PHÉNOMÈNE DES HARRAGA
Algérie, ne laisse pas tes enfants te fuir!
-
«Vous avez une main-d’oeuvre qui ne demande qu’à être formée, nous avons beaucoup d’intelligence et beaucoup de formation. (...) Ensemble, avec votre main-d’oeuvre, avec nos écoles, nos universités, avec ce que nous échangerons, nous pouvons créer un modèle qui triomphera dans le monde entier.»
Président Sarkozy, le 29 avril 2008 à Tunis
«La conjugaison, écrit René Naba, de la main-d’oeuvre arabe et de l’intelli-gence française, constitue une variation sur le thème récurrent de la pensée subliminale française, la traduction du rêve extatique d’une fraction de la population française depuis plusieurs générations qui se résume par cette formule lapidaire mais hautement expressive: "Faire suer le burnous".»(1)
Voilà pour la bonne main-d’oeuvre «choisie». Qu’en est-il de l’autre? L’indésirable, la subie? Dans l’une de ses multiples déclarations concernant l’immigration, le président Sarkozy déclarait il y a un an, le 8 janvier 2008: «J’ai demandé à Brice Hortefeux (...) d’aller jusqu’au bout d’une politique fondée sur des quotas. Cela fait trop longtemps qu’on en parle. Tout le monde sait que c’est la seule solution. Eh bien, il faut franchir le pas, et arrêter de vouloir protéger les uns, ne pas choquer les autres. Avec cela, on n’a que des problèmes». On le voit: rien ne doit se mettre en travers de la xénophobie d’État décomplexée. Puisque l’on entend trier aux frontières entre noirs, marrons, jaunes ou verts, on ne va pas se laisser embêter par une vieillerie aussi dépassée que la Déclaration des droits de l’Homme. Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, constatait ainsi dans le quotidien 20 minutes: «Changer de Constitution pour y inscrire les quotas, contraires au principe d’égalité entre les hommes, revient à remettre en cause des valeurs sur lesquelles repose la société française depuis 1789. Cela n’est jamais arrivé: ce serait la première fois dans l’histoire politique française depuis cette date.»
Un phénomène planétaire
Il n’empêche que la France donne «l’exemple» à l’Europe par cette politique du chiffre qui consiste à débusquer avec des contrôles ciblés les harraga qui ont pu, d’une façon ou d’une autre, vaincre la mer. Il vient que la forteresse Europe, véritable miroir aux alouettes pour les jeunes du Sud, se barricade plus que jamais. Notamment depuis une certaine Directive de la Honte sous la houlette du commissaire européen portugais qui, décidément, a la mémoire courte: il ne se souvient pas que ses aînés anciens immigrés dans le bas de l’échelle, étaient appelés, dit-on -suprême injure- les Arabes de l’Europe! Cette Europe qui a mis en place le Sives qui permet de surveiller les côtes espagnoles de Ceuta et Mellila et qui permet de les voir, aussitôt qu’elles quittent l’Afrique. Cette Europe qui met en place une marine et une aviation de guerre Frontex pour repérer à l’avance les embarcations maudites et les rediriger sur leur pays d’origine. Cette Europe, qui sponsorise dans certains pays d’Afrique du Nord des camps de rétention, sous-traitant ainsi sa sale besogne pour venir choisir sur place ceux qui ont le meilleur génome, le meilleur diplôme, ce qui n’est pas sans nous rappeler les négriers qui choisissaient ceux qui avaient la meilleure dentition.(2)
Il faut savoir par exemple, que la minuscule île de Malte a laissé se noyer sous les yeux de sa marine des harraga sans leur porter secours! Dans ces conditions, combien même le candidat arrive au prix de mille dangers à accoster, il est immédiatement arrêté, mis dans un centre de rétention en attendant son renvoi.
Qu’est-ce qu’un harraga? Mot originaire de l’arabe maghrébin harrâg, ´´qui brûlent´´ (les papiers) migrant clandestin qui prend la mer depuis l’Afrique du Nord. Ce phénomène que l’on peut qualifier de planétaire existe de ce fait sous d’autres cieux, notamment entre le Mexique et les Etats-Unis avec la séparation du Rio Grande. Les migrations se sont toujours produites depuis la nuit des temps. Cependant, elles ne concernaient pas des mouvements d’individus d’une façon aussi importante, aussi fréquente et nouvelle que la migration par la mer vers l’Europe. S’il ne faut pas imputer exclusivement tout aux puissances européennes qui ont rendu exsangues les économies des anciennes colonies quand le mouvement de décolonisation du début des années soixante était inévitable, force est de constater que ces décolonisations furent pour la plupart, bâclées! On se souvient de la pertinente phrase d’Aimé Césaire: «La lutte pour l’indépendance: c’est l’épopée, l’indépendance acquise, c’est la tragédie!» Résultat des courses, les gouvernants des pays indépendants, pour la plupart, adoubés par les anciennes puissances qui y placent leurs relais, furent incapables d’offrir une alternative à leur jeunesse!
On comprend sans peine le désespoir de ces migrants qui font des milliers de km pour venir, pour certains, du fond de l’Afrique, mourir d’une façon tragique, noyés et restant sans sépulture ou encore enterrés d’une façon anonyme parce que rejetés sur une plage. On se souvient avec colère et impuissance de l’image de cette harraga gisant sur une plage espagnole, couverte d’un carton, pendant que des jeunes filles et garçons s’ébattaient dans l’eau à quelques mètres de là. Non, le monde n’est pas juste. Un article de Florence Beaugé décrit plus que mille discours la tragédie. La journaliste fait parler un harraga, un dénommé Kamel Belabed. Ecoutons sa détresse qui...chaque fois qu’il apprend qu’en Espagne ou en Italie, on a incinéré des corps d’inconnus retrouvés sur une plage sans pratiquer des tests ADN, se dit avec amertume: «Voilà encore des familles qui ne pourront jamais faire leur deuil.» Il se désespère qu’on parle tous les jours, dans ces conditions, de coopération méditerranéenne. Son voeu le plus cher? «Qu’on commence par donner un visage humain à cette Union pour la Méditerranée dont on nous parle tant!»(3)
Mais me dira-t-on pourquoi l’Algérie est touchée elle aussi par ce phénomène qui a pris de l’ampleur depuis quelques années, à tel point que le pouvoir a mis en place un dispositif judiciaire tentant d’endiguer cette fuite. Les harraga risquent deux à six mois de prison et une amende allant de 20.000 à 60.000DA. C’est ce que recommande l’avant-projet de loi modifiant et complétant l’ordonnance n°66 du 8 juin 1996 portant Code pénal. Entre les griffes de la prison et les dents de la mer, les harraga «s’offrent» une troisième alternative. L’Etat leur a accordé le choix de ne pas passer en prison. Parallèlement, le ministère de la Justice a proposé un avant-projet de loi portant l’insertion du travail d’intérêt général, non rémunéré, comme peine de substitution à celle de l’emprisonnement. Il faut savoir en effet que «de janvier à octobre 2008, les Forces navales algériennes ont intercepté, dans le cadre de la lutte contre l’émigration clandestine, 1533 émigrants clandestins. Durant l’année 2007, 1530 harraga ont été interceptés, dont 1485 Algériens. En 2006, pas moins de 1016 personnes ont été arrêtées contre 335 harraga et 29 corps repêchés en 2005. Ces statistiques indiquent clairement que le nombre des harraga enregistre une courbe ascendante».(4)
Le jugement des harraga est illégal» clame Me Benbraham au forum d’El Moudjahid, lors d’une conférence sur le thème des harraga. L’avocate Fatima-Zohra Benbraham a jugé «scandaleux» le fait de condamner les jeunes harraga à des peines de prison ferme. Le phénomène des harraga n’est pas correctement pris en charge. «Quel crime ont-ils commis? Au lieu de sanctionner, il faudrait essayer de comprendre les sources du mal», estime Me Benbraham. Les harraga devraient, selon elle, être considérés comme des victimes et non pas des criminels. «Cet enfant qui avait 10 ans en 1992, qu’a-t-il vu, qu’a-t-il entendu? La politique de l’enseignement n’a pas été convenablement orientée. La fermeture d’usines a entraîné le chômage. Nous sommes en pleine phase de paupérisation. Et quand on devient très pauvre, tout est permis pour survivre», affirme-t-elle. Et d’ajouter: «Pour ces jeunes, il y a généralement trois options. Ils ont le choix entre le terrorisme, le crime organisé et la prostitution. Mais il y a des jeunes qui, malgré la misère, préfèrent garder leur honneur. Pour prétendre à une vie meilleure, ils ont choisi la harga. Ils n’ont fait aucun mal à leur pays.» Cheikh Chemseddine a estimé que la «hogra» et la harga sont intimement liés. En réponse aux «fetwas» contre les harraga, il affirme: «Ce jeune qui a bravé les dangers de la mer n’a rien du profil du suicidaire. Au contraire, il s’agit d’une personne qui aspire à la vie.»(5)
à suivre...
Algérie, ne laisse pas tes enfants te fuir!
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«Vous avez une main-d’oeuvre qui ne demande qu’à être formée, nous avons beaucoup d’intelligence et beaucoup de formation. (...) Ensemble, avec votre main-d’oeuvre, avec nos écoles, nos universités, avec ce que nous échangerons, nous pouvons créer un modèle qui triomphera dans le monde entier.»
Président Sarkozy, le 29 avril 2008 à Tunis
«La conjugaison, écrit René Naba, de la main-d’oeuvre arabe et de l’intelli-gence française, constitue une variation sur le thème récurrent de la pensée subliminale française, la traduction du rêve extatique d’une fraction de la population française depuis plusieurs générations qui se résume par cette formule lapidaire mais hautement expressive: "Faire suer le burnous".»(1)
Voilà pour la bonne main-d’oeuvre «choisie». Qu’en est-il de l’autre? L’indésirable, la subie? Dans l’une de ses multiples déclarations concernant l’immigration, le président Sarkozy déclarait il y a un an, le 8 janvier 2008: «J’ai demandé à Brice Hortefeux (...) d’aller jusqu’au bout d’une politique fondée sur des quotas. Cela fait trop longtemps qu’on en parle. Tout le monde sait que c’est la seule solution. Eh bien, il faut franchir le pas, et arrêter de vouloir protéger les uns, ne pas choquer les autres. Avec cela, on n’a que des problèmes». On le voit: rien ne doit se mettre en travers de la xénophobie d’État décomplexée. Puisque l’on entend trier aux frontières entre noirs, marrons, jaunes ou verts, on ne va pas se laisser embêter par une vieillerie aussi dépassée que la Déclaration des droits de l’Homme. Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, constatait ainsi dans le quotidien 20 minutes: «Changer de Constitution pour y inscrire les quotas, contraires au principe d’égalité entre les hommes, revient à remettre en cause des valeurs sur lesquelles repose la société française depuis 1789. Cela n’est jamais arrivé: ce serait la première fois dans l’histoire politique française depuis cette date.»
Un phénomène planétaire
Il n’empêche que la France donne «l’exemple» à l’Europe par cette politique du chiffre qui consiste à débusquer avec des contrôles ciblés les harraga qui ont pu, d’une façon ou d’une autre, vaincre la mer. Il vient que la forteresse Europe, véritable miroir aux alouettes pour les jeunes du Sud, se barricade plus que jamais. Notamment depuis une certaine Directive de la Honte sous la houlette du commissaire européen portugais qui, décidément, a la mémoire courte: il ne se souvient pas que ses aînés anciens immigrés dans le bas de l’échelle, étaient appelés, dit-on -suprême injure- les Arabes de l’Europe! Cette Europe qui a mis en place le Sives qui permet de surveiller les côtes espagnoles de Ceuta et Mellila et qui permet de les voir, aussitôt qu’elles quittent l’Afrique. Cette Europe qui met en place une marine et une aviation de guerre Frontex pour repérer à l’avance les embarcations maudites et les rediriger sur leur pays d’origine. Cette Europe, qui sponsorise dans certains pays d’Afrique du Nord des camps de rétention, sous-traitant ainsi sa sale besogne pour venir choisir sur place ceux qui ont le meilleur génome, le meilleur diplôme, ce qui n’est pas sans nous rappeler les négriers qui choisissaient ceux qui avaient la meilleure dentition.(2)
Il faut savoir par exemple, que la minuscule île de Malte a laissé se noyer sous les yeux de sa marine des harraga sans leur porter secours! Dans ces conditions, combien même le candidat arrive au prix de mille dangers à accoster, il est immédiatement arrêté, mis dans un centre de rétention en attendant son renvoi.
Qu’est-ce qu’un harraga? Mot originaire de l’arabe maghrébin harrâg, ´´qui brûlent´´ (les papiers) migrant clandestin qui prend la mer depuis l’Afrique du Nord. Ce phénomène que l’on peut qualifier de planétaire existe de ce fait sous d’autres cieux, notamment entre le Mexique et les Etats-Unis avec la séparation du Rio Grande. Les migrations se sont toujours produites depuis la nuit des temps. Cependant, elles ne concernaient pas des mouvements d’individus d’une façon aussi importante, aussi fréquente et nouvelle que la migration par la mer vers l’Europe. S’il ne faut pas imputer exclusivement tout aux puissances européennes qui ont rendu exsangues les économies des anciennes colonies quand le mouvement de décolonisation du début des années soixante était inévitable, force est de constater que ces décolonisations furent pour la plupart, bâclées! On se souvient de la pertinente phrase d’Aimé Césaire: «La lutte pour l’indépendance: c’est l’épopée, l’indépendance acquise, c’est la tragédie!» Résultat des courses, les gouvernants des pays indépendants, pour la plupart, adoubés par les anciennes puissances qui y placent leurs relais, furent incapables d’offrir une alternative à leur jeunesse!
On comprend sans peine le désespoir de ces migrants qui font des milliers de km pour venir, pour certains, du fond de l’Afrique, mourir d’une façon tragique, noyés et restant sans sépulture ou encore enterrés d’une façon anonyme parce que rejetés sur une plage. On se souvient avec colère et impuissance de l’image de cette harraga gisant sur une plage espagnole, couverte d’un carton, pendant que des jeunes filles et garçons s’ébattaient dans l’eau à quelques mètres de là. Non, le monde n’est pas juste. Un article de Florence Beaugé décrit plus que mille discours la tragédie. La journaliste fait parler un harraga, un dénommé Kamel Belabed. Ecoutons sa détresse qui...chaque fois qu’il apprend qu’en Espagne ou en Italie, on a incinéré des corps d’inconnus retrouvés sur une plage sans pratiquer des tests ADN, se dit avec amertume: «Voilà encore des familles qui ne pourront jamais faire leur deuil.» Il se désespère qu’on parle tous les jours, dans ces conditions, de coopération méditerranéenne. Son voeu le plus cher? «Qu’on commence par donner un visage humain à cette Union pour la Méditerranée dont on nous parle tant!»(3)
Mais me dira-t-on pourquoi l’Algérie est touchée elle aussi par ce phénomène qui a pris de l’ampleur depuis quelques années, à tel point que le pouvoir a mis en place un dispositif judiciaire tentant d’endiguer cette fuite. Les harraga risquent deux à six mois de prison et une amende allant de 20.000 à 60.000DA. C’est ce que recommande l’avant-projet de loi modifiant et complétant l’ordonnance n°66 du 8 juin 1996 portant Code pénal. Entre les griffes de la prison et les dents de la mer, les harraga «s’offrent» une troisième alternative. L’Etat leur a accordé le choix de ne pas passer en prison. Parallèlement, le ministère de la Justice a proposé un avant-projet de loi portant l’insertion du travail d’intérêt général, non rémunéré, comme peine de substitution à celle de l’emprisonnement. Il faut savoir en effet que «de janvier à octobre 2008, les Forces navales algériennes ont intercepté, dans le cadre de la lutte contre l’émigration clandestine, 1533 émigrants clandestins. Durant l’année 2007, 1530 harraga ont été interceptés, dont 1485 Algériens. En 2006, pas moins de 1016 personnes ont été arrêtées contre 335 harraga et 29 corps repêchés en 2005. Ces statistiques indiquent clairement que le nombre des harraga enregistre une courbe ascendante».(4)
Le jugement des harraga est illégal» clame Me Benbraham au forum d’El Moudjahid, lors d’une conférence sur le thème des harraga. L’avocate Fatima-Zohra Benbraham a jugé «scandaleux» le fait de condamner les jeunes harraga à des peines de prison ferme. Le phénomène des harraga n’est pas correctement pris en charge. «Quel crime ont-ils commis? Au lieu de sanctionner, il faudrait essayer de comprendre les sources du mal», estime Me Benbraham. Les harraga devraient, selon elle, être considérés comme des victimes et non pas des criminels. «Cet enfant qui avait 10 ans en 1992, qu’a-t-il vu, qu’a-t-il entendu? La politique de l’enseignement n’a pas été convenablement orientée. La fermeture d’usines a entraîné le chômage. Nous sommes en pleine phase de paupérisation. Et quand on devient très pauvre, tout est permis pour survivre», affirme-t-elle. Et d’ajouter: «Pour ces jeunes, il y a généralement trois options. Ils ont le choix entre le terrorisme, le crime organisé et la prostitution. Mais il y a des jeunes qui, malgré la misère, préfèrent garder leur honneur. Pour prétendre à une vie meilleure, ils ont choisi la harga. Ils n’ont fait aucun mal à leur pays.» Cheikh Chemseddine a estimé que la «hogra» et la harga sont intimement liés. En réponse aux «fetwas» contre les harraga, il affirme: «Ce jeune qui a bravé les dangers de la mer n’a rien du profil du suicidaire. Au contraire, il s’agit d’une personne qui aspire à la vie.»(5)
à suivre...
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