Un film à voir absolument !!
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Par Ahmed R. Benchemsi
La réalité telle qu’elle est---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Par Ahmed R. Benchemsi
Le modèle que propose Casanegra n’est pas celui d’une société amorale, mais celui d’une société qui admet sa part d’amoralité. Donc qui n’a plus peur d’elle-même.
“Din mouk”, “lehmar taa bouk”, “zamel”, “ould l’qahba”… Si, en autorisant la diffusion de Casanegra, l’Etat a estimé que les Marocains étaient suffisamment mûrs pour entendre ces mots crus dans une salle de cinéma… qu’on me permette alors de considérer, chers lecteurs, que vous êtes suffisamment mûrs pour les lire sur ce magazine. Dont acte.
“Din mouk”, “lehmar taa bouk”, “zamel”, “ould l’qahba”… Si, en autorisant la diffusion de Casanegra, l’Etat a estimé que les Marocains étaient suffisamment mûrs pour entendre ces mots crus dans une salle de cinéma… qu’on me permette alors de considérer, chers lecteurs, que vous êtes suffisamment mûrs pour les lire sur ce magazine. Dont acte.
Dans les pays développés, cela fait longtemps que les gens ont compris : chaque contexte secrète sa terminologie. En l’occurrence, ce film-là, dont le sujet est la vie dans les bas-fonds de Casa, aurait tout simplement été absurde (et raté) si ses personnages avaient parlé comme à la télé, dans cet improbable “arabe médian policé” que la SNRT cherche encore à faire passer pour notre langue de tous les jours. Dans une optique strictement cinématographique, le film de Noureddine Lakhmari marque donc une rupture entre ce qui a été fait jusqu’à présent, et ce qui aurait toujours dû être fait. Plutôt qu’une révolution, il s’agit en fait d’une normalisation.
Mais c’est justement parce qu’il opère cette normalisation brutalement, sans que rien ne nous y ait préparés, que Casanegra, avec sa violence et son hyperréalisme, va bien au-delà d’un simple objet cinématographique. Il fait plutôt office de thérapie de choc – et Dieu sait à quel point nous en avions besoin. Pour ouvrir les yeux, pour secouer les certitudes ouatées dans lesquelles la propagande officielle tente de nous enfermer depuis un demi-siècle. “Le Maroc est un pays lisse et sans aspérités, dont les bienheureux habitants respectent tout ce qui doit être respecté : la tradition, l’arabité, l’islam, les aînés, les convenances, la loi, etc.” Non messieurs. Le Maroc est un pays tendu dont le corps social, travaillé au quotidien par la violence verbale et émotionnelle, se transforme en un objet torturé et polymorphe… mais aussi incroyablement créatif et en perpétuel renouveau. En prendre conscience est ce qui peut nous arriver de mieux.
C’est une chose d’écrire des articles sur “le Maroc tel qu’il est” – ce que TelQuel s’attache à faire chaque semaine, depuis plus de 7 ans maintenant. C’en est une autre de le montrer crânement, crûment, brutalement, sur grand écran. L’image a toujours été – et sera toujours – incomparablement plus puissante que l’écrit. L’Etat le sait bien, lui qui fait de l’obtention des licences télé un parcours d’obstacles – alors que lancer un journal ou écrire un livre reste une entreprise plutôt libre. C’est dans ce contexte qu’il faut saluer l’autorisation de diffusion de ce film comme ce qu’elle est : une évolution socioculturelle majeure – et je pèse mes mots.
Bien sûr, les conservateurs objecteront : “Est-ce cela, le progrès ? Banaliser la violence et la grossièreté ? Est-ce cela, le modèle ? Une société où le respect n’existe plus, où la seule loi est celle de la jungle ?”. Evidemment non. Le progrès, ici, n’est pas de banaliser les travers de la société ; il est de reconnaître leur existence. Quant au modèle que nous propose Casanegra (en creux), ce n’est pas celui d’une société amorale, mais plutôt celui d’une société qui n’a pas peur d’admettre sa part d’amoralité. Autrement dit, qui n’a pas peur d’elle-même.
Jusqu’à présent, Casanegra n’a pas déclenché de polémique violente, comme on aurait pu le craindre. Tant mieux, cela démontre que nous sommes prêts à reconsidérer, dans le calme, l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. Profitons-en pour ouvrir le débat. Il est salutaire, et c’est tout le sens de notre couverture de cette semaine.
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