En France, la loi autorise depuis peu un salarié et son employeur à se quitter d’un commun accord, tout en permettant au premier de toucher le chômage. Séduisante, cette formule est toutefois très délicate à mettre en œuvre.
A l’hôtel Cosmos de Contrexéville, on a les pieds sur terre. En octobre dernier, Frédéric Thévenet, le directeur de cet établissement du groupe Partouche confronté depuis quelque temps à des difficultés financières, a réussi à réduire ses effectifs de douze personnes en quelques jours. Sans cris, sans larmes et sans licenciements. Un véritable artiste de la négociation sociale, ce Thévenet ! Mais, surtout, un lecteur attentif du «Journal officiel». Car il fait partie des premiers patrons à avoir découvert l’intérêt de «la rupture conventionnelle du contrat de travail», un nouveau mode de séparation entre un employeur et un salarié. Imaginé en début d’année dernière par les partenaires sociaux, ce divorce professionnel à l’amiable a été entériné par une loi du 25 juin 2008.
A la fin de l’automne, plus de 6 000 ruptures de ce type avaient déjà été recensées en France. Bien sûr, cela représente à peine 2% des licenciements (hors économiques) enregistrés durant la même période, mais le succès de la formule est néanmoins impressionnant. Il faut dire qu’elle était très attendue. Jusqu’ici, pour rompre un contrat à durée indéterminée, il n’y avait pas trente-six solutions. Soit le salarié voulait quitter son entreprise et il ne pouvait que démissionner, ce qui évidemment ne lui ouvrait pas droit aux allocations chômage. Soit c’est l’employeur qui prenait l’initiative de la séparation et il devait licencier le collaborateur. Dans ce cas, même si les deux parties s’accordaient d’emblée sur le principe et les modalités de départ (date, indemnités…), il fallait tout de même en passer par la procédure de licenciement pour motif personnel. C’est-à-dire déterminer un motif «réel et sérieux» de rupture, s’envoyer des lettres recommandées, échanger des arguments… Bref, se disputer. Faute de quoi les Assédic pouvaient crier au licenciement arrangé et rechigner à indemniser le nouveau chômeur. «Pour sauver les apparences, il fallait inventer des fautes bidon», note Evelyn Bledniak, avocate au cabinet Atlantes. Humiliant pour le salarié et compliqué pour l’employeur.
Entre le premier entretien et le départ, à peine plus d’un mois
Le nouveau dispositif brille au contraire par sa simplicité… à condition de prendre certaines précautions. Sinon, c’est le retour assuré à la case prud'hommes. D’abord, l’initiative peut venir indifféremment de l’entreprise ou de l’employé. Un entretien est certes prévu mais il est sans chichi : pas de lettre de convocation à expédier, pas de délai à respecter, ni de motif à développer par écrit. Si les deux parties se mettent d’accord sur les modalités, il leur suffit de remplir un formulaire type, téléchargeable sur le site du ministère du Travail (www.travail-solidarite.gouv.fr à la rubrique «formulaires»). Une fois cette «convention» cosignée, on laisse passer un délai de quinze jours, pendant lequel l’un ou l’autre a la possibilité de se rétracter. Puis on envoie le document à la direction départementale du travail, qui a, elle aussi, quinze jours pour l’homologuer (ce qu’elle fait sans barguigner dans trois cas sur quatre). L’absence de réponse de l’administration valant assentiment, le tour est joué en à peine plus d’un mois. Contre deux à quatre mois, grand minimum, pour un licenciement classique.
Plus rapide, le départ à l’amiable est aussi plus économique. Car, à moins de pouvoir prouver que le salarié a commis une faute grave ou lourde, le licenciement coûte cher. Outre les indemnités prévues par la convention collective, l’entreprise doit, même s’il n’est pas effectué, payer le préavis (trois mois, et parfois six mois au-delà de 50 ans, pour les cadres). Et, en cas de licenciement avec transaction (seule à même de clore définitivement l’affaire sans recours possible devant les tribunaux), une indemnité supplémentaire de dommages et intérêts doit être négociée. La rupture à l’amiable, elle, est low-cost : pas de préavis et une indemnité qui peut se résumer au montant prévu par le Code du travail en cas de rupture d’un CDI, c’est-à-dire un cinquième du salaire mensuel par année d’ancienneté, et un tiers au-delà de dix ans. Soit, pour un salarié présent depuis dix ans dans l’entreprise, par exemple, l’équivalent de deux mois de rémunération.
