Les coups tordus de l’« aide publique au développement »
vendredi 30 janvier 2009, par jet
En jargon techno-diplomatique, on l’appelle « APD » pour Aide publique au développement — ou encore « ODA », Official Development Assistance. C’est l’obole que versent les pays riches au reste de la planète sous développée. Une somme débloquée par un club très prisé de 22 pays industrialisés, membres de l’OCDE. Destinataires : 152 pays, dont les 77 plus pauvres et les principales nations émergentes d’Asie et d’Amérique latine. Chaque opération, pour être comptabilisée dans l’APD, « doit avoir pour but essentiel de favoriser le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des pays bénéficiaires de l’aide ».
Tous les ans, début avril, coiffé par l’Organisation pour le commerce et le développement économique (OCDE), le « club des 22 » divulgue ses chiffres. Chaque pays jongle pour les faire parler à sa guise. « La France respecte la parole donnée aux pays en développement », « La France se place au troisième rang des pays donateurs », « La France confirme l’Afrique comme zone d’intervention prioritaire », etc., disait-on au quai d’Orsay le 4 avril 2008.
Seuls les travaux minutieux de chercheurs indépendants, d’associations ou d’ONG comme Survie ou Coordination Sud [1], permettent de relativiser cet excès de générosité. Finalement, Survie estime que seulement 10% de l’aide bilatérale française (soit environ 4% de l’APD totale) est consacrée aux secteurs de base comme l’éducation, la santé ou l’adduction d’eau dans les villages. Et les pays les moins avancés ne reçoivent qu’entre 15% et 20% de l’aide totale. Mais cela n’empêche pas la France de s’auto-congratuler sur ses largesses désintéressées [2] et de présenter un tableau toujours flatteur...
Dans les 22 pays riches impliqués dans ce programme, après 8 ans de hausse, le montant de l’APD a reculé de 5,1 % en 2006, et de 8% en 2007 — ça pesait en gros 104 milliards de dollars [3]. En 2007, les chiffres officiels disent que la France a octroyé une aide totale de 9,94 milliards de dollars (7,8 Md€). C’est en effet le 3ème pays donateur, après les Etats-Unis (21,7 Md$) et l’Allemagne (12,3 Md$). Troisième en valeur absolue, pas en terme de progression : entre 2006 et 2007, la belle générosité tricolore s’est effritée de 6%. Et encore : cette évolution cache un artifice comptable plutôt déloyal, à cause du taux de change. Grâce à la chute du cours de dollar, il n’y a pas que le pétrole brut qui coûte moins cher dans la zone euro. Résultat : si l’on compare l’évolution de l’APD française sur la base du taux de change moyen de 2006, la chute n’est pas de 6% mais de... 15,9% !
Quant à la « parole donnée aux pays en développement », c’est du beau blabla diplomatique. Car en 2000, en signant les « Objectifs de Développement du Millénaire », les grands de ce monde se sont engagés, la main sur le coeur, à consacrer une part conséquente (0,7% de leur « revenu national brut »), et toujours en augmentation, de leur APD. Fixé d’abord à 2012, ce seuil de 0,7% a été repoussé en France à 2015 par un président Sarkozy, qui, au lendemain de son élection, chantait les louanges de la France généreuse au service de « tous les opprimés du monde »...
Bilan, selon le rapport d’Henri Emmanuelli (PS), remis en octobre 2007 au nom de la commission des finances de l’Assemblée : en un an cette part a baissé (de 0,47% à 0,42%), et fera de même en 2008 (0,40%). Dans l’OCDE, même tendance : en 2007, ce seuil est passé de 0,28% à 0,31%. Seuls la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont déjà atteint cet objectif de 0,7.
Selon la fédération d’ONG européennes Concord Europe, très affutée sur cette question, si l’on s’en tient à la tendance de la « générosité » actuelle des seuls pays de l’Union européenne, entre 2005 et 2010 ils s’apprêtent à distribuer 75 milliards d’euros en moins qu’ils ne l’avaient promis. 75 énormes patates qui restent dans la même poche ! C’est ballot...
