguant : ah non, ce film ne nous représente pas”. Les désistements en série ont plombé la production du film, la privant de fonds évalués entre 3 et 5 millions de dirhams. Ce qui est lourd, très lourd, pour un budget arrêté au final à 13 millions de dirhams.

      La peur a également gagné certains milieux officiels. Casanegra n’a pas été retenu dans le dernier Festival de Marrakech, en novembre 2008, un cadre pourtant idéal pour ce genre de produit novateur, les sélectionneurs lui préférant le pourtant contesté Kandisha, selon la version officielle. Dans les coulisses, les salons de Marrakech, Casablanca ou Rabat bruissent d’une rumeur qui ne paraît pas si infondée : Casanegra aurait été retiré pour ne pas risquer… d’écorcher les oreilles princières, SAR Moulay Rachid étant un habitué du Festival (qu’il préside). Un acte de prudence, en somme.

      Commentaire


      • #4
        This is not Morocco !
        Le film a bénéficié de plusieurs projections-tests pour bien sonder le public avant la sortie commerciale. Le procédé a probablement fait fuir quelques annonceurs, échaudés par la teneur des images et des dialogues du film, mais il a permis de rassurer sur sa faculté de fédérer tous les publics. Au CCM, la commission de visionnage a coché la case “interdit aux moins de 12 ans”, pour accompagner le visa de sortie. Commentaire de Noureddine Sa^ïl, directeur du Centre : “Le film comporte des violences verbales, qu’il est important d’interdire à un très jeune public, mais c’est une œuvre artistique qu’il faut respecter et laisser à l’appréciation du plus grand nombre de spectateurs”. Noureddine Lakhmari n’en demandait franchement pas tant. “Honnêtement, je craignais que le film ne soit interdit aux moins de 16 ans”, nous a-t-il confié. A Dubaï, où le film a remporté un joli succès au festival du film, Casanegra a d’ailleurs été interdit aux moins de 18 ans. Ce qui en dit long sur la relative et très nette ouverture d’un pays comme le Maroc.

        A Dubaï, donc, détail important dans le cinéma arabe, le public a réagi “normalement”, riant et applaudissant aux scènes-clés. Mais il y a eu des exceptions. Lakhmari raconte : “Le lendemain de la projection, un spectateur m’a apostrophé en ces termes : I’m Moroccan but I’m sorry, it’s not Morocco !”. Commentaire ? On le laisse au même Lakhmari, bien placé pour en parler lui qui a vécu une bonne partie de sa vie en Norvège, loin du plus beau pays du monde : “Je comprends bien la réaction du Marocain de Dubaï. Moi aussi, quand je vivais en Norvège, j’attendais de voir de belles images du Maroc. Pas l’envers du décor, mais le côté carte postale”.

        Casa ma ville
        Casanegra repose de toute évidence sur un long travail documentaire. “Au moment des repérages, j’emmenais mes comédiens dans les bas-fonds de la ville, on a exploré ensemble la face sombre, nocturne, de Casablanca” lâche le cinéaste. Lakhmari et son équipe ont pu explorer des repaires mythiques du vieux centre-ville bidaoui dont certains ont été rasés depuis. Exemple de La Fontaine, célèbre cabaret, qui figure parmi les décors principaux du film, celui du “Tout va bien”, un espace où tout va plutôt mal… “En fait, le Tout va bien est un vrai bar qui existe à Safi, ma ville natale. Le fait de prendre ce nom finalement safiot est une façon, pour moi, de rendre hommage tant à Safi qu’à Casablanca. Je suis de Safi, mais Casablanca est aussi ma ville. J’y vis depuis trois ans et je l’aime, je l’aime”, commente Lakhmari. Donc, l’amour. Et le goût pour l’Art déco, sans doute. Nouveau commentaire du cinéaste : “Je fréquente un cercle d’architectes qui m’ont transmis la passion de restaurer la mémoire et la beauté des lieux, surtout le centre-ville de Casablanca, vestiges de l’ère coloniale”.

        Dans son élan, Lakhmari a appris, suivant les conseils d’un ami, à “ne pas faire comme les gens qui n’aiment pas leur ville et s’obstinent à marcher en regardant systématiquement vers le bas”. Il a décidé de (re)lever la tête, filmant haut, haut. D’où ces contre-plongées qui habillent les vieux immeubles coloniaux d’étonnantes formes architecturales, dans une sorte de “Métropolis” contemporain, marocain. Voilà, on vous a à peu près tout dit. Reste à signaler que le film a été réalisé grâce au concours de l’Etat, via le CCM (2,4 millions de dirhams) et 2M (1 million). Mais aussi grâce à des producteurs indépendants : feu Aziz Nadifi, décédé peu avant la sortie du film, Dino Sebti et Ali Kettani de l’agence Sigma. Casanegra, qui explore le côté sombre de Casablanca, et finalement d’un certain Maroc, reste dans tous les cas un film intéressant malgré certaines longueurs et de nombreux emprunts, et marque aussi la dernière apparition d’un grand nom du cinéma marocain : l’acteur Hassan Skalli, décédé quelque temps après le tournage. Rideau.

