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Face à l’étau israélien, l’anémie des Arabes

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  • Face à l’étau israélien, l’anémie des Arabes

    Réda Benkirane sociologue, Liberation 05/02/09

    Qu’ont fait les Arabes - gouvernements et sociétés civiles confondus - face à l’effroyable opération militaire israélienne «plomb endurci» ? De toute évidence cette nouvelle guerre, a été longuement préparée et s’est déroulée dans la plus grande impunité quand les gouvernements arabes sont restés largement impuissants. Cette guerre a été déclenchée quelques jours seulement après que les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, conduits par Bernard Kouchner (concepteur du «droit d’ingérence humanitaire»), ont ratifié un texte décidant du «rehaussement des relations avec l’Etat d’Israël». Cette complaisance européenne face à une opération jugée «défensive», le soutien américain assorti de la mollesse de la réaction arabe se sont traduits par un carnage de civils (des morts d’enfants par centaines). Il nous faut ici rendre compte d’une sourde et non moins tangible ignominie, celle de la passivité pour ne pas dire de la trahison arabe. «Où sont les Arabes ?» hurlaient des civils ensanglantés de Gaza au milieu des corps déchiquetés et d’immeubles en ruines. Une question lancinante. Un cri primal. Une douleur si ancienne. Combien de fois a-t-il été entendu depuis le siège de Beyrouth (1982) ?
    Face à la démesure des actions israéliennes, qu’est-ce qui pourrait réunir - hormis l’absence de légitimité démocratique - le club de gouvernants arabes somme toute vassalisés par l’administration américaine ? Divisions, incohérences, disputes minent cet espace politique et favorisent la radicalisation de l’opinion publique arabe. Même quand au bout de trois semaines de massacre, les dirigeants arabes décidèrent enfin de se «réunir» lors du sommet de Doha, cela se traduisit par un approfondissement des divisions au travers de rencontres rivales et d’initiatives en opposition.
    Pour avoir une idée de ce que peut ressentir l’opinion publique arabe (plus de 320 millions de personnes) face à l’acharnement militaire sur la population de Gaza, suscitons les «tristes tropismes» de l’Occidental par «l’expérience de pensée» consistant à imaginer que les milliers de morts et de blessés auraient été du côté israélien…
    Si cette guerre suivie en direct à la télévision dans le monde arabe suscite une immense consternation, la «synchronisation des consciences» qui s’opère est à double tranchant. Sur le versant positif, le phénomène Al-Jezira a eu depuis plus d’une décennie un rôle historique. Première entité arabe non étatique, la chaîne de télévision - qui s’est dédoublée d’une chaîne anglophone touchant 130 millions de personnes - a réalisé ce que des décennies de modernisation politique n’ont pu concrétiser : l’émergence d’un espace de débats et de confrontation, où aussi parfois l’unité arabo-islamique, n’ayant pu se traduire dans un espace géopolitique, se réalise dans l’ubiquité d’une communauté (oumma) numérique.
    Dans le versant négatif ou plutôt paralysant des médias, ceux-ci restent, de par la nature objectale de leur dispositif, des armes de destruction-distraction massive. Acteurs ou téléspectateurs ? L’information saturante, les analyses en boucle ne contribueraient-elles pas à un engourdissement des consciences ? S’informer n’est pas agir, au mieux c’en est la toute première étape. Si le monde arabe regarde intensément Al-Jezira depuis une dizaine d’années pour suivre guerres et conflits ayant cours en son sein, cela conduit-il au changement politique, à l’alternance de pouvoir, à la mise en place de la souveraineté populaire ? Si le plus grand nombre convient que les régimes arabes ont été énucléés en vue de l’occupation de l’Irak, de la déstabilisation du Liban et de la division politique des Palestiniens, comment expliquer que les sociétés civiles soient désactivées dans leur capacité à impulser le changement sociopolitique ?
    Si Israël est en temps de guerre un révélateur identitaire et unificateur, il est aussi un prétexte, et la sacralisation de la question palestinienne ne peut expliquer la faillite du système politique et la facture artificielle du texte nationaliste arabes. Parallèlement, toute une série de blocages et d’échecs renforce les pouvoirs exclusifs de la monarchie de droit divin marocaine, des régimes militaires algérien et soudanais, de l’autocratie tunisienne, des pétro-émirats, des républiques dynastiques de Libye, d’Egypte et de Syrie, etc. «Dieu ne change rien en un peuple tant qu’il n’a rien changé en lui-même», dit en substance un verset coranique. Réalisons l’ampleur de la régression. Le monde arabe - le Moyen-Orient en particulier - vit au XXIe siècle une situation coloniale avec des variantes de protectorat pour les zones les plus prospères. La menace d’un embargo pétrolier, arme utilisée avec succès en 1973, relève désormais de l’impensable. Par ailleurs, beaucoup d’actions non violentes pourraient être entreprises par les acteurs de la société civile arabe pour influer sur le cours des choses.
    Pourquoi malgré une politisation extrême des débats sur la société, la culture, la religion, les sociétés civiles restent-elles impuissantes à maîtriser leurs destinées et aspirations légitimes ? D’où vient cette incapacité à modifier le système politique arabe, d’une manière légale, non violente ou même selon la voie radicale et révolutionnaire ? La surpolitisation n’est-elle pas ce qui tue la politique en la laissant à l’état virtuel de logorrhée ? Comment opérer la mise en acte ?
    Les Palestiniens ont la conscience aiguë que sans l’état fragmentaire du monde arabe, leur occupation n’aurait pu se poursuivre jusqu’en ce XXIe siècle. Depuis la longue et puissante émergence de l’arabisme puis de l’islamisme, pourquoi cette question de l’unité et cette dimension de l’unicité (tawhid) que les musulmans professent, restent-elles à un niveau ontologique, et pourquoi faut-il que sur le plan de la réalisation, ce soit la division qui affecte de manière fractale depuis tant de décennies l’humanité arabe ? Quel est ce dysfonctionnement qu’Israël régulièrement révèle par ses guerres ? Quand fera-t-on en sorte que «la route de Jérusalem passe par les capitales arabes» ?
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