L’APD, en creusant un peu, recèle quelques surprises. Comme les annulations de dettes publiques. C’est tendance au pays des nantis. En France elles représentaient 34% de l’APD en 2006, contre seulement 12% en 2000. « Le redressement des dépenses d’APD entre 2001 et 2006 s’explique en grande partie par l’augmentation très importante du volume des annulations de dette ». Pire : on découvre que ces abandons de créances comptabilisées sur une année sont des sommes « promises », non réalisées.
« En 2007, le Gouvernement a gonflé le montant de l’APD annoncé en incluant des prévisions d’annulations très optimistes », tranche le rapport d’Henri Emmanuelli. « Cela pourrait à nouveau être le cas en 2008 ». Et ça repousse encore plus les promesses de l’an 2000 : « Ce recul nous éloigne d’autant plus de l’objectif de 0,7 %, fusse en 2015, que le programme PPTE (pays pauvres très endettés) tire sur sa fin et qu’il sera extrêmement difficile de remplacer des annulations de dettes par de véritables dépenses budgétaires compte tenu de l’état de nos finances publiques. »
Surtout que par « dette », on y met un peu ce qu’on veut... Les critères de l’OCDE permettent de compter en ADP les « dettes commerciales non militaires et [les] échéances d’intérêts de prêts ». Mais allez vérifier que tel prêt garanti par l’Etat il y a des années n’ait jamais servi à acheter des armes... Bilan : cela sert avant tout les intérêts des firmes occidentales. Explication : la plupart de ces « créances commerciales » sont déjà garanties par l’Etat donateur ; en France, cela passe par la Coface, une sorte d’« assureur à l’exportation ».
Montant de ces prêts Coface annulés que la France doit déclarer en 2008 : 655 millions d’euros. Emmanuelli ne lâche pas le morceau : « Ces dettes [Coface] proviennent en grande partie d’une politique systématique de soutien à l’exportation et à l’investissement des entreprises françaises dans certains pays en développement. L’État a ainsi alourdi la dette publique des pays destinataires [avec] des projets commerciaux et non des projets de développement ». Bref, annuler une créance n’apporte aucune ressource nouvelle au pays bénéficiaire, et donc à ses populations. C’est pourquoi les ONG demandent depuis des lustres à ce que ces annulations de dettes ne soient plus comptabilisées dans l’APD. Cause toujours...
vendredi 30 janvier 2009, par jet
En jargon techno-diplomatique, on l’appelle « APD » pour Aide publique au développement — ou encore « ODA », Official Development Assistance. C’est l’obole que versent les pays riches au reste de la planète sous développée. Une somme débloquée par un club très prisé de 22 pays industrialisés, membres de l’OCDE. Destinataires : 152 pays, dont les 77 plus pauvres et les principales nations émergentes d’Asie et d’Amérique latine. Chaque opération, pour être comptabilisée dans l’APD, « doit avoir pour but essentiel de favoriser le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des pays bénéficiaires de l’aide ».
Tous les ans, début avril, coiffé par l’Organisation pour le commerce et le développement économique (OCDE), le « club des 22 » divulgue ses chiffres. Chaque pays jongle pour les faire parler à sa guise. « La France respecte la parole donnée aux pays en développement », « La France se place au troisième rang des pays donateurs », « La France confirme l’Afrique comme zone d’intervention prioritaire », etc., disait-on au quai d’Orsay le 4 avril 2008.
Seuls les travaux minutieux de chercheurs indépendants, d’associations ou d’ONG comme Survie ou Coordination Sud [1], permettent de relativiser cet excès de générosité. Finalement, Survie estime que seulement 10% de l’aide bilatérale française (soit environ 4% de l’APD totale) est consacrée aux secteurs de base comme l’éducation, la santé ou l’adduction d’eau dans les villages. Et les pays les moins avancés ne reçoivent qu’entre 15% et 20% de l’aide totale. Mais cela n’empêche pas la France de s’auto-congratuler sur ses largesses désintéressées [2] et de présenter un tableau toujours flatteur...
