De jeunes bergers de Théniet El Ghassoul, col séparant les deux communes de Dechmia et Ridane, ayant trop tôt été retirés de l’école par leurs parents démunis, gardent leurs troupeaux d’ovins et de caprins sur des collines chétives et caillouteuses, ou, pour être plus précis, suivent leurs bêtes au-delà des confins connus du aârch des Ouled Farha, tribu ancestrale ayant donné naissance à la commune actuelle de Dechmia. Ils franchissent allègement la frontière de wilaya pour se retrouver sur le territoire de Médéa, avec pour seul viatique de la galette de blé dur ou d’orge mise dans une musette d’alfa et une gourde en plastique remplie de petit lait généralement de chèvre.
Un vent assez frais, sonore et impétueux remonte des vallons, balaie les buttes et fait ondoyer les aiguilles des houppiers de chêne vert. Sa force rend presque impossible la communication orale entre deux compagnons séparés de vingt mètres de distance. Rien d’étonnant à ce que nos pâtres s’expriment en ces temps venteux par force gestes.
Les pieux ayant supporté les panneaux sur lesquels étaient affichées les photos des candidats aux législatives d’avril 2007 sont toujours là, même s’ils certains d’entre aux ont été tordus depuis maintenant presque deux ans. L’épisode du vote semble en tout cas bien lointain face aux préoccupations actuelles des citoyens. Après que des bruits insistants ont couru sur les dernières mesures prises par le ministère de l’agriculture dans le cadre des PPDRI relatives aux soutiens à l’élevage et autres activités rurales, les foyers et les chaumières de Ben S’haba n’ont pas cessé de se poser des questions sur cette nouvelle politique qui, en principe, épouse parfaitement leurs préoccupations. Néanmoins, comme d’habitude, des appréhensions ne cessent de tarauder les esprits sur le mode d’exécution de tels soutiens et sur le respect de l’équité dans l’affectation des programmes (cheptels ou autres formes d’investissement).
Toutes ces interrogations se mêlent d’une façon inévitable aux commentaires sur l’hiver de l’année. Il est vraiment rude, soutient la majorité des citoyens. Le gaz de ville n’ayant pas encore touché les bourgades de la région, les gens se braquent sur le bois de chêne vert pour se chauffer et pour cuire les aliments. Les défrichements de la forêt deviennent inquiétants ; car, en plus des besoins domestiques incompressibles, le phénomène de carbonisation prend des proportions de plus en plus grandes. Le produit- charbons de bois-est écoulé auprès des restaurants et gargotes de Sid Aïssa, Sour El Ghozlane et Aïn Lahdjal.
Face à la réalité du dénuement
Pendant qu’un vieil homme appuyé sur une canne à l’allure tortueuse a voulu faire dans la provocation, par des plaisanteries répétées, face aux jeunes qui l’entouraient dans une mini-assemblée improvisée, deux adolescents poussent difficilement un âne chargé de quatre jerricans d’eau, soit environ une centaine de litres. Ils reviennent de Sidi Brada, une source sortant des entrailles d’une falaise mais proéminente. L’eau jaillit de partout, mais sa mobilisation n’est pas pour l’instant au programme. Fawzi, un homme proche de la cinquantaine, nous montre son énième trophée : il s’agit de fossiles marins (coquillages, notules) et autres curiosités des temps géologiques où la région était…une mer. En tout cas, les collections de fossiles qu’il s’est plu à faire ne laissent planer aucun doute sur cette hypothèse. Ses objets, il les a ramassés aux confins de la chênaie. Nous sommes à 56 kilomètres au sud-ouest du chef-lieu de la wilaya de Bouira, la commune de Dechmia paraît dissimulée dans le massif de chêne-vert recouvrant les pitons et les collines du Titteri. Sur ces monts, qui sont le prolongement naturel de la chaîne qui prend naissance à Berrouaghia, la vie menée par les populations rurales est faite de dénuement, de pauvreté et de chômage. Après avoir vécu l’enfer de la décennie du terrorisme- avec son lot de victimes et les séquelles par lesquelles il a marqué le corps social-, les hameaux et les villages se réveillent à la dure réalité du pain quotidien qu’il faut malgré tout gagner contre vents et marées.
À la limite occidentale de la commune, commence la wilaya de Médéa. La bourgade de Ben S’haba semble languir au pied du mont Bougaouden au vu du silence dans lequel elle est plongée au milieu de la journée. De rares véhicules passent en trombe dans la direction de Djouab, l’ex-Rapidi la Romaine, appelée Masqueray au temps de la colonisation française. Sur le chemin de wilaya numéro 20, des parcelles de céréales laissent voir une rare luxuriance après la bonne saison de pluie. Sur les terrains de parcours, une nappe de couleur vert olive vient recouvrir le sol sur lequel évoluent des troupeaux d’ovins et de caprins. Un vieux, posté face au seul café de la bourgade nous apprend que les labours ne se font pas toujours à la charrue tractée ; des lopins perchés sur quelques collines ou collées aux piémonts continuent à être travaillés à l’araire au moyen d’ânes ou de chevaux. Ici, l’espèce asine garde toute son importance et les ‘’égards’’ qui lui sont dus.
Rattachée à la commune de Dechmia depuis la création de celle-ci en 1984, l’agglomération de Ben S’haba assume difficilement cette relation. Les personnes interrogées avouent que leur village reste l’éternel oublié des collectivités locales et cela même du temps où il dépendait de la commune-mère, Sour El Ghozlane.
Le travail de la terre et ses exigences
Un quinquagénaire enturbanné avance difficilement au milieu d’une parcelle qui paraît récemment semée. Baissant et relevant tout son corps, on devine qu’il est en train de vérifier la levée des plantules de céréales à la faveur des derniers pluies. Cependant, il a trop plu par rapport à la moyenne saisonnière des dix dernières années. Il s’est formé une sorte de bourbier marécageux qui menace même les racines d’étouffement. L’homme marmonne quelques bribes de phrases à peines audibles : « En tout cas, c’est le bon Dieu qui décide de tout. Il sait parfaitement ce qu’il nous faut. Mais, c’est quelque part injuste ce qui nous arrive. Après la rouille de 2004 et la sécheresse de l’année qui a suivi, voici maintenant l’excès de pluie. Cela fait trois ans que je n’ai rien écoulé à la CCLS. Je n’ai que huit hectares de terre et je n’ai aucun moyen de faire autre chose. D’ailleurs, je suis endetté jusqu’au coup pour un résultat nul. Lorsque, pour faire survivre mes dix moutons, j’ai recours aux bottes de foin de 250 dinars l’unité achetées auprès des revendeurs de Sétif ou de Aïn Defla, vous pouvez imaginer la suite. Quant à ma fille qui poursuit ses études universitaires, je lui proposerai de chercher tout de suite un métier, même en tant qu’institutrice au village, pourvu qu’elle m’épargne les dépenses qui atteignent actuellement pas moins de 6 000 dinars par mois. Et vous connaissez la jeunesse d’aujourd’hui ! Je lui paye aussi ses cartes de crédit du téléphone portable pour qu’elle nous appelle de Boumerdès. Dieu soit avec nous, c’est tout ce que je peux dire ! .» Concernant les programmes subventionnés par l’État en matière d’arboriculture et d’autres activités agricoles en dehors des céréales, notre interlocuteur ne semble pas particulièrement s’y intéresser. « L’arbre a besoin de soins particuliers que nous ne connaissons pas. Nous n’avons pas une tradition en la matière. Et puis, il y a le problème de l’eau. Pourtant, vous constatez de vos propres yeux, la source de Sidi Brada est intarissable ; mais, elle n’est pas aménagée. Nous manquons terriblement d’infrastructures et des équipements ». Un groupe de villageois arrive et se met à côté d’Ali. L’un d’eux, dans une plaisante ironie, commente : « Ammi Ali est un paresseux qui préfère semer en décembre, hiberner jusqu’à juin pour venir moissonner, s’il y a quelque chose à moissonner, alors que tous les autres travaux exigent une présence permanente de l’homme.»
Une histoire de la résistance
Ben S’haba est à moins de dix kilomètres du chef-lieu communal. Il est situé à 1 000 m d’altitude, sur un col portant le même nom que l’agglomération. Cette dernière est formée de plus d’une centaine de foyers répartis sur les côtés gauche et droit de la route départementale. Cette route, le CW 20, est une ancienne voie romaine, tracée par le génie militaire de l’époque des légionnaires pour échapper à la résistance berbère organisée dans la vallée de la Haute Soummam et qui rendait périlleux l’usage de l’actuelle RN 5 (Alger-Constantine). L’alternative fut une voie de montagne traversant dans toute leur longueur les deux massifs du Titteri et des Bibans jusqu’à Mansourah, dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj. Sur la plate-forme du village constituant le prolongement du col sur le bas-côté nord de la route, le café maure ouvre sa porte en bois vermoulu pour donner accès à un hall semi-obscur parsemé de vieilles tables et de chaises bancales. L’école, la mosquée et le café forment trois ‘’édifices publics’’ qui servent d’ ‘’agora’’ du village. Toutes les occasions sont les bienvenues pour créer des rassemblements dans l’un ou l’autre de ces édicules. Mais, pour la jeunesse de Ben S’haba, il semble que le café soit le lieu privilégié pour les rencontres et les discussions.
Un vent assez frais, sonore et impétueux remonte des vallons, balaie les buttes et fait ondoyer les aiguilles des houppiers de chêne vert. Sa force rend presque impossible la communication orale entre deux compagnons séparés de vingt mètres de distance. Rien d’étonnant à ce que nos pâtres s’expriment en ces temps venteux par force gestes.
Les pieux ayant supporté les panneaux sur lesquels étaient affichées les photos des candidats aux législatives d’avril 2007 sont toujours là, même s’ils certains d’entre aux ont été tordus depuis maintenant presque deux ans. L’épisode du vote semble en tout cas bien lointain face aux préoccupations actuelles des citoyens. Après que des bruits insistants ont couru sur les dernières mesures prises par le ministère de l’agriculture dans le cadre des PPDRI relatives aux soutiens à l’élevage et autres activités rurales, les foyers et les chaumières de Ben S’haba n’ont pas cessé de se poser des questions sur cette nouvelle politique qui, en principe, épouse parfaitement leurs préoccupations. Néanmoins, comme d’habitude, des appréhensions ne cessent de tarauder les esprits sur le mode d’exécution de tels soutiens et sur le respect de l’équité dans l’affectation des programmes (cheptels ou autres formes d’investissement).
Toutes ces interrogations se mêlent d’une façon inévitable aux commentaires sur l’hiver de l’année. Il est vraiment rude, soutient la majorité des citoyens. Le gaz de ville n’ayant pas encore touché les bourgades de la région, les gens se braquent sur le bois de chêne vert pour se chauffer et pour cuire les aliments. Les défrichements de la forêt deviennent inquiétants ; car, en plus des besoins domestiques incompressibles, le phénomène de carbonisation prend des proportions de plus en plus grandes. Le produit- charbons de bois-est écoulé auprès des restaurants et gargotes de Sid Aïssa, Sour El Ghozlane et Aïn Lahdjal.
Face à la réalité du dénuement
Pendant qu’un vieil homme appuyé sur une canne à l’allure tortueuse a voulu faire dans la provocation, par des plaisanteries répétées, face aux jeunes qui l’entouraient dans une mini-assemblée improvisée, deux adolescents poussent difficilement un âne chargé de quatre jerricans d’eau, soit environ une centaine de litres. Ils reviennent de Sidi Brada, une source sortant des entrailles d’une falaise mais proéminente. L’eau jaillit de partout, mais sa mobilisation n’est pas pour l’instant au programme. Fawzi, un homme proche de la cinquantaine, nous montre son énième trophée : il s’agit de fossiles marins (coquillages, notules) et autres curiosités des temps géologiques où la région était…une mer. En tout cas, les collections de fossiles qu’il s’est plu à faire ne laissent planer aucun doute sur cette hypothèse. Ses objets, il les a ramassés aux confins de la chênaie. Nous sommes à 56 kilomètres au sud-ouest du chef-lieu de la wilaya de Bouira, la commune de Dechmia paraît dissimulée dans le massif de chêne-vert recouvrant les pitons et les collines du Titteri. Sur ces monts, qui sont le prolongement naturel de la chaîne qui prend naissance à Berrouaghia, la vie menée par les populations rurales est faite de dénuement, de pauvreté et de chômage. Après avoir vécu l’enfer de la décennie du terrorisme- avec son lot de victimes et les séquelles par lesquelles il a marqué le corps social-, les hameaux et les villages se réveillent à la dure réalité du pain quotidien qu’il faut malgré tout gagner contre vents et marées.
À la limite occidentale de la commune, commence la wilaya de Médéa. La bourgade de Ben S’haba semble languir au pied du mont Bougaouden au vu du silence dans lequel elle est plongée au milieu de la journée. De rares véhicules passent en trombe dans la direction de Djouab, l’ex-Rapidi la Romaine, appelée Masqueray au temps de la colonisation française. Sur le chemin de wilaya numéro 20, des parcelles de céréales laissent voir une rare luxuriance après la bonne saison de pluie. Sur les terrains de parcours, une nappe de couleur vert olive vient recouvrir le sol sur lequel évoluent des troupeaux d’ovins et de caprins. Un vieux, posté face au seul café de la bourgade nous apprend que les labours ne se font pas toujours à la charrue tractée ; des lopins perchés sur quelques collines ou collées aux piémonts continuent à être travaillés à l’araire au moyen d’ânes ou de chevaux. Ici, l’espèce asine garde toute son importance et les ‘’égards’’ qui lui sont dus.
Rattachée à la commune de Dechmia depuis la création de celle-ci en 1984, l’agglomération de Ben S’haba assume difficilement cette relation. Les personnes interrogées avouent que leur village reste l’éternel oublié des collectivités locales et cela même du temps où il dépendait de la commune-mère, Sour El Ghozlane.
Le travail de la terre et ses exigences
Un quinquagénaire enturbanné avance difficilement au milieu d’une parcelle qui paraît récemment semée. Baissant et relevant tout son corps, on devine qu’il est en train de vérifier la levée des plantules de céréales à la faveur des derniers pluies. Cependant, il a trop plu par rapport à la moyenne saisonnière des dix dernières années. Il s’est formé une sorte de bourbier marécageux qui menace même les racines d’étouffement. L’homme marmonne quelques bribes de phrases à peines audibles : « En tout cas, c’est le bon Dieu qui décide de tout. Il sait parfaitement ce qu’il nous faut. Mais, c’est quelque part injuste ce qui nous arrive. Après la rouille de 2004 et la sécheresse de l’année qui a suivi, voici maintenant l’excès de pluie. Cela fait trois ans que je n’ai rien écoulé à la CCLS. Je n’ai que huit hectares de terre et je n’ai aucun moyen de faire autre chose. D’ailleurs, je suis endetté jusqu’au coup pour un résultat nul. Lorsque, pour faire survivre mes dix moutons, j’ai recours aux bottes de foin de 250 dinars l’unité achetées auprès des revendeurs de Sétif ou de Aïn Defla, vous pouvez imaginer la suite. Quant à ma fille qui poursuit ses études universitaires, je lui proposerai de chercher tout de suite un métier, même en tant qu’institutrice au village, pourvu qu’elle m’épargne les dépenses qui atteignent actuellement pas moins de 6 000 dinars par mois. Et vous connaissez la jeunesse d’aujourd’hui ! Je lui paye aussi ses cartes de crédit du téléphone portable pour qu’elle nous appelle de Boumerdès. Dieu soit avec nous, c’est tout ce que je peux dire ! .» Concernant les programmes subventionnés par l’État en matière d’arboriculture et d’autres activités agricoles en dehors des céréales, notre interlocuteur ne semble pas particulièrement s’y intéresser. « L’arbre a besoin de soins particuliers que nous ne connaissons pas. Nous n’avons pas une tradition en la matière. Et puis, il y a le problème de l’eau. Pourtant, vous constatez de vos propres yeux, la source de Sidi Brada est intarissable ; mais, elle n’est pas aménagée. Nous manquons terriblement d’infrastructures et des équipements ». Un groupe de villageois arrive et se met à côté d’Ali. L’un d’eux, dans une plaisante ironie, commente : « Ammi Ali est un paresseux qui préfère semer en décembre, hiberner jusqu’à juin pour venir moissonner, s’il y a quelque chose à moissonner, alors que tous les autres travaux exigent une présence permanente de l’homme.»
Une histoire de la résistance
Ben S’haba est à moins de dix kilomètres du chef-lieu communal. Il est situé à 1 000 m d’altitude, sur un col portant le même nom que l’agglomération. Cette dernière est formée de plus d’une centaine de foyers répartis sur les côtés gauche et droit de la route départementale. Cette route, le CW 20, est une ancienne voie romaine, tracée par le génie militaire de l’époque des légionnaires pour échapper à la résistance berbère organisée dans la vallée de la Haute Soummam et qui rendait périlleux l’usage de l’actuelle RN 5 (Alger-Constantine). L’alternative fut une voie de montagne traversant dans toute leur longueur les deux massifs du Titteri et des Bibans jusqu’à Mansourah, dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj. Sur la plate-forme du village constituant le prolongement du col sur le bas-côté nord de la route, le café maure ouvre sa porte en bois vermoulu pour donner accès à un hall semi-obscur parsemé de vieilles tables et de chaises bancales. L’école, la mosquée et le café forment trois ‘’édifices publics’’ qui servent d’ ‘’agora’’ du village. Toutes les occasions sont les bienvenues pour créer des rassemblements dans l’un ou l’autre de ces édicules. Mais, pour la jeunesse de Ben S’haba, il semble que le café soit le lieu privilégié pour les rencontres et les discussions.
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