        Rétro. Casa, Casa

        Avant Noureddine Lakhmari, d’autres cinéastes ont filmé la ville blanche. C’est notamment le cas de Abdelkader Lagtaâ, pur Casablancais, qui a filmé le centre-ville, ses brasseries, mais aussi ses (rares) espaces verts, ses vieux immeubles, notamment dans Un Amour à Casablanca (1991) et Bidaouas – Les Casablancais (1998). S’il y a un amoureux de Kouiza, comme l’appellent affectueusement les Bidaouas, c’est bien lui, Lagtaâ, qui vit aujourd’hui entre Casablanca, où il a gardé un pied-à-terre, et Paris, où il a élu domicile depuis quelques années. Lagtaâ, et il mérite d’être salué pour cela, est aussi l’un des tout premiers réalisateurs à inscrire clairement son cinéma dans la réalité urbaine, contemporaine, loin du kitsch d’un Mostafa Derkaoui, autre amoureux de la ville, et de la ruralité chronique qui a longtemps affecté le cinéma marocain (voir les films de Hamid Bennani, Tayeb Saddiki, Mohamed Abbazi, etc.). Autre filmeur du trafic urbain de la ville blanche, de toute cette incroyable poésie casablancaise, Faouzi Bensaïdi.

        Avec le très inspiré WWW what a wonderful world (2006), il s’est appliqué à filmer la banlieue casablancaise comme un décor de western, les quartiers pop comme un faubourg à Calcutta, la circulation automobile comme un film de Jacques Tati, les galeries du Twin Center comme un inquiétant labyrinthe complètement déshumanisé. Comment ne pas citer, par ailleurs, Mohamed Asli, dont le très beau A Casablanca les anges ne volent pas (2004) est tout dédié à notre I, avec de longues, longues balades dans les rues de la ville filmées en plongées, comme un oiseau (un ange ?) planant dans le ciel de Dar Beida. Nombreux (les Hakim Noury, Ahmed Boulane, Hassan Benjelloun, etc.) sont ceux qui ont filmé la ville, mais les Bensaïdi, Lakhmari, Lagtaâ, Asli, voire Leïla Marrakchi avec Marock, sont ceux qui ont fait, réellement, de Casanegra un personnage central, et tellement humain, de leur travail.

        Casting. T’as une belle gueule, tu sais

        Il y a bien une raison pour expliquer que Anas El Baz et Omar Lotfi ont reçu le prix d’interprétation au dernier Festival de Dubaï : ils sont épatants. Les deux hommes sont jeunes (21 ans au moment du tournage), et si Anas vient des prestigieux Cours Florent en France, Omar a été casté en dernier, un peu par hasard. “Mon casting a été sauvage puisque j’emploie beaucoup de non-acteurs. J’ai cherché partout, dans les écoles, les rues, etc. Et puis beaucoup de choses ont changé en cours de route”, résume Noureddine Lakhmari. Anas El Baz a d’abord été engagé pour le deuxième rôle, alors que Omar Lotfi, qui n’a aucune formation académique de comédien, devait jouer le rôle d’un supporteur de foot, qui ne fait que passer… A l’image des deux acteurs principaux, le casting de Casanegra est un modèle de surprises et de fraîcheur. Mohamed Benbrahim, épatant dans le rôle d’un malfrat fou de sa chignole, est un authentique revenant.

        Il a fait du théâtre dès 1964 (il avait 15 ans à l’époque) avant de devenir un visage familier à la télévision marocaine, plus tard au cinéma. “J’ai longtemps été rangé parmi les acteurs comiques, un peu comme Mostafa Dassoukine ou Ahmed Snoussi (Bziz), au théâtre comme à la télévision, mais c’est le cinéma qui a changé et mon image et ma vie”. Benbrahim a changé de registre avec des cinéastes comme Ahmed Maânouni (Alyam Alyam, 1978) et surtout Abdelkader Lagtaâ dont le Bidaouas lui a offert un authentique rôle de composition. A bientôt 60 ans, l’acteur, qui a aussi tourné avec Hakim Noury, Farida Belyazid ou Hassan Benjelloun, goûte aujourd’hui à la reconnaissance. Enfin. “Je ne remercierai jamais assez Lakhmari pour ça”, lâche-t-il, ému aux larmes, lui qui a gagné un prix d’interprétation au dernier Festival national du film à Tanger, en décembre 2008.