La grande illusion
Dans les 22 pays riches impliqués dans ce programme, après 8 ans de hausse, le montant de l’APD a reculé de 5,1 % en 2006, et de 8% en 2007 — ça pesait en gros 104 milliards de dollars [3]. En 2007, les chiffres officiels disent que la France a octroyé une aide totale de 9,94 milliards de dollars (7,8 Md€). C’est en effet le 3ème pays donateur, après les Etats-Unis (21,7 Md$) et l’Allemagne (12,3 Md$). Troisième en valeur absolue, pas en terme de progression : entre 2006 et 2007, la belle générosité tricolore s’est effritée de 6%. Et encore : cette évolution cache un artifice comptable plutôt déloyal, à cause du taux de change. Grâce à la chute du cours de dollar, il n’y a pas que le pétrole brut qui coûte moins cher dans la zone euro. Résultat : si l’on compare l’évolution de l’APD française sur la base du taux de change moyen de 2006, la chute n’est pas de 6% mais de... 15,9% !
Promesses bidon
Quant à la « parole donnée aux pays en développement », c’est du beau blabla diplomatique. Car en 2000, en signant les « Objectifs de Développement du Millénaire », les grands de ce monde se sont engagés, la main sur le coeur, à consacrer une part conséquente (0,7% de leur « revenu national brut »), et toujours en augmentation, de leur APD. Fixé d’abord à 2012, ce seuil de 0,7% a été repoussé en France à 2015 par un président Sarkozy, qui, au lendemain de son élection, chantait les louanges de la France généreuse au service de « tous les opprimés du monde »...
Bilan, selon le rapport d’Henri Emmanuelli (PS), remis en octobre 2007 au nom de la commission des finances de l’Assemblée : en un an cette part a baissé (de 0,47% à 0,42%), et fera de même en 2008 (0,40%). Dans l’OCDE, même tendance : en 2007, ce seuil est passé de 0,28% à 0,31%. Seuls la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont déjà atteint cet objectif de 0,7.
Selon la fédération d’ONG européennes Concord Europe, très affutée sur cette question, si l’on s’en tient à la tendance de la « générosité » actuelle des seuls pays de l’Union européenne, entre 2005 et 2010 ils s’apprêtent à distribuer 75 milliards d’euros en moins qu’ils ne l’avaient promis. 75 énormes patates qui restent dans la même poche ! C’est ballot...
Constats du rapport 2008 :
Un an plus tard, le rapport Emmanuelli pour la loi de finances 2009 n’est pas tendre non plus :
Un an plus tard, le rapport Emmanuelli pour la loi de finances 2009 n’est pas tendre non plus :
- Les chiffres de l’APD exhibés dans le budget « ne tiennent pas compte des recommandations (...) de l’OCDE » ; elles « couvrent un champ beaucoup plus large » ; « s’ajoutent les engagements de l’AFD, les prêts de la réserve pays émergents (RPE), les prêts de refinancement des contrats de désendettement et de développement, certaines annulations de dettes, mais également la comptabilisation a posteriori de dépenses [comme] les dépenses d’accueil des réfugiés, les dépenses d’accueil des étudiants étrangers ou encore le budget de certains organismes de recherche ».
