MOHAMED CHAFIK MESBAH AU SOIR D'ALGÉRIE :
«Ce que je sais de Zeroual»
Suite à la publication récente du communiqué de presse du président Liamine Zeroual par lequel il déclarait ne pas être candidat à l’élection présidentielle et renoncer même à toute ambition politique, le Soir d'Algérie a tenu à revenir sur cet évènement en en livrant une analyse plus approfondie. C’est l’avis d'un expert susceptible d’éclairer l’opinion publique nationale sur la teneur de la déclaration publique de l'ancien chef de l'Etat aussi bien que sur sa personnalité qui a été requis. Nous avons sollicité, en effet, l’ami et le collaborateur du Soir d’Algérie , Mohamed Chafik Mesbah lequel, ancien officier de l'ANP, politologue et observateur avisé des réalités nationales, pouvait se livrer à cette analyse d’autant qu’il a exercé à la présidence de la République au moment où M. Liamine Zeroual était chef de l’Etat. Pour décrypter le communiqué de presse du président Liamine Zeroual, Mohamed Chafik Mesbah a accepté de se soumettre, de bonne grâce, au feu roulant de nos questions indiquant, seulement, que le sentiment d'affection qu'il portait à l’ancien chef de l’Etat risquait d’altérer l’esprit critique indispensable à l’exercice. Voici, tour à tour, l’évocation du personnage de M. Liamine Zeroual et l’analyse de son dernier communiqué de presse.
Le Soir d’Algérie
Le Soir d’Algérie : Vous avez évoqué, dans la chronique autobiographique qui accompagne votre ouvrage à paraître «Problématique Algérie», votre passage au cabinet de la présidence de la République. Ce passage vous aura permis, sans doute, de mieux apprécier le comportement personnel du président Liamine Zeroual ainsi que sa démarche politique…
Mohamed Chafik Mesbah : Il faut rétablir la vérité. C’est à la demande du général Mohamed Betchine que je suis arrivé à la présidence de la République après ma démission des rangs de l’ANP début 1997. J’étais, donc, le collaborateur direct du ministre conseiller du président de la République lequel, naturellement, exerçait sous l’autorité du chef de l’Etat. Du fait de mon itinéraire professionnel et intellectuel, je me suis, forcément, intéressé à tous les chefs militaires. Avoir été aussi proche du ministre conseiller m'a permis, toutefois, de disposer d'un poste d'observation privilégié. Il est normal, dans ce contexte, que ma connaissance du personnage de M. Liamine Zeroual se soit parfaite à la faveur de mon passage à la présidence de la République. Je remercie, à cet égard, le général Mohamed Betchine de m’avoir permis de vivre un épisode exaltant dans ma vie, au service de mon pays et aux côtés d’un président foncièrement patriote, intègre et désintéressé.
Êtes-vous surpris par l’annonce faite par le président Liamine Zeroual de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle ?
Absolument pas. Pour mémoire, le président Liamine Zeroual a, toujours, dédaigné les responsabilités politiques. C’est un homme moral pas un homme politique. Il raisonne en militaire qui ne conçoit de responsabilité que sous forme de mission à exécuter. C’est le devoir moral qui l’interpelle, pas l’attrait de la fonction. C’est ainsi qu’au lendemain de l’interruption du processus électoral, en 1992, il s’est extrait de sa paisible retraite à Batna pour être le premier officier général à venir se mettre à la disposition du commandement militaire à l’effet d’assumer une tâche opérationnelle dans le dispositif qui se mettait en place pour lutter contre le terrorisme. C’est pourquoi je vois mal le président Liamine Zeroual postuler pour la magistrature suprême. C’est, absolument, contraire à son tempérament, je veux dire à son habitus culturel et à son mode de vie pratique. Tout homme moral qu’il est, M. Liamine Zeroual n’en est pas moins, par ailleurs, un homme pragmatique. Il ne peut ignorer que les dés sont jetés, le chef de l’Etat actuel devant se succéder à luimême pour la troisième fois. Nonobstant toutes les considérations morales, croyez-vous que le président Liamine Zeroual puisse se fourvoyer dans une élection déjà réglée ?