        Rawiya, 57 ans, est l’autre bonne surprise du film, irrésistible dans le rôle d’une barmaid à qui on ne la fait pas. “Au départ, Lakhmari m’a proposé le rôle de la mère battue, heureusement qu’il a changé d’avis suite à mon insistance”, nous explique l’actrice, qui s’est tellement investie dans son rôle qu’elle a écrit elle-même certaines lignes de dialogues, parmi les plus piquantes du film (Un pilier de bar ivre-mort : “Donne-moi une bièèèère”, elle : “Tu veux que je te pisse dedans ?”). Révélée sur le tard, avec Les Trésors de l’Atlas de Mohamed Abbazi (1997), Rawiya, abonnée aux rôles de marginale (I 2006), est une vraie self-made woman, aussi attachante en vrai qu’au cinéma. Parmi les autres belles surprises du film, on peut s’arrêter sur Abdellah Chakiri, hilarant dans le rôle d’un tôlier tortionnaire, que l’on a surtout vu dans le cinéma de Hassan Benjelloun (Yarit, 1994). Ou encore Driss Roukhe, crédible en mari violent et frustré sexuel.


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        • #5
          De Marock à Casanegra. Un cinéma anti-verrou

          A 44 ans, et après un premier film relativement anonyme (Le Regard, 2004), Noureddine Lakhmari rejoint la cohorte des briseurs de tabous, une famille riche de quelques figures intéressantes comme Narjiss Nejjar, qui a filmé un village de prostituées dans Les yeux secs (2003), Abdelkader Lagtaâ, qui a été le premier à filmer l’amour entre une nymphette et un homme mûr (Un Amour à Casablanca, 1991), la frustration sexuelle d’un maître d’école (La Porte close, 1995), Hassan Benjelloun, qui a effleuré l’histoire du commissariat de Derb Moulay Chérif (La Chambre noire, 2004), Saâd Chraïbi qui a raconté la prison (et la masturbation) au féminin dans Jawhara (2004), Leïla Marrakchi, qui a filmé les amours contrariés d’un juif et d’une musulmane (Marock, 2006), sans oublier le tout neuf Aziz Salmi, dont le premier film (Amours voilées, bientôt en salle) raconte les hésitations d’une femme à porter le voile. Tous ces films ont été montés, financièrement, grâce au précieux concours de l’Etat, via le Centre cinématographique marocain, qui devient producteur de fait de (presque) l’ensemble de la cinématographie marocaine. Les verrous qui sautent, finalement, c’est un peu l’Etat qui en est responsable. Même s’il est en même temps en partie responsable des verrous “qui ne sautent pas”, en refusant de financer d’autres sujets audacieux. On ne s’en plaindra pas trop.

          © 2008 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés

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          • #6
            “Din mouk”, “lehmar taa bouk”, “zamel”, “ould l’qahba”… Si, en autorisant la diffusion de Casanegra, l’Etat a estimé que les Marocains étaient suffisamment mûrs pour entendre ces mots crus dans une salle de cinéma… qu’on me permette alors de considérer, chers lecteurs, que vous êtes suffisamment mûrs pour les lire sur ce magazine. Dont acte.
            et que dire de casa by night ?

            et les tirades genre.. aji ya l9ahba na3ssi lmok

            la qualité de l'image et du son dans ce film est très bonne, elle marque toute l'évolution du cinéma marocain, une évolution à laquelle le tournage de films internationaux au Maroc à certainement contribuer, il a d'ailleurs été primé pour cela dans le festival international de Dubai

            En voilà des extraits


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            • #7
              Merci pour les exraits

              au dela des gros mots et des scènes d'amours, c'est un très bon film, cru, et très bien réalisé.

              j'ai été franchement bluffé ! l'histoire raconte simplement le quotidien de deux jeunes marocains fauchés et cherchent a s'en sortir à tout prix.
              le langage utilisé, est pour une fois, notre vrai langage.
              un film dans lequel on peut se reconnaitre

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              • #8
                Tout le monde m'en a dit du bien. Je prendrais le temps d'y aller, et d'en parler par la suite sur mon blog stage.
                Merci pour l'article Orion!
                La guerre, c'est la guerre des hommes ; la paix, c'est la guerre des idées. V. Hugo

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