Lors de la discussion sur le protocole de Barcelone initié par la Communauté Européenne et le Maghreb, un haut fonctionnaire belge avait déclaré «l’Europe continuera d’envoyer vers le Maghreb des produits manufacturés finis et le Maghreb continuera d’envoyer en Europe des Hommes.» Cela avait le mérite de la franchise et de la clairvoyance. Plus de 15 ans après, ce diplomate serait bien étonné de vérifier que son constat, toujours d’actualité, se double aujourd’hui d’un phénomène étrange : l’Europe envoie désormais vers le Maghreb, des Hommes !
Oh certes, ce n’est pas encore une déferlante, ni un véritable problème (encore que… voir l’encadré travailleurs sans papiers). C’est néanmoins une question qui, curieusement, n’est pas explorée. Ni par les services officiels des ministères concernés, ni par la presse. Nous n’avons, quant à nous, pas la prétention de tout traiter et de tout comprendre. Simplement d’essayer de faire une photographie instantanée de quelques situations qui nous ont paru emblématiques d’un phénomène sans conteste en expansion.
Rien à signaler
Nous écrivons que nul ne semble s’être penché sur la question. C’est inexact dans la mesure où en 2007, une enquête (voir encadré) du ministère du Travail avait quelque peu bousculé les idées reçues. De son côté, la même année, Khadija Elmadmad, Professeur de Droit (titulaire de la Chaire UNESCO «Migration et Droits Humains ») à l’université Hassan II Casablanca - Ain Chock, avait produit pour le compte du Bureau International du Travail, une étude sur «la législation de la migration et des travailleurs migrants». Depuis, plus rien. Comme si le problème était résolu. Et même plus étonnant, dans cette étude du BIT; l’auteur précise : “la plus importante de ces migrations est la migration internationale pour le travail (ou migration de la main-d’oeuvre).
Cette migration se fait de plus en plus de manière illégale ou clandestine : des Marocains émigrent du pays pour aller travailler à l’étranger et des étrangers (pour la plupart des Subsahariens) immigrent au Maroc pour rechercher un travail en Europe.” Confortant ainsi l’idée que seuls les “subsahariens” seraient concernés par cette nouvelle immigration que l’on prend soin de plus de “cadrer” dans le seul transit. Puisque ces migrants ne rêveraient que d’Europe, le royaume n’étant que le passage obligé. Pourtant la réalité pointée par l’enquête du ministère du Travail est bien différente. L’immigration en col blanc est un véritable phénomène de société. On aurait tendance à dire d’ailleurs que c’est bien la preuve que feu Huttington avait tort et que le choc des civilisations n’est qu’une grossière falsification de l’histoire humaine. Ils sont britanniques, chinois, coréens, espagnols, français, libanais, turcs, sud-américains… (par ordre alphabétique pour ne vexer personne) ; ils sont quelques milliers (pas de chiffres officiels) ; ils ont en commun de vivre et travailler au Maroc.
Dans notre enquête, nous avons sciemment évité les « expats », les « coopérants » (en voie d’extinction d’ailleurs), les « investisseurs » de tous poils et de toute nationalité pour ne nous intéresser qu’aux « immigrés ». Celles et ceux qui ont fait le choix, raisonné – à défaut d’être raisonnable – de venir travailler au Maroc. A Tanger, Fès, Casablanca et Rabat, nous avons rencontré des gens, qui, quoique inquiets pour certains et faisant fi des difficultés de tous ordres, ont fait le choix de s’intégrer dans leur nouveau pays d’accueil. Souvent créateurs d’entreprises, petites ou grandes, ils ont trouvé ici une opportunité de s’épanouir dans des activités sinon délaissées par les Marocains, à tout le moins dans des secteurs où leur savoir-faire et leur expérience font merveille. (voir encadré spécifique).
Mention spéciale pour les Français
Force est de constater que dans cette population, le plus grand nombre est constitué de Français et aussi beaucoup de Françaises. Quand on leur demande les raisons pour lesquelles il sont ici : la première raison invoquée, est la langue. Il est certes plus facile de s’installer dans un pays ou l’une des langues officielles est le Français… Ils évoquent également la culture, mais aussi le soleil et… les Marocains !
