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Dans une démocratie récession et protectionnisme vont de pair

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  • Dans une démocratie récession et protectionnisme vont de pair

    Au milieu de sa vie un des plus grands économistes du XXème siècle, Vilfredo Pareto, le successeur de Walras à Lausanne, décida de renoncer à l'économie et de se consacrer à la sociologie politique et à l'histoire à cause du débat entre protectionnisme et libre-échange. Comme économiste il savait que la question était entendue et que le libre-échange, parce qu'il permet d'étendre les échelles de production et donc d'augmenter la productivité, est préférable à l'autarcie et à la protection. L'échange international permet en effet l'enrichissement du monde, inégalement peut-être, mais sans appauvrir aucune nation. Il fallait donc pour comprendre les campagnes protectionnistes s'intéresser à autre chose qu'à la théorie économique.

    Plus tard, Paul A. Samuelson, prix Nobel, déclara que la seule idée de la science économique qui ne soit pas d'une évidente banalité était la théorie de l'avantage comparatif. Elle démontre qu'un pays a toujours intérêt à se spécialiser, même lorsqu'il peut produire mois cher les biens qu'il importe d'un autre pays. Samuelson ajoutait que la seule idée originale et profonde des économistes était celle que les hommes politiques ne comprenaient pas. A vrai dire Pareto et Samuelson voulaient dire que les hommes politiques comprenaient parfaitement la politique et faisaient semblant d'ignorer l'économie.

    Quand les grands propriétaires terriens, au début du XIXème siècle, dirigeaient l'Angleterre en contrôlant, par le régime électoral, la Chambre des Communes, ils imposaient la protection en matière agricole, ce qui augmentait la rente et donc leurs revenus. Quand ils perdirent la majorité, le parti Whig imposa le libre échange qui abaissa le prix des denrées et donc augmenta le revenu des travailleurs des villes. La IIIème République en France, de Thiers à Méline, ne fut protectionniste que pour des raisons électorales. Si le Congrès des Etats-Unis vote aujourd'hui des mesures protectionnistes sur l'acier, c'est évidemment parce que les élections auront lieu dans deux ans. La même préoccupation anime Nicolas Sarkozy à propos de l'automobile. Les hommes politiques, en démocratie, sont plus sensibles à l'opinion et à l'élection, dont les effets sont immédiats et certains, qu'à la théorie économique qu'ignore l'opinion et dont les résultats sont lointains.

    Dans les démocraties modernes, l'arrivée d'une récession provoque inévitablement une flambée protectionniste. La fréquence des rythmes électoraux rend les élus soucieux de répondre aux revendications immédiates des électeurs qui veulent, avant tout, préserver leurs emplois, réduire, quand ils sont producteurs, la concurrence des produits et des travailleurs étrangers, et bénéficier exclusivement des largesses publiques. Les médias amplifient ces réactions et les font prédominer dans l'esprit public. Les électorats marginaux qui sont déterminés par le protectionnisme ou, ce qui revient au même, par le nationalisme sont capables de menacer les situations électorales les plus acquises et inspirent aux élus une telle crainte qu'ils les convertissent sans difficultés.

    Rien de ce qui se produit en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique Latine et en Asie, depuis deux mois, n'est donc surprenant. Plus forte sera la récession mondiale, plus grande sera la passion protectionniste. La crainte apparait donc de voir se reproduire les événements des années 1930: c'est-à-dire la diminution du commerce mondial et des mouvements de capitaux. Je ne suis pas sûr que de dire les choses comme cela suffise à rendre le public plus raisonnable. Car, au moins en France, une large part de l'opinion publique pense que le commerce mondial et les mouvements de capitaux sont responsables de la crise. La tâche des responsables et des élus des démocraties est donc difficile.

    On peut au moins espérer que les gouvernements auront à cœur d'expliquer sans relâche à l'opinion que la spécialisation des productions sur une base internationale et la liberté des mouvements de capitaux sont favorables à la croissance, donc à l'emploi et à l'augmentation des revenus. Cela est plus facile aux Etats-Unis ou il s'instaure une division du travail entre les deux branches du gouvernement: au Congrés d'exprimer la demande protectionniste, à la Présidence d'y résister. La tâche devient plus difficile lorsque les techniques de communication, euphémisme moderne pour désigner la démagogie, insuffle au pouvoir exécutif l'idée qu'il faut précéder l'opinion dans ses emportements. Devrait-on compter sur les élus locaux pour faire preuve de sang froid et défendre l'intérêt général?

    A vrai dire, dans l'Europe et le monde tels qu'ils sont, la résistance au protectionnisme va dépendre de trois facteurs. D'abord de la force des traités: les mesures protectionnistes si elles veulent effectivement s'appliquer violent les traités européens et internationaux, elles rendent donc possibles des sanctions. Les gouvernements protectionnistes, pour parvenir à leurs fins, devront affronter Bruxelles ou Genève, siège de l'Organisation Mondiale du Commerce. Ce n'était pas le cas dans les années trente. Ensuite, la part de l'opinion qui mesure la nécessité bénéfique des échanges internationaux n'est pas négligeable: les ouvriers allemands qui produisent les meilleures machines outils du monde connaissent leurs clients. Les médias sont mieux informés et plus compétents sur les affaires mondiales qu'ils ne l'étaient autrefois. Enfin, la durée de la récession et l'efficacité des politiques de reprise joueront un rôle essentiel.

    Plus vite viendra la reprise, plus grand sera le sentiment d'être bien gouverné, plus facilement s'évanouira le spectre du protectionnisme.

    Jean-Claude Casanova, Slate
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