L'humoriste enchaîne les provocations et les revendique. Antisémite infréquentable pour les uns, il a pourtant fait salle comble à Genève hier et vendredi. Qui sont ses fans? Reportage
Alexis Favre - le 07 février 2009, 23h38
Le Matin
Quatre représentations en deux jours dans une seule ville pour un même spectacle, et tout juste quelques places de libre.
Ça fait beaucoup pour un humoriste décrié tous azimuts pour sa dérive antisémite. Mais le constat est là: Dieudonné fait toujours recette. Quelque 1600 Genevois au sens large auront déboursé 35 ou 55 francs entre hier et vendredi pour venir voir son dernier one-man-show, à la salle centrale de la Madeleine.
Le spectacle s'appelle «J'ai fait l'con». C'est le même que celui qu'il a présenté le 26 décembre au Zénith de Paris, jugeant bon de faire monter sur scène le négationniste Robert Faurisson. Et de lui faire remettre par son régisseur déguisé en déporté le «prix de l'infréquentabilité et de l'insolence». D'évidence, il en fallait plus pour décourager les amateurs du genre à Genève.
Qui sont les spectateurs de Dieudonné? «Le Matin Dimanche» est allé à leur rencontre.
Mohamed et Ismaïl ont 20 ans. Ils sont étudiants tous les deux, à l'Université de Genève. Au même titre que les agents de sécurité, plus nombreux que d'ordinaire, ils sont parmi les premiers sur place, à une heure du début du spectacle. On s'approche, on se présente, ils sont ravis de pouvoir s'expliquer. «Pourquoi je suis venu voir Dieudonné? Parce qu'il me fait rire, répond Mohamed. Il écorche tout le monde. Les Européens, les musulmans, les Chinois. J'ai déjà vu deux spectacles: pour moi, ils n'étaient pas antisémites.»
Pas même quand Dieudonné a fait monter Faurisson sur scène? Ni quand il demande à Jean-Marie Le Pen d'être le parrain de son fils? «Je ne nie pas que ça m'a choqué. J'ai trouvé nauséabond qu'il mette un négationniste sur scène. Ce soir, je suis venu voir de l'humour, pas de la politique. S'il se focalise sur le peuple juif, je n'adhère pas et je ne viendrai plus.»
Amusé, Ismaïl se dit moins mesuré. On l'interroge alors sur le keffieh qu'il porte autour du cou. L'arbore-t-il par hasard, ce soir? «C'est un symbole, sourit-il, prudent. Pour dire que je soutiens la Palestine. Même si je ne suis pas pour la disparition d'Israël. Quant à Dieudonné, il égratigne tout le monde. Je comprends ceux qui n'adhèrent pas, mais il n'est pas antisémite. Il est simplement assez intelligent pour faire parler de lui. Au moins, il dit ce qu'il pense, pour provoquer le débat. Il faut le laisser parler.» Personne ne l'en a d'ailleurs empêché.
Dans le foyer du théâtre, la foule est maintenant compacte, massée derrière le cordon rouge qui tarde à la laisser passer. Grosse barbe et bonnet vissé sur le crâne, Walter, 29 ans, est au premier rang. Lui aussi pense «qu'il faut rire de tout. Le négationniste sur scène, c'est pas grave. La polémique, on laisse faire. Ceux qui n'aiment pas ne viennent pas, c'est tout.» Et quand Dieudonné s'en prend aux juifs qui auraient le «monopole de la souffrance», Walter hésite: «Il a peut-être raison. Tout le monde a souffert.» Sans commentaire.
Son ami Morad, 30 ans, tient à être bien clair: «Si Dieudonné avait fait la même chose sur les musulmans, j'aurais rigolé aussi. Le problème, c'est que dès qu'on touche à ces deux religions, c'est chaud.»