Car tous sont unanimes, c’est pour (re)trouver une qualité de vie à l’échelle humaine, faite de chaleur, d’hospitalité, de reconnaissance véritable de l’Autre, qu’ils sont venus au Maroc. Les mêmes arguments sont repris avec encore plus de fougue à la fois par ces retraités et ces jeunes (voir encadrés spécifiques) qui ont choisi l’expatriation. Argumentaire agréable (et parfois difficile) à entendre pour les Marocains ; inquiétant pour la société française…
A l’heure où tant de jeunes Marocains ne rêvent que de fuir le pays, il est paradoxal de voir que d’autres jeunes, Européens, passent à l’acte et fuient une Europe qui ne correspond plus à ce qu’ils imaginent ou souhaitent.
Cela n’empêche pourtant pas les difficultés. Dans le maquis de l’administration des étrangers, les chausse-trappes sont nombreuses et les passe-droits tout autant. La tricherie tous azimuts est partout, y compris dans les services officiels (français comme marocains) qui ont affaire avec ces populations. Si, par exemple, le consulat français de Casablanca prétend que plus de 50% de ses ressortissants ne sont pas inscrits, il oublie de préciser que ce n’est pas une obligation légale. Si les services de l’AFE constatent que les Français « trichent avec la sécurité sociale », ils oublient de dénoncer la véritable arnaque que constituent les modalités de cotisation à la sécurité sociale pour les Français de l’étranger.
Les moutons noirs
Si la Chambre de commerce française déplore le nombre de Français qui ne passe pas par elle pour créer une entreprise au Maroc, elle oublie de dire que son service de l’emploi et de la création d’entreprise répond rarement aux questions posées. Nous avons même envoyé deux courriers électroniques et tenté de joindre sans succès les responsables… Bien évidemment, comme partout -et peut-être ici un peu plus qu’ailleurs pour de bonnes et mauvaises raisons dues à la fois à un laxisme certain des autorités et à une sorte de complexe d’infériorité/supériorité envers l’Occidental - des aigrefins font leur beurre dans un nouvel eldorado.
Une administration moins pointilleuse, une fascination nationale pour la « tchatche » et l’épate et bien sûr le pouvoir de l’argent ; il n’en faut pas plus pour que certains étrangers (alliés à des nationaux, il faut bien le reconnaître) salissent et leur pays et le nôtre. On leur a réservé dans ces pages un traitement à part. Dans la catégorie moutons noirs, nous avons aussi rencontré en nombre croissant semble-t-il une autre « espèce » si l’on peut écrire ça comme ça. Nombre d’étrangers « fêlés », « chtarbés », « dérangés » (les maux/mots sont nombreux) coulent une vie paisible au Maroc et particulièrement à Fès. On leur consacre également un espace spécial dans ces pages. Tout compte fait, ce qui ressort finalement de notre petite enquête, c’est que l’on soit Français, Britannique, Espagnol ou autre ; il fait bon vivre au Maroc. En tout cas mieux vivre qu’en Europe.
C’est la preuve que la société marocaine, à la différence de la société française en ce moment, est capable d’accueillir l’Autre dans sa différence. Que les Marocains ont, (malgré toutes les difficultés de vie quotidienne), gardé ce on ne sait quoi, qui fait qu’on a plaisir à vivre parmi eux. Cela n’est pas rien et démontre paradoxalement que ce pays a encore des choses à dire et à offrir aux autres.
Les Français au Maroc. Le nouveau paradis des retraités
Si l’Europe est la destination privilégiée d’établissement des retraités américains qui y investissent en affaires le fruit de la capitalisation de leurs pensions en période d’activité professionnelle, en revanche les retraités français, surtout les Parisiens suivis des Strasbourgeois et Lillois, s’orientent de plus en plus vers le Maroc pour y couler le restant de leur vie, incitations fiscales à l’appui. Globalement, on estime à moins de 80 000 ressortissants tricolores résidant ou vivant au Maroc dont quelque 35.000 dûment déclarés. Existerait-il des Harragas européens qui tentent l’aventure vers le Maroc ? Ce qui ne signifie pas du tout que le reliquat se trouve en situation «irrégulière», encore que la probabilité d’occurrence de «harragas» ne soit pas totalement nulle, mais il faut préciser que l’acte d’immatriculation est une démarche volontaire, sans aucune contrainte d’obligation. En général, les Français du Maroc se montrent très actifs dans les domaines économique, culturel, d’enseignement et la coopération technique d’une manière plus prononcée. Mais combien d’étrangers vivant au Maroc, sont ou auraient été régularisés après avoir «brûlé» chez nous ? Combien de sans-papiers ? Hélas, nous ne pouvons guère en dire plus face au black-out entourant cette question, tant chez les services diplomatiques que les administrations marocaines en charge de l’émigration et de la régularisation des séjours.
