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Premier procès d'un Khmer rouge à Phnom Penh

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  • Premier procès d'un Khmer rouge à Phnom Penh

    Le procès de Duch, ancien directeur du centre de torture S21, s'ouvre à Phnom Penh le 17 février devant les CETC. Il est le premier responsable du régime dictatorial à comparaître. D'autres procès devraient suivre, mais ils s'annoncent beaucoup plus difficiles compte tenu des désaccords au sein de ce tribunal hybride.

    Vann Nath se souvient du moindre détail de ce jour d'avril 1977 où les Khmers rouges l'ont arrêté. Il a été attaché et jeté dans une charrette à bœufs sans même pouvoir dire au revoir à son épouse et à ses enfants. Mais le pire était à venir. Une semaine plus tard, il a été mis aux fers, entravé au sol au côté de dizaines d'autres détenus, au centre de torture S21 [aujourd'hui transformé en musée et à nouveau connu sous son appellation initiale, Tuol Sleng], le plus vaste sous le régime khmer rouge. On estime que 17 000 hommes, femmes et enfants y ont été interrogés de 1975 à 1979 [certains succombant à leurs sévices, les autres étant systématiquement exécutés à quelques kilomètres de là].

    Vann Nath fait partie des quatre seuls survivants de S21. Son histoire ainsi que celle des trois autres sera racontée à partir du 17 février devant le tribunal spécial chargé de juger les crimes de guerre des Khmers rouges. Kaing Guek Eav, le prof de maths devenu directeur du centre S21 et connu sous le nom de "camarade Duch", est le premier accusé traduit devant les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC). Poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, il s'est montré coopératif avec le tribunal [il reconnaît la plupart des faits qui lui sont reprochés] et a aidé à retracer le cours des événements durant les quatre années de terreur qu'ont fait régner les Khmers rouges. Sous leur férule, quelque 1,7 million de Cambodgiens [un quart à un tiers de la population] sont morts torturés, exécutés, affamés ou de maladie. Duch, 66 ans, est en prison depuis une dizaine d'années et encourt une peine à perpétuité.

    Vann Nath, qui devrait être cité comme témoin lors des audiences, n'a jamais revu ses enfants. Ils sont morts de faim durant sa détention à S21. "L'un d'eux avait 5 ans. L'autre était encore un nourrisson", raconte-t-il. Il a hâte que le procès commence, car "la justice a pris tellement de temps et aucune excuse n'a jamais été présentée", déplore-t-il. "J'étais furieux. Mais cette colère s'est estompée. Il est temps de trouver des solutions", estime-t-il. "On ne peut pas défaire ce qui a été fait. Je veux simplement que justice soit rendue. Pour moi, la justice, c'est d'entendre les responsables reconnaître leur culpabilité. J'espère que les juges pourront ainsi nous rendre justice." Mais alors que les CETC, soutenues par les Nations unies, se préparent à leur premier procès, le plus simple, les querelles s'intensifient autour du deuxième, celui des quatre plus hauts dirigeants khmers rouges encore en vie, et même autour d'un hypothétique troisième jugement qui se tiendrait en cas d'arrestation d'autres responsables, en plus des cinq actuellement sous les verrous. Les quatre anciens hauts dirigeants poursuivis devraient être jugés ensemble, en 2010. Il s'agit de Khieu Samphan, 77 ans, chef d'Etat du Kampuchéa démocratique, Ieng Sary, 83 ans, ministre des Affaires étrangères, et son épouse Ieng Thirith, 76 ans, ministre des Affaires sociales, et enfin Nuon Chea, 82 ans, le grand idéologue du régime, surnommé "Frère n° 2". Pol Pot, le "Frère n° 1", est décédé en 1998.

    Le coprocureur étranger du tribunal, le Canadien Robert Petit, habitué des procès pour crimes de guerre car il y a déjà pris part au Rwanda et au Timor-Oriental, souhaite engager des poursuites contre d'autres responsables. Mais son alter ego cambodgienne, Mme Chea Leang, s'y oppose. Ce désaccord étalé publiquement est le premier entre les deux coprocureurs depuis la création des chambres, en juin 2006. Mais ce n'est pas le premier au sein du tribunal spécial. Or cette juridiction est extrêmement vulnérable à ce type de conflits car, bien que soutenue par les Nations unies, il s'agit d'un tribunal hybride mêlant juges, procureurs, administrateurs et avocats cambodgiens et étrangers. L'ONU et le Cambodge ont fini par s'entendre sur la création de cette juridiction au terme de dix années de désaccords portant sur les modalités de sa mise en place et sa localisation. Les tribunaux cambodgiens ne sont pas réputés pour leur indépendance à l'égard du pouvoir politique, et beaucoup de proches des CETC assurent en privé que Mme Chea Lang est aux ordres du gouvernement, peu enclin à voir les magistrats approfondir leurs recherches. Et pour cause : certains ministres de premier plan sont d'anciens Khmers rouges.

    Selon l'accusation, le procès de Duch devrait durer dix semaines. Le dossier à charge repose sur 33 témoins et 3 000 pages de documents mais n'est pas encore bouclé. La dernière découverte en date est un film tourné par les autorités vietnamiennes et remis en décembre au Centre de documentation du Cambodge [DC-Cam, qui, depuis près de quinze ans, recueille tous les documents relatifs à cette période]. On y voit des soldats vietnamiens ouvrir, en janvier 1979, S21 et y découvrir des prisonniers morts ainsi que des enfants et des bébés en vie [aujourd'hui, certains pourraient être appelés à témoigner]. "Il n'y a pas dans cette affaire de preuve irréfutable, analyse William Smith, l'adjoint australien du coprocureur, riche de dix ans d'expérience au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. La solidité du dossier d'accusation tient au grand nombre de témoins, documents et photographies, qui tous corroborent les mêmes faits : la torture et la mort de milliers de personnes à S21 et le rôle central de Duch."

    Susan Postlewaite , Par South China Morning Post. courrier International
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