Virginie ne perd pas une miette de la discussion. Camerounaise de 29 ans, elle est là «parce que Dieudonné est Camerounais lui aussi». Comprend-elle que les propos de l'humoriste puissent blesser, choquer? «Oui, mais c'est de l'humour. Et dans l'humour, il dit la vérité.» Ah oui? Quelle vérité? Virginie sourit. Un ange passe.
Derrière elle, un homme nous interpelle: «Dites-moi, Monsieur le journaliste, et le génocide rwandais: pourquoi on n'en parle pas autant?» Autant que quoi, Monsieur? L'ange repasse.
Le cordon est enfin tombé et l'assemblée s'engouffre dans la salle. Nouvelle attente interminable. Puis le rideau s'ouvre. «Je le sens pas, commence Dieudonné en voix off. Y'a des associations, des journalistes, j'y vais pas!» La salle est conquise.
Public genevois oblige, Dieudonné tacle alors local: «Ce que je réponds à la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation)? Prout!» La salle se tient les côtes. L'association appréciera, qui appelait trois heures plus tôt dans la rue à la mobilisation des consciences.
Du coup, «Dieudo» déroule. Il explique Le Pen, Faurisson, la surenchère volontaire pour les médias qui se nourrissent de «viande crue». «Faurisson, on m'a dit de pas le faire. Alors je l'ai fait!»
Le public en redemande. «On est avec toi, Dieudo!» hurle notre voisin.
Arrive le régisseur, déguisé en déporté. Quelques spectateurs huent, les autres rigolent. Hurlant, Dieudonné ironise sur sa souffrance «qui ne se compare pas, qui est au-dessus de tout, qu'on ne doit pas oublier!»
«Eh ben, on peut difficilement oublier!» chuchote un spectateur hilare.
En guise de dernier sketch, il campe le personnage d'Amid, «human bomb» palestinienne qui n'a d'autre choix que de se faire sauter. «Puisqu'on ne peut pas vivre tous les deux, crevons ensemble. Palestine!» Les derniers mots font mouche: standing ovation.
Devant la salle, les 500 suivants attendent déjà leur tour sous la pluie.
Alexis Favre - le 07 février 2009, 23h38
Le Matin
Quatre représentations en deux jours dans une seule ville pour un même spectacle, et tout juste quelques places de libre.
Ça fait beaucoup pour un humoriste décrié tous azimuts pour sa dérive antisémite. Mais le constat est là: Dieudonné fait toujours recette. Quelque 1600 Genevois au sens large auront déboursé 35 ou 55 francs entre hier et vendredi pour venir voir son dernier one-man-show, à la salle centrale de la Madeleine.
Le spectacle s'appelle «J'ai fait l'con». C'est le même que celui qu'il a présenté le 26 décembre au Zénith de Paris, jugeant bon de faire monter sur scène le négationniste Robert Faurisson. Et de lui faire remettre par son régisseur déguisé en déporté le «prix de l'infréquentabilité et de l'insolence». D'évidence, il en fallait plus pour décourager les amateurs du genre à Genève.
Qui sont les spectateurs de Dieudonné? «Le Matin Dimanche» est allé à leur rencontre.
Mohamed et Ismaïl ont 20 ans. Ils sont étudiants tous les deux, à l'Université de Genève. Au même titre que les agents de sécurité, plus nombreux que d'ordinaire, ils sont parmi les premiers sur place, à une heure du début du spectacle. On s'approche, on se présente, ils sont ravis de pouvoir s'expliquer. «Pourquoi je suis venu voir Dieudonné? Parce qu'il me fait rire, répond Mohamed. Il écorche tout le monde. Les Européens, les musulmans, les Chinois. J'ai déjà vu deux spectacles: pour moi, ils n'étaient pas antisémites.»