- En valeur absolue, c’est en baisse : « en 2008, les dépenses d’APD ne devraient atteindre finalement que 7,3 milliards d’euros, soit 0,37 % du revenu national brut (RNB), alors que l’an dernier, le Gouvernement avait annoncé des dépenses pour 2008 s’élevant à 8,8 milliards d’euros et 0,45 % du RNB. Cet affichage visait à faire croire à l’intention de la France de respecter son engagement international » ;
- La recession, bel alibi : « En période de crise budgétaire et financière, l’APD a servi de variable d’ajustement (sic). Pour respecter l’objectif de 0,7 % en 2015, c’est 1,5 milliard d’euros supplémentaire qui devrait être mobilisé chaque année jusqu’en 2015. Or, la programmation pluriannuelle montre qu’en 2010, les dépenses d’APD vont chuter en raison de la diminution des allègements de dette. »
- Le rapporteur souligne enfin que « l’aide aux pays les moins avancés (PMA) [est] sacrifiée ». Les crédits de paiement passent de 670 millions d’euros en 2008 à 592 millions en 2009 (–12 %), et les autorisations d’engagement de 765 à 526 millions d’euros (–45 %). Les populations seront ravies d’apprendre que cela profite à la Libye du colonel Kadhafi, le nouvel ami du président Sarkozy : « dans ce contexte de pénurie des crédits pour l’aide-projet, votre Rapporteur spécial souligne que l’AFD devra financer un don de 30 millions d’euros pour le financement de l’équipement du nouvel hôpital de Benghazi en Libye, à la demande de l’État, alors que la Libye ne fait pas partie de la zone de solidarité prioritaire, ni du champ d’intervention de l’AFD. »
- Benghazi, c’est précisément l’hôpital où exercaient les infirmières libérées l’an dernier, signal du réchauffement entre Paris et Tripoli. La rançon était donc d’au moins 30 millions d’euros — ah pardon, il s’agit d’un « don » (cf l’article paru dans Siné Hebdo le 21 janvier (et reproduit ici).
La dette a bon dos
L’APD, en creusant un peu, recèle quelques surprises. Comme les annulations de dettes publiques. C’est tendance au pays des nantis. En France elles représentaient 34% de l’APD en 2006, contre seulement 12% en 2000. « Le redressement des dépenses d’APD entre 2001 et 2006 s’explique en grande partie par l’augmentation très importante du volume des annulations de dette ». Pire : on découvre que ces abandons de créances comptabilisées sur une année sont des sommes « promises », non réalisées.
« En 2007, le Gouvernement a gonflé le montant de l’APD annoncé en incluant des prévisions d’annulations très optimistes », tranche le rapport d’Henri Emmanuelli. « Cela pourrait à nouveau être le cas en 2008 ». Et ça repousse encore plus les promesses de l’an 2000 : « Ce recul nous éloigne d’autant plus de l’objectif de 0,7 %, fusse en 2015, que le programme PPTE (pays pauvres très endettés) tire sur sa fin et qu’il sera extrêmement difficile de remplacer des annulations de dettes par de véritables dépenses budgétaires compte tenu de l’état de nos finances publiques. »
Constat du rapport 2008 :
- Pas de surprise. La loi de finances prévoit en effet une « augmentation des annulations de dette, qui passent de 729 millions à 2 443 millions d’euros, soit plus du triple ». « Cet artifice permet de gonfler les statistiques annoncées de l’APD, pouvant faire croire à une augmentation de l’effort français alors qu’il n’en est rien. »
Soutien aux exportateurs... français
Surtout que par « dette », on y met un peu ce qu’on veut... Les critères de l’OCDE permettent de compter en ADP les « dettes commerciales non militaires et [les] échéances d’intérêts de prêts ». Mais allez vérifier que tel prêt garanti par l’Etat il y a des années n’ait jamais servi à acheter des armes... Bilan : cela sert avant tout les intérêts des firmes occidentales. Explication : la plupart de ces « créances commerciales » sont déjà garanties par l’Etat donateur ; en France, cela passe par la Coface, une sorte d’« assureur à l’exportation ».
Montant de ces prêts Coface annulés que la France doit déclarer en 2008 : 655 millions d’euros. Emmanuelli ne lâche pas le morceau : « Ces dettes [Coface] proviennent en grande partie d’une politique systématique de soutien à l’exportation et à l’investissement des entreprises françaises dans certains pays en développement. L’État a ainsi alourdi la dette publique des pays destinataires [avec] des projets commerciaux et non des projets de développement ». Bref, annuler une créance n’apporte aucune ressource nouvelle au pays bénéficiaire, et donc à ses populations. C’est pourquoi les ONG demandent depuis des lustres à ce que ces annulations de dettes ne soient plus comptabilisées dans l’APD. Cause toujours...
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