Rapide, facile et pas trop cher, le nouveau dispositif serait-il parfait ? Non, car il comporte un risque juridique, répondent les avocats, échaudés par le fiasco du CNE. Institué par le gouvernement Villepin en 2005, ce contrat nouvelle embauche devait permettre de se séparer d’un collaborateur au cours des deux premières années sans avoir à justifier d’un motif. Mais les tribunaux n’avaient pas suivi et de nombreux employeurs s’étaient retrouvés coincés dans des CDI classiques. «Les chefs d’entreprise qui croient que la rupture à l’amiable les met à l’abri d’un procès font, à mon sens, une grave erreur, souligne Antoine Grou, avocat en droit social. Car, pendant un an, le salarié a tout loisir de demander l’annulation de la convention, en arguant qu’il a été harcelé pour signer.» Une contestation sur la forme qui pourrait avoir des conséquences très lourdes. Patricia Talimi, du cabinet d’avocats PDGB Paris, soulève en effet un lièvre : «Si la rupture est invalidée, les tribunaux ne pourront pas se prononcer sur la licéité du motif puisque la convention n’en mentionne pas. L’employeur sera donc automatiquement condamné pour licenciement abusif», prévient-elle. La sanction : entre six mois et vingt-quatre mois de dommages et intérêts en fonction de l’âge, de l’ancienneté et de la situation personnelle du salarié.
Comment éviter ce risque ? Soit, à l’instar de nombreuses grandes entreprises, en renonçant à utiliser le dispositif tant que les choses ne sont pas éclaircies. Soit en prenant mille précautions. Supposons, par exemple, que vous ne soyez plus satisfait d’un de vos collaborateurs, mais que la liste de vos griefs tienne sur un Post-it. Proposer une rupture à l’amiable est tentant. Mais très risqué. Car, s’il refuse, vous voilà piégé. Vous avez sur les bras quelqu’un de démotivé et, surtout, si vous décidez de vous rabattre, quitte à prendre le temps de constituer un dossier, sur un licenciement en bonne et due forme, vous allez l’aborder dans les pires conditions. Parce qu’un salarié averti en vaut deux et qu’il va probablement éviter les faux pas.
A l’hôtel Cosmos de Contrexéville, on a les pieds sur terre. En octobre dernier, Frédéric Thévenet, le directeur de cet établissement du groupe Partouche confronté depuis quelque temps à des difficultés financières, a réussi à réduire ses effectifs de douze personnes en quelques jours. Sans cris, sans larmes et sans licenciements. Un véritable artiste de la négociation sociale, ce Thévenet ! Mais, surtout, un lecteur attentif du «Journal officiel». Car il fait partie des premiers patrons à avoir découvert l’intérêt de «la rupture conventionnelle du contrat de travail», un nouveau mode de séparation entre un employeur et un salarié. Imaginé en début d’année dernière par les partenaires sociaux, ce divorce professionnel à l’amiable a été entériné par une loi du 25 juin 2008.
A la fin de l’automne, plus de 6 000 ruptures de ce type avaient déjà été recensées en France. Bien sûr, cela représente à peine 2% des licenciements (hors économiques) enregistrés durant la même période, mais le succès de la formule est néanmoins impressionnant. Il faut dire qu’elle était très attendue. Jusqu’ici, pour rompre un contrat à durée indéterminée, il n’y avait pas trente-six solutions. Soit le salarié voulait quitter son entreprise et il ne pouvait que démissionner, ce qui évidemment ne lui ouvrait pas droit aux allocations chômage. Soit c’est l’employeur qui prenait l’initiative de la séparation et il devait licencier le collaborateur. Dans ce cas, même si les deux parties s’accordaient d’emblée sur le principe et les modalités de départ (date, indemnités…), il fallait tout de même en passer par la procédure de licenciement pour motif personnel. C’est-à-dire déterminer un motif «réel et sérieux» de rupture, s’envoyer des lettres recommandées, échanger des arguments… Bref, se disputer. Faute de quoi les Assédic pouvaient crier au licenciement arrangé et rechigner à indemniser le nouveau chômeur. «Pour sauver les apparences, il fallait inventer des fautes bidon», note Evelyn Bledniak, avocate au cabinet Atlantes. Humiliant pour le salarié et compliqué pour l’employeur.