La forme solennelle du dernier communiqué de presse du président Liamine Zeroual vous paraît correspondre à la personnalité de l’ancien chef de l’Etat ?
Parfaitement. La forme du communiqué, solennel comme vous le soulignez, correspond à l’attention que le président Liamine Zeroual a toujours accordé à la forme. A fortiori lorsqu’il s’agit de manifestations ou de déclarations se rapportant à des devoirs d’Etat. La méthode de présentation des idées-force du communiqué sous forme de paragraphes, se succédant de manière didactique et harmonieuse, reflète cette formation militaire qu’il a toujours continué de cultiver. Le ton apaisant choisi par le président Liamine Zeroual pour exprimer ses opinions traduit son sens de la pondération et son esprit de retenue. Le communiqué de presse est signé. Ne vous y trompez pas, cependant, derrière ce tableau rigide qui paraît presque impersonnel, c’est une conscience troublée qui se dévoile.
Selon vous, le président Liamine Zeroual aurait recherché quel objectif en procédant à la publication de ce communiqué ?
Trois objectifs. Premièrement, ne pas laisser dans l’erreur l’opinion publique nationale quant à la nature de ses intentions politiques. Il tenait, apparemment, à lever toute équivoque sur sa détermination de quitter la scène politique. C’est là l’expression du respect qu’il a toujours voué au peuple algérien, en général, et, à chaque citoyen, en particulier. Deuxièmement, rappeler, même sous forme allusive, sa conception de l’action politique, précisant que pour lui elle est subordonnée à l’exercice effectif de la souveraineté populaire. C’est une forme courtoise mais ferme de se démarquer de la gestion de son successeur à la tête de l’Etat. Troisièmement, dresser le bilan de sa gestion du pays pour faire justice des accusations d’«amateurisme» ou d’«ingénuité» qui lui avaient été lancées après son départ anticipé. C’est une manière de solder les comptes.
Il s’agit tout de même d’une déclaration au contenu très dense. Que peut-on en tirer comme enseignement majeur ?
L’état d’esprit manifesté à travers cette déclaration par M. Liamine Zeroual correspond à celui qui prévaut chez la grande majorité du peuple algérien. En ce sens, c’est, en effet, un document très dense. Bien des cadres du pays et toutes les forces vives de la nation doivent s’y reconnaître. De manière paradoxale, le président Liamine Zeroual énonce ses idéesforce qui peuvent servir de réceptacle pour l’élite du pays et de refuge pour tous les patriotes que compte l’Algérie, au moment où il proclame sa détermination de quitter, définitivement, la scène politique
Si vous deviez décrire la personnalité de M. Liamine Zeroual, vous la présenteriez sous quel visage ?
Il s’agit d’un homme probe, plein d’humilité mais animé de fortes convictions. Je puis, en effet, témoigner du désintérêt matériel autant que de la rigueur morale de M. Liamine Zeroual. Le désintérêt matériel ? J’ai eu, au moins, à connaître d’un épisode éloquent. Alors qu’il était commandant de la 3e Région militaire, dans les années quatre-vingt, M. Liamine Zeroual avait sollicité un crédit personnel auprès du ministre de la Défense nationale pour un montant, si ma mémoire ne m’abuse, de 450 000 DA au motif d’achever la construction de son habitation à Batna. J’étais, alors, un jeune officier incrédule. J’avais décelé là ni plus ni moins qu’un canular. Les recoupements que j’ai pu effectuer auprès de compagnons résidant dans la capitale des Aurès ont vite fait de me détromper. Pas une pierre, pas un sac de ciment, pas un véhicule de transport n’avait franchi l’enceinte de l’habitation en construction de M. Liamine Zeroual à Batna sans qu’il se soit acquitté du prix sur ses propres deniers. Au moment, d’ailleurs, où il quittait ses fonctions de chef de l’Etat, trois responsables importants dans le pays, le ministre conseiller à la présidence, le chef d’état-major de l’ANP et le chef du département du renseignement et de la sécurité ont, vainement, tenté de le convaincre d’accepter la rétrocession à son profit de la résidence officielle où il demeurait, chemin Cheikh-Bachir El-Ibrahimi, à El-Biar.
