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Sharpeville 1960, Gaza 2009

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  • Sharpeville 1960, Gaza 2009

    « Comment puis-je lui ramener un père ? Comment puis-je lui ramener une mère ? Dites-le moi ! » Ce sont les paroles désespérées de Subhi Samuni au correspondant d’Al-Jazeera.
    Subhi a perdu 17 membres de sa famille proche, y compris les parents de son petit-fils âgé de sept ans. D’autant plus choquant qu’au moment où j’écris cet article, les corps de la famille Samuni sont toujours en train d’être extraits des décombres - 15 jours après que les forces d’occupation israéliennes eurent pilonné les deux maisons. L’armée israélienne a enfermé 120 membres de la famille dans une maison pendant 12 heures avant de la pilonner.

    Les paroles de Subhi sont l’écho de la terrible réalité vécue par tous les Palestiniens de Gaza : seuls, abandonnés, pourchassés, brutalisés et rendus orphelins, comme le petit-fils de Subhi. Vingt-deux jours d’une sauvage boucherie ont pris la vie de plus de 1.300 Palestiniens, au moins 85% d’entre eux étant des civils, y compris 434 enfants, 104 femmes, 16 professionnels médicaux, 4 journalistes, 5 étrangers et 105 personnes âgées.

    Que pouvons-nous dire pour réconforter un homme qui a la tâche atroce de devoir enterrer toute sa famille, y compris son épouse, ses fils, ses filles et ses petits-enfants ? Dites-le nous, et nous relayerons vos paroles à Oncle Subhi, parce que la perte qu’il endure a rendu nos mots de condoléances inappropriés à nos oreilles.

    Pensez aussi aux paroles que vous voulez dire à Rashid Muhammad, 70 ans, dont le fils Samir, 44 ans, a été exécuté d’une seule balle au cœur devant son épouse et leurs enfants. Pendant 11 jours, l’armée israélienne a refusé de laisser une ambulance ramasser son corps, et sa famille a donc dû attendre la fin de l’attaque avant de pouvoir l’inhumer. Rashid a vécu l’expérience atrocement douloureuse de regarder, toucher, embrasser puis enterrer le corps décomposé de son fils. Dites à cette famille comment donner un sens à leur terrible réalité - dites quelque chose pour faire dormir les enfants, pour calmer l’angoisse dans le cœur du père, pour aider sa femme à comprendre pourquoi son mari lui a été ravi.

    Vous préférez peut-être parler à Amira Qirm, 14 ans, dont la maison à Gaza City a été pilonnée par l’artillerie et les bombes au phosphore - bombes qui ont brûlé à mort trois membres de sa famille proche : son père, son frère de 12 ans, Alaa, et sa sœur de 11 ans, Ismat. Seule, blessée et terrifiée, Amira a rampé 500 mètres sur les genoux jusqu’à une maison proche - vide parce que la famille avait fui au début de l’attaque israélienne. Elle est restée là quatre jours, survivant seulement avec de l’eau, écoutant les bruits de la machine à tuer israélienne tout autour d’elle, trop effrayée pour crier sa douleur, de peur d’être entendue des soldats. Lorsque le propriétaire de la maison est revenu chercher des vêtements pour sa famille, il a trouvé Amira, affaiblie et proche de la mort. Elle est maintenant soignée pour ses blessures à l’hôpital al-Shifa, bondé et sous-équipé.

    Vous pouvez tenter de réconforter Muhammad Samuni, 10 ans, retrouvé allongé à côté du corps de sa mère et de sa fratrie, cinq jours après qu’ils eurent été tués. Il vous dira ce qu’il a raconté à chacun - que son frère s’est réveillé brusquement après avoir dormi longtemps. Son frère lui dit qu’il avait faim, il a demandé une tomate à manger, puis il est mort. Y a-t-il d’autres gamins de 10 ans dans le monde à qui on demande de porter cette expérience avec eux toute leur vie ? Bien sûr que non - ce « privilège » est réservé aux seuls enfants palestiniens parce qu’ils sont nés sur la terre qu’Israël veut se réserver. Mais ce sont ces enfants traumatisés qui refuseront à Israël ce qu’il veut, parce que leur survie est un défi à cet état d’apartheid. Ce sont assurément ces enfants qui hériteront de la Palestine : c’est leur droit de naissance et aucune attaque ne peut changer ce fait - ni aujourd’hui, ni jamais.

    Et au milieu de tout cela, nous avons dû subir une Tzipi Livni qui persiste à défendre son armée la plus « morale » du monde. « Nous ne visons pas les civils » a-t-elle menti. « Nous ne voulons pas que les Palestiniens quittent Gaza. Nous voulons juste les faire bouger dans Gaza même ! » Le Premier Ministre israélien Ehud Barak lui aussi avait quelque chose à dire aux Palestiniens de Gaza : « Nous ne sommes pas vos ennemis. Le Hamas est votre ennemi. »

    Amira, Muhammad, Rashid, Subhi et plus de 40.000 familles dont les maisons ont été détruites savent autre chose. Ces gens qui se sont précipités au cimetière après qu’il eut été bombardé, et qui ont trouvé les corps en pièces de leurs proches morts, exposés aux éléments, eux savent autre chose. Ils savent qu’ils ont délibérément été pris pour cibles parce qu’ils sont palestiniens. Tout le reste est propagande pour apaiser la conscience de ceux qui ont du sang palestinien sur les mains -ceux qui sont en Israël aussi bien qu’hors d’Israël.

