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Récit. Good morning Gaza

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    Propos recueillis par Ayla Mrabet
    Récit. Good morning Gaza


    Mourad Borja, photographe et directeur de l'agence AIC press, a passé près de dix jours aux frontières du territoire palestinien, à quelques mètres des bombardements. Témoignage.


    “Le 13 janvier à 23h35, je me suis envolé vers Le Caire, mes questionnements et mes appareils photo sous le bras. Je comptais, avec une délégation du Centre de Doha pour la liberté d'information, traverser la bande de Gaza et voir, de mes propres yeux, ce bout de terre ravagé par l'injustice et les bombes. Bien sûr, le but premier de

    cette mission était de faire parvenir gilets pare-balles, trousses de première urgence, appareils photo, clés usb et autres fournitures aux journalistes palestiniens. Toutes ces munitions pour la liberté de presse sont arrivées à bon port, dit-on, mais aucun des 17 journalistes, dont j'ai fait partie, n'a pu accéder à la bande de Gaza. J'ai passé onze jours à Rafah, entre le souffle des bombes, les frontières égyptiennes et palestiniennes, le va-et-vient des ambulances, des corps, et de l'impuissance générale.

    A mon arrivée au Caire, vers 8 heures du matin, j'ai loué une voiture en partance pour le poste-frontière de Rafah. 400 km de route pour arriver aux frontières la ville. A quoi ressemble Rafah ? Un peu à Tindouf, un peu à Oujda. Une ville cassée en deux, étiolée entre l'Egypte et la Palestine, une bourgade qui bourdonne et tremble à chaque assaut, qui bourgeonne de militaires et de représentants de l'autorité égyptienne, des “Moukhabarate”, son service des renseignements. Rafah, ce sont aussi des milliers de familles laissées pour compte, qui regardent ceux d'en face exploser. Elles vivent, au nord du Sinaï, de petits commerces et de contrebande, acheminés sous terre par des tunnels, creusés par les jeunes des deux bords.

    Des tunnels visés par les bombardements aériens d'Israël, qui savent exactement où ils se trouvent, et ne veulent pas laisser passer d'hypothétiques armes. Les familles guettent, observent les missiles et comptent les tunnels qui fument. Certains pleurent, d'autres rient. Parce qu'ils n'ont pas encore récupéré l'argent de l'autre côté et qu'ils ne le récupéreront plus, ou parce qu'ils ont, justement, tout gardé. Parfois, les détonations sont encore plus proches. Elles perforent leurs toits, abattent sur leurs têtes des souvenirs métalliques dont ils pourraient se passer. J'ai vu un, deux, trois foyers saccagés, des enfants qui brandissent des bribes d'obus, à même le territoire égyptien. Pourtant, personne n'en parle, personne ne fait rien. Surtout pas les autorités égyptiennes.

    A Rafah, les anges ne volent pas
    J'ai passé mes quatre premiers jours à courir, vociférer - et Dieu sait si je sais le faire - pour pouvoir accéder au territoire palestinien. Sans résultat, ou presque. J'ai tout de même obtenu un document officiel de l'ambassade du Maroc au Caire, qui me donnait le droit d'entrer dans la zone assaillie, en soulignant bien que j'étais conscient de mes actes et des risques que j'encourais. J'ai senti, pour la première fois de ma vie, que j'étais soutenu par l'ambassade de mon pays, surtout que les autres journalistes, munis de passeports français et américains, n'ont eu aucun feu vert de la part de leurs légations. Sauf qu'avoir un laissez-passer ne sert à rien, ou presque. Il faut monnayer son entrée. Et être, disons, assez fortuné. Lorsque j'ai remis le document à l'un des responsables égyptiens sur place, il n'a rien fait pour cacher son étonnement. Et l'a même teinté d'ironie. “On dirait qu'on ne veut plus de vous chez vous”, m'a-t-il lancé. Je l'ai bien pris. A cause de son accent, peut-être.

    Seuls les équipements médicaux, les infirmiers, médecins et ambulanciers, ont le droit de pénétrer dans la bande de Gaza. Mon laissez-passer en main, ou plutôt dans la poche, j'ai essayé de trouver n'importe quel moyen pour entrer. Pour arriver aux frontières, infranchissables, on m'a confisqué, comme à tous les journalistes présents, mon passeport et ma carte de presse. Zigzagant entre la quarantaine d'ambulances à l'entrée du pont de Rafah, j'ai vite compris que la corruption était peut-être la seule bataille à être de bonne guerre dans le coin. Un responsable palestinien m'a accueilli, chapelet entre les doigts, discours officiel aux lèvres. Rien de très percutant, sinon que je n'ai toujours pas le droit d'entrer. J'ai très vite compris qu'un passeport vert, un passeport arabe en général, signifiait la mort. J'ai senti qu'une vie arabe n'avait aucun poids, aucune signification, aucune valeur, pour les Israéliens comme pour les autorités égyptiennes et palestiniennes présentes sur le territoire d'entre-deux, la zone militaire où nous, journalistes et médecins, étions entassés.

    Bakchich me if you can
    La corruption régit tous les transferts. Que ce soit pour le journaliste qui veut entrer, ou pour les blessés à faire sortir. Il faut payer pour dégager les personnes blessées, monnayer son envie de sauver des vies. Il ne me restait plus qu'à soudoyer un ambulancier ou quiconque qui puisse me faire passer à Gaza, quitte à débourser entre 700 et 1000 euros pour chaque tentative, au risque d'être intercepté lors d'un contrôle israélien. Sans compter qu'il faut payer le prix fort pour se procurer un gilet de la Croix-Rouge et autres subterfuges pour éviter les soupçons. Cet argent, je l'ai donné à un éclaireur, pour qu'il tâte le terrain et revienne avec une réponse sur mes possibilités d'accès. De l'argent déboursé à l'aveuglette, sans savoir si le guide reviendrait ou pas, ni quand il reviendrait. Le mien est revenu deux ou trois jours plus tard. Avec une réponse négative. Le danger était trop grand, trop près, les chars israéliens bombardaient à 150 mètres de Rafah.

    Je me suis donc résigné à ne voir de Gaza que sa fumée, à recueillir les témoignages des exilés de force, à compter les linceuls vides à l'aller, remplis de cadavres au retour. J'ai vu les médecins bénévoles soudanais, qui priaient Dieu dans le véhicule les menant au cœur des bombardements, les aides humanitaires et médicales acheminées dans des ambulances “publicitaires”, les gens bloqués aux frontières qui attendaient leur ambassadeur pour pouvoir être en territoire égyptien, l'arrivée des aides marocaines et les reproches palestiniens que le Maroc n'ait accueilli que sept blessés. J'ai vu la propagande pro-Moubarak à l'entrée de Rafah, pour essayer de valoriser le travail des autorités égyptiennes. Le cessez-le-feu a été annoncé neuf jours après mon arrivée. Mes derniers jours sur le territoire égyptien, je les ai passés d'ambassade en ambassade, cherchant un moyen d'aller aux sommets des pays arabes, tenus à Doha et au Koweït. La mission était presque aussi impossible que d'entrer dans la bande de Gaza. J'ai donc rebroussé chemin, mes appareils photo sous le bras, encore une fois. Retour à Casablanca, où j'ai rangé mes questionnements et une partie des réponses trouvées sur place.”

    © 2008 TelQuel Magazine.
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