Oh certes, ce n’est pas encore une déferlante, ni un véritable problème (encore que… voir l’encadré travailleurs sans papiers). C’est néanmoins une question qui, curieusement, n’est pas explorée. Ni par les services officiels des ministères concernés, ni par la presse. Nous n’avons, quant à nous, pas la prétention de tout traiter et de tout comprendre. Simplement d’essayer de faire une photographie instantanée de quelques situations qui nous ont paru emblématiques d’un phénomène sans conteste en expansion.
Rien à signaler
Nous écrivons que nul ne semble s’être penché sur la question. C’est inexact dans la mesure où en 2007, une enquête (voir encadré) du ministère du Travail avait quelque peu bousculé les idées reçues. De son côté, la même année, Khadija Elmadmad, Professeur de Droit (titulaire de la Chaire UNESCO «Migration et Droits Humains ») à l’université Hassan II Casablanca - Ain Chock, avait produit pour le compte du Bureau International du Travail, une étude sur «la législation de la migration et des travailleurs migrants». Depuis, plus rien. Comme si le problème était résolu. Et même plus étonnant, dans cette étude du BIT; l’auteur précise : “la plus importante de ces migrations est la migration internationale pour le travail (ou migration de la main-d’oeuvre).
Cette migration se fait de plus en plus de manière illégale ou clandestine : des Marocains émigrent du pays pour aller travailler à l’étranger et des étrangers (pour la plupart des Subsahariens) immigrent au Maroc pour rechercher un travail en Europe.” Confortant ainsi l’idée que seuls les “subsahariens” seraient concernés par cette nouvelle immigration que l’on prend soin de plus de “cadrer” dans le seul transit. Puisque ces migrants ne rêveraient que d’Europe, le royaume n’étant que le passage obligé. Pourtant la réalité pointée par l’enquête du ministère du Travail est bien différente. L’immigration en col blanc est un véritable phénomène de société. On aurait tendance à dire d’ailleurs que c’est bien la preuve que feu Huttington avait tort et que le choc des civilisations n’est qu’une grossière falsification de l’histoire humaine. Ils sont britanniques, chinois, coréens, espagnols, français, libanais, turcs, sud-américains… (par ordre alphabétique pour ne vexer personne) ; ils sont quelques milliers (pas de chiffres officiels) ; ils ont en commun de vivre et travailler au Maroc.
Dans notre enquête, nous avons sciemment évité les « expats », les « coopérants » (en voie d’extinction d’ailleurs), les « investisseurs » de tous poils et de toute nationalité pour ne nous intéresser qu’aux « immigrés ». Celles et ceux qui ont fait le choix, raisonné – à défaut d’être raisonnable – de venir travailler au Maroc. A Tanger, Fès, Casablanca et Rabat, nous avons rencontré des gens, qui, quoique inquiets pour certains et faisant fi des difficultés de tous ordres, ont fait le choix de s’intégrer dans leur nouveau pays d’accueil. Souvent créateurs d’entreprises, petites ou grandes, ils ont trouvé ici une opportunité de s’épanouir dans des activités sinon délaissées par les Marocains, à tout le moins dans des secteurs où leur savoir-faire et leur expérience font merveille. (voir encadré spécifique).
Mention spéciale pour les Français
Force est de constater que dans cette population, le plus grand nombre est constitué de Français et aussi beaucoup de Françaises. Quand on leur demande les raisons pour lesquelles il sont ici : la première raison invoquée, est la langue. Il est certes plus facile de s’installer dans un pays ou l’une des langues officielles est le Français… Ils évoquent également la culture, mais aussi le soleil et… les Marocains !
Car tous sont unanimes, c’est pour (re)trouver une qualité de vie à l’échelle humaine, faite de chaleur, d’hospitalité, de reconnaissance véritable de l’Autre, qu’ils sont venus au Maroc. Les mêmes arguments sont repris avec encore plus de fougue à la fois par ces retraités et ces jeunes (voir encadrés spécifiques) qui ont choisi l’expatriation. Argumentaire agréable (et parfois difficile) à entendre pour les Marocains ; inquiétant pour la société française…
A l’heure où tant de jeunes Marocains ne rêvent que de fuir le pays, il est paradoxal de voir que d’autres jeunes, Européens, passent à l’acte et fuient une Europe qui ne correspond plus à ce qu’ils imaginent ou souhaitent.
