Les Gaulois ? Allons donc. Les Bellovaques, les Parisii, les Andécaves, les Calètes, les Trévires, les Médiomatriques, les Carnutes… Et, plus au sud, les Eduens, les Allobroges, les Arvernes, les Santons, les Pictons, les Ambarres, les Séquanes, les Lémovices… et tant d'autres. Cette mosaïque est compliquée. Mais, pour le profane, un mot résume le tout : les Gaulois, habitants de la Gaule.
La France, la Gaule. Rarement nation moderne se sera autant référée aux images d'une si lointaine ancestralité. Des images autant déformées et simplifiées par les histoires officielles successives que par l'imagination fertile de quelques-uns – voire d'un seul, en la personne de René Goscinny, le génial père d'Astérix… Les Gaulois ? Comme le dit dans un sourire résigné l'archéologue Christian Goudineau, professeur au Collège de France, tout le monde garde les mêmes clichés en tête : des moustachus batailleurs et frustes, arriérés et débonnaires, vaguement sylvestres, redoutant que le ciel leur tombe sur la tête. Avec, en face, la puissance civilisatrice de Rome. Ses temples immaculés, son urbanisme tiré au cordeau, ses institutions d'airain, ses légions en ordre. Ce face-à-face fantasmé et obligatoire forme une histoire simple. Un récit, remarque l'archéologue Matthieu Poux (université Lyon-II), forgée pour l'essentiel au XIXe siècle, en des temps où la France constituait son empire colonial. Une histoire simple, donc, et surtout bien commode. Car elle permet au colonisateur de dire en substance, à ceux qu'il vient de réduire : "Nous aussi, nous avons un jour été conquis et civilisés par d'autres… Alors pourquoi pas vous ?" Histoire simple, histoire fausse.
Dans les années 1960, les premières observations d'archéologie aérienne, menées par Roger Agache, font tomber un premier cliché fondamental, parfois encore enseigné aux écoliers : celui d'une Gaule "chevelue", couverte de forêts, comme l'avaient qualifiée ses conquérants romains. Erreur ! En lieu et place de ce territoire présumé presque vierge de toute agriculture, ce sont des terroirs aménagés autour de grandes exploitations agricoles qui apparaissent sous l'objectif aérien de Roger Agache. Un ensemble de pays mis en valeur, dont l'organisation compte encore pour beaucoup dans l'aspect actuel de nos campagnes.
Les archéologues ne se sont pas arrêtés là. Leurs dernières découvertes, mais aussi la relecture de sites exhumés il y a plus longtemps, dressent un portrait de nos ancêtres de l'âge du fer qui n'a plus grand-chose à voir avec celui du débonnaire Astérix et de son compagnon tailleur de menhirs… De la Somme à la Corrèze en passant par le Puy-de-Dôme, quatre sites exceptionnels racontent chacun son histoire, et tous battent en brèche les vieux clichés tenaces sur "nos ancêtres les Gaulois".
1. DANS LA CITÉ DE CORENT
Sur le site de Puy de Corent (Puy-de-Dôme), on a toujours su qu'il y avait quelque chose. "Pendant les labours, raconte l'archéologue Matthieu Poux, c'est un lieu qui a toujours livré des quantités invraisemblables de matériel gaulois : des milliers de monnaies, des centaines de milliers de tessons d'amphores, de céramiques." Il y avait quelque chose, mais quoi ? Au début des années 1990, des sondages sont effectués au centre de ce plateau de quelque 50 hectares perché à 570 mètres d'altitude et à quelque 20 kilomètres au sud de Clermont-Ferrand, au cœur du territoire des Arvernes. Ils révèlent la présence d'un lieu de culte romain installé sans doute au-dessus d'un sanctuaire gaulois, mais aucun chantier en règle n'est ouvert.
En 2001, des fouilles entreprises par Matthieu Poux et menées grâce à des bénévoles, étudiants et passionnés, mettent au jour le temple gaulois que les nombreux ossements animaux laissaient deviner. Les archéologues commencent bientôt à retourner la terre hors du sanctuaire. Et ils auraient pu ne rien trouver : le quasi-vide tout autour du lieu de culte aurait été en phase avec l'idée très ancrée de rites gaulois tenus secrets, s'exerçant dans l'obscurité de la forêt et en tout cas bien loin des lieux de vie collective. A Puy de Corent, c'est tout le contraire. "Il semble qu'on ait quelque chose comme un forum “à la romaine”, détaille l'archéologue. Tous les ingrédients sont là : un temple devant une grande place, tout à côté ce qui ressemble à une halle commerciale avec des échoppes d'artisans, une taverne et, tout autour, de l'habitat : voilà une ville." Sur un peu plus d'un hectare dégagé par les chercheurs, un plan urbain, qui semble se mettre en place vers 130 avant notre ère, se dessine.
Près d'un siècle avant la conquête romaine des années 50 av. J.-C., "nos ancêtres les Gaulois" pouvaient habiter de vraies villes. Et cela contre "la représentation primitiviste du Gaulois qui imprègne encore la recherche", constate le fouilleur de l'oppidum (place forte gauloise) de Corent. Dans sa Guerre des Gaules, César évoque pourtant bien les oppida gaulois, mais l'historiographie en a longtemps retenu qu'il ne s'agissait que de petites agglomérations fortifiées servant de refuge aux populations alentours en cas d'attaque. Mais Corent était une véritable cité. Aucune construction de pierre, pourtant, mais des bâtiments aux murs de torchis construits sur poteaux de bois, et qui *ressemblaient peut-être aux maisons à colombages que l'on rencontre aujourd'hui en Alsace ou en Bourgogne. La question de leur élévation est ouverte. Comme l'est, d'ailleurs, celle de l'étendue totale de la ville. Aujourd'hui, seul un peu plus d'un hectare a été fouillé, mais les chercheurs pensent que le site a pu occuper l'ensemble du *plateau de Corent.
Une ville, donc. Mais laquelle ? Les quantités considérables de pièces retrouvées sur le site aux côtés de plusieurs coins monétaires indiquent qu'on y battait monnaie : "C'est le signe qu'on est ici au cœur du pouvoir politique arverne", selon Matthieu Poux. Les amphores, dont certaines ont été sabrées, décapitées d'un coup d'épée, abondent aussi : quarante tonnes de céramiques ont été sorties du seul hectare fouillé. Or ces amphores contenaient toutes du vin, produit d'importation fort coûteux en provenance… d'Italie. Les Gaulois qui vivaient là étaient donc considérés par Rome comme un partenaire commercial de première importance ! Des vaisselles à boire de facture grecque, romaine et proche-orientale montrent également que ces relations commerciales s'étendaient jusqu'à la lointaine Palestine…
Le quartier d'habitation fouillé a aussi récemment livré deux fibules en or – sortes de broches servant à tenir ensemble deux pans d'un vêtement – en provenance de Rome. "Dans toute l'Europe, on n'en a retrouvé qu'une dizaine, raconte Matthieu Poux. Ces objets étaient offerts en cadeaux diplomatiques aux personnalités les plus importantes. Même à Rome, elles n'étaient portées que par des personnages de haut rang : officiers, magistrats et, un peu plus tard, empereurs… Elles montrent la richesse et l'importance politique de ceux qui ont vécu ici."
Ce n'est pas tout. Dans le sanctuaire, les fouilleurs ont aussi retrouvé une quinzaine de crânes de carnivores – renards et parfois loups ou chiens. Une bizarrerie : "Ces animaux sont rarement retrouvés dans les sanctuaires gaulois", indique Matthieu Poux. De là à en déduire l'identité des individus qui vivaient ici au IIe siècle av. J.-C., il y a un pas. Un pas peut-être franchi avec une autre découverte faite sur le site : celle de nombreuses monnaies à l'effigie d'un renard ou d'un loup et dont les archéologues sont sûrs qu'elles ont été frappées in situ, comme le montre le nombre important de ratés de frappe. Voici donc la dernière pièce du puzzle : "Nous savons grâce aux historiens grecs et romains qu'un grand roi du nom de Luern a régné au IIe siècle avant notre ère sur le pays arverne et qu'il y a fondé une dynastie, explique Matthieu Poux. Or “luern” signifie “renard” en langue gauloise… Pour moi, ce que nous avons trouvé à Corent n'est autre que le grand sanctuaire dynastique de ce personnage."
Voilà qui pose un problème. Celui de la célèbre bataille de Gergovie, en 52 av. J.-C. Au XIXe siècle, sur la foi d'études de la toponymie des lieux et de fouilles archéologiques organisées par Napoléon III, le plateau de Merdogne – tout à côté de Clermont-Ferrand – est rebaptisé Gergovie. Mais si le pouvoir arverne était en réalité à Corent, pourquoi César aurait-il alors mis le siège ailleurs, à Merdogne, à plusieurs kilomètres au nord ? La solution est peut-être plus complexe… "Les fouilles de vérification menées au milieu des années 1990 autour du site officiel de Gergovie ne laissent pas de doute : c'est bien là qu'eut lieu la bataille, admet le fouilleur de Corent. Mais on peut penser que le développement de la ville gauloise a pu être multipolaire : la grande capitale arverne pourrait avoir été *formée autour de trois pôles distants de quelques kilomètres : le premier, politique et religieux, à Corent, le deuxième, militaire, à Gergovie, et le *troisième, plutôt artisanal, à Gondole…"
La France, la Gaule. Rarement nation moderne se sera autant référée aux images d'une si lointaine ancestralité. Des images autant déformées et simplifiées par les histoires officielles successives que par l'imagination fertile de quelques-uns – voire d'un seul, en la personne de René Goscinny, le génial père d'Astérix… Les Gaulois ? Comme le dit dans un sourire résigné l'archéologue Christian Goudineau, professeur au Collège de France, tout le monde garde les mêmes clichés en tête : des moustachus batailleurs et frustes, arriérés et débonnaires, vaguement sylvestres, redoutant que le ciel leur tombe sur la tête. Avec, en face, la puissance civilisatrice de Rome. Ses temples immaculés, son urbanisme tiré au cordeau, ses institutions d'airain, ses légions en ordre. Ce face-à-face fantasmé et obligatoire forme une histoire simple. Un récit, remarque l'archéologue Matthieu Poux (université Lyon-II), forgée pour l'essentiel au XIXe siècle, en des temps où la France constituait son empire colonial. Une histoire simple, donc, et surtout bien commode. Car elle permet au colonisateur de dire en substance, à ceux qu'il vient de réduire : "Nous aussi, nous avons un jour été conquis et civilisés par d'autres… Alors pourquoi pas vous ?" Histoire simple, histoire fausse.
Dans les années 1960, les premières observations d'archéologie aérienne, menées par Roger Agache, font tomber un premier cliché fondamental, parfois encore enseigné aux écoliers : celui d'une Gaule "chevelue", couverte de forêts, comme l'avaient qualifiée ses conquérants romains. Erreur ! En lieu et place de ce territoire présumé presque vierge de toute agriculture, ce sont des terroirs aménagés autour de grandes exploitations agricoles qui apparaissent sous l'objectif aérien de Roger Agache. Un ensemble de pays mis en valeur, dont l'organisation compte encore pour beaucoup dans l'aspect actuel de nos campagnes.
Les archéologues ne se sont pas arrêtés là. Leurs dernières découvertes, mais aussi la relecture de sites exhumés il y a plus longtemps, dressent un portrait de nos ancêtres de l'âge du fer qui n'a plus grand-chose à voir avec celui du débonnaire Astérix et de son compagnon tailleur de menhirs… De la Somme à la Corrèze en passant par le Puy-de-Dôme, quatre sites exceptionnels racontent chacun son histoire, et tous battent en brèche les vieux clichés tenaces sur "nos ancêtres les Gaulois".
1. DANS LA CITÉ DE CORENT
Sur le site de Puy de Corent (Puy-de-Dôme), on a toujours su qu'il y avait quelque chose. "Pendant les labours, raconte l'archéologue Matthieu Poux, c'est un lieu qui a toujours livré des quantités invraisemblables de matériel gaulois : des milliers de monnaies, des centaines de milliers de tessons d'amphores, de céramiques." Il y avait quelque chose, mais quoi ? Au début des années 1990, des sondages sont effectués au centre de ce plateau de quelque 50 hectares perché à 570 mètres d'altitude et à quelque 20 kilomètres au sud de Clermont-Ferrand, au cœur du territoire des Arvernes. Ils révèlent la présence d'un lieu de culte romain installé sans doute au-dessus d'un sanctuaire gaulois, mais aucun chantier en règle n'est ouvert.
En 2001, des fouilles entreprises par Matthieu Poux et menées grâce à des bénévoles, étudiants et passionnés, mettent au jour le temple gaulois que les nombreux ossements animaux laissaient deviner. Les archéologues commencent bientôt à retourner la terre hors du sanctuaire. Et ils auraient pu ne rien trouver : le quasi-vide tout autour du lieu de culte aurait été en phase avec l'idée très ancrée de rites gaulois tenus secrets, s'exerçant dans l'obscurité de la forêt et en tout cas bien loin des lieux de vie collective. A Puy de Corent, c'est tout le contraire. "Il semble qu'on ait quelque chose comme un forum “à la romaine”, détaille l'archéologue. Tous les ingrédients sont là : un temple devant une grande place, tout à côté ce qui ressemble à une halle commerciale avec des échoppes d'artisans, une taverne et, tout autour, de l'habitat : voilà une ville." Sur un peu plus d'un hectare dégagé par les chercheurs, un plan urbain, qui semble se mettre en place vers 130 avant notre ère, se dessine.
Près d'un siècle avant la conquête romaine des années 50 av. J.-C., "nos ancêtres les Gaulois" pouvaient habiter de vraies villes. Et cela contre "la représentation primitiviste du Gaulois qui imprègne encore la recherche", constate le fouilleur de l'oppidum (place forte gauloise) de Corent. Dans sa Guerre des Gaules, César évoque pourtant bien les oppida gaulois, mais l'historiographie en a longtemps retenu qu'il ne s'agissait que de petites agglomérations fortifiées servant de refuge aux populations alentours en cas d'attaque. Mais Corent était une véritable cité. Aucune construction de pierre, pourtant, mais des bâtiments aux murs de torchis construits sur poteaux de bois, et qui *ressemblaient peut-être aux maisons à colombages que l'on rencontre aujourd'hui en Alsace ou en Bourgogne. La question de leur élévation est ouverte. Comme l'est, d'ailleurs, celle de l'étendue totale de la ville. Aujourd'hui, seul un peu plus d'un hectare a été fouillé, mais les chercheurs pensent que le site a pu occuper l'ensemble du *plateau de Corent.
Une ville, donc. Mais laquelle ? Les quantités considérables de pièces retrouvées sur le site aux côtés de plusieurs coins monétaires indiquent qu'on y battait monnaie : "C'est le signe qu'on est ici au cœur du pouvoir politique arverne", selon Matthieu Poux. Les amphores, dont certaines ont été sabrées, décapitées d'un coup d'épée, abondent aussi : quarante tonnes de céramiques ont été sorties du seul hectare fouillé. Or ces amphores contenaient toutes du vin, produit d'importation fort coûteux en provenance… d'Italie. Les Gaulois qui vivaient là étaient donc considérés par Rome comme un partenaire commercial de première importance ! Des vaisselles à boire de facture grecque, romaine et proche-orientale montrent également que ces relations commerciales s'étendaient jusqu'à la lointaine Palestine…
Le quartier d'habitation fouillé a aussi récemment livré deux fibules en or – sortes de broches servant à tenir ensemble deux pans d'un vêtement – en provenance de Rome. "Dans toute l'Europe, on n'en a retrouvé qu'une dizaine, raconte Matthieu Poux. Ces objets étaient offerts en cadeaux diplomatiques aux personnalités les plus importantes. Même à Rome, elles n'étaient portées que par des personnages de haut rang : officiers, magistrats et, un peu plus tard, empereurs… Elles montrent la richesse et l'importance politique de ceux qui ont vécu ici."
Ce n'est pas tout. Dans le sanctuaire, les fouilleurs ont aussi retrouvé une quinzaine de crânes de carnivores – renards et parfois loups ou chiens. Une bizarrerie : "Ces animaux sont rarement retrouvés dans les sanctuaires gaulois", indique Matthieu Poux. De là à en déduire l'identité des individus qui vivaient ici au IIe siècle av. J.-C., il y a un pas. Un pas peut-être franchi avec une autre découverte faite sur le site : celle de nombreuses monnaies à l'effigie d'un renard ou d'un loup et dont les archéologues sont sûrs qu'elles ont été frappées in situ, comme le montre le nombre important de ratés de frappe. Voici donc la dernière pièce du puzzle : "Nous savons grâce aux historiens grecs et romains qu'un grand roi du nom de Luern a régné au IIe siècle avant notre ère sur le pays arverne et qu'il y a fondé une dynastie, explique Matthieu Poux. Or “luern” signifie “renard” en langue gauloise… Pour moi, ce que nous avons trouvé à Corent n'est autre que le grand sanctuaire dynastique de ce personnage."
Voilà qui pose un problème. Celui de la célèbre bataille de Gergovie, en 52 av. J.-C. Au XIXe siècle, sur la foi d'études de la toponymie des lieux et de fouilles archéologiques organisées par Napoléon III, le plateau de Merdogne – tout à côté de Clermont-Ferrand – est rebaptisé Gergovie. Mais si le pouvoir arverne était en réalité à Corent, pourquoi César aurait-il alors mis le siège ailleurs, à Merdogne, à plusieurs kilomètres au nord ? La solution est peut-être plus complexe… "Les fouilles de vérification menées au milieu des années 1990 autour du site officiel de Gergovie ne laissent pas de doute : c'est bien là qu'eut lieu la bataille, admet le fouilleur de Corent. Mais on peut penser que le développement de la ville gauloise a pu être multipolaire : la grande capitale arverne pourrait avoir été *formée autour de trois pôles distants de quelques kilomètres : le premier, politique et religieux, à Corent, le deuxième, militaire, à Gergovie, et le *troisième, plutôt artisanal, à Gondole…"
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