Entre le premier entretien et le départ, à peine plus d’un mois
Le nouveau dispositif brille au contraire par sa simplicité… à condition de prendre certaines précautions. Sinon, c’est le retour assuré à la case prud'hommes. D’abord, l’initiative peut venir indifféremment de l’entreprise ou de l’employé. Un entretien est certes prévu mais il est sans chichi : pas de lettre de convocation à expédier, pas de délai à respecter, ni de motif à développer par écrit. Si les deux parties se mettent d’accord sur les modalités, il leur suffit de remplir un formulaire type, téléchargeable sur le site du ministère du Travail (www.travail-solidarite.gouv.fr à la rubrique «formulaires»). Une fois cette «convention» cosignée, on laisse passer un délai de quinze jours, pendant lequel l’un ou l’autre a la possibilité de se rétracter. Puis on envoie le document à la direction départementale du travail, qui a, elle aussi, quinze jours pour l’homologuer (ce qu’elle fait sans barguigner dans trois cas sur quatre). L’absence de réponse de l’administration valant assentiment, le tour est joué en à peine plus d’un mois. Contre deux à quatre mois, grand minimum, pour un licenciement classique.
Plus rapide, le départ à l’amiable est aussi plus économique. Car, à moins de pouvoir prouver que le salarié a commis une faute grave ou lourde, le licenciement coûte cher. Outre les indemnités prévues par la convention collective, l’entreprise doit, même s’il n’est pas effectué, payer le préavis (trois mois, et parfois six mois au-delà de 50 ans, pour les cadres). Et, en cas de licenciement avec transaction (seule à même de clore définitivement l’affaire sans recours possible devant les tribunaux), une indemnité supplémentaire de dommages et intérêts doit être négociée. La rupture à l’amiable, elle, est low-cost : pas de préavis et une indemnité qui peut se résumer au montant prévu par le Code du travail en cas de rupture d’un CDI, c’est-à-dire un cinquième du salaire mensuel par année d’ancienneté, et un tiers au-delà de dix ans. Soit, pour un salarié présent depuis dix ans dans l’entreprise, par exemple, l’équivalent de deux mois de rémunération.
Rapide, facile et pas trop cher, le nouveau dispositif serait-il parfait ? Non, car il comporte un risque juridique, répondent les avocats, échaudés par le fiasco du CNE. Institué par le gouvernement Villepin en 2005, ce contrat nouvelle embauche devait permettre de se séparer d’un collaborateur au cours des deux premières années sans avoir à justifier d’un motif. Mais les tribunaux n’avaient pas suivi et de nombreux employeurs s’étaient retrouvés coincés dans des CDI classiques. «Les chefs d’entreprise qui croient que la rupture à l’amiable les met à l’abri d’un procès font, à mon sens, une grave erreur, souligne Antoine Grou, avocat en droit social. Car, pendant un an, le salarié a tout loisir de demander l’annulation de la convention, en arguant qu’il a été harcelé pour signer.» Une contestation sur la forme qui pourrait avoir des conséquences très lourdes. Patricia Talimi, du cabinet d’avocats PDGB Paris, soulève en effet un lièvre : «Si la rupture est invalidée, les tribunaux ne pourront pas se prononcer sur la licéité du motif puisque la convention n’en mentionne pas. L’employeur sera donc automatiquement condamné pour licenciement abusif», prévient-elle. La sanction : entre six mois et vingt-quatre mois de dommages et intérêts en fonction de l’âge, de l’ancienneté et de la situation personnelle du salarié.
Comment éviter ce risque ? Soit, à l’instar de nombreuses grandes entreprises, en renonçant à utiliser le dispositif tant que les choses ne sont pas éclaircies. Soit en prenant mille précautions. Supposons, par exemple, que vous ne soyez plus satisfait d’un de vos collaborateurs, mais que la liste de vos griefs tienne sur un Post-it. Proposer une rupture à l’amiable est tentant. Mais très risqué. Car, s’il refuse, vous voilà piégé. Vous avez sur les bras quelqu’un de démotivé et, surtout, si vous décidez de vous rabattre, quitte à prendre le temps de constituer un dossier, sur un licenciement en bonne et due forme, vous allez l’aborder dans les pires conditions. Parce qu’un salarié averti en vaut deux et qu’il va probablement éviter les faux pas.
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