Cela n’empêche pourtant pas les difficultés. Dans le maquis de l’administration des étrangers, les chausse-trappes sont nombreuses et les passe-droits tout autant. La tricherie tous azimuts est partout, y compris dans les services officiels (français comme marocains) qui ont affaire avec ces populations. Si, par exemple, le consulat français de Casablanca prétend que plus de 50% de ses ressortissants ne sont pas inscrits, il oublie de préciser que ce n’est pas une obligation légale. Si les services de l’AFE constatent que les Français « trichent avec la sécurité sociale », ils oublient de dénoncer la véritable arnaque que constituent les modalités de cotisation à la sécurité sociale pour les Français de l’étranger.
Les moutons noirs
Si la Chambre de commerce française déplore le nombre de Français qui ne passe pas par elle pour créer une entreprise au Maroc, elle oublie de dire que son service de l’emploi et de la création d’entreprise répond rarement aux questions posées. Nous avons même envoyé deux courriers électroniques et tenté de joindre sans succès les responsables… Bien évidemment, comme partout -et peut-être ici un peu plus qu’ailleurs pour de bonnes et mauvaises raisons dues à la fois à un laxisme certain des autorités et à une sorte de complexe d’infériorité/supériorité envers l’Occidental - des aigrefins font leur beurre dans un nouvel eldorado.
Une administration moins pointilleuse, une fascination nationale pour la « tchatche » et l’épate et bien sûr le pouvoir de l’argent ; il n’en faut pas plus pour que certains étrangers (alliés à des nationaux, il faut bien le reconnaître) salissent et leur pays et le nôtre. On leur a réservé dans ces pages un traitement à part. Dans la catégorie moutons noirs, nous avons aussi rencontré en nombre croissant semble-t-il une autre « espèce » si l’on peut écrire ça comme ça. Nombre d’étrangers « fêlés », « chtarbés », « dérangés » (les maux/mots sont nombreux) coulent une vie paisible au Maroc et particulièrement à Fès. On leur consacre également un espace spécial dans ces pages. Tout compte fait, ce qui ressort finalement de notre petite enquête, c’est que l’on soit Français, Britannique, Espagnol ou autre ; il fait bon vivre au Maroc. En tout cas mieux vivre qu’en Europe.
C’est la preuve que la société marocaine, à la différence de la société française en ce moment, est capable d’accueillir l’Autre dans sa différence. Que les Marocains ont, (malgré toutes les difficultés de vie quotidienne), gardé ce on ne sait quoi, qui fait qu’on a plaisir à vivre parmi eux. Cela n’est pas rien et démontre paradoxalement que ce pays a encore des choses à dire et à offrir aux autres.
Les Français au Maroc. Le nouveau paradis des retraités
Si l’Europe est la destination privilégiée d’établissement des retraités américains qui y investissent en affaires le fruit de la capitalisation de leurs pensions en période d’activité professionnelle, en revanche les retraités français, surtout les Parisiens suivis des Strasbourgeois et Lillois, s’orientent de plus en plus vers le Maroc pour y couler le restant de leur vie, incitations fiscales à l’appui. Globalement, on estime à moins de 80 000 ressortissants tricolores résidant ou vivant au Maroc dont quelque 35.000 dûment déclarés. Existerait-il des Harragas européens qui tentent l’aventure vers le Maroc ? Ce qui ne signifie pas du tout que le reliquat se trouve en situation «irrégulière», encore que la probabilité d’occurrence de «harragas» ne soit pas totalement nulle, mais il faut préciser que l’acte d’immatriculation est une démarche volontaire, sans aucune contrainte d’obligation. En général, les Français du Maroc se montrent très actifs dans les domaines économique, culturel, d’enseignement et la coopération technique d’une manière plus prononcée. Mais combien d’étrangers vivant au Maroc, sont ou auraient été régularisés après avoir «brûlé» chez nous ? Combien de sans-papiers ? Hélas, nous ne pouvons guère en dire plus face au black-out entourant cette question, tant chez les services diplomatiques que les administrations marocaines en charge de l’émigration et de la régularisation des séjours.
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