«Ce que je sais de Zeroual»
Suite à la publication récente du communiqué de presse du président Liamine Zeroual par lequel il déclarait ne pas être candidat à l’élection présidentielle et renoncer même à toute ambition politique, le Soir d'Algérie a tenu à revenir sur cet évènement en en livrant une analyse plus approfondie. C’est l’avis d'un expert susceptible d’éclairer l’opinion publique nationale sur la teneur de la déclaration publique de l'ancien chef de l'Etat aussi bien que sur sa personnalité qui a été requis. Nous avons sollicité, en effet, l’ami et le collaborateur du Soir d’Algérie , Mohamed Chafik Mesbah lequel, ancien officier de l'ANP, politologue et observateur avisé des réalités nationales, pouvait se livrer à cette analyse d’autant qu’il a exercé à la présidence de la République au moment où M. Liamine Zeroual était chef de l’Etat. Pour décrypter le communiqué de presse du président Liamine Zeroual, Mohamed Chafik Mesbah a accepté de se soumettre, de bonne grâce, au feu roulant de nos questions indiquant, seulement, que le sentiment d'affection qu'il portait à l’ancien chef de l’Etat risquait d’altérer l’esprit critique indispensable à l’exercice. Voici, tour à tour, l’évocation du personnage de M. Liamine Zeroual et l’analyse de son dernier communiqué de presse.
Le Soir d’Algérie
Le Soir d’Algérie : Vous avez évoqué, dans la chronique autobiographique qui accompagne votre ouvrage à paraître «Problématique Algérie», votre passage au cabinet de la présidence de la République. Ce passage vous aura permis, sans doute, de mieux apprécier le comportement personnel du président Liamine Zeroual ainsi que sa démarche politique…
Mohamed Chafik Mesbah : Il faut rétablir la vérité. C’est à la demande du général Mohamed Betchine que je suis arrivé à la présidence de la République après ma démission des rangs de l’ANP début 1997. J’étais, donc, le collaborateur direct du ministre conseiller du président de la République lequel, naturellement, exerçait sous l’autorité du chef de l’Etat. Du fait de mon itinéraire professionnel et intellectuel, je me suis, forcément, intéressé à tous les chefs militaires. Avoir été aussi proche du ministre conseiller m'a permis, toutefois, de disposer d'un poste d'observation privilégié. Il est normal, dans ce contexte, que ma connaissance du personnage de M. Liamine Zeroual se soit parfaite à la faveur de mon passage à la présidence de la République. Je remercie, à cet égard, le général Mohamed Betchine de m’avoir permis de vivre un épisode exaltant dans ma vie, au service de mon pays et aux côtés d’un président foncièrement patriote, intègre et désintéressé.
Êtes-vous surpris par l’annonce faite par le président Liamine Zeroual de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle ?
Absolument pas. Pour mémoire, le président Liamine Zeroual a, toujours, dédaigné les responsabilités politiques. C’est un homme moral pas un homme politique. Il raisonne en militaire qui ne conçoit de responsabilité que sous forme de mission à exécuter. C’est le devoir moral qui l’interpelle, pas l’attrait de la fonction. C’est ainsi qu’au lendemain de l’interruption du processus électoral, en 1992, il s’est extrait de sa paisible retraite à Batna pour être le premier officier général à venir se mettre à la disposition du commandement militaire à l’effet d’assumer une tâche opérationnelle dans le dispositif qui se mettait en place pour lutter contre le terrorisme. C’est pourquoi je vois mal le président Liamine Zeroual postuler pour la magistrature suprême. C’est, absolument, contraire à son tempérament, je veux dire à son habitus culturel et à son mode de vie pratique. Tout homme moral qu’il est, M. Liamine Zeroual n’en est pas moins, par ailleurs, un homme pragmatique. Il ne peut ignorer que les dés sont jetés, le chef de l’Etat actuel devant se succéder à luimême pour la troisième fois. Nonobstant toutes les considérations morales, croyez-vous que le président Liamine Zeroual puisse se fourvoyer dans une élection déjà réglée ?