Pas même quand Dieudonné a fait monter Faurisson sur scène? Ni quand il demande à Jean-Marie Le Pen d'être le parrain de son fils? «Je ne nie pas que ça m'a choqué. J'ai trouvé nauséabond qu'il mette un négationniste sur scène. Ce soir, je suis venu voir de l'humour, pas de la politique. S'il se focalise sur le peuple juif, je n'adhère pas et je ne viendrai plus.»
Amusé, Ismaïl se dit moins mesuré. On l'interroge alors sur le keffieh qu'il porte autour du cou. L'arbore-t-il par hasard, ce soir? «C'est un symbole, sourit-il, prudent. Pour dire que je soutiens la Palestine. Même si je ne suis pas pour la disparition d'Israël. Quant à Dieudonné, il égratigne tout le monde. Je comprends ceux qui n'adhèrent pas, mais il n'est pas antisémite. Il est simplement assez intelligent pour faire parler de lui. Au moins, il dit ce qu'il pense, pour provoquer le débat. Il faut le laisser parler.» Personne ne l'en a d'ailleurs empêché.
Dans le foyer du théâtre, la foule est maintenant compacte, massée derrière le cordon rouge qui tarde à la laisser passer. Grosse barbe et bonnet vissé sur le crâne, Walter, 29 ans, est au premier rang. Lui aussi pense «qu'il faut rire de tout. Le négationniste sur scène, c'est pas grave. La polémique, on laisse faire. Ceux qui n'aiment pas ne viennent pas, c'est tout.» Et quand Dieudonné s'en prend aux juifs qui auraient le «monopole de la souffrance», Walter hésite: «Il a peut-être raison. Tout le monde a souffert.» Sans commentaire.
Son ami Morad, 30 ans, tient à être bien clair: «Si Dieudonné avait fait la même chose sur les musulmans, j'aurais rigolé aussi. Le problème, c'est que dès qu'on touche à ces deux religions, c'est chaud.»
Virginie ne perd pas une miette de la discussion. Camerounaise de 29 ans, elle est là «parce que Dieudonné est Camerounais lui aussi». Comprend-elle que les propos de l'humoriste puissent blesser, choquer? «Oui, mais c'est de l'humour. Et dans l'humour, il dit la vérité.» Ah oui? Quelle vérité? Virginie sourit. Un ange passe.
Derrière elle, un homme nous interpelle: «Dites-moi, Monsieur le journaliste, et le génocide rwandais: pourquoi on n'en parle pas autant?» Autant que quoi, Monsieur? L'ange repasse.
Le cordon est enfin tombé et l'assemblée s'engouffre dans la salle. Nouvelle attente interminable. Puis le rideau s'ouvre. «Je le sens pas, commence Dieudonné en voix off. Y'a des associations, des journalistes, j'y vais pas!» La salle est conquise.
Public genevois oblige, Dieudonné tacle alors local: «Ce que je réponds à la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation)? Prout!» La salle se tient les côtes. L'association appréciera, qui appelait trois heures plus tôt dans la rue à la mobilisation des consciences.
Du coup, «Dieudo» déroule. Il explique Le Pen, Faurisson, la surenchère volontaire pour les médias qui se nourrissent de «viande crue». «Faurisson, on m'a dit de pas le faire. Alors je l'ai fait!»
Le public en redemande. «On est avec toi, Dieudo!» hurle notre voisin.
Arrive le régisseur, déguisé en déporté. Quelques spectateurs huent, les autres rigolent. Hurlant, Dieudonné ironise sur sa souffrance «qui ne se compare pas, qui est au-dessus de tout, qu'on ne doit pas oublier!»
«Eh ben, on peut difficilement oublier!» chuchote un spectateur hilare.
En guise de dernier sketch, il campe le personnage d'Amid, «human bomb» palestinienne qui n'a d'autre choix que de se faire sauter. «Puisqu'on ne peut pas vivre tous les deux, crevons ensemble. Palestine!» Les derniers mots font mouche: standing ovation.
Devant la salle, les 500 suivants attendent déjà leur tour sous la pluie.
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