    Pendant 22 longs jours et sombres nuits, les Palestiniens de Gaza ont été laissés seuls pour affronter l’une des plus puissantes armées du monde - une armée qui a des centaines de têtes nucléaires, des milliers de soldats fous de la gâchette, armés de tanks Merkava, de F-16, d’hélicoptères Apache, de navires de guerre et de bombes au phosphore. Vingt-deux nuits sans dormir, 528 heures de bombardements et de tirs constants, attendant à chaque minute d’être la prochaine victime.

    Pendant ces 22 jours, tandis que les morgues étaient débordées et que les hôpitaux luttaient pour soigner les blessés, les régimes arabes publiaient des tonnes de déclarations, condamnant, dénonçant et tenant conférence de presse inutile sur conférence de presse inutile. Ils ont même tenu deux sommets, le premier, 19 jours entiers après le début des attaques sur Gaza et le second, un jour après qu’Israël eut déclaré un cessez-le-feu unilatéral !

    La position arabe officielle vis-à-vis des Palestiniens depuis 1948, à l’exception de l’ère nationaliste progressiste (1954-1970) a été un cocktail létal de lâcheté et d’hypocrisie. Leur dernier échec collectif pour rompre le siège israélien de deux ans de la Bande de Gaza et leur manque d’action pour soutenir les Palestiniens brutalement attaqués doit être mis en question.

    Les Arabes doivent exiger des réponses à l’inconsistante Ligue Arabe parce qu’il n’y a pas eu de solidarité fraternelle témoignée aux Gazaouis durant les attaques israéliennes. Aucun panarabisme ne s’est manifesté dans leurs platitudes. Plus choquant encore, certains ont jugé le moment approprié pour blâmer les Palestiniens de la situation où ils se trouvaient, au lieu d’exiger qu’Israël mette un terme à ses attaques impitoyables.

    A Gaza aujourd’hui, nous nous demandons comment les expressions de soutien à notre égard dans les rues des capitales arabes peuvent se traduire en actions, en l’absence de démocratie. Nous nous demandons si les citoyens arabes de régimes despotiques peuvent changer le système sur un mode non-violent. Nous nous tourmentons à essayer de discerner les moyens actuellement disponibles en vue d’un changement politique démocratique. Avec le massacre en cours à Gaza et avec la construction d’un système d’apartheid en Palestine (dans toute la Palestine historique, y compris les zones occupées par Israël en 1967), nous savons que pour survivre, nous devons avoir le soutien et la solidarité de nos frères et soeurs arabes. Nous avons vu le peuple arabe se dresser pour ce défi et se tenir à nos côtés pendant 22 jours, mais nous n’avons pas vu leurs dirigeants derrière eux.

    L’archevêque Desmund Tutu d’Afrique du Sud a dit : « Si vous êtes neutres dans des situations d’injustice, vous avez choisi le côté de l’oppresseur ». L’ONU, l’UE, la Ligue Arabe et la communauté internationale dans son ensemble sont restées silencieuses devant les atrocités commises par un Israël d’apartheid. Donc elles sont du côté d’Israël. Des centaines de cadavres d’enfants et de femmes n’ont pas réussi à les faire agir. C’est ce que chaque Palestinien sait aujourd’hui - dans les rues de la Bande de Gaza, en Cisjordanie ou dans les camps de réfugiés de la diaspora.

    Par conséquent, il ne nous reste qu’une option, option qui n’attend pas que le Conseil de sécurité des Nations Unies, les sommets arabes ou l’Organisation de la Conférence Islamique se réunissent : l’option du pouvoir du peuple. Cela reste le seul pouvoir capable de contrecarrer le massif déséquilibre des forces dans le conflit israélo-palestinien.

    L’horreur du régime d’apartheid raciste en Afrique du Sud a été défiée par une campagne soutenue de boycott, de désengagement et de sanctions dès 1958, renforcée en 1960 après le Massacre de Sharpeville. Cette campagne a fini par entraîner l’effondrement de la loi blanche en 1994 et l’instauration d’un état multiracial et démocratique.

    De la même manière, l’appel palestinien au boycott, au désengagement et aux sanctions a pris de l’élan depuis 2005. Gaza 2009, comme Sharpeville 1960, ne peut être ignoré : il exige une réponse de tous ceux qui croient en une humanité commune. Le moment est venu de boycotter l’état israélien d’apartheid, de s’en désengager et de lui imposer des sanctions. C’est le seul moyen d’assurer la création d’un état laïque et démocratique pour tous dans la Palestine historique.

    C’est la seule réponse aux questions bouleversantes d’Oncle Subhi : c’est la seule voie pour donner à son petit-fils un avenir, une vie de dignité et d’égalité, une vie de paix et de justice, parce que comme tous les enfants, il ne mérite rien moins que cela.

    Haidar Eid enseigne la littérature anglaise à Gaza City. Il est également journaliste politique et militant.

    The Electronic Intifada
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