La forme solennelle du dernier communiqué de presse du président Liamine Zeroual vous paraît correspondre à la personnalité de l’ancien chef de l’Etat ?
Parfaitement. La forme du communiqué, solennel comme vous le soulignez, correspond à l’attention que le président Liamine Zeroual a toujours accordé à la forme. A fortiori lorsqu’il s’agit de manifestations ou de déclarations se rapportant à des devoirs d’Etat. La méthode de présentation des idées-force du communiqué sous forme de paragraphes, se succédant de manière didactique et harmonieuse, reflète cette formation militaire qu’il a toujours continué de cultiver. Le ton apaisant choisi par le président Liamine Zeroual pour exprimer ses opinions traduit son sens de la pondération et son esprit de retenue. Le communiqué de presse est signé. Ne vous y trompez pas, cependant, derrière ce tableau rigide qui paraît presque impersonnel, c’est une conscience troublée qui se dévoile.
Selon vous, le président Liamine Zeroual aurait recherché quel objectif en procédant à la publication de ce communiqué ?
Trois objectifs. Premièrement, ne pas laisser dans l’erreur l’opinion publique nationale quant à la nature de ses intentions politiques. Il tenait, apparemment, à lever toute équivoque sur sa détermination de quitter la scène politique. C’est là l’expression du respect qu’il a toujours voué au peuple algérien, en général, et, à chaque citoyen, en particulier. Deuxièmement, rappeler, même sous forme allusive, sa conception de l’action politique, précisant que pour lui elle est subordonnée à l’exercice effectif de la souveraineté populaire. C’est une forme courtoise mais ferme de se démarquer de la gestion de son successeur à la tête de l’Etat. Troisièmement, dresser le bilan de sa gestion du pays pour faire justice des accusations d’«amateurisme» ou d’«ingénuité» qui lui avaient été lancées après son départ anticipé. C’est une manière de solder les comptes.
Il s’agit tout de même d’une déclaration au contenu très dense. Que peut-on en tirer comme enseignement majeur ?
L’état d’esprit manifesté à travers cette déclaration par M. Liamine Zeroual correspond à celui qui prévaut chez la grande majorité du peuple algérien. En ce sens, c’est, en effet, un document très dense. Bien des cadres du pays et toutes les forces vives de la nation doivent s’y reconnaître. De manière paradoxale, le président Liamine Zeroual énonce ses idéesforce qui peuvent servir de réceptacle pour l’élite du pays et de refuge pour tous les patriotes que compte l’Algérie, au moment où il proclame sa détermination de quitter, définitivement, la scène politique
Si vous deviez décrire la personnalité de M. Liamine Zeroual, vous la présenteriez sous quel visage ?
Il s’agit d’un homme probe, plein d’humilité mais animé de fortes convictions. Je puis, en effet, témoigner du désintérêt matériel autant que de la rigueur morale de M. Liamine Zeroual. Le désintérêt matériel ? J’ai eu, au moins, à connaître d’un épisode éloquent. Alors qu’il était commandant de la 3e Région militaire, dans les années quatre-vingt, M. Liamine Zeroual avait sollicité un crédit personnel auprès du ministre de la Défense nationale pour un montant, si ma mémoire ne m’abuse, de 450 000 DA au motif d’achever la construction de son habitation à Batna. J’étais, alors, un jeune officier incrédule. J’avais décelé là ni plus ni moins qu’un canular. Les recoupements que j’ai pu effectuer auprès de compagnons résidant dans la capitale des Aurès ont vite fait de me détromper. Pas une pierre, pas un sac de ciment, pas un véhicule de transport n’avait franchi l’enceinte de l’habitation en construction de M. Liamine Zeroual à Batna sans qu’il se soit acquitté du prix sur ses propres deniers. Au moment, d’ailleurs, où il quittait ses fonctions de chef de l’Etat, trois responsables importants dans le pays, le ministre conseiller à la présidence, le chef d’état-major de l’ANP et le chef du département du renseignement et de la sécurité ont, vainement, tenté de le convaincre d’accepter la rétrocession à son profit de la résidence officielle où il demeurait, chemin Cheikh-Bachir El-Ibrahimi, à El-Biar.
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