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Entretien. “Mort à Israël” ne signifie pas “mort aux juifs”

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  • Entretien. “Mort à Israël” ne signifie pas “mort aux juifs”

    Propos recueillis par
    Ahmed R. Benchemsi
    Entretien. “Mort à Israël” ne signifie pas “mort aux juifs”


    “Traître à sa judéité” pour les uns, “juif de service” pour les autres, Sion Assidon* lève l’ambiguïté sur son opposition à Israël et son soutien à la cause palestinienne.


    On vous a beaucoup entendu, ces derniers temps, affirmer votre solidarité inconditionnelle avec Gaza et les Palestiniens. Au point où certains de vos coreligionnaires juifs marocains vous qualifient de “traître”. Qu’en dites-vous ?
    D’abord, un recadrage est nécessaire. Dans notre pays, chacun est

    assigné, par l’Etat, dans une case ou une autre (sujet musulman ou sujet juif). Cela induit des conséquences juridiques pour le statut personnel, voire même pour la consommation d’alcool ou le respect du ramadan. Il y aurait fort à dire sur la conformité de tout cela (tant pour les dispositions que pour le contenu) avec les droits humains et la citoyenneté, mais ce n’est pas le propos aujourd’hui. Au niveau sociétal, je suis perçu comme juif. Au prisme de toutes les strates déposées durant le vingtième siècle par le colonialisme, le sionisme, les guerres et l’émigration, cela donne des situations du genre : je suis obligé de protester d’être appelé “Monsieur” plutôt que “Si” ; ou, lorsque je produis des papiers, y compris mon passeport marocain, la question qui fâche revient regulièrement : “Vous êtes marocain ?”… Voilà donc pour le recadrage. Si bien que lorsque le journal islamiste Attajdid titre “Le juif Marocain Sion Assidon dit (ceci ou cela)”, je ne suis pas plus choqué que ça. Vu leur référentiel, il ne leur viendrait pas à l’esprit de me désigner uniquement par mon nom. Et de me laisser le droit (et le soin) de me définir moi-même.

    Soyons clairs : vous vous définissez comme juif, oui ou non ?
    Je refuse d’en faire une question à laquelle il serait obligatoire de répondre dans l’espace public. Je m’exprime en tant que citoyen marocain, amazigho-arabe, tout en étant parfaitement conscient du privilège que me donne mon origine communautaire. Cela dit, je ne nie pas l’ambiguïté que génère ma situation dans l’esprit de beaucoup de gens. Pour eux, ma solidarité avec les Palestiniens est perçue comme venant de quelqu’un qui est “autre” - en quelque sorte, je m’identifierais à celui qui devrait forcément être mon “ennemi”. A leurs yeux, je suis un juif, mais un juif traître à sa judéité. Le “bon juif”, quoi ! D’ailleurs, il est intéressant de noter que cela fonctionne de la même manière de l’autre côté du miroir. Au sein de la communauté juive marocaine, beaucoup disent “Mais ce n’est plus un juif ! Il s’est converti ! Vous vous rendez compte, il soutient Hamas ! De quel droit s’appelle-t-il encore Sion ?”. Or mon point de départ est le suivant : l’équation juif = sioniste est une équation raciste. De quelque côté que vous la retourniez. Celui de l’Etat d’Israël qui prétend “représenter tous les juifs du monde” (c’est ce qu’on appelle le sionisme), et celui de ceux qui continuent à penser “les juifs sont forcément nos ennemis” (c’est ce qu’on appelle l’antisémitisme). Permettez-moi de casser ce schéma binaire et manichéen. D’abord, il existe des sionistes chrétiens : les amis de Monsieur Bush qui pensent que la fin du monde viendra quand “tous les juifs” iront en Palestine (une autre version de la “solution finale” à la Hitler). Ensuite, il existe aussi des sionistes musulmans : suivez bien mon regard, vous verrez combien de dirigeants arabo-musulmans défendent aujourd’hui l’idée de l’existence d’un Etat réservé aux juifs (c’est la définition même du sionisme !). Mieux (ou plutôt pire) : non seulement ces dirigeants vivent confortablement sous le parapluie de la domination américaine, mais ils ont activement participé à l’agression israélienne sur Gaza en criant “Haro sur le Hamas” ! C'est-à-dire, de mon point de vue, “haro sur la résistance.” Alors quand les manifestants ciblent André Azoulay en criant “Quelle honte ! Un Conseiller sioniste?!”, j’ai envie de leur répondre : “c’est le juif que vous visez là, pas le sioniste. Prenez des cibles plus consistantes !”.

    Il y a eu d’autres slogans, encore plus dérangeants, brandis pendant les marches de soutien à Gaza auxquelles vous avez participé. Cela ne vous gêne pas ?
    Cela dépend des slogans. J’ai souvent entendu “mort à Israël”, pendant ces marches. Ce mot d’ordre est malheureusement perçu par certains membres de la communauté juive comme un sinistre slogan antisémite. Ils entendent “mort aux juifs !”, alors que c’est du projet sioniste qu’il s’agit. De ce projet meurtrier dont le massacre de Gaza manifeste l’essence, mais dont la généalogie vient de loin : Dir Yassine, Kfar Qassem, Qana, Sabra et Chatila... Non, je ne suis pas gêné par ce mot d’ordre. L’Etat d’Israël, en tant qu’Etat sioniste, finira par disparaître, il n’y a aucun doute là-dessus. La Palestine sera à terme l’Etat de tous ses habitants, égaux en dignité et en droits. Il y a aussi le fameux “Khayber ! Khayber ! Ô juifs, l’armée de Mohammed reviendra”, qui nous renvoie à une guerre de religions. Mais la cause palestinienne n’est pas la guerre de religions que cherchent à en faire les islamistes et les sionistes ! Quelle que soit la motivation personnelle de chacun des résistants (ou groupes de résistants) palestiniens, leur lutte s’inscrit dans un combat plus large : celui mené contre le projet colonialiste d’occupation de la Palestine. Il faut rappeler qu’il n’y a pas que des musulmans en Palestine. Il y a aussi des catholiques, des grecs orthodoxes, des chrétiens d’Orient, et même… des juifs antisionistes ! Et tous ceux qui défendent de près ou de loin cette cause juste ont leur place – certains même sur la ligne de feu – quelles que soient leurs convictions religieuses ou philosophiques. Alors prenons de la hauteur. Et au lieu de diviser, demandons-nous plutôt ce que nous devons faire contre le parapluie américain, sans lequel Israël n’est rien.

    Alors, que pouvez-vous faire ?
    D’abord, un constat : à cause de l’atrocité des crimes commis à Gaza par Israël, la cause de la Palestine a été propulsée aux quatre coins de la planète. Oui, bien sûr, la libération de la Palestine n’est pas uniquement une cause palestinienne, mais aussi une cause arabe et musulmane. Mais elle était également, dès son origine, une cause humaine, universelle. Elle le demeure aujourd’hui plus que jamais. La preuve : les manifestations qui se sont levées tout autour de la planète, de Sidney à Buenos-Aires en passant par Tokyo et Stockholm (je cite à dessein des lieux qui n’ont rien à voir avec l’islam ou même l’arabité). La dernière agression sur Gaza a amené à s’exprimer, partout dans le monde et à une échelle jamais vue auparavant, des femmes, des hommes et des groupes qui se déclarent juifs, tout en rejetant toute prétention d’Israël à parler ou agir en leur nom. Certains se sont exprimés d’une manière radicale?: ce sont les juifs anti-sionistes. Ces mêmes gens organisent de manière active la solidarité avec la lutte du peuple palestinien contre la soldatesque sioniste. Quelque fois au risque de leurs vies. La cause palestinienne (comme jadis, la cause de la lutte contre l’apartheid) est devenue le symbole de la lutte contre le racisme et les injustices, un drapeau pour tous les opprimés. Regardez dans les rues européennes, les keffiehs aux épaules des jeunes de toutes les couleurs ! N’ayons pas peur de déclarer nos perspectives clairement : le boycott économique d’Israël, l’embargo sur les armes destinées à Israël, et même des procès pour crimes contre l’humanité. Ceux qui militent pour tout cela, quelle que soit leur origine, leur confession ou leur philosophie de vie, apportent une contribution décisive au combat pour la libération de la Palestine.

    *Membre de la communauté juive marocaine, Sion Assidon est un homme d’affaires installé à Casablanca. Militant pro- palestinien de longue date, prisonnier politique pendant les années de plomb, il est aujourd’hui membre actif de plusieurs ONG, fondateur et premier Secrétaire général de Transparency Maroc, association nationale de lutte contre la corruption.
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