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La Préface du nègre de Kamel Daoud

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  • La Préface du nègre de Kamel Daoud

    «La Préface du nègre» est paru chez les éditions Barzakh et a obtenu en 2008 le prix Mohammed Dib.

    Finalement, l'arabe imaginaire n'est pas aussi imaginaire qu'il paraît dans «La Préface du nègre» de Kamel Daoud. Il n'a en vérité d'imaginaire que l'anonymat que lui confère la fiction d'un recueil de nouvelles. Ce n'est qu'un cliché, un arabe endossant les hardes d'une histoire millénaire tronquée. L'auteur l'incruste dans la peau d'un coureur de fond, essoufflé, mais continuant d'avancer malgré les chaînes de son histoire, immédiate celle-ci. L'écriture même est faite au pas de course, comme si l'auteur recherchait l'implication du lecteur, comme lièvre ou partenaire, l'essoufflant en le faisant courir au rythme de mots décrivant les maux d'un sportif qui, en réalité, n'en est pas un, courant surtout pour rattraper une idée, pour s'exorciser, se débarrassant de ses hardes pesantes, guérir en transpirant.

    En fait, dans la première nouvelle, «L'ami d'Athènes», le point de départ n'est autre que le point d'arrivée, une boucle qui commence en 1962 et finit en 1962. L'auteur revisite un passé encore très présent, comme un boulet que l'on traîne et qui empêche d'avancer. Disons que Kamel Daoud revisite un cliché, ravivé, mis à jour par une fixation empêchant le courir d'avancer à son propre rythme. Un coureur d'aujourd'hui évoluant sur une piste d'un autre temps. Et là on réalise que, quelque part, les Algériens ne sont pas encore sortis de la guerre. Le temps et l'espace s'entremêlent et la nouvelle devient chronique, voire un essai.

    Toutefois, cette course haletante, sur fond de monologue battant la mesure, a des allures d'ambition. Une course qui ne s'arrête pas, transcendant les frontières communes, géographiques, ethniques, historiques... Comme pour chercher à rencontrer d'autres coureurs, ceux qui ont déjà fait le parcours d'initiation, comme pour dire aussi aux autres coreligionnaires : «Quelle est donc votre course à vous» ?

    Mais une course aussi effrénée, aussi folle, ne peut être que l'histoire d'une ambition. Frustrée peut-être, mais démesurée, rageuse, racontée à la première personne. Mais pourquoi donc puisqu'il ne s'agit finalement que d'une préface, écrite par un nègre, à la place d'un autre - un écrivain privé en somme -, la préface d'un livre qui n'a pas encore été écrit ? Ou est-ce la préface introuvable d'une livre déjà écrit, en quelque sorte l'histoire de ces hardes lourdes à porter ? La préface de cette histoire immédiate que chacun veut écrire à sa guise, d'où l'inutilité de toute préface ou, tout au moins, d'une préface définitive frappée du sceau de l'authenticité. Ou est-ce encore une tentative de se réconcilier avec l'histoire, courir sur ses chemins ou, au moins, sur un chemin parallèle d'où on peut l'apercevoir, où l'entrapercevoir de temps en temps ?

    Il faut dire que «La Préface du nègre» mériterait une analyse psychologique approfondie, car on y retrouve les frustrations cachées d'un grand nombre d'Algériens post 62, leurs contradictions, leurs aspirations, leurs rêves brisés ou inachevés, ayant traversé plusieurs phases successives et contradictoires, sans transition et sans qu'ils y soient préparés, vivant une schizophrénie sociale aiguë ou «sociophrénie», pour emprunter ce «concept» à un universitaire spécialisé en sociolinguistique lorsqu'il décrit les aliénations sociales formulées par le langage.

    En s'invitant dans cette course, on rencontre de temps en temps quelques balises, volontaires ou émanations d'idées refoulées, quelques relents mystiques, voire religieux. On y décèle des rapports spirituels conflictuels du narrateur avec la vie et autres considérations existentielles, beaucoup de questions non posées, tues par pudeur ou tabou.

    «Gibril» et «Ô» son autant de manifestations de ces rapports, de tous les refoulements. Mais «Gibril» est également le rêve inaccessible, l'ambition bafouée, peut-être parce qu'elle n'est pas encore «légitime». Quant au «Ô», qui nous mène un peu vers « Ô Pharaon» et parfois vers «La fable du nain», dans son vaste pays, confiné quelque part dans l'imaginaire de l'auteur, c'est le retour à 1962, l'émerveillement - et surtout la consternation - devant les chimères du passé. Et ce confinement, que ce soit pour l'auteur, pour Robinson Crusoe ou pour Hay Ibn Yakdan, les trois se retrouvent finalement sur une île déserte, l'un parce qu'il l'a voulu, l'autre parce qu'il en est prisonnier et accepte son sort par fatalisme et le troisième avait besoin, probablement, d'écrire un livre pour conjurer une condition, courir pour s'en échapper. Ici, l'écriture prend la forme de bottes des sept lieux...

    Par Le quotidien d'oran
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