Par Fahd Iraqi et Wafaa Lrhezzioui
Brahim Zniber. Le seigneur des tonneauxMeknès, route d’El Hajeb. Pancarte “Domaine Brahim Zniber”. Perdu comme un épouvantail dans un champ, le petit écriteau,
Dans cette hacienda marocaine se terre une des plus grandes fortunes du Maroc. Brahim Zniber a installé dans la demeure familiale le siège de son groupe, Diana Holding, qui compte parmi les grands conglomérats du royaume. 8400 hectares de plantations, 6500 salariés, 2,5 milliards de chiffre d’affaires… Brahim Zniber n’en a pas moins la campagne dans les veines, clame-t-il d’entrée de jeu, comme pour justifier cette vie loin du centre des affaires. Photographe et maquilleuse attitrés, l’octogénaire soigne son image de gentleman farmer. Plus que sa fortune, l’homme a bâti sa réputation sur une activité dans laquelle peu d’entrepreneurs osent se lancer en terre d’islam : la viticulture. Avec une trentaine de marques de vin de table ou de grands crus et 30 millions de cols écoulés chaque année, Zniber domine le marché. Un business que ce patriarche, à la tête d’une tribu d’une vingtaine d’enfants, assume de moins en moins. Fini le temps où le maître des lieux orchestrait volontiers la visite guidée de son château et, comme en 2005, invitait dans ses caves les caméras de l’émission française Saga.
Ça trinque avec les islamistes…
Aujourd’hui, à 87 ans, Brahim Zniber peine à montrer les trophées récoltés par ses crus. Seuls éléments de décoration, avec quelques photos officielles, de son bureau champêtre. L’allure toujours fringante, petit mouchoir soigneusement plissé qui dépasse de la poche de sa veste, le milliardaire joue les businessmen discrets. Le magnat de la vigne qui parlait librement de sa “passion” a mis de l’eau dans son vin depuis que Meknès, son fief, est devenue, en 2003, un laboratoire islamiste. Un séisme politique que Zniber cherche malgré tout à minimiser. “Aboubakr Belkora est une connaissance. Nous n’avons jamais rencontré le moindre problème avec lui”, nous affirme-t-il, en parlant du maire pjdiste révoqué, tout récemment, par le ministère de l’Intérieur. Aucune altercation n’a éclaté entre les islamistes et le viticulteur, mais une campagne vise clairement le personnage en 2007, à l’occasion de la première fête des vins organisée par sa société, Les Celliers de Meknès, avec les vignerons de la ville et le Conseil régional du tourisme. “On nous a sollicités pour reconduire cette manifestation, mais j’ai refusé”, explique Zniber.
L’édition 2008 se tiendra finalement, plus discrètement, à Benslimane, dans les caves de sa société Thalvin, avec une accroche moins charnue : “Rencontre des vignerons et terroirs du monde”. Profil bas pour un homme à la démarche toujours alerte, qui semble concocter un élixir de jouvence. “Un bon verre de vin rouge accompagnant les repas est recommandé par les médecins. C’est l’abus d’alcool qui est nuisible à la santé”, plaide, à force de louvoiement, l’homme qui connaît par cœur tous les hadiths et versets du Coran traitant de l’alcool et qui s’insurge contre leurs interprétations “radicales”. Autre botte secrète de sa bonne forme physique : quelques exercices matinaux dans sa salle de sport privée, suivie de 20 minutes de natation. “Piscines extérieure et intérieure, spa, court de tennis, haras... j’ai tout ce qu’il me faut ici”, détaille Brahim Zniber. Mais avant de suer sur la piste de danse de la discothèque, qu’il a fait construire à domicile, il a sué sur le tracteur qui a fait ce bout de paradis terrestre à partir d’une terre en friche…
Petit Zniber à Petit Jean
“C’était la propriété d’un vieux colonel français qui faisait de l’élevage de chevaux et vivait dans une cabane. Il n’y avait même pas de toilettes”, raconte le maître des lieux, qui déniche ce premier lopin de terre, début 1956, grâce à un de ses clients. Le jeune Brahim devient propriétaire et exploitant agricole sans avoir à décaisser le moindre centime. “J’ai bénéficié d’un crédit de la Caisse fédérale pour acheter ce terrain de 740 hectares, et j’ai eu recours à la Compagnie marocaine de crédit et de banque (ancêtre du groupe Wafabank, ndlr) pour acheter le matériel”. Ces facilités de financement, il les doit à la réputation de sa famille et à ses connexions avec les nouveaux dirigeants du Maroc indépendant. “Je n’oublierai jamais ce patron de banque qui m’avait dit que je n’aurais pas eu un sou si je n’étais pas le fils de Taher Zniber”, se remémore-t-il.
Négociant en céréales et en laine, et surtout un des responsables de la Koutla nationale (ancêtre du Parti de l’Istiqlal), Taher Zniber a installé sa petite famille slaouie de dix enfants à Sidi Kacem, une bourgade à 50 km au nord de Meknès, appelée Petit Jean dans le Maroc des années 1920. “Sur les conseils d’une doctoresse anglaise, mon papa a décidé de quitter Salé alors que j’avais à peine 40 jours”, sourit Brahim Zniber, avant de conter, un brin nostalgique, sa jeunesse dorée au sein de la “bourgeoisie indigène”. Travaillant avec son père dans les céréales, mais aussi pour son propre compte dans le matériel agricole, il fréquente assidûment la communauté française. L’homme s’émeut encore de ses soirées dansantes, au rythme rock’n’roll et aux bras de ses maîtresses blondes. “J’étais jeune et très beau. Mais j’ai encore de beaux restes”, plaisante l’octogénaire à l